Texte intégral
C. Barbier.- Un cocktail Molotov lancé contre une synagogue à Saint-Denis hier soir, craignez-vous une flambée d'antisémitisme en France ?
Je voudrais d'abord dire que ce genre d'acte est tout à fait inacceptable. L'antisémitisme est indigne de la France, il est inacceptable et indigne de la France. Et je crois que le conflit au Proche-Orient, la situation à Gaza ne doit en aucun cas avoir de répercussions ou une quelconque forme d'importation sur le territoire français.
On a l'impression que le Gouvernement ne peut rien faire, à part des appels au calme ?
Le Gouvernement fait ce qu'il doit faire, M. Alliot-Marie a rappelé quelle était la règle, le président de la République et le Premier ministre se sont également exprimés là-dessus. Toute importation du conflit du Proche-Orient en France est à la fois contraire à nos intérêts et inacceptable.
R. Yade, votre collègue des Droits de l'homme parle de "martyrisation du peuple palestinien à Gaza". Reprenez-vous ce terme à votre compte ?
Il y a des souffrances du peuple palestinien qui sont évidentes, et qui choquent tout le monde, moi le premier. Lorsque l'on voit les images à la télévision, ce sont des choses qui choquent tout le monde. Cela étant, notre rôle à nous, responsables politiques, c'est d'abord d'arriver à trouver des solutions, et je crois qu'il y a des solutions possibles à Gaza. Il y a un travail qui a été fait par B. Kouchner aux Nations unies, une résolution qui appelle à un cessez-le-feu. Il y a un dialogue qui a été ouvert par le président de la République avec toutes les parties au conflit, qui a été ouvert avec l'Égypte, avec la Turquie, avec la Syrie. Je crois que nous avons la base d'un processus de paix, et c'est ça qui compte aujourd'hui. Nous devons faire tous les efforts possibles dans ce sens-là, c'est d'ailleurs ce que fait le président de la République et ce que fait B. Kouchner.
Les leaders de gauche et d'extrême gauche qui défilaient samedi en faveur des Palestiniens, réclament plus de fermeté de la part de l'Union européenne, vous demandent toute une série de mesures plus fermes. L'Union européenne est-elle prête à durcir le ton avec Israël ?
Je crois qu'il y a deux choses qu'il faut bien voir. Ce n'est pas une question de durcir le ton ou d'essayer de monter dans l'escalade des mots. La question c'est, est-ce que l'on trouve une solution à la paix ? Il y a une solution sur la table, il y a un appel au cessez-le-feu prononcé par les Nations unies, il y a un dialogue possible avec l'ensemble des partis. Je crois que c'est dans cette direction-là qu'il faut avancer, ça c'est la première chose qui me paraît la plus importante. Et puis ensuite, à plus long terme, il faut réfléchir à ce que peut être un équilibre de la paix, de la stabilité dans cette région, c'est l'intérêt du peuple palestinien, et c'est l'intérêt d'Israël.
Faut-il maintenir la perspective du sommet UE-Israël, qui avait été arrêté sous présidence française, ou faut-il l'annuler ?
Je crois profondément que l'Union européenne a un rôle à jouer dans ce conflit pour rétablir la paix. C'est conforme à ses valeurs, c'est conforme aussi, j'insiste là-dessus, à ses intérêts. Parce que l'Union européenne est proche de la Méditerranée, proche de cette région-là, c'est son intérêt de sécurité, c'est son intérêt par rapport à ses valeurs de jouer tout son rôle dans le processus de paix. Le président de la République le fait, j'en ai discuté avec tous mes homologues à Prague lors du Conseil Affaires générales la semaine dernière, je sens une vraie préoccupation, une vraie volonté d'intervenir collectivement sur ce conflit, ça me paraît la bonne chose.
Y compris en envoyant des soldats, si les parties sur le terrain sont d'accord, en ayant une force d'interposition européenne ?
Y compris en ayant des personnels sur place qui permettront de regarder si le cessez-le-feu est respecté ou si entre Gaza et l'Égypte, les points de contrôle sont bien respectés. Vous savez qu'il y a déjà des observateurs de l'Union européenne qui étaient présents, qui ont joué un rôle très utile. L'Union européenne peut jouer un rôle pour la paix au Proche-Orient. Elle est prête à le faire, et elle a les moyens politiques de le faire.
L'Union européenne devra-t-elle payer pour la reconstruction des bâtiments détruits à Gaza, bâtiments construits avec de l'argent européen pour la plupart ?
Vous savez que l'Union européenne paye déjà des sommes très importantes, plusieurs dizaines de millions d'euros, pour l'aide humanitaire à Gaza, pour la reconstruction à Gaza ; elle est proche du peuple palestinien pour l'aider justement dans cette épreuve, elle aura forcément une responsabilité à jouer dans ce domaine-là.
N. Sarkozy est allé au Proche-Orient pour parler, "au nom de l'Europe". N'a-t-il pas un peu usurpé sa position puisqu'il n'est plus président de l'UE depuis le 31 décembre ?
Je crois que tous les efforts pour la paix sont de bons efforts. J'ai eu l'occasion d'en discuter avec le Premier ministère tchèque, M. Topolanek, lorsque j'étais à Prague, avec le ministre des Affaires étrangères tchèque, ils étaient très reconnaissants à N. Sarkozy des efforts qu'il a faits pour essayer de forcer la voie à un cessez-le-feu. Parce que...
Ils ne se sentent pas à la hauteur, les Tchèques, pour ce genre de crise ?
Pas du tout, pas du tout ! Le ministre des Affaires étrangères tchèques, E. Schwartzenberg, était également au Proche-Orient au côté de B. Kouchner, tout ça est fait conjointement avec les Tchèques. Je crois qu'il ne faut pas opposer les uns aux autres ; on y arrivera pour jouer un rôle pour la paix au Proche-Orient si on le fait collectivement, ensemble. C'est ce que fait le président de la République avec son homologue tchèque monsieur Topolanek, et avec l'ensemble des pays membres de l'Union européenne.
Coup dans l'aile, quand même, pour l'Union pour la Méditerranée...
Forcément, s'il y a le désordre au Proche-Orient, s'il y a de la violence au Proche-Orient, l'Union pour la Méditerranée se ralentit. L'Union pour la Méditerranée, c'est un excellent projet ; l'Union européenne est proche de la Méditerrané, l'UE a vocation à être ouverte dans la Méditerranée, et l'Union européenne - ce n'est pas à vous que je vais l'apprendre - a une histoire méditerranéenne. Donc, prenons ça en compte, ouvrons-nous vers les peuples méditerranéens, Mais cela passe nécessairement par la paix au Proche-Orient.
La crise du gaz se poursuit pendant ce temps-là entre la Russie et l'Ukraine, sommet ministériel européen aujourd'hui sur l'énergie. Craignez-vous une pénurie du gaz en Europe ? Les vannes ne sont toujours pas ouvertes...
Je ne crains pas une pénurie, il y a une pénurie de gaz en Europe. Je pense que là aussi, ayons une approche solidaire de l'Union européenne, ne regardons pas uniquement ce qui se passe en France, en Allemagne ou en Italie ; regardons peut-être un peu plus loin. Aujourd'hui, la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie, où j'étais il y a encore quelques jours, n'ont plus de gaz, la Slovaquie n'a plus les moyens de chauffer ses particuliers, n'a plus les moyens de chauffer certains hôpitaux.
Elle a d'ailleurs rouvert une centrale nucléaire interdite pour cause de sécurité par l'Union européenne ! Il faut s'inquiéter.
D'ailleurs, ce sera forcément l'objet de la discussion aujourd'hui des ministres de l'Energie, et J.-L. Borloo sera là pour en discuter. Je crois qu'il y a une pénurie, il faut impérativement trouver une issue à la crise et la présidence tchèque le fait remarquablement bien. Monsieur Topolanek était à Moscou où il a rencontré monsieur Poutine, il a eu des discussions qui ont été conclusives sur ce sujet. Je pense qu'une fois que la crise sera réglée, le plus important, c'est qu'on trouve des solutions de long terme. Il faut que l'on garantisse la sécurité énergétique européenne. On le dit depuis deux ans, maintenant il faut passer aux actes. Je termine juste avec deux points très concrets, ça passe par deux décisions rapides : la première, c'est de renforcer la maillage des gazoducs entre les différents pays européens, lorsqu'il n'y a pas de gaz en Slovaquie, il faut qu'on puisse en acheminer de la France ou de l'Allemagne. Et la deuxième, c'est qu'on diversifie nos sources d'approvisionnement très rapidement. Il faut des décisions dans ce domaine-là.
Ne faut-il pas une troisième piste, c'est-à-dire sanctionner la Russie ou sanctionner l'Ukraine s'ils sont en faute ?
Je crois que ce n'est pas le sujet, les sanctions. Le sujet, aujourd'hui, c'est résoudre la question de la crise. Cela passe par l'envoi d'observateurs européens en Ukraine pour établir les responsabilités de la Russie et de l'Ukraine. Et une fois que cette crise sera résolue, garantissons la sécurité énergétique des Européens, faisons en sorte que ce problème ne se renouvelle pas, ce qui suppose, ce qui est parfois difficile pour l'Union européenne, qu'elle prenne des décisions tangibles, concrètes, et rapides.
Des plans de relance sont à l'oeuvre dans plusieurs pays européens. J.-C. Juncker, le président de l'Eurogroupe, s'inquiète ce matin dans Le Figaro de "la dérive des budgets, des déficits budgétaires, dans tous ces pays, la France en tête, puisqu'on aura 57 milliards en 2008 et probablement 80 en 2009. Partagez-vous cette inquiétude ?
Je crois que l'urgence absolue... Là aussi, prenons la mesure de la situation dans laquelle on est ; c'est vrai pour le gaz, c'est vrai pour le Proche-Orient, c'est vrai pour la situation économique. On traverse une crise qui est sans précédent, une crise qui fait terriblement souffrir beaucoup de ménages, en France comme ailleurs, qui crée une inquiétude forte sur le chômage, avec des chiffres du chômage que l'on connaît, qui ne sont pas bons, et qui inquiètent forcément les ménages. Face à cela, il faut une réponse. Il faut une réponse concrète, qui permette d'obtenir des résultats rapides et le plan de relance du Gouvernement est fait justement pour apporter une réponse rapide et efficace à cette situation-là. Mais ne perdons pas de vue - vous savez que j'ai été membre de la commission des Finances à l'Assemblée, j'ai toujours tenu ce langage et je continuerai à le tenir comme secrétaire d'Etat -, ne perdons pas de vue que chaque euro dépensé est un euro de dette supplémentaire qu'il faudra rembourser à l'avenir. Donc faisons en sorte que chaque euro dépensé soit un euro utile.
Vous avez été choisi, entre autres, parce qu'on compte sur vous pour relancer le couple franco-allemand. Or on a l'impression que, avec cette crise, les divergences de stratégie économique entre les deux pays s'accroissent.
Je ne crois pas. Je crois qu'au contraire, lorsqu'on voit le sommet qui a eu lieu entre A. Merkel et N. Sarkozy la semaine dernière, cela montre bien que les deux pays sont prêts à la coordination. Je pense qu'il ne faut pas se tromper là non plus de diagnostic. La question n'est pas les relations entre monsieur Sarkozy et madame Merkel, qui sont bonnes, ou entre monsieur Kouchner et monsieur Steinmeier, son homologue allemand, qui sont également très bonnes. La question c'est que depuis plusieurs années, nous avons des intérêts, notamment des intérêts économiques, qui sont divergents, et que nous avons pris l'habitude, plutôt que d'essayer de coopérer le plus étroitement possible, d'entrer parfois dans une certaine rivalité. Je crois que la bonne solution, c'est la coopération entre la France et l'Allemagne. Je vous donne juste un exemple : sur l'industrie automobile, j'ai proposé que, plutôt que nous fassions chacun séparément un plan de soutien à l'automobile, plan français et plan allemand, nous ayons un minimum de dialogue, de coordination entre nos deux plans. Et donc, L. Chatel tiendra le 20 janvier prochain "les états généraux de l'automobile", les Allemands participeront, il y aura un volet européen à cette réunion, et ça permettra d'essayer de pousser les choses vers une coordination pour soutenir l'industrie automobile France, Allemagne, et tous les pays qui ont des industries automobiles qui seraient intéressés.
"N. Sarkozy est un Président touche à tout, qui est dans l'hyperactivité et non dans l'hyperefficacité". C'est D. de Villepin qui développait cette analyse sur LCI, vendredi. Vous approuvez cette prise de position de celui que vous avez servi comme directeur de cabinet à Matignon ?
On est en démocratie, et en démocratie toutes les opinions sont valables.
Vous avez le droit de ne pas être d'accord alors avec D. de Villepin...
Ne comptez pas sur moi... J'ai le droit de ne pas d'accord avec de Villepin. Je pense qu'aujourd'hui, on a besoin d'action, on a besoin de décisions rapides pour faire face à une situation qui est sans précédent. Je crois que c'est surtout ça qui compte. Prenons les bonnes mesures, et prenons-les rapidement, parce que les Français n'attendront pas.
Les élections européennes se préparent, c'est pour le mois de juin. Souhaitez-vous que R. Dati soit tête de liste pour l'UMP en Ile-de- France ?
Je souhaite que tous ceux qui croient en l'Europe, c'est-à-dire, je l'espère, tous les membres du Gouvernement, s'investissent le plus possible dans cette campagne.
Elle fera une bonne tête de liste ?
Une très bonne tête de liste.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 12 janvier 2009