Texte intégral
Q - Monsieur le Ministre, en quelques mots : pour quelles raisons finalement la crise actuelle entre la Russie et l'Ukraine est plus grave que celle qui s'est passée il y a trois ans ?
R - Elle est plus grave pour une raison très simple, c'est que nous voyons des Etats membres de l'Union européenne - que ce soit la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie, également la République tchèque - qui aujourd'hui font face à de vraies difficultés d'approvisionnement en matière de gaz. Et donc qui sont dans l'incapacité de fournir l'énergie pour leurs entreprises, pour leurs industries et qui doivent évidemment aussi assurer la fourniture pour les hôpitaux, pour les écoles, pour les particuliers alors même qu'il y a une vague de froid qui traverse toute l'Europe. Cette situation est donc totalement inacceptable : chaque Etat membre a le droit à la sécurité en matière énergétique, la capacité à chauffer ses ressortissants et leur assurer le minimum de confort nécessaire.
Q - Comment peut s'exercer la solidarité européenne, vis-à-vis de la Bulgarie notamment ?
R - La solidarité européenne prend d'abord la forme d'un message très clair, politique, très fort qui va être adressé dans les heures qui viennent à la Russie comme à l'Ukraine. Vous savez que ce matin Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont adressé un message très net à l'égard de l'Ukraine et de la Russie, leur demandant de reprendre sans délais l'approvisionnement en gaz à destination des Etats européens. Le Conseil Affaires générales d'aujourd'hui va adresser le même message politique fort en disant à la Russie et à l'Ukraine : "vous avez pris des engagements à l'égard des Etats membres de l'Union européenne ; vous avez pris l'engagement de fournir du gaz, vous avez pris l'engagement de laisser passer le gaz sur le territoire ukrainien, nous attendons de vous que vous remplissiez ces obligations sans délais."
Q - Il y a une prise de conscience aujourd'hui qui s'est passée du côté des responsables européens : on a l'impression que les mentalités ont un peu bougé, que la crise les a fait bouger...
R - Oui, je crois que c'est la seule vertu que l'on peut trouver à cette crise, aux difficultés que traversent certains Etats membres. Il y a une vraie prise de conscience unanime que l'Europe doit parler d'une seule voix et doit adresser des messages politiques forts à destination de l'Ukraine et de la Russie. L'un des atouts et, je crois, l'une des réussites majeures de la Présidence française de l'Union européenne, c'est d'avoir fait prendre conscience à tous les Etats membres qu'une Europe politique était une Europe qui répondait mieux aux attentes de nos concitoyens. On le voit ici de manière très concrète dans la crise gazière : une Europe qui parle d'une seule voix, qui dit que la situation est inacceptable, que la Russie doit reprendre sa fourniture de gaz et que l'Ukraine doit laisser passer le gaz à travers son territoire est une Europe qui est entendue et c'est une Europe qui, je crois, aura gain de cause.
Q - Monsieur le Ministre vous avez rencontré MM. Schwarzenberg, Topolanek et Vondra aujourd'hui. Comment selon vous les Tchèques gèrent-ils leur première Présidence après les Français dans un contexte difficile ?
R - Je pense très sincèrement que la Présidence tchèque sera une excellente présidence. Je vois la façon dont le Premier ministre Topolanek, le ministre des Affaires étrangères Schwarzenberg, mon homologue M. Vondra gèrent les choses. Ils le font avec beaucoup de rigueur, avec beaucoup d'attention, en essayant d'entendre évidemment les avis des uns et des autres et en poussant surtout une perspective politique forte pour avoir un message fort à l'adresse de la Russie et de l'Ukraine. Je crois que c'est la bonne façon de procéder et je suis convaincu que nous en aurons les résultats dans les heures qui viennent.
Q - Certains craignent, en République tchèque, que la France soit toujours omniprésente comme ce qui s'est passé au Proche-Orient où l'on a dit que la mission dirigée par Karel Schwarzenberg avait été un peu mise à l'écart par la mission que menait Sarkozy parallèlement.
R - La France a toujours vocation à être présente dans l'Union européenne. Elle est l'un des moteurs de l'Union européenne, un des moteurs politiques en particulier avec nos amis allemands et nous devons continuer à jouer ce rôle là. Personne ne comprendrait que la France, après la Présidence française, ferme les portes, reprenne son sac, mette les mains dans les poches et dise " voilà, j'ai fait mon travail, maintenant c'est aux autres de travailler ". Ce n'est pas ainsi que cela marche. La France veut rester un acteur majeur et restera un acteur majeur en Europe. Mais elle le fera, bien entendu, main dans la main avec la Présidence tchèque qui exerce institutionnellement cette présidence et qui le fera très bien. Puis elle le fera en coordination étroite avec l'ensemble des Etats membres et avec le partenaire essentiel qui est à nos yeux le partenaire allemand.
Q - Vous pensez que Moscou a voulu tester aussi indirectement la Présidence tchèque, sa capacité de riposte ?
R - C'est possible mais on voit en tout cas que la capacité de réaction de la Présidence tchèque est totale. Elle est très ferme, elle est rapide, elle se fait avec le soutien de tous les Etats membres et elle permet d'avoir, en quelques jours, un message politique extraordinairement clair à l'adresse de Moscou et à l'adresse de Kiev. Je note aussi d'ailleurs qu'il y a eu en France même une mobilisation totale de toutes les autorités politiques sur ce sujet. Si on reprend le calendrier, hier mercredi nous avons eu un conseil des ministres où j'ai présenté des propositions au Président de la République et au Premier ministre ; puis le Premier ministre, François Fillon, a fait une réunion à 18h le soir pour définir un certain nombre de priorités ; il m'a rappelé ce matin longuement pour savoir où nous en étions au CAG ; Jean-Louis Borloo et Christine Lagarde suivent cela également de très près. Je crois que c'est cette mobilisation collective du Président de la République, du gouvernement français et de toutes les autorités françaises qui permet aussi d'aboutir à de bons résultats.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 janvier 2009