Texte intégral
Madame le Garde des Sceaux,
Mesdames et messieurs les élus,
Mesdames et messieurs les représentants de l'Administration pénitentiaire,
D'abord, je vous demande de nous pardonner ce retard, qui est du au fait que nous avions une discussion avec les représentants de l'administration pénitentiaire, que j'avais souhaitée à l'occasion de ma venue ici pour l'inauguration du centre de détention de Roanne. J'ai voulu prendre part à cette inauguration pour témoigner à tous les personnels de l'administration pénitentiaire ma confiance, celle du Gouvernement et donc celle de l'Etat, et vous dire que nos concitoyens attendent plus que jamais l'effort déterminé de l'Etat pour les protéger. Nous avons voulu, avec le président de la République poursuivre une politique de fermeté, au service des Français et au service de leur sécurité.
Les résultats sont au rendez-vous. La spirale de la violence a été freinée depuis quelques années, et les chiffres de la délinquance poursuivent leur baisse.
Cette politique exigeait une remise à jour de notre arsenal juridique, ce que nous avons fait avec la création de la rétention de sûreté, avec la fixation de peines planchers pour les multirécidivistes, avec l'ajustement à venir de l'ordonnance de 1945 sur les mineurs.
Elle passait aussi par la cohérence resserrée d'une chaîne judicaire qui commence avec les services de police et de gendarmerie et dont l'administration pénitentiaire que vous représentez ici est le dernier maillon. Cette notion de "cohérence" implique qu'à l'intérieur de cette chaîne, tous les maillons puissent évoluer de façon concertée. On le sait pour les services de police et de gendarmerie, qui ont été rapprochés sous une autorité commune. On le sait pour la justice. On ne le sait pas assez pour une administration pénitentiaire qui a pourtant choisi le mouvement, qui accomplit une rénovation courageuse et qui assume dignement les responsabilités qui sont les siennes et qui sont considérables.
Cette administration doit être respectée. Elle doit voir ses compétences reconnues et elle doit voir ses efforts encouragés.
Mesdames et messieurs,
Je veux engager avec vous une politique pénitentiaire solide, moderne, juste et exemplaire.
Trop souvent, la question pénitentiaire évoque dans l'opinion publique des réactions sommaires et ces réactions tranchées portent en elles la certitude de l'échec !
Considérer que la dégradation des conditions d'incarcération fait partie de la sanction est une erreur grave. Tout aussi grave, celle de se défausser en créant des prisons "presse-boutons", des prisons high-tech dans lesquelles s'oublierait l'humanité du détenu, mais aussi du surveillant.
Le monde pénitentiaire concentre en lui des problématiques diverses et souvent très difficiles à articuler entre elles : les problématiques sécuritaires d'abord naturellement, les problématiques sanitaires, sociales, celles de l'éducation et de la formation ... Et vous le savez mieux que quiconque, vous qui ici représentez l'administration pénitentiaire : dans ce domaine, il n'y a pas de pire solution que les solutions simplistes.
En matière pénitentiaire, la clé de l'efficacité, c'est la lucidité, c'est l'expérience, c'est la prudence et c'est la connaissance précise de réalités qui sont extrêmement diverses.
Depuis son entrée en fonction, Madame le Garde des Sceaux a tenu à visiter, l'une après l'autre, les maisons d'arrêt, les centres de détention et les centres pénitentiaires français.
Je veux la remercier pour cette implication très forte qui traduit l'importance que nous accordons à notre politique carcérale, qui est pour nous tout sauf une affaire secondaire de l'État.
Ce n'est pas parce que la prison est un milieu à part qu'elle doit se gérer aux marges des politiques publiques - au contraire. Sanctionner, emprisonner, réinsérer : de l'efficacité et des conditions d'application de ces trois principes dépend une certaine idée de la République que j'ai toujours défendue et qui est la mienne.
Voilà pourquoi votre rôle, à chacun d'entre vous, est si important.
Voilà pourquoi nous avons créé le poste de contrôleur général des lieux privatifs de liberté. Ni l'État, ni l'administration pénitentiaire ne doivent avoir peur d'un regard extérieur porté sur leurs réalisations. Voilà pourquoi nous avons inclus dans le plan de relance des mesures chiffrées à plus de 80 millions d'euros en faveur de la justice, dont 30 millions pour les travaux de rénovation dans les établissements pénitentiaires et 15 millions pour le lancement anticipé des quartiers réservés aux "courtes peines".
Voilà pourquoi nous avons accéléré, en 2009, des opérations de construction de prisons neuves, comme c'est notamment le cas de celle d'Orléans.
Voilà enfin pourquoi, en venant inaugurer ce centre de détention, j'ai voulu prendre la mesure de ce que nous sommes capables, ensemble - administration, élus locaux, État et associations - de réaliser pour répondre aux défis de la situation actuelle. Certains imaginent que la fermeture du monde judiciaire le protège : c'est totalement faux ; en réalité, elle le fragilise, parce qu'elle l'expose aux soupçons et aux fantasmes.
Je veux qu'il puisse rester un monde ouvert aux visiteurs, ouvert aux travailleurs sociaux, ouvert aux médecins, ouvert aux autorités religieuses, aux élus, aux journalistes, aux associations.
Je veux que le monde pénitentiaire ait le courage de laisser voir, quand elles existent, ses difficultés et ses impuissances.
Mais je veux aussi qu'il sache mettre en avant ses ambitions.
Je veux qu'il sache répondre aux reproches dont il est la cible - sous l'éclairage si souvent incomplet, et parfois si cruel de l'actualité. Je veux qu'il soit reconnu dans ses efforts, dans ses succès, et dans ses perspectives nouvelles.
Mesdames et messieurs, le centre de détention de Roanne, ce n'est pas seulement un bâtiment fonctionnel et moderne, conçu pour 600 détenus : c'est aussi la démonstration qu'une ambition anime l'administration pénitentiaire française.
L'ambition d'intégrer rapidement - et c'était le sujet de la conversation que je viens d'avoir -les règles pénitentiaires européennes, parce que leur fondement, c'est le souci de dignité humaine, et celui-ci s'impose naturellement à chacun d'entre nous sans réserves !
L'ambition de transposer, autant que possible, à l'intérieur de la prison, les pratiques et les règles de notre société - parce que la possibilité d'une vie quotidienne apaisée en dépend, pour les détenus, mais aussi pour les surveillants et pour les cadres de l'Administration Pénitentiaire !
Je sais qu'au cours de cette visite, ceux qui connaissent bien le milieu pénitentiaire ont été frappés par la qualité de certaines installations - je pense aux blocs sanitaires intégrés dans les cellules, je pense aux unités de vie familiales, je pense aux unités de consultations et de soins - et aussi par la nouveauté que constitue un aménagement comme le droit au téléphone. Le centre de détention de Roanne est la 3e livraison - sur 25 attendues - du "programme 13200". Le but de ce programme, ce n'est pas, mesdames et messieurs, de créer des "prisons 4 étoiles" !
Le but, c'est de garantir aux détenus le respect de leurs droits élémentaires - y compris le droit à une existence matérielle décente ; mais surtout, le but de ces établissements, c'est de faciliter leur réinsertion ; c'est de préparer, pour tous ceux pour lesquels c'est possible, leur sortie dans des conditions optimales. Si les conditions de vie des détenus sont si importantes, c'est parce qu'elles contribuent à la réussite de leurs parcours et par conséquent, elles sont autant de chances de prévenir la récidive.
La privation de liberté est une sanction, c'est une punition légitime. Mais cette sanction n'a de sens que si les conditions du rachat sont réunies.
Une prison bien aménagée, c'est d'abord une prison qui réalise ses objectifs fonctionnels ; c'est une prison gérable pour ceux qui en ont la charge, et pour ceux qui ont la mission d'y effectuer un travail de surveillance, un travail de protection et un travail de réhabilitation. Tous ici nous savons bien que la violence en prison a quelque chose de révoltant ; parce qu'elle ajoute la souffrance à la sanction ; parce qu'elle prend souvent des formes dégradantes ; parce qu'elle frappe d'abord ceux qui ne peuvent se défendre.
Nous sommes tous d'accord pour refuser que durent ces situations de persécution, et ce sentiment insupportable que la prison abandonne une partie de son enceinte à la domination du plus fort, quand au contraire, elle doit être, par principe, le lieu où s'appliquent sans défaillances le droit, la loi, les règles parce que ce sont les règles protectrices de la vie commune.
En incarcérant les auteurs de crimes et de délits, l'Etat décide de les prendre en charge ; il devient par là même responsable de leur sort et comptable de leur sécurité.
Je le dis avec d'autant plus de confiance que je connais le sentiment d'échec terrible qui atteint les surveillants, les directeurs d'établissement quand cette responsabilité est prise en défaut.
A plusieurs reprises, l'actualité récente a mis ce sentiment à l'épreuve. Des violences, des viols, des suicides ont alimenté l'impression inacceptable qu'en séparant les détenus de la société, la prison les condamnait une seconde fois au désespoir.
La forte augmentation des suicides est un défi douloureux qui nous est collectivement lancé. Sur ce sujet, vous savez qu'une mission a été confiée au Docteur Louis Albrand. Ses conclusions vont être très prochainement remises à Rachida Dati.
"Nous devons, ensemble, travailler à l'équipement des cellules, à la généralisation d'un quartier arrivants" pour pouvoir mieux cerner la personnalité des nouveaux détenus, à la mise en place d'un suivi psychologique renforcé pour les personnalités fragiles et à l'extension à tous les personnels d'une formation qui soit adaptée à la prévention du risque suicidaire.
Que toutes ces situations violentes soient limitées en nombre ne nous dispense pas d'en affronter le caractère poignant.
A ces gestes terribles, il existe bien sûr des raisons matérielles connues, parmi lesquelles il y a la surpopulation, il y a la vétusté, il y a l'inadaptation des locaux - et le mérite de l'administration pénitentiaire, c'est justement de chercher constamment à les gérer au mieux.
Il existe aussi des motifs psychologiques, des motifs individuels, dont la prise en charge passe par une meilleure coordination avec les services du ministère de la Santé.
Mais ce qui compte le plus à mes yeux, c'est que, chez aucun de vous, il n'existe pas de résignation ! Aucun de vous ne se résout au pire ; aucun de vous ne choisit l'indifférence ; aucun de vous n'accepte une seconde que le monde pénitentiaire endosse la réputation d'inertie qui lui est, à tort, attribuée.
Tous, vous prenez part à l'effort de rénovation en cours. Oui, bien sûr, l'aménagement des prisons est coûteux - mais il se fait !
Oui, bien sûr, les dégradations y sont plus rapides qu'au dehors - mais elles se réparent !
Oui, l'administration pénitentiaire évolue moins facilement que d'autres administrations parce que ses attributions sont spécifiques ; oui tant de progrès restent à faire pour que nos prisons soient pleinement dignes - mais je sais, et c'est ce que je suis venu vous dire, que votre administration agit, qu'elle prend l'initiative, qu'elle explore constamment les possibilités d'amélioration existantes.
La prison d'aujourd'hui n'a plus grand-chose à voir avec la prison d'hier !
En matière pénitentiaire, nous travaillons, mesdames et messieurs, selon deux orientations qui vont apparaître très clairement dans le projet de loi pénitentiaire, qui sera débattu par le Parlement dans les toutes prochaines semaines.
La première concerne les droits des détenus, le statut des personnels, la déontologie qui règle leurs rapports. Elle vise en premier lieu à sacraliser les principes que je viens d'exposer, en élevant les normes des règlements intérieurs au niveau de la loi.
La seconde orientation concerne l'aménagement des peines et donc le désengorgement progressif de nos prisons. Sur ce point, comme sur les autres, l'attitude du Gouvernement est extrêmement ferme, parce qu'elle est clairement différenciée.
Nous sommes intransigeants vis-à-vis des récidivistes, mais nous voulons l'individualisation des peines et nous voulons la modulation de leur exécution pour tous ceux qui ont vocation à quitter la prison au plus tôt et de la manière la plus utile.
Rappelons-nous cette expression terrible, qu'on entend heureusement de moins en moins : "croupir en prison". Voilà exactement ce qu'il s'agit d'éviter !
Voilà exactement ce que nous voulons épargner à des détenus qui ont commis des faits condamnables, et qui paient pour cela, mais dont ni l'avenir, ni les espoirs ne doivent être étouffés par le confinement carcéral ! On sait trop bien que des sanctions indifférenciées alimentent le sentiment d'arbitraire, et que l'arbitraire nourrit à son tour le désarroi, le découragement et au bout du compte, la violence.
Pour éviter que les prisons ne deviennent des lieux de renoncement, il faut que la politique pénale du Gouvernement soit une politique constructive, une politique inventive, et c'est à cela que Rachida Dati s'emploie avec beaucoup de ténacité.
La classification et la spécialisation des établissements, la mise en place des régimes différenciés pour une exécution de peine individualisée, la réorganisation des services pénitentiaires d'insertion et de probation, mais aussi l'usage de nouveaux dispositifs de contrôle et l'élargissement de la gestion déléguée des établissements ouvriront demain les voies de la nouvelle politique pénitentiaire dont la future loi sera l'expression.
Mesdames et messieurs,
La question pénitentiaire est une affaire collective, mais l'essentiel de ses responsabilités quotidiennes repose naturellement sur les personnels.
Et je veux dire aux personnels de l'administration pénitentiaire, l'estime que m'inspire leur expérience, leur dévouement, leur courage pour créer ou pour maintenir du lien, tout en rappelant, comme c'est leur rôle, les exigences de la loi, c'est-à-dire la juste fermeté, l'écoute, l'humanité, qui constituent les vertus d'un métier qui est particulièrement difficile.
Je connais la revendication fortement exprimée de ne pas être réduits à un rôle de porte-clés, mais au contraire de faire valoir les qualités d'analyse, les qualités d'observation qui leur sont d'ailleurs demandées aujourd'hui.
Je compte sur l'évolution rapide de leur professionnalisation pour les amener à mieux contribuer à la prise en compte des détenus, de leur vulnérabilité, des risques qu'ils présentent, de leurs capacités, de leurs compétences, et c'est ainsi qu'ils participeront pleinement à la lutte contre la récidive, dont il faut bien dire qu'elle est le meilleur symbole de l'échec d'une politique pénale.
Tel est le sens du projet de loi pénitentiaire qui va doter les personnels d'un code de déontologie, un code de déontologie fort et un code de déontologie exigeant. Pour soutenir ces personnels, nous avons décidé l'augmentation du budget de la Direction de l'Administration Pénitentiaire - c'est la plus forte augmentation du ministère de la Justice - et nous avons décidé, dans un contexte qui, chacun le sait est un contexte de réduction des emplois publics, de 1087 créations d'emplois.
Ces efforts étaient naturellement absolument nécessaires, compte tenu par ailleurs de l'augmentation consid??rable du nombre des détenus dans les prisons et des objectifs de modernisation que nous nous sommes fixés.
L'administration pénitentiaire se verra formellement confier une mission dans le cadre de la lutte contre la récidive, mais il est un métier, je dis bien "un métier" au sein de cette administration qui y contribue depuis de longues années. Ce sont les services de probation et de réinsertion.
J'ai rencontré, je vous le disais, il y a quelques instants, des directeurs de service passionnés, engagés, tournés vers les évolutions que leurs fonctions va connaître dans les années à venir : les alternatives à l'incarcération, les parcours d'exécution des peines, l'analyse de la situation des personnes détenues en vue des aménagements de peine ; tous ces actes, déjà accomplis aujourd'hui, s'appuieront sur toujours plus de professionnalisation et sur toujours plus de savoir-faire de leur part.
J'ai mentionné, tout à l'heure, l'implication des associations - qui introduisent dans les prisons une diversité d'initiatives et une forme de « respiration » - si je peux employer ce mot - inestimables... Je veux leur associer les élus, qui font toujours preuve de vigilance et d'intérêt vis-à-vis des implantations pénitentiaires et en particulier ceux de Roanne, dont la municipalité a consenti un effort signalé pour le logement des personnels.
Je veux enfin rendre un hommage particulier aux directeurs d'établissements dont le rôle n'est pas assez connu.
Ils sont souvent obligés leurs décisions dans l'urgence, dans l'urgence de situations difficiles, sous leur seule responsabilité, et ils engagent parfois autant la vie des personnels que celle des personnes détenues. Voilà. Ce sont des choses qu'il faut dire, que les gardiens de prison, que l'administration pénitentiaire, que les directeurs de centres comme celui dans lequel nous nous trouvons aujourd'hui ne font pas exactement le même métier que les autres fonctionnaires de l'Etat. Il y a beaucoup de métiers difficiles dans la fonction publique de l'Etat. Celui-là est certainement au sommet de la liste.
Au sein du groupe que forment les détenus, la réclusion aggrave les crispations, les brutalités, les rejets ; mais vous savez bien qu'elle accroît aussi le besoin d'intervention, le besoin d'autorité, le besoin de médiation, et parfois de simple présence humaine dont les surveillants sont les acteurs.
Les directeurs d'établissements font et assument des choix délicats : ils décident des calendriers et des affectations, ils décident de déplacer un détenu pour lui attribuer une cellule individuelle ou une cellule collective, ils décident de définir des espaces privés et des espaces de contact.
Bref, ils sont les maîtres-d'oeuvre d'une politique sur laquelle pèse le regard exigeant de la société, et parfois - on l'a vu - les infléchissements de la doctrine.
Mesdames et messieurs, pour le dévouement avec lequel vous servez cette politique, je veux, en mon nom et au nom du Garde des Sceaux et au fond à travers nous et les élus qui sont ici, à travers la nation toute entière, vous dire ma reconnaissance, qui est aussi celle de notre République.
Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 21 janvier 2009
Mesdames et messieurs les élus,
Mesdames et messieurs les représentants de l'Administration pénitentiaire,
D'abord, je vous demande de nous pardonner ce retard, qui est du au fait que nous avions une discussion avec les représentants de l'administration pénitentiaire, que j'avais souhaitée à l'occasion de ma venue ici pour l'inauguration du centre de détention de Roanne. J'ai voulu prendre part à cette inauguration pour témoigner à tous les personnels de l'administration pénitentiaire ma confiance, celle du Gouvernement et donc celle de l'Etat, et vous dire que nos concitoyens attendent plus que jamais l'effort déterminé de l'Etat pour les protéger. Nous avons voulu, avec le président de la République poursuivre une politique de fermeté, au service des Français et au service de leur sécurité.
Les résultats sont au rendez-vous. La spirale de la violence a été freinée depuis quelques années, et les chiffres de la délinquance poursuivent leur baisse.
Cette politique exigeait une remise à jour de notre arsenal juridique, ce que nous avons fait avec la création de la rétention de sûreté, avec la fixation de peines planchers pour les multirécidivistes, avec l'ajustement à venir de l'ordonnance de 1945 sur les mineurs.
Elle passait aussi par la cohérence resserrée d'une chaîne judicaire qui commence avec les services de police et de gendarmerie et dont l'administration pénitentiaire que vous représentez ici est le dernier maillon. Cette notion de "cohérence" implique qu'à l'intérieur de cette chaîne, tous les maillons puissent évoluer de façon concertée. On le sait pour les services de police et de gendarmerie, qui ont été rapprochés sous une autorité commune. On le sait pour la justice. On ne le sait pas assez pour une administration pénitentiaire qui a pourtant choisi le mouvement, qui accomplit une rénovation courageuse et qui assume dignement les responsabilités qui sont les siennes et qui sont considérables.
Cette administration doit être respectée. Elle doit voir ses compétences reconnues et elle doit voir ses efforts encouragés.
Mesdames et messieurs,
Je veux engager avec vous une politique pénitentiaire solide, moderne, juste et exemplaire.
Trop souvent, la question pénitentiaire évoque dans l'opinion publique des réactions sommaires et ces réactions tranchées portent en elles la certitude de l'échec !
Considérer que la dégradation des conditions d'incarcération fait partie de la sanction est une erreur grave. Tout aussi grave, celle de se défausser en créant des prisons "presse-boutons", des prisons high-tech dans lesquelles s'oublierait l'humanité du détenu, mais aussi du surveillant.
Le monde pénitentiaire concentre en lui des problématiques diverses et souvent très difficiles à articuler entre elles : les problématiques sécuritaires d'abord naturellement, les problématiques sanitaires, sociales, celles de l'éducation et de la formation ... Et vous le savez mieux que quiconque, vous qui ici représentez l'administration pénitentiaire : dans ce domaine, il n'y a pas de pire solution que les solutions simplistes.
En matière pénitentiaire, la clé de l'efficacité, c'est la lucidité, c'est l'expérience, c'est la prudence et c'est la connaissance précise de réalités qui sont extrêmement diverses.
Depuis son entrée en fonction, Madame le Garde des Sceaux a tenu à visiter, l'une après l'autre, les maisons d'arrêt, les centres de détention et les centres pénitentiaires français.
Je veux la remercier pour cette implication très forte qui traduit l'importance que nous accordons à notre politique carcérale, qui est pour nous tout sauf une affaire secondaire de l'État.
Ce n'est pas parce que la prison est un milieu à part qu'elle doit se gérer aux marges des politiques publiques - au contraire. Sanctionner, emprisonner, réinsérer : de l'efficacité et des conditions d'application de ces trois principes dépend une certaine idée de la République que j'ai toujours défendue et qui est la mienne.
Voilà pourquoi votre rôle, à chacun d'entre vous, est si important.
Voilà pourquoi nous avons créé le poste de contrôleur général des lieux privatifs de liberté. Ni l'État, ni l'administration pénitentiaire ne doivent avoir peur d'un regard extérieur porté sur leurs réalisations. Voilà pourquoi nous avons inclus dans le plan de relance des mesures chiffrées à plus de 80 millions d'euros en faveur de la justice, dont 30 millions pour les travaux de rénovation dans les établissements pénitentiaires et 15 millions pour le lancement anticipé des quartiers réservés aux "courtes peines".
Voilà pourquoi nous avons accéléré, en 2009, des opérations de construction de prisons neuves, comme c'est notamment le cas de celle d'Orléans.
Voilà enfin pourquoi, en venant inaugurer ce centre de détention, j'ai voulu prendre la mesure de ce que nous sommes capables, ensemble - administration, élus locaux, État et associations - de réaliser pour répondre aux défis de la situation actuelle. Certains imaginent que la fermeture du monde judiciaire le protège : c'est totalement faux ; en réalité, elle le fragilise, parce qu'elle l'expose aux soupçons et aux fantasmes.
Je veux qu'il puisse rester un monde ouvert aux visiteurs, ouvert aux travailleurs sociaux, ouvert aux médecins, ouvert aux autorités religieuses, aux élus, aux journalistes, aux associations.
Je veux que le monde pénitentiaire ait le courage de laisser voir, quand elles existent, ses difficultés et ses impuissances.
Mais je veux aussi qu'il sache mettre en avant ses ambitions.
Je veux qu'il sache répondre aux reproches dont il est la cible - sous l'éclairage si souvent incomplet, et parfois si cruel de l'actualité. Je veux qu'il soit reconnu dans ses efforts, dans ses succès, et dans ses perspectives nouvelles.
Mesdames et messieurs, le centre de détention de Roanne, ce n'est pas seulement un bâtiment fonctionnel et moderne, conçu pour 600 détenus : c'est aussi la démonstration qu'une ambition anime l'administration pénitentiaire française.
L'ambition d'intégrer rapidement - et c'était le sujet de la conversation que je viens d'avoir -les règles pénitentiaires européennes, parce que leur fondement, c'est le souci de dignité humaine, et celui-ci s'impose naturellement à chacun d'entre nous sans réserves !
L'ambition de transposer, autant que possible, à l'intérieur de la prison, les pratiques et les règles de notre société - parce que la possibilité d'une vie quotidienne apaisée en dépend, pour les détenus, mais aussi pour les surveillants et pour les cadres de l'Administration Pénitentiaire !
Je sais qu'au cours de cette visite, ceux qui connaissent bien le milieu pénitentiaire ont été frappés par la qualité de certaines installations - je pense aux blocs sanitaires intégrés dans les cellules, je pense aux unités de vie familiales, je pense aux unités de consultations et de soins - et aussi par la nouveauté que constitue un aménagement comme le droit au téléphone. Le centre de détention de Roanne est la 3e livraison - sur 25 attendues - du "programme 13200". Le but de ce programme, ce n'est pas, mesdames et messieurs, de créer des "prisons 4 étoiles" !
Le but, c'est de garantir aux détenus le respect de leurs droits élémentaires - y compris le droit à une existence matérielle décente ; mais surtout, le but de ces établissements, c'est de faciliter leur réinsertion ; c'est de préparer, pour tous ceux pour lesquels c'est possible, leur sortie dans des conditions optimales. Si les conditions de vie des détenus sont si importantes, c'est parce qu'elles contribuent à la réussite de leurs parcours et par conséquent, elles sont autant de chances de prévenir la récidive.
La privation de liberté est une sanction, c'est une punition légitime. Mais cette sanction n'a de sens que si les conditions du rachat sont réunies.
Une prison bien aménagée, c'est d'abord une prison qui réalise ses objectifs fonctionnels ; c'est une prison gérable pour ceux qui en ont la charge, et pour ceux qui ont la mission d'y effectuer un travail de surveillance, un travail de protection et un travail de réhabilitation. Tous ici nous savons bien que la violence en prison a quelque chose de révoltant ; parce qu'elle ajoute la souffrance à la sanction ; parce qu'elle prend souvent des formes dégradantes ; parce qu'elle frappe d'abord ceux qui ne peuvent se défendre.
Nous sommes tous d'accord pour refuser que durent ces situations de persécution, et ce sentiment insupportable que la prison abandonne une partie de son enceinte à la domination du plus fort, quand au contraire, elle doit être, par principe, le lieu où s'appliquent sans défaillances le droit, la loi, les règles parce que ce sont les règles protectrices de la vie commune.
En incarcérant les auteurs de crimes et de délits, l'Etat décide de les prendre en charge ; il devient par là même responsable de leur sort et comptable de leur sécurité.
Je le dis avec d'autant plus de confiance que je connais le sentiment d'échec terrible qui atteint les surveillants, les directeurs d'établissement quand cette responsabilité est prise en défaut.
A plusieurs reprises, l'actualité récente a mis ce sentiment à l'épreuve. Des violences, des viols, des suicides ont alimenté l'impression inacceptable qu'en séparant les détenus de la société, la prison les condamnait une seconde fois au désespoir.
La forte augmentation des suicides est un défi douloureux qui nous est collectivement lancé. Sur ce sujet, vous savez qu'une mission a été confiée au Docteur Louis Albrand. Ses conclusions vont être très prochainement remises à Rachida Dati.
"Nous devons, ensemble, travailler à l'équipement des cellules, à la généralisation d'un quartier arrivants" pour pouvoir mieux cerner la personnalité des nouveaux détenus, à la mise en place d'un suivi psychologique renforcé pour les personnalités fragiles et à l'extension à tous les personnels d'une formation qui soit adaptée à la prévention du risque suicidaire.
Que toutes ces situations violentes soient limitées en nombre ne nous dispense pas d'en affronter le caractère poignant.
A ces gestes terribles, il existe bien sûr des raisons matérielles connues, parmi lesquelles il y a la surpopulation, il y a la vétusté, il y a l'inadaptation des locaux - et le mérite de l'administration pénitentiaire, c'est justement de chercher constamment à les gérer au mieux.
Il existe aussi des motifs psychologiques, des motifs individuels, dont la prise en charge passe par une meilleure coordination avec les services du ministère de la Santé.
Mais ce qui compte le plus à mes yeux, c'est que, chez aucun de vous, il n'existe pas de résignation ! Aucun de vous ne se résout au pire ; aucun de vous ne choisit l'indifférence ; aucun de vous n'accepte une seconde que le monde pénitentiaire endosse la réputation d'inertie qui lui est, à tort, attribuée.
Tous, vous prenez part à l'effort de rénovation en cours. Oui, bien sûr, l'aménagement des prisons est coûteux - mais il se fait !
Oui, bien sûr, les dégradations y sont plus rapides qu'au dehors - mais elles se réparent !
Oui, l'administration pénitentiaire évolue moins facilement que d'autres administrations parce que ses attributions sont spécifiques ; oui tant de progrès restent à faire pour que nos prisons soient pleinement dignes - mais je sais, et c'est ce que je suis venu vous dire, que votre administration agit, qu'elle prend l'initiative, qu'elle explore constamment les possibilités d'amélioration existantes.
La prison d'aujourd'hui n'a plus grand-chose à voir avec la prison d'hier !
En matière pénitentiaire, nous travaillons, mesdames et messieurs, selon deux orientations qui vont apparaître très clairement dans le projet de loi pénitentiaire, qui sera débattu par le Parlement dans les toutes prochaines semaines.
La première concerne les droits des détenus, le statut des personnels, la déontologie qui règle leurs rapports. Elle vise en premier lieu à sacraliser les principes que je viens d'exposer, en élevant les normes des règlements intérieurs au niveau de la loi.
La seconde orientation concerne l'aménagement des peines et donc le désengorgement progressif de nos prisons. Sur ce point, comme sur les autres, l'attitude du Gouvernement est extrêmement ferme, parce qu'elle est clairement différenciée.
Nous sommes intransigeants vis-à-vis des récidivistes, mais nous voulons l'individualisation des peines et nous voulons la modulation de leur exécution pour tous ceux qui ont vocation à quitter la prison au plus tôt et de la manière la plus utile.
Rappelons-nous cette expression terrible, qu'on entend heureusement de moins en moins : "croupir en prison". Voilà exactement ce qu'il s'agit d'éviter !
Voilà exactement ce que nous voulons épargner à des détenus qui ont commis des faits condamnables, et qui paient pour cela, mais dont ni l'avenir, ni les espoirs ne doivent être étouffés par le confinement carcéral ! On sait trop bien que des sanctions indifférenciées alimentent le sentiment d'arbitraire, et que l'arbitraire nourrit à son tour le désarroi, le découragement et au bout du compte, la violence.
Pour éviter que les prisons ne deviennent des lieux de renoncement, il faut que la politique pénale du Gouvernement soit une politique constructive, une politique inventive, et c'est à cela que Rachida Dati s'emploie avec beaucoup de ténacité.
La classification et la spécialisation des établissements, la mise en place des régimes différenciés pour une exécution de peine individualisée, la réorganisation des services pénitentiaires d'insertion et de probation, mais aussi l'usage de nouveaux dispositifs de contrôle et l'élargissement de la gestion déléguée des établissements ouvriront demain les voies de la nouvelle politique pénitentiaire dont la future loi sera l'expression.
Mesdames et messieurs,
La question pénitentiaire est une affaire collective, mais l'essentiel de ses responsabilités quotidiennes repose naturellement sur les personnels.
Et je veux dire aux personnels de l'administration pénitentiaire, l'estime que m'inspire leur expérience, leur dévouement, leur courage pour créer ou pour maintenir du lien, tout en rappelant, comme c'est leur rôle, les exigences de la loi, c'est-à-dire la juste fermeté, l'écoute, l'humanité, qui constituent les vertus d'un métier qui est particulièrement difficile.
Je connais la revendication fortement exprimée de ne pas être réduits à un rôle de porte-clés, mais au contraire de faire valoir les qualités d'analyse, les qualités d'observation qui leur sont d'ailleurs demandées aujourd'hui.
Je compte sur l'évolution rapide de leur professionnalisation pour les amener à mieux contribuer à la prise en compte des détenus, de leur vulnérabilité, des risques qu'ils présentent, de leurs capacités, de leurs compétences, et c'est ainsi qu'ils participeront pleinement à la lutte contre la récidive, dont il faut bien dire qu'elle est le meilleur symbole de l'échec d'une politique pénale.
Tel est le sens du projet de loi pénitentiaire qui va doter les personnels d'un code de déontologie, un code de déontologie fort et un code de déontologie exigeant. Pour soutenir ces personnels, nous avons décidé l'augmentation du budget de la Direction de l'Administration Pénitentiaire - c'est la plus forte augmentation du ministère de la Justice - et nous avons décidé, dans un contexte qui, chacun le sait est un contexte de réduction des emplois publics, de 1087 créations d'emplois.
Ces efforts étaient naturellement absolument nécessaires, compte tenu par ailleurs de l'augmentation consid??rable du nombre des détenus dans les prisons et des objectifs de modernisation que nous nous sommes fixés.
L'administration pénitentiaire se verra formellement confier une mission dans le cadre de la lutte contre la récidive, mais il est un métier, je dis bien "un métier" au sein de cette administration qui y contribue depuis de longues années. Ce sont les services de probation et de réinsertion.
J'ai rencontré, je vous le disais, il y a quelques instants, des directeurs de service passionnés, engagés, tournés vers les évolutions que leurs fonctions va connaître dans les années à venir : les alternatives à l'incarcération, les parcours d'exécution des peines, l'analyse de la situation des personnes détenues en vue des aménagements de peine ; tous ces actes, déjà accomplis aujourd'hui, s'appuieront sur toujours plus de professionnalisation et sur toujours plus de savoir-faire de leur part.
J'ai mentionné, tout à l'heure, l'implication des associations - qui introduisent dans les prisons une diversité d'initiatives et une forme de « respiration » - si je peux employer ce mot - inestimables... Je veux leur associer les élus, qui font toujours preuve de vigilance et d'intérêt vis-à-vis des implantations pénitentiaires et en particulier ceux de Roanne, dont la municipalité a consenti un effort signalé pour le logement des personnels.
Je veux enfin rendre un hommage particulier aux directeurs d'établissements dont le rôle n'est pas assez connu.
Ils sont souvent obligés leurs décisions dans l'urgence, dans l'urgence de situations difficiles, sous leur seule responsabilité, et ils engagent parfois autant la vie des personnels que celle des personnes détenues. Voilà. Ce sont des choses qu'il faut dire, que les gardiens de prison, que l'administration pénitentiaire, que les directeurs de centres comme celui dans lequel nous nous trouvons aujourd'hui ne font pas exactement le même métier que les autres fonctionnaires de l'Etat. Il y a beaucoup de métiers difficiles dans la fonction publique de l'Etat. Celui-là est certainement au sommet de la liste.
Au sein du groupe que forment les détenus, la réclusion aggrave les crispations, les brutalités, les rejets ; mais vous savez bien qu'elle accroît aussi le besoin d'intervention, le besoin d'autorité, le besoin de médiation, et parfois de simple présence humaine dont les surveillants sont les acteurs.
Les directeurs d'établissements font et assument des choix délicats : ils décident des calendriers et des affectations, ils décident de déplacer un détenu pour lui attribuer une cellule individuelle ou une cellule collective, ils décident de définir des espaces privés et des espaces de contact.
Bref, ils sont les maîtres-d'oeuvre d'une politique sur laquelle pèse le regard exigeant de la société, et parfois - on l'a vu - les infléchissements de la doctrine.
Mesdames et messieurs, pour le dévouement avec lequel vous servez cette politique, je veux, en mon nom et au nom du Garde des Sceaux et au fond à travers nous et les élus qui sont ici, à travers la nation toute entière, vous dire ma reconnaissance, qui est aussi celle de notre République.
Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 21 janvier 2009