Interview de M. Bruno Lemaire, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, à Canal Plus le 21 janvier 2009, notamment sur les relations euro-américaines après l'investiture de Barack Obama et sur l'avenir de l'industrie automobile européenne.

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Média : Canal Plus

Texte intégral

C. Roux et M. Biraben.- C. Roux : On va vous interroger sur le discours d'Obama, comment est-ce que le secrétaire d'Etat aux Affaires européennes a reçu ce discours ? Et puis, on parlera d'automobiles, puisque B. Le Maire avait plaidé pour un plan de relance européen sur l'automobile. Mais là, on a eu l'impression que chacun défendait ses intérêts nationaux. [Vous] plaidez pour une Europe où la concurrence ne serait plus l'alpha et l'oméga de toutes les politiques. [Vous] défendez même l'idée d'un plan européen de soutien à l'industrie automobile mais pour l'instant, la France tente surtout de sauver son industrie et propose un chèque de 5 ou 6 milliards d'euros d'aide pour les constructeurs, à condition qu'ils maintiennent leur activité en France.
 
M. Biraben : B. Obama a évoqué hier dans son discours les pays alliés. On peut imaginer qu'il inclut l'Europe dans les pays alliés. Est-ce que ça vous suffit comme évocation ?
 
Tout d'abord, je voudrais dire que j'ai été, comme beaucoup de Français, enthousiasmés par ce discours parce que je crois que ça marque un vrai changement dans l'approche que les Etats-Unis, que les Américains, ont du reste du monde. Le monde n'est plus un lieu de peur pour les Américains, c'est au contraire le lieu de quelque chose à construire, de quelque chose à bâtir et ils sont décidés à travailler avec tous les peuples du monde, pour reprendre l'expression de B. Obama.
 
C. Roux : Comment le secrétaire d'Etat aux Affaires européennes a reçu ce discours ? C'est vrai qu'il n'y avait pas de passage sur l'Europe. On s'est sentis un petit peu oubliés, non ?
 
Non, mais je vais y venir. C'est à l'Europe justement de montrer qu'elle peut travailler main dans la main avec les Etats-Unis, comme l'a dit le président de la République, comme l'a dit A. Merkel. Et c'est à nous de montrer que nous sommes rassemblés sur un certain nombre de dossiers essentiels : Guantanamo, qui était la première décision prise par les Américains, quelle va être la réponse européenne ? La crise économique, la crise financière, l'Afghanistan, l'Iran... Sur tout ça, il faut que nous arrivions avec des positions unies, nous, Européens, que nous parlions d'une seule voix. Et si nous parlons d'une seule voix, si nous apportons des solutions, des propositions à B. Obama et à l'équipe américaine, je suis certain que les Américains nous écouteront et auront à coeur de travailler avec nous.
 
C. Roux : Ca n'a pas été le cas jusqu'à présent, c'est ça le changement en fait, ce n'est pas aux Etats-Unis qu'il va se passer, c'est en Europe qu'il doit se passer ?
 
Ce doit être - parce que nous sommes dans une période très particulière, un vrai tournant dans l'histoire du monde -, ce doit être des deux côtés. Nous avons des Américains, B. Obama l'a dit hier, qui sont pleins d'enthousiasme et qui vont regarder le monde différemment, qui vont regarder le monde avec un sens de l'ouverture, comme sans doute rarement sous une administration américaine. Et nous avons des Européens qui, pour la première fois peut-être de leur histoire, comprennent qu'à 27 il faut qu'ils parlent d'une seule voix s'ils veulent être entendus et s'ils veulent peser sur le poids des affaires du monde.
 
C. Roux : On a le sentiment que ce que vous êtes en train de nous dire, au fond, c'est que ce n'est pas, enfin que cela ne change rien l'arrivée de B. Obama. C'est-à-dire qu'en gros...
 
Au contraire.
 
C. Roux : ...Que l'effort doit être fait de la part des Européens avant toute chose.
 
Je crois que si on reste tranquillement assis sur notre chaise en se disant que B. Obama va nous tendre la main et va nous dire "tiens, vous les Européens, c'est très sympathique, j'ai envie de travailler avec vous", là effectivement, on a tout faux. Ce n'est pas comme ça que ça va se passer. En revanche, si on est capable de se dire, nous vivons une époque très particulière, une crise très forte, nous allons nous rassembler et pour la première fois nous, Européens, nous allons peser politiquement sur les affaires du monde avec les Américains, je vous garantis que ça marchera.
 
M. Biraben : C'est lui qui va moderniser l'Europe en fait ?
 
C'est lui qui va probablement inciter l'Europe à faire ce qu'elle doit faire, ce qu'elle a commencé à faire sous présidence française, c'est-à-dire peser politiquement sur les affaires du monde.
 
C. Roux : Alors que pensez-vous des conseils adressés ce matin par D. de Villepin dans Le Figaro, conseils adressés à N. Sarkozy à propos de l'omniprésence Obama ? Il dit, "il faut éviter de tomber dans la jalousie, on occupe pas une place en mordant l'oreille et les pied du voisin".
 
Je ne sais pas pourquoi mais je m'attendais à ce que vous me posiez cette question. Je vais vous dire, on est face à une situation qui est sans précédent économique, financière, les violences au Proche-Orient, la situation de l'Afghanistan, la crise nucléaire iranienne. Il y a de la place pour tout le monde. Ce n'est même pas qu'il y a de la place pour tout le monde, il y a de la place pour deux, il y a de la place pour dix, il y a de la place pour vingt. On aura besoin des Etats- Unis, on aura besoin des principaux responsables européens, et d'ailleurs de tous les responsables des Etats membres. On aura besoin de la Russie, on aura besoin de la Chine, on aura besoin du Japon, on aura besoin du continent africain, on aura besoin de tout le monde. Soit tous les chefs d'Etat, toutes les nations, tous les ensembles politiques arrivent à travailler ensemble et nous apporterons des réponses à la crise économique sans précédent, au chômage, à la question de la crise financière. Nous apporterons des réponses à la violence dans le monde et ce sera la bonne voie. Nous ouvrirons une phase nouvelle et positive de l'histoire du monde, soit nous travaillons chacun séparément dans notre coin en pensant qu'on va pouvoir s'en sortir tout seul, et je vous garantis que ce sera très difficile pour tout le monde.
 
C. Roux : On parle d'automobiles ? Hier, F. Fillon a annoncé une aide pour les constructeurs, 5 ou 6 milliards d'euros à condition qu'ils continuent de produire en France. Vous la semaine dernière, vous aviez proposé un plan de relance européen. Là, on a le sentiment que le Premier ministre a plutôt défendu les intérêts de l'industrie française. Il ne vous a pas entendu ?
 
Si je crois qu'il m'a entendu. Et d'ailleurs, F. Fillon, L. Chatel, C. Lagarde m'ont invité à participer à ces états généraux de l'automobile avec des collègues européens et avec des constructeurs européens. Je crois que c'est un signal qui est fort. Mais on a un système qui doit être un système à deux étages. On a les plans nationaux, qui sont indispensables pour répondre vite, 5 à 6 milliards a dit F. Fillon. Je crois que c'est une excellente décision. Et puis, on doit avoir en plus de cela un plan européen, je le dis depuis plusieurs semaines maintenant. J'ai fait le tour de beaucoup de capitales européennes pour voir comment est-ce que l'on pouvait mettre ça en musique avec la Commission également. Nous avons besoin d'un plan européen. Je vous donne juste un chiffre : si on veut développer un nouveau moteur propre pour des petites voitures, ça coûte un milliard d'euros. Ce milliard d'euros, on ne va pas le trouver, comme on dit, sous le sabot d'un cheval. Il faut de l'argent. Je pense que si la Banque européenne d'investissement pouvait apporter cet argent, elle a déjà fait un effort, nous aiderions collectivement, à l'échelle européenne, les constructeurs automobiles.
 
C. Roux : Et ça avance, ça, dans l'esprit du chef de l'Etat, du chef du gouvernement ?
 
M. Biraben : Et dans l'esprit du patron de Renault et de Volkswagen, ça leur pose un problème...
 
Ces personnes dont vous parlez, je leur en ai parlé, j'en ai discuté avec elles. Elles me disent toutes, nous avons besoin d'un engagement européen, nous avons besoin de fonds d'investissement européens pour financer la recherche automobile. N. Sarkozy en a parlé avec A. Merkel. Les deux ont dit à l'issue de leur rencontre la semaine dernière, "il nous faut un soutien européen à l'industrie automobile".
 
C. Roux : Vous avez un calendrier ?
 
Le calendrier, c'est les jours qui viennent. J'espère que la Banque européenne d'investissement pourra annoncer qu'en plus des fonds qu'elle a déjà mis à disposition de l'industrie automobile, elle renforcera encore sa participation pour développer l'industrie automobile.
 
C. Roux : Est-ce que ça veut dire que malgré tout, parce qu'il y a une concurrence entre l'industrie automobile française et allemande, par exemple on a C. Ghosn qui a dit hier qu'il voulait la suppression de la taxe professionnelle. Il souhaitait que les voitures importées soient soumises, en compensation, à de nouvelles taxes avant de renforcer la compétitivité des usines implantées en France. Cela ne va pas dans le sens d'un plan européen là, pour le coup. La concurrence, elle existe.
 
La concurrence, elle existe, mais vous avez rappelé ce que j'ai dit il y a maintenant quelques jours, la concurrence ne peut pas être l'alpha et l'oméga des politiques économiques en Europe. Si c'est ça aujourd'hui notre réponse à la crise je le dis, ce n'est pas la bonne réponse.
 
C. Roux : Donc C. Ghosn se trompe ?
 
Non, la concurrence c'est important. Il faut gagner en compétitivité, c'est certain. Mais il faut aussi surtout, en situation de crise, une coopération entre les pays européens. Moi, ce qui me frappe entre les voitures françaises et les voitures allemandes, ce n'est pas la concurrence, c'est la complémentarité. Entre une grosse berline allemande et une petite voiture ou une moyenne voiture de chez Renault ou de chez Peugeot, il y a une complémentarité. Et je crois que c'est cette complémentarité qu'il faut jouer. Juste un dernier point...
 
C. Roux : Pardonnez-moi : sur ce point précis, il se trompe C. Ghosn ?
 
Non il ne se trompe pas.
 
C. Roux : ...Quand il veut défendre l'industrie française ?
 
Il faut défendre l'industrie française et nous la défendrons si nous avons une industrie européenne. C'est aussi simple que ça.
 
C. Roux : Sinon ?
 
L'industrie française ne se défendra pas toute seule. Il faut la défendre et il faut également un plan européen. Je vous donne juste un dernier exemple. Aujourd'hui, Fiat vient de prendre 25 % de participation dans Chrysler, les recompositions du panorama industriel mondial vont vite, très vite.
 
C. Roux : Ça, ça va dans le bon sens, par exemple, ou pas ?
 
Moi, mon souci, c'est de faire en sorte que nous ayons les champions industriels automobiles forts, européens, d'ici deux à trois ans. Et ce qui me frappe, pour terminer là-dessus, c'est qu'il y a une complémentarité entre les constructeurs allemands et les constructeurs français et je souhaiterais qu'on joue de cette complémentarité.
 
C. Roux : Pour l'instant, ce n'est pas le cas, vous êtes d'accord avec ça ? Vous avez du mal pour l'instant à faire avancer cette idée.
 
Nous avons déjà un certain nombre de résultats, vous le verrez sur la Banque européenne d'investissement, vous l'avez vu sur les aides d'Etat. Ca bouge parce que nous dialoguons avec C. Lagarde, avec F. Fillon, avec les responsables européens mais il faut aller plus loin.
 
C. Roux : Fiat et Chrysler, ça va dans le bon sens ? C'est ça que vous voulez voir émerger ?
 
Je préfèrerais qu'on voie émerger des grands champions européens. Nous l'avons fait sur l'aéronautique, nous l'avons fait sur le transport aérien avec Air France, KLM, Alitalia, faisons-le aussi dans le domaine de la voiture. C'est une spécialité européenne.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 22 janvier 2009