Texte intégral
L. Bazin.- Bonjour R. Yade.
Bonjour.
Secrétaire d'Etat aux Droits de l'Homme. "Vous avez choisi l'espoir contre la peur. Nous n'avons pas à choisir entre nos valeurs et notre sécurité" : c'est le discours de B. Obama hier, que vous avez écouté évidemment avec attention. Ce matin, on annonce la suspension des procédures judiciaires à Guantanamo. Est-ce que c'est de bon augure ?
Oui, parce que cette décision était attendue de longue date, vous savez que la France en particulier et l'Europe plus généralement n'ont cessé de plaider pour la fermeture de ce centre de détention qui s'est mis en place en dehors de tout circuit légal de l'Etat de droit américain traditionnel...
Ça vous semble être un symbole fort de ce que sera la présidence Obama ?
C'est un symbole fort parce que, Obama s'est placé sur le terrain des valeurs, et au fond, dès le lendemain de son élection... pardon... de son investiture, il met en adéquation les mots qu'il a prononcés, c'est-à-dire le retour aux sources, aux valeurs, aux Droits de l'Homme, avec les faits, à savoir la fermeture ou le début de fermeture, avec la suspension de ces procès, de Guantanamo, qui est l'un des points de focalisation les plus importants de tous les activistes et militants des Droits de l'Homme...
Mais la menace est là. Cette nuit, on apprenait la fermeture du consulat américain de Dubaï, certains disaient dans l'administration précédente : la démocratie ne peut pas combattre le terrorisme les mains liées dans le dos.
Il ne s'agit pas de demander la fermeture de Guantanamo hier, et aujourd'hui, maintenant que les procès sont suspendus ou sont annoncés comme tels, on dit : ça pose encore problème. Non, je crois que B. Obama est en cohérence avec son engagement de campagne, celui qui, nous, en tant que français, nous avait frappé en premier, parce qu'il touchait au coeur de l'Etat de droit, au coeur des valeurs que nous avons en partage avec les Américains. Et dans son discours, il en appelle à ce que l'Amérique reste fidèle à elle-même, c'est-à-dire fidèle aux valeurs qui ont été à l'origine de sa création et de sa construction.
Il vous a bluffée, on dirait.
Moi, je trouve que cette manière qu'il a eu de ne pas en faire trop, de ne pas tutoyer l'histoire en quelque sorte, est une posture d'humilité, et d'ailleurs, le mot humilité est l'un des mots qui arrive en premier dans son discours, et en même temps, c'est un discours exigeant, exigeant, parce que voilà cet homme seul face à l'écrasante responsabilité qui est devant lui, qui dit au fond : voilà, il faut que nous soyons responsables dans un moment de crise, il faut que nous soyons à la hauteur, il faut que nous soyons courageux, il faut que nous n'ayons pas peur, il faut que nous soyons tournés vers l'espoir. Et je trouve que c'est un bon début...
Pour la France, R. Yade, c'est un "copain" - le mot est du président Sarkozy en juillet 2008 -, ou c'est un rival ? Il paraît qu'il agace le Président ?
Je ne sais pas d'où vous sortez ça, moi, j'ai vu que lorsque Obama a visité Paris, il y a quelques mois de ça, pendant sa campagne, il s'est très bien entendu avec le Président Sarkozy...
On était d'accord sur tout, disait N. Sarkozy, est-ce qu'on sera d'accord sur tout ? Franchement, on peut être d'accord sur tout avec un président des Etats-Unis d'Amérique ?
Je n'ai pas le souvenir qu'il ait dit ça, mais ce que je pense, c'est que si on apprécie Obama pour ce qu'il incarne de nouveau, de frais, d'exigeant, il n'empêche que nous bénéficions, nous Français, par tradition, d'une indépendance nationale, à laquelle nous sommes très attachés. Donc...
Donc il faudra le dire quand on n'est pas d'accord...
Nous tiendrons un discours de fidélité à nous-mêmes, Page 29 sur 37 Journaux et invités du matin - Dept. Revues de presse - 01 42 75 54 41 21/01/2009 https://rpa.applications.pm.gouv.fr/journaux_et_invites.php3?date=2009-01-21 exactement comme les Américains le feront. On n'est pas là pour être d'accord avec Obama quoi qu'il dise, on est là pour défendre nos intérêts, pour défendre des valeurs auxquelles nous croyons, et nous le ferons avec un maximum de sincérité. «
Ça n'est pas un bobo rive gauche, il ne nous fera pas de cadeau », c'est une petite phrase de L. Wauquiez, votre confrère du gouvernement.
Mais je pense que, si symboliquement, il parle au monde, concrètement, il sera d'abord le président des Etats-Unis, et il a été élu pour défendre les intérêts des Etats-Unis.
Donc on fera avec. Il va nous effacer, il va nous laisser une place, à votre avis, est-ce qu'il va sortir la France de l'espace international ?
Mais nous n'allons pas attendre que les Américains nous laissent une place, nous allons prendre cette place, conformément à notre tradition d'indépendance nationale, conformément à la défense de nos intérêts, mais quand je parle de nos intérêts, ce n'est pas seulement les intérêts de la France, mais de l'Europe...
Mais sur le Proche-Orient par exemple, que B. Obama vienne ou pas, on organisera à Paris cette conférence pour la paix ?
Mais la France prendra toute sa part dans l'organisation du processus de paix. La feuille de route d'Annapolis prévoit la création d'un Etat palestinien viable, démocratique et indépendant, aux côtés d'un Etat israélien aux frontières reconnues et sécurisées, cette ligne-là reste notre objectif. Maintenant, les Américains vont apporter leur voix, voix indispensable, dans la résolution d'une crise aussi importante que celle du Proche-Orient. Néanmoins, cela n'empêche pas que la France aura à coeur de continuer à donner sa vision du monde, une vision particulière, une vision européenne, une vision qui se veut offensive, et porteuse de valeurs auxquelles nous croyons. Donc si Obama se retrouve dans ces idées-là, tant mieux, et je pense qu'en grande partie, il s'y retrouve au vu de son discours...
Sinon, il devra faire avec, voilà ce que vous dites dès ce matin...
J'ai lu dans son discours quand même que notre sécurité découle de la justesse de notre cause, et que nous ne devons pas abandonner les valeurs des Droits de l'Homme, les idéaux, par commodité, je trouve que ces phrases-là sont très fortes, il dit que nous ne devons pas faire un choix entre sécurité et idéal. C'est un tournant dans la diplomatie américaine. Et nous allons oeuvrer à ce que, concrètement, cela soit décliné.
Main dans la main, dit N. Sarkozy. On marque une pause, et on continue à discuter et de ces dossiers et de l'Obamania et de ce qu'on attend aussi en France d'un effet OBAMA, après le rappel des titres.
[Rappel des titres]
R. Yade est toujours avec nous. Au coeur du zapping, Hervé MORIN s'est prononcé ce matin sur, lui aussi, la manière dont il avait perçu le discours de B. Obama hier. Et il a fait une comparaison avec la France qui est intéressante. Ecoutez.
[Extrait de l'interview d'H. Morin, ministre de la Défense - Europe 1]
Moment d'union, et puis, et puis l'émergence quand même d'une minorité visible, comme on dit en France, à la tête d'un Etat aussi grand que celui des Etats-Unis ; ce n'est pas possible chez nous ?
Mais je crois qu'il y a un problème d'interprétation, parce que l'élection de B. Obama n'est pas l'élection d'une minorité visible, c'est l'élection du président américain ; cet homme-là n'a pas gagné cette élection parce qu'il était noir, mais parce qu'il était le meilleur. Il n'a pas été élu uniquement par les Noirs, mais par l'ensemble de l'Amérique, et en ce sens...
43% des blancs ont voté pour lui, 80% de ceux qu'on appelle les minorités aux Etats-Unis, mais qui deviennent une majorité dans leur ensemble aujourd'hui...
D'accord, mais vous imaginez que ces 45% de blancs l'auraient élu parce qu'il est une minorité, certainement pas...
C'est un rêve pour vous ; quand vous dites ça, on sent que vous regrettez que ce ne soit pas exactement la même chose en France...
Mais ce que je regrette, c'est que...
Qu'on n'arrête pas de parler finalement de toutes ces questions-là...
Oui, on n'arrête pas de parler de diversité, on n'arrête pas de ramener les gens à des statuts de symboles, qu'ils ne sont pas, parce que moi, je ne me considère pas comme un symbole, et je voudrais qu'il y ait une indifférenciation, et qu'on juge les personnes comme moi ou d'autres en fonction de ce qu'elles font et non pas en fonction de leur apparence, qu'on ne leur prête pas des droits supérieurs aux autres, ni des devoirs supérieurs aux autres. Et je crois que la victoire d'Obama, c'est la victoire de l'indifférenciation, c'est un homme qui a été jugé sur ce qu'il était capable de faire, à savoir sur la lucidité exceptionnelle dont il a fait preuve en période de crise ; c'est ça la victoire d'Obama, c'est la victoire du changement, de l'audace, de la jeunesse. Et la couleur de peau, une fois qu'on s'en est étonné au début, bon, eh bien, on est passé à autre chose, les Américains sont quand même des gens sérieux, ils ne l'ont pas choisi pour faire...
Mais nous, on n'est pas sérieux, voilà ce que vous dites...
Non, mais ils ne l'ont pas choisi pour des histoires de symboles ou pour se faire plaisir ou pour se voir plus beaux qu'ils ne le sont, mais simplement parce qu'ils avaient besoin du meilleur...
Y. Sabeg, qui est le commissaire à la Diversité, dit ce matin : il faudrait prendre des photographies des conseils municipaux, il faudrait prendre des photographies du Parlement, parce qu'on se rendrait compte de la sousreprésentation et de la manière dont on discrimine...
Oui, mais on l'a fait depuis des années...
Est-ce qu'il a raison ?
Mais on l'a fait depuis des années, le diagnostic a été dressé depuis très longtemps, moi-même...
Moins de 7% - je mets des guillemets toujours, pardon, ce vocable me pose problème - de "minorités visibles" dans les conseils municipaux en France, moins de 7%.
Oui, mais on le sait depuis longtemps, ne faisons pas semblant de le découvrir maintenant parce qu'Obama est élu...
Et comment on le change ?
C'est la question maintenant qu'il faut se poser. Le président de la République a fait un discours très intéressant au mois de décembre, à Palaiseau, à Polytechnique, où il a beaucoup parlé d'éducation, et je crois que c'est le mot clé « éducation », on ne changera pas le système, on n'améliorera pas la représentation de la population française...
On ne le changera pas par la loi par exemple...
Non, mais, on ne la changera pas uniquement par le haut, il faut commencer très tôt par l'éducation, il faut parvenir à faire émerger une classe moyenne, qui se fonde avec la classe moyenne française en général, il faut en finir avec la différenciation ; la différenciation est peut-être intéressante pour faire les premiers pas, mais au fond, ce qui est recherché, c'est quoi, c'est une forme de méritocratie républicaine qui aille au bout d'elle-même, que la République formelle devienne une République réelle, parce que les principes républicains se meurent à force de ne pas être appliqués. Et je crois que maintenant, après le temps des diagnostics, il faut passer à celui de l'action, parce que le peuple français...
Mais pas de loi, pas d'action normative, comme dit Y. Sabeg...
Mais loi ou pas loi, peu importe, il faut que le mouvement soit enclenché, je veux dire, aux Etats-Unis, ils ont mis en place l'action positive, bon...
C'est réserver des places pour les étudiants noirs notamment dans les universités...
Alors, c'est intéressant, mais la question pour moi n'est pas : est-ce qu'il faut mettre en place l'action positive ou pas, il faut mettre en place des mesures, et puis on garde celles qui marchent, et on retire celles qui ne marchent pas. Point. Il faut faire preuve d'un extrême pragmatisme, parce que, on est maintenant dans le temps de l'urgence, nous n'avons plus le temps d'attendre. Et si Obama a pu émerger aux Etats- Unis, c'est parce qu'il y avait une classe moyenne derrière lui qui a émergé.
Alors, je vais faire une chose, je vais faire ce que vous me demandez, c'est-à-dire que je vais vous poser des questions qui n'ont rien à voir avec ce pourquoi les Français, sans doute, vous placent si haut dans les sondages de popularité, et notamment sur l'économie. Ecoutez C. Lagarde ce matin, elle était sur l'antenne de RTL.
[Extrait de l'interview de C. Lagarde, ministre de l'Economie - RTL]
Ça vous choque les bonus ?
Eh bien, je trouve qu'en période de crise économique, où les Français sont amenés à se serrer la ceinture, un peu de décence ne serait pas de trop. Vous vous rappelez qu'au moment du plan de relance, le président de la République avait demandé aux syndicats d'entreprises, notamment au MEDEF, de faire une charte sur les sur-rémunérations des entreprises, et il est temps maintenant de voir les résultats de cette charte, c'est-à-dire que tout ce qui concerne les parachutes dorés, ce qui concerne les bonus, les stocks options, qu'on puisse avoir des résultats de la part des entreprises. Là, C. Lagarde parlait des banques par rapport à leurs bonus, elle a aussi parlé dans son entretien, un peu plus tard, de l'industrie automobile, je crois qu'il est absolument important de pouvoir cerner les responsabilités ; c'est très intéressant qu'en période de croissance, il y ait des surrémunérations, des stock-option et des bonus, et qu'en période de crise, finalement, on demande à l'Etat de payer, il faut que les prêts que l'Etat accorde aux banques soient en contrepartie...
Aux banques ou aux constructeurs automobiles, en l'occurrence...
Voilà, exactement, il faut qu'il y ait des contreparties à cela, à savoir un minimum de décence dans les rémunérations, qui n'ont pas lieu d'être des sur-rémunérations à partir du moment où les profits ne correspondent pas, où les résultats ne correspondent pas à une performance particulière.
Vous êtes une femme politique, vous avez donc regardé ce qui s'est passé cette nuit à l'Assemblée nationale, les socialistes sont furieux, ils disent qu'on leur dénie le droit de discuter, et ils ont annoncé le boycott « Des questions d'actualité » aujourd'hui. M. Valls s'en explique ce matin.
[Extrait de l'interview de M. Valls, député de l'Essonne (91) - France Inter.]
Est-ce qu'il a raison ?
Qu'est-ce qui s'est passé cette nuit ? Au fond, c'est : les socialistes, lors de l'examen de la loi organique, ont quitté l'hémicycle - enfin, la gauche en général - lors de l'examen de l'article 13 sur le temps programmé. Ils ont boycotté en fait une disposition que le président du groupe PS au Sénat, à savoir monsieur Bel, avait lui-même proposée en 2007. Donc je trouve que ce comportement n'est absolument pas justifié, puisque ce qu'ils contestent avait été proposé par l'un des membres les plus éminents du groupe socialiste, et le premier d'entre eux, il y a encore un an. Alors, au fond, je crois qu'ils cherchent à masquer leurs faiblesses en désertant comme ça les bancs de l'hémicycle, et plus largement, en désertant leurs propres droits, puisque, au cours de cette même discussion, nous avons prouvé que nous étions ouverts puisque deux amendements ont été adoptés, garantissant les droits de l'opposition. Donc je ne comprends pas l'objet de leur contestation, si ce n'est pas un aveu de faiblesse. Et par ailleurs, je regrette...
Un dernier mot, un dernier mot...
Je regrette en plus l'extrême violence dont ils ont fait preuve à l'égard du président de l'Assemblée nationale, qui mérite...
En demandant sa démission notamment...
Qui mérite beaucoup plus de respect que ce qu'ils lui ont exprimé.
On entend l'ancienne administratrice du Sénat dans votre voix, là.
Oui...
Un dernier mot : vous serez candidate ou pas finalement aux européennes ou aux régionales qui suivront ?
Je me suis déjà exprimée là-dessus...
Oui, vous n'avez pas changé d'avis ?
Pour les régionales, on verra au moment voulu, je ne veux pas... écoutez, ce petit jeu...
Donc les européennes, non ?
Il faut que ce petit jeu s'arrête parce que...
Les européennes, non, ce sera la dernière fois...
Ça commence à être un peu fatiguant...
Donc c'est non...
Je vous l'avoue. Alors que j'ai franchement du travail à faire par ailleurs, on est dans un moment de crise très important, donc j'en ai un peu assez de toujours revenir à ces sujets, alors que tout a été dit...
Donc les régionales, vous réfléchissez...
Pour les régionales, écoutez, on verra au moment voulu. Mais j'ai un fort désir d'engagement électoral, ça, c'est sûr.
Sur le terrain. Merci beaucoup d'avoir été notre invitée ce matin pour commenter B. Obama et le reste, en femme politique que vous êtes. Bonne journée à vous.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 22 janvier 2009
Bonjour.
Secrétaire d'Etat aux Droits de l'Homme. "Vous avez choisi l'espoir contre la peur. Nous n'avons pas à choisir entre nos valeurs et notre sécurité" : c'est le discours de B. Obama hier, que vous avez écouté évidemment avec attention. Ce matin, on annonce la suspension des procédures judiciaires à Guantanamo. Est-ce que c'est de bon augure ?
Oui, parce que cette décision était attendue de longue date, vous savez que la France en particulier et l'Europe plus généralement n'ont cessé de plaider pour la fermeture de ce centre de détention qui s'est mis en place en dehors de tout circuit légal de l'Etat de droit américain traditionnel...
Ça vous semble être un symbole fort de ce que sera la présidence Obama ?
C'est un symbole fort parce que, Obama s'est placé sur le terrain des valeurs, et au fond, dès le lendemain de son élection... pardon... de son investiture, il met en adéquation les mots qu'il a prononcés, c'est-à-dire le retour aux sources, aux valeurs, aux Droits de l'Homme, avec les faits, à savoir la fermeture ou le début de fermeture, avec la suspension de ces procès, de Guantanamo, qui est l'un des points de focalisation les plus importants de tous les activistes et militants des Droits de l'Homme...
Mais la menace est là. Cette nuit, on apprenait la fermeture du consulat américain de Dubaï, certains disaient dans l'administration précédente : la démocratie ne peut pas combattre le terrorisme les mains liées dans le dos.
Il ne s'agit pas de demander la fermeture de Guantanamo hier, et aujourd'hui, maintenant que les procès sont suspendus ou sont annoncés comme tels, on dit : ça pose encore problème. Non, je crois que B. Obama est en cohérence avec son engagement de campagne, celui qui, nous, en tant que français, nous avait frappé en premier, parce qu'il touchait au coeur de l'Etat de droit, au coeur des valeurs que nous avons en partage avec les Américains. Et dans son discours, il en appelle à ce que l'Amérique reste fidèle à elle-même, c'est-à-dire fidèle aux valeurs qui ont été à l'origine de sa création et de sa construction.
Il vous a bluffée, on dirait.
Moi, je trouve que cette manière qu'il a eu de ne pas en faire trop, de ne pas tutoyer l'histoire en quelque sorte, est une posture d'humilité, et d'ailleurs, le mot humilité est l'un des mots qui arrive en premier dans son discours, et en même temps, c'est un discours exigeant, exigeant, parce que voilà cet homme seul face à l'écrasante responsabilité qui est devant lui, qui dit au fond : voilà, il faut que nous soyons responsables dans un moment de crise, il faut que nous soyons à la hauteur, il faut que nous soyons courageux, il faut que nous n'ayons pas peur, il faut que nous soyons tournés vers l'espoir. Et je trouve que c'est un bon début...
Pour la France, R. Yade, c'est un "copain" - le mot est du président Sarkozy en juillet 2008 -, ou c'est un rival ? Il paraît qu'il agace le Président ?
Je ne sais pas d'où vous sortez ça, moi, j'ai vu que lorsque Obama a visité Paris, il y a quelques mois de ça, pendant sa campagne, il s'est très bien entendu avec le Président Sarkozy...
On était d'accord sur tout, disait N. Sarkozy, est-ce qu'on sera d'accord sur tout ? Franchement, on peut être d'accord sur tout avec un président des Etats-Unis d'Amérique ?
Je n'ai pas le souvenir qu'il ait dit ça, mais ce que je pense, c'est que si on apprécie Obama pour ce qu'il incarne de nouveau, de frais, d'exigeant, il n'empêche que nous bénéficions, nous Français, par tradition, d'une indépendance nationale, à laquelle nous sommes très attachés. Donc...
Donc il faudra le dire quand on n'est pas d'accord...
Nous tiendrons un discours de fidélité à nous-mêmes, Page 29 sur 37 Journaux et invités du matin - Dept. Revues de presse - 01 42 75 54 41 21/01/2009 https://rpa.applications.pm.gouv.fr/journaux_et_invites.php3?date=2009-01-21 exactement comme les Américains le feront. On n'est pas là pour être d'accord avec Obama quoi qu'il dise, on est là pour défendre nos intérêts, pour défendre des valeurs auxquelles nous croyons, et nous le ferons avec un maximum de sincérité. «
Ça n'est pas un bobo rive gauche, il ne nous fera pas de cadeau », c'est une petite phrase de L. Wauquiez, votre confrère du gouvernement.
Mais je pense que, si symboliquement, il parle au monde, concrètement, il sera d'abord le président des Etats-Unis, et il a été élu pour défendre les intérêts des Etats-Unis.
Donc on fera avec. Il va nous effacer, il va nous laisser une place, à votre avis, est-ce qu'il va sortir la France de l'espace international ?
Mais nous n'allons pas attendre que les Américains nous laissent une place, nous allons prendre cette place, conformément à notre tradition d'indépendance nationale, conformément à la défense de nos intérêts, mais quand je parle de nos intérêts, ce n'est pas seulement les intérêts de la France, mais de l'Europe...
Mais sur le Proche-Orient par exemple, que B. Obama vienne ou pas, on organisera à Paris cette conférence pour la paix ?
Mais la France prendra toute sa part dans l'organisation du processus de paix. La feuille de route d'Annapolis prévoit la création d'un Etat palestinien viable, démocratique et indépendant, aux côtés d'un Etat israélien aux frontières reconnues et sécurisées, cette ligne-là reste notre objectif. Maintenant, les Américains vont apporter leur voix, voix indispensable, dans la résolution d'une crise aussi importante que celle du Proche-Orient. Néanmoins, cela n'empêche pas que la France aura à coeur de continuer à donner sa vision du monde, une vision particulière, une vision européenne, une vision qui se veut offensive, et porteuse de valeurs auxquelles nous croyons. Donc si Obama se retrouve dans ces idées-là, tant mieux, et je pense qu'en grande partie, il s'y retrouve au vu de son discours...
Sinon, il devra faire avec, voilà ce que vous dites dès ce matin...
J'ai lu dans son discours quand même que notre sécurité découle de la justesse de notre cause, et que nous ne devons pas abandonner les valeurs des Droits de l'Homme, les idéaux, par commodité, je trouve que ces phrases-là sont très fortes, il dit que nous ne devons pas faire un choix entre sécurité et idéal. C'est un tournant dans la diplomatie américaine. Et nous allons oeuvrer à ce que, concrètement, cela soit décliné.
Main dans la main, dit N. Sarkozy. On marque une pause, et on continue à discuter et de ces dossiers et de l'Obamania et de ce qu'on attend aussi en France d'un effet OBAMA, après le rappel des titres.
[Rappel des titres]
R. Yade est toujours avec nous. Au coeur du zapping, Hervé MORIN s'est prononcé ce matin sur, lui aussi, la manière dont il avait perçu le discours de B. Obama hier. Et il a fait une comparaison avec la France qui est intéressante. Ecoutez.
[Extrait de l'interview d'H. Morin, ministre de la Défense - Europe 1]
Moment d'union, et puis, et puis l'émergence quand même d'une minorité visible, comme on dit en France, à la tête d'un Etat aussi grand que celui des Etats-Unis ; ce n'est pas possible chez nous ?
Mais je crois qu'il y a un problème d'interprétation, parce que l'élection de B. Obama n'est pas l'élection d'une minorité visible, c'est l'élection du président américain ; cet homme-là n'a pas gagné cette élection parce qu'il était noir, mais parce qu'il était le meilleur. Il n'a pas été élu uniquement par les Noirs, mais par l'ensemble de l'Amérique, et en ce sens...
43% des blancs ont voté pour lui, 80% de ceux qu'on appelle les minorités aux Etats-Unis, mais qui deviennent une majorité dans leur ensemble aujourd'hui...
D'accord, mais vous imaginez que ces 45% de blancs l'auraient élu parce qu'il est une minorité, certainement pas...
C'est un rêve pour vous ; quand vous dites ça, on sent que vous regrettez que ce ne soit pas exactement la même chose en France...
Mais ce que je regrette, c'est que...
Qu'on n'arrête pas de parler finalement de toutes ces questions-là...
Oui, on n'arrête pas de parler de diversité, on n'arrête pas de ramener les gens à des statuts de symboles, qu'ils ne sont pas, parce que moi, je ne me considère pas comme un symbole, et je voudrais qu'il y ait une indifférenciation, et qu'on juge les personnes comme moi ou d'autres en fonction de ce qu'elles font et non pas en fonction de leur apparence, qu'on ne leur prête pas des droits supérieurs aux autres, ni des devoirs supérieurs aux autres. Et je crois que la victoire d'Obama, c'est la victoire de l'indifférenciation, c'est un homme qui a été jugé sur ce qu'il était capable de faire, à savoir sur la lucidité exceptionnelle dont il a fait preuve en période de crise ; c'est ça la victoire d'Obama, c'est la victoire du changement, de l'audace, de la jeunesse. Et la couleur de peau, une fois qu'on s'en est étonné au début, bon, eh bien, on est passé à autre chose, les Américains sont quand même des gens sérieux, ils ne l'ont pas choisi pour faire...
Mais nous, on n'est pas sérieux, voilà ce que vous dites...
Non, mais ils ne l'ont pas choisi pour des histoires de symboles ou pour se faire plaisir ou pour se voir plus beaux qu'ils ne le sont, mais simplement parce qu'ils avaient besoin du meilleur...
Y. Sabeg, qui est le commissaire à la Diversité, dit ce matin : il faudrait prendre des photographies des conseils municipaux, il faudrait prendre des photographies du Parlement, parce qu'on se rendrait compte de la sousreprésentation et de la manière dont on discrimine...
Oui, mais on l'a fait depuis des années...
Est-ce qu'il a raison ?
Mais on l'a fait depuis des années, le diagnostic a été dressé depuis très longtemps, moi-même...
Moins de 7% - je mets des guillemets toujours, pardon, ce vocable me pose problème - de "minorités visibles" dans les conseils municipaux en France, moins de 7%.
Oui, mais on le sait depuis longtemps, ne faisons pas semblant de le découvrir maintenant parce qu'Obama est élu...
Et comment on le change ?
C'est la question maintenant qu'il faut se poser. Le président de la République a fait un discours très intéressant au mois de décembre, à Palaiseau, à Polytechnique, où il a beaucoup parlé d'éducation, et je crois que c'est le mot clé « éducation », on ne changera pas le système, on n'améliorera pas la représentation de la population française...
On ne le changera pas par la loi par exemple...
Non, mais, on ne la changera pas uniquement par le haut, il faut commencer très tôt par l'éducation, il faut parvenir à faire émerger une classe moyenne, qui se fonde avec la classe moyenne française en général, il faut en finir avec la différenciation ; la différenciation est peut-être intéressante pour faire les premiers pas, mais au fond, ce qui est recherché, c'est quoi, c'est une forme de méritocratie républicaine qui aille au bout d'elle-même, que la République formelle devienne une République réelle, parce que les principes républicains se meurent à force de ne pas être appliqués. Et je crois que maintenant, après le temps des diagnostics, il faut passer à celui de l'action, parce que le peuple français...
Mais pas de loi, pas d'action normative, comme dit Y. Sabeg...
Mais loi ou pas loi, peu importe, il faut que le mouvement soit enclenché, je veux dire, aux Etats-Unis, ils ont mis en place l'action positive, bon...
C'est réserver des places pour les étudiants noirs notamment dans les universités...
Alors, c'est intéressant, mais la question pour moi n'est pas : est-ce qu'il faut mettre en place l'action positive ou pas, il faut mettre en place des mesures, et puis on garde celles qui marchent, et on retire celles qui ne marchent pas. Point. Il faut faire preuve d'un extrême pragmatisme, parce que, on est maintenant dans le temps de l'urgence, nous n'avons plus le temps d'attendre. Et si Obama a pu émerger aux Etats- Unis, c'est parce qu'il y avait une classe moyenne derrière lui qui a émergé.
Alors, je vais faire une chose, je vais faire ce que vous me demandez, c'est-à-dire que je vais vous poser des questions qui n'ont rien à voir avec ce pourquoi les Français, sans doute, vous placent si haut dans les sondages de popularité, et notamment sur l'économie. Ecoutez C. Lagarde ce matin, elle était sur l'antenne de RTL.
[Extrait de l'interview de C. Lagarde, ministre de l'Economie - RTL]
Ça vous choque les bonus ?
Eh bien, je trouve qu'en période de crise économique, où les Français sont amenés à se serrer la ceinture, un peu de décence ne serait pas de trop. Vous vous rappelez qu'au moment du plan de relance, le président de la République avait demandé aux syndicats d'entreprises, notamment au MEDEF, de faire une charte sur les sur-rémunérations des entreprises, et il est temps maintenant de voir les résultats de cette charte, c'est-à-dire que tout ce qui concerne les parachutes dorés, ce qui concerne les bonus, les stocks options, qu'on puisse avoir des résultats de la part des entreprises. Là, C. Lagarde parlait des banques par rapport à leurs bonus, elle a aussi parlé dans son entretien, un peu plus tard, de l'industrie automobile, je crois qu'il est absolument important de pouvoir cerner les responsabilités ; c'est très intéressant qu'en période de croissance, il y ait des surrémunérations, des stock-option et des bonus, et qu'en période de crise, finalement, on demande à l'Etat de payer, il faut que les prêts que l'Etat accorde aux banques soient en contrepartie...
Aux banques ou aux constructeurs automobiles, en l'occurrence...
Voilà, exactement, il faut qu'il y ait des contreparties à cela, à savoir un minimum de décence dans les rémunérations, qui n'ont pas lieu d'être des sur-rémunérations à partir du moment où les profits ne correspondent pas, où les résultats ne correspondent pas à une performance particulière.
Vous êtes une femme politique, vous avez donc regardé ce qui s'est passé cette nuit à l'Assemblée nationale, les socialistes sont furieux, ils disent qu'on leur dénie le droit de discuter, et ils ont annoncé le boycott « Des questions d'actualité » aujourd'hui. M. Valls s'en explique ce matin.
[Extrait de l'interview de M. Valls, député de l'Essonne (91) - France Inter.]
Est-ce qu'il a raison ?
Qu'est-ce qui s'est passé cette nuit ? Au fond, c'est : les socialistes, lors de l'examen de la loi organique, ont quitté l'hémicycle - enfin, la gauche en général - lors de l'examen de l'article 13 sur le temps programmé. Ils ont boycotté en fait une disposition que le président du groupe PS au Sénat, à savoir monsieur Bel, avait lui-même proposée en 2007. Donc je trouve que ce comportement n'est absolument pas justifié, puisque ce qu'ils contestent avait été proposé par l'un des membres les plus éminents du groupe socialiste, et le premier d'entre eux, il y a encore un an. Alors, au fond, je crois qu'ils cherchent à masquer leurs faiblesses en désertant comme ça les bancs de l'hémicycle, et plus largement, en désertant leurs propres droits, puisque, au cours de cette même discussion, nous avons prouvé que nous étions ouverts puisque deux amendements ont été adoptés, garantissant les droits de l'opposition. Donc je ne comprends pas l'objet de leur contestation, si ce n'est pas un aveu de faiblesse. Et par ailleurs, je regrette...
Un dernier mot, un dernier mot...
Je regrette en plus l'extrême violence dont ils ont fait preuve à l'égard du président de l'Assemblée nationale, qui mérite...
En demandant sa démission notamment...
Qui mérite beaucoup plus de respect que ce qu'ils lui ont exprimé.
On entend l'ancienne administratrice du Sénat dans votre voix, là.
Oui...
Un dernier mot : vous serez candidate ou pas finalement aux européennes ou aux régionales qui suivront ?
Je me suis déjà exprimée là-dessus...
Oui, vous n'avez pas changé d'avis ?
Pour les régionales, on verra au moment voulu, je ne veux pas... écoutez, ce petit jeu...
Donc les européennes, non ?
Il faut que ce petit jeu s'arrête parce que...
Les européennes, non, ce sera la dernière fois...
Ça commence à être un peu fatiguant...
Donc c'est non...
Je vous l'avoue. Alors que j'ai franchement du travail à faire par ailleurs, on est dans un moment de crise très important, donc j'en ai un peu assez de toujours revenir à ces sujets, alors que tout a été dit...
Donc les régionales, vous réfléchissez...
Pour les régionales, écoutez, on verra au moment voulu. Mais j'ai un fort désir d'engagement électoral, ça, c'est sûr.
Sur le terrain. Merci beaucoup d'avoir été notre invitée ce matin pour commenter B. Obama et le reste, en femme politique que vous êtes. Bonne journée à vous.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 22 janvier 2009