Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "RTL" le 21 janvier 2009, sur la deuxième phase de plan d'aide de l'Etat aux banques, et le soutien au secteur automobile.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.- M. Aphatie.- Tous les banquiers, même ceux qui résistaient, ceux du Crédit Agricole et de la Société Générale, par exemple, ont décidé hier de renoncer à leur bonus. Vous leur avez fait peur ?

Je crois qu'ils ont été sensibles aux arguments que nous avons utilisés, le président de la République, le Premier ministre et moi-même. On leur a demandé trois choses : on leur a demandé de faire leur métier, c'est-à-dire de financer l'économie. On leur a demandé deuxièmement, de limiter la distribution des dividendes et d'investir dans leurs fonds propres pour financer l'économie, et on leur a demandé enfin, de renoncer à leur bonus, ce qui nous paraissait parfaitement légitime dans une période où d'autres souffrent.

La contrepartie, c'est les prêts que l'Etat va de nouveau leur faire ? On parle de 10,5 milliards, de nouveau, vous le confirmez ?

On avait, vous vous souviendrez, le 16 octobre, lors de la présentation du plan de financement de l'économie, parlé de 21 milliards d'euros qui seraient disponibles pour reconstituer, renforcer les fonds propres des banques. Pourquoi ? Parce que c'est avec des fonds propres qu'on peut ensuite faire des prêts à l'économie. On en avait mis une première tranche de 10,5 milliards sur la table fin décembre, dont on avait négocié les termes avec la Commission européenne, donc, on renouvelle l'opération pour la deuxième tranche, 10,5 milliards à peu près, qui va donc être discutée avec la Commission européenne dès aujourd'hui.

À partir d'aujourd'hui avec la Commission européenne, elle avait mis trois mois à peu près pour vous donner le feu vert ou deux mois et demi...

Non, pas tant que ça !

Deux mois et demi...

On l'avait présenté en octobre et elle avait examiné le dossier et clôturé l'affaire le 8 décembre, si je me souviens bien.

Là, vous essaierez que ça aille plus vite...

Ça va aller plus vite pour deux raisons. Parce que d'abord le montant a déjà été expliqué à la Commission européenne, et deuxièmement, on va utiliser un mécanisme qui va être très voisin du mécanisme italien. Donc on ne fait pas du copier-coller, mais la Commission connaît déjà le mécanisme des actions de préférence.

Donc, vous commencez à en discuter aujourd'hui avec la Commission européenne, ce sont les six banques, comme la première fois, qui en bénéficieront : Crédit Agricole, BNP-Paribas, Société Générale, Crédit Mutuel, Caisses d'épargne, Banques Populaires ?

Exactement.

Les six banques ?

Les six groupes bancaires français, oui.

Elles en ont besoin ? Ça ne va pas encore ? Le marché bancaire n'a pas repris son travail normal ?

Non, ce n'est pas qu'elles ne vont pas bien. Les banques françaises vont beaucoup mieux que leurs voisines. Ce qui ne va pas encore très bien, c'est le mécanisme de financement des grands établissements, surtout les banques, mais aussi les grandes sociétés françaises ; ça va un tout petit mieux qu'au mois d'octobre, les marchés se sont un peu détendus, les taux ont baissé un peu, les écarts ont été réduits, mais on n'est pas du tout dans la situation antérieure à la faillite de Lehman Brothers. Donc il était encore difficile, et pour les banques et pour les grandes sociétés, de se procurer des financements, c'est-à-dire d'emprunter sur le marché. Et elles ont encore besoin que l'Etat vienne apporter sa signature pour faciliter le recours au financement, premier point. Deuxième point, les marchés sont encore un peu rétifs, réticents, et demandent que les banques aient des fonds propres solides, et que les ratios en particulier soient renforcés.

C. Streiff, le président de PSA, Peugeot-Citroën, disait dans Le Figaro Economie d'hier : "Nous demandons à l'Etat d'intervenir - d'intervenir ! - pour que les banques se mettent à prêter normalement". Donc, ça veut dire que vous prêtez de l'argent aux banques et puis les entreprises disent : les banques ne font pas leur travail normalement ?

Non, ce n'est pas un point qu'on peut généraliser.

Je cite C. Streiff...

Oui, mais je vais y venir, le secteur de l'automobile est très particulier. On avait demandé, dans la première tranche, aux banques, de continuer à financer et de financer même plus, c'est-à-dire d'augmenter leurs encours de 3 à 4 % selon les banques. On le vérifie au mois le mois, et je peux vous indiquer aujourd'hui que les banques ont bien respecté leur engagement, et que les encours de crédit en particulier, ont augmenté, y compris au mois de novembre, qui était le mois, selon les entreprises, le plus difficile. Revenons à l'automobile, parce que C. Streiff indique quelque chose qui est juste. Aujourd'hui, on a certains secteurs, et l'automobile en tout premier lieu, qui sont extrêmement difficiles parce que tout le monde s'interroge sur l'avenir de l'automobile. C'est bien pour ça qu'on a fait hier les états généraux de l'automobile, pour essayer de trouver des moyens pour renforcer les filières, pour renforcer les constructeurs, et pour s'assurer qu'on continue aujourd'hui à construire, à développer les voitures de demain. Vous savez que c'est un secteur en mouvance complète ; Fiat, vient de prendre une participation dans Chrysler, les constructeurs américains sont en débandade, et nous, il faut absolument qu'on renforce nos constructeurs français. C'est ce qu'on fait actuellement, et leur financement est un des points de difficulté. C'est bien pour ça que F. Fillon a annoncé entre 5 et 6 milliards pour renforcer les fonds propres des automobilistes.

Les automobilistes, de Renault, de Peugeot, notamment. Vous aurez les mêmes exigences sur les salaires des patrons de ces deux grandes entreprises par exemple, que vous en avez pour les banquiers ?



Ça paraîtrait tout à fait normal et légitime. Pourquoi ? Parce que

Vous surveillerez la rémunération des patrons de Renault et de Peugeot-Citröen ?

Je pense qu'ils auront un sens suffisant de la responsabilité pour prendre eux-mêmes ces mesures. Mais il me paraîtrait insensé que d'une part, on mette de l'argent de l'Etat, c'est-à-dire l'argent des Français, dans des secteurs industriels, dans des constructeurs automobiles, chez Renault ou chez Peugeot, et qu'avec cet argent les conseils d'administration décident d'attribuer des super bonus ! Cela me paraît tout à fait illogique.

Vous surveillerez ?

Tout à fait. Mais l'opinion publique aussi va le surveiller. Je crois qu'elle est très sensible au fait que, chacun prenne ses responsabilités dans son secteur. Et je crois que les banquiers ont eu raison de le faire.

L'opinion publique n'a pas forcément accès aux conseils d'administration de Renault et de Peugeot-Citroën, mais vous, vous l'avez.

Non, mais vous êtes un excellent relais, vous.

Oui, bien sûr. Cet argent, 5-6 milliards d'aide au secteur automobile, vous allez l'emprunter. Il y a aujourd'hui beaucoup d'alarme sur les déficits de l'Etat, des notes sont dégradées pour certains pays, la Grèce et l'Espagne, déjà. Avez-vous des inquiétudes sur ces déficits qui ne cessent de croître ?

Il faut classer les priorités. La première de mes priorités, c'est de restaurer les mécanismes du crédit, c'est-à-dire les circuits financiers qui permettent le financement des entreprises et des familles, des ménages. La deuxième priorité, c'est impérativement de relancer, de relancer massivement, de relancer vite, de relancer fort. C'est ce que nous faisons, notamment avec P. Devedjian. Et puis, la troisième priorité, qui s'inscrit, si vous voulez, en arrière fond de tout ça, c'est de conserver une gestion des finances publiques qui soit la plus saine possible. Mais on ne fera pas dans un premier temps l'épargne d'un surcroît d'endettement, c'est évident, on est obligés d'aller chercher de l'argent sur le marché parce que les autres...

Mais ça ne vous inquiète pas ?

...n'y arrivent pas actuellement.

Il faudra le rembourser un jour cet argent...

Et deuxièmement, on est obligés de faire un peu de déficit aussi, parce que, en fait, la dépense publique qui est le seul outil économique utile, rapide, efficace. Il faudra le rembourser, vous avez raison. Et il faudra impérativement, lorsque qu'on sera sortis de cette période de crise, dont j'espère qu'elle ne durera pas trop longtemps, il faudra à ce moment-là prévoir un plan de remboursement impératif de la dette, parce que les objectifs de finance publique sont d'être équilibrés et sains.

Le chômage en France est aujourd'hui à peu + de 7 %. Selon la Commission européenne, lundi, la prévision de chômage à la fin de l'année en France serait de près de 10 %. C'est réaliste ou c'est faux, 9,8 % à la fin de l'année ? Réaliste ou fantaisiste ?

Ce que nous savons aujourd'hui, c'est que le nombre des demandeurs d'emplois va augmenter, que le chômage va augmenter, et nous mettons en place aujourd'hui des moyens, qu'il s'agisse du contrat de transition professionnelle, qu'il s'agisse des conventions de reclassement personnalisé, qu'il s'agisse des mécanismes qui associent à la fois de l'assurance chômage et de la formation professionnelle, il faut qu'on mette en place des moyens de transition qui aident ceux qui vont être frappés temporairement à traverser eux aussi la crise avant la reprise.

9,8 %, réaliste ou fantaisiste ?

Je ne vais pas polémiquer sur tel ou tel chiffre. Je crois que les chiffres du chômage, nécessairement, augmenteront, c'est mécanique, vous savez, il y a une baisse de la croissance, il y a une baisse des investissements, donc il y a une augmentation du chômage. Notre responsabilité à nous c'est d' y faire face et de proposer les moyens qui permettent la transition entre ces périodes de non-emploi et une période de reprise qui va venir.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 22 janvier 2009