Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche à l'Assemblé nationale, à "RMC" le 22 janvier 2009, sur les débats mouvementés à l'Assemblée nationale à propos notamment de la discussion sur le droit d'amendement de l'opposition.

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Texte intégral

J.-J. Bourdin.- L'homme du jour ce matin, sur RMC et sur BFM TV, J.- M. Ayrault, bonjour.

Bonjour.

Merci d'être avec nous. Est-ce que vous avez bien dormi, J.- M. Ayrault ?

Oui, ça va. Je me suis un peu reposé mais les nuits précédentes ont été très fatigantes.

Vous vous êtes couché tard quand même. Vous avez eu des discussions avec B. Accoyer, le président de l'Assemblée nationale, et F. Fillon hier soir. Où est-ce qu'on en est ?

Non, on n'a pas eu de discussion.

Non, pas de discussion, hier soir. Où est-ce que vous en êtes, alors ?

Où est-ce que nous en sommes ? Je crois qu'il est très important de rappeler que mardi soir il y a eu cette crise.

Vous avez quitté l'hémicycle en chantant la Marseillaise. Ça ne s'était pas vu depuis 1947.

Oui, parce que c'était grave. C'était au moment où je faisais des propositions de compromis au nom des députés socialistes, que je ne m'attendais absolument pas que d'un seul coup on coupe le débat en disant : « maintenant, c'est terminé ».

Qui a voulu ça ?

Ah, c'est l'UMP.

J.-F. Copé ?

C'est l'UMP, c'est évident.

J.-F. Copé ?

J.-F. Copé, le président de la Commission des lois à l'UMP, et donc l'Elysée qui est derrière, qui veut mater l'opposition, qui veut au fond faire un exemple. Je trouve que c'est dangereux. Créer les conditions d'une crise politique au moment où le pays traverse une crise économique et sociale, je trouve ça tout à fait irresponsable. Et, moi, je vous dis, pourquoi nous nous battons ? Nous nous battons pour qu'on puisse continuer à faire notre travail de députés, notamment de l'opposition. Je préfère le débat à l'Assemblée nationale que dans la rue. Est-ce que c'est ça que veut le président de la République ? Est-ce qu'il pense que entre lui et le peuple, il n'y a rien ? Est-ce qu'il peut quand même admettre que les contre-pouvoirs - syndicaux, médiatiques... vous voyez la loi sur l'audiovisuel ou encore la justice, et le Parlement - puissent aussi être l'endroit de la démocratie où se confrontent les points de vue des analyses.

Hier, vous n'étiez pas à la séance de « Questions au gouvernement ».

Non, nous avons voulu marquer symboliquement notre désaccord.

Quand reviendrez-vous dans l'hémicycle ?

Eh bien, c'est clair, nous avons...j'ai fait des propositions publiquement à l'Assemblée nationale pour trouver un compromis sur le règlement, le fonctionnement de l'Assemblée. Hier soir, j'ai écrit à F. Fillon pour lui dire « nous sommes prêts à la négociation ». Je l'ai dit au téléphone à B. Accoyer, j'ai dit : « si vous voulez faire des propositions de compromis, vous me les adressez par écrit ». Et je vous indique qu'il m'a écrit hier soir, tard. Nous allons donc étudier ses propositions.

Donc, vos propositions vont être étudiées par le président de l'Assemblée nationale.

Et par nous-mêmes. J'espère que nous allons aussi pouvoir étudier les siennes.

Si vos propositions sont rejetées, que se passe-t-il ?

Je ne peux pas imaginer, je vous le dis, je ne peux pas imaginer qu'elles soient rejetées parce que si elles sont rejetées, on va vers un blocage durable. Je ne veux pas le blocage durable.

C'est-à-dire, blocage durable ? Cela veut dire que vous allez continuer à faire la grève, quoi, en quelque...

... non, on ne fait pas la grève.

Pas la grève, oui !

Ah non, J.-J. Bourdin... Je vais vous dire ce que nous faisons. Nous avons séché, en quelque sorte, la séance des « Questions au gouvernement ». Pendant ce moment-là, nous étions en réunion de groupe. Et de quoi avons-nous parler ? Du prochain projet de loi sur le logement, qui concerne les Français. Donc, on est au travail, on n'est pas en vacances. On est à l'Assemblée nationale ou dans nos...

Ça j'imagine, vous n'allez pas rentrer chez vous.

Oui, oui, je le dis parce qu'on n'est pas payés à rien faire, je tiens quand même à le dire.

Mais J.-M. Ayrault, oui, jusqu'à quand allez-vous vous absenter de l'hémicycle, jusqu'à quand ?

J'attends le geste du président de l'Assemblée nationale. Il a dit qu'il remettrait en place un groupe de travail pour essayer de trouver un compromis.

Aujourd'hui ?

J'espère qu'il sera mis en place la semaine prochaine. Et si son attitude est constructive, ce que j'espère, je lui ai lancé cet appel...

S'il vous annonce aujourd'hui qu'il met en place un groupe de travail, vous revenez dans l'hémicycle ?

Et qu'il examine sans préalable nos propositions.

Alors, quelles sont vos propositions ?

Vous savez que le débat a tourné autour du fameux thème dit de l'obstruction, bon.

C'est vrai que vous avez pratiqué l'obstruction, dites-le J.- M. Ayrault.

Cela nous est arrivé parfois d'en abuser.

Non, non...

... mais attendez, este-ce que je peux vous expliquer un instant ce que nous faisons ?

Oui. Ben, quand vous remettez vingt-deux fois le même amendement, c'est de l'obstruction !

Mais, ce n'est pas de l'obstruction, c'est pour qu'il y ait un débat sur la question que nous posons. Nous ne sommes pas l'opposition de sa majesté qui disait, « ben oui, c'est bien, on n'est pas d'accord, et puis maintenant on passe à autre chose ». Je prends un exemple concret.

Allez !

Le projet de loi sur l'audiovisuel, le pluralisme et l'indépendance de la télévision publique, c'est quand même extrêmement important pour la démocratie, pour les Français, ils veulent avoir confiance dans leur système médiatique. On avait fait croire que ça se résumait à la suppression de la publicité le soir. Et puis, finalement, parce que nous avons fait notre travail avec nos amendements qui font durer le débat un certain temps, nous avons fait comprendre aux Français qu'il y avait autre chose. Autre chose, c'était quoi ? On fait plus de pub le soir à la télé, il manque de l'argent, mais on fait quand même un cadeau pour avoir des plages de publicité supplémentaires à TF1 et à M6. Et puis, alors cerise sur le gâteau, on s'aperçoit que le président de la République maintenant va nommer le patron de la télévision publique et de la radio publique. Alors, on a dit que tout d'un coup les Français se sont dits, « ah bon, c'est ça ! ». Eh bien, si nous n'avions pas eu le temps pour expliquer, eh bien ça ne se serait pas vu. Et vous savez combien de temps ça a duré ce qu'on appelle l'obstruction ? Soixante-dix-sept heures, enfin en gros deux semaines d'un salarié à 35 heures. On a travaillé deux semaines d'un salarié à 35 heures sur le projet de loi audiovisuel. Est-ce que c'est trop pour la démocratie, franchement ?

Enfin, vous avez pratiqué une forme d'obstruction.

Oui, mais c'est notre droit.

Qu'elle soit constructive ou destructrice, c'est une forme d'obstruction.

J.-J. Bourdin...

... oui, c'est votre droit jusqu'à maintenant.

En trente ans, je tiens à le dire parce qu'on donnait l'impression que c'est tous les jours comme ça, en trente ans, droite comme gauche ont utilisé ce moyen pour faire un débat sur les grandes questions. La droite sur les 35 heures, les nationalisations, le PACS. Nous, sur la loi Falloux, nous on vient de le faire sur l'audiovisuel. Eh bien, ça a duré... ça ne fait que dix projets de loi. Ce n'est pas tous les jours, ce n'est pas toutes les semaines !

J.-M. Ayrault, revenons à vos propositions. Vous demandez quoi ?

Nos propositions, ce n'est pas seulement le travail du Parlement, qui est essentiel...

... qu'est-ce que vous demandez ?

Ce que nous demandons c'est qu'il va y avoir un temps limité pour l'examen d'une loi. Par exemple, si on prend la loi sur le logement, on peut tout à fait imaginer que dans le règlement on dise : « bon ben, là, en conférence des présidents, on va mettre un temps qui indiquera qu'on va travailler quinze jours, par exemple, ou trois semaines sur ce projet de loi ». Ce n'est pas considérable. Et ça peut être vrai sur d'autres lois. En moyenne, on passe dix à quinze heures sur un projet de loi, c'est quand même peu. Alors, ce que nous demandons, et ce que je propose, c'est que sur les grands sujets où un groupe parlementaire considère qu'il doit passer suffisamment de temps pour débattre, proposer et éclairer l'opinion, que le président de groupe puisse avoir un droit qui soit limité en nombre dans l'année. J'ai proposé à quatre fois pour que ce temps plus important et pour que sur ces grandes...

... ça veut dire que sur certains textes....

... voilà, c'est ce que je propose.

On peut imaginer quand allonge le temps de la discussion.

Voilà, tout à fait ! Je ne propose rien d'autre.

C'est ce que vous proposez.

Oui, et beaucoup d'observateurs en découvrant cette proposition mardi ont été fort surpris de la brutalité...

... mais elle va être acceptée ou pas, parce que j'ai vu J.-F. Copé, il n'en veut pas.

Il n'en veut pas mais j'ai vu que le président de l'Assemblée nationale...

... lui était...

... j'ai regardé rapidement son courrier tard hier soir, il faisait aussi une ouverture. Et, aussitôt, c'est J.-F. Copé qui le tacle. Donc, c'est aussi un problème.

Qui commande à l'Assemblée ? Je vous pose une question, là, qui commande, J.-F. Copé ou B. Accoyer ?

On peut se poser la question ! Et moi, je voudrais quand même vous dire une chose : les jeux internes à l'UMP, l'arrivée de Monsieur Bertrand qui va peut-être venir contrecarrer la carrière de Monsieur Copé, ça ne m'intéresse pas, et ça n'intéresse pas les Français. Ce qui intéresse les Français aujourd'hui c'est : est-ce qu'on va parler de leurs problèmes. J'ai parlé du logement, mais j'aimerais bien qu'on parle aussi de nos propositions sur le plan de relance. M. Aubry, hier, a fait des propositions.

Pardon, on va en parler, mais J.-M. Ayrault, alors, pardon, pardon, vous provoquez ce clash à l'Assemblée nationale au moment où M. Aubry présente ses propositions et son plan de relance. Vous étouffez le plan de relance de M. Aubry.

Mais non, pas du tout.

C'est-à-dire qu'on n'en parle pas du plan de relance de M. Aubry.

Pas du tout ! D'ailleurs, avec M. Aubry nous étions tout à fait d'accord pour mener cette bataille.

Vous avez un problème de calendrier quand même, non ?

Non, parce que c'est pas nous qui avons choisi la date à laquelle le Gouvernement et la majorité veulent imposer cette réforme...

... vous auriez pu repousser la présentation du plan de relance, ou je ne sais pas, enfin il y a une actualité...Non ?

Attendez, il y a urgence sur le plan de relance. On y a travaillé, le Parti socialiste on dit toujours « il fait pas de proposition », et on en fait. Et moi, je voudrais vous en dire deux mots.

On va y revenir.

Oui, mais c'est important.

Mais on va y revenir.

D'ailleurs, mardi prochain, je vais prendre la parole à l'Assemblée dans le cadre du débat de la motion de censure que nous avons déposée. Je vais prendre la parole au nom des socialistes.

Vous serez là, les socialistes, mardi prochain ?

Bien sûr !

Vous siégerez ?

Bien sûr ! Mardi au moment du débat de censure, je ne me contenterai pas de critiquer le Gouvernement, je présenterai les propositions des socialistes pour la relance, pour sortir de la crise, parce que je considère, nous considérons...

« Aucune grande idée novatrice », c'est pas moi qui l'ai dit, c'est F. Rebsamen.

Oui...

... ben oui, il fait partie du PS !

Les jeux internes des partis, que ce soit l'UMP ou le Parti socialiste, je m'en fiche, ça m'intéresse pas du tout parce que la situation est trop grave.

Je sais, ça vous exaspère même, J.-M. Ayrault.

Mais vous le savez bien, vous me connaissez, J.-J. Bourdin. Je ne vais pas sur ces terrains-là. Moi, ce qui m'intéresse c'est les problèmes. Aujourd'hui, la situation est grave, le chômage remonte, les entreprises sont en grande difficulté, beaucoup de Français ont du mal à boucler leur fin de mois. Donc, nous, nous faisons des propositions. Des propositions qui portent sur le soutien aux entreprises, sur le soutien à l'investissement, notamment des collectivités locales, mais aussi au pouvoir d'achat des plus modestes.

Alors, est-ce que le temps de parole de l'opposition à l'Assemblée nationale c'est une priorité des Français ?

Ce qui est une priorité des Français, c'est qu'il n'y ait pas qu'une seule voix en France, qu'il n'y ait pas qu'une seule réponse, et qu'il n'y ait pas que le président de la République qui dit : « je décide et vous vous exécutez, le Parlement compris ». Nous ne sommes pas l'opposition de sa majesté. Donc, il faut qu'il y ait une voix, il faut qu'il y ait du temps pour l'exprimer pour dire qu'il n'y a pas qu'une solution. Et sur le plan de relance, on nous a dit « il y a le plan de relance du Gouvernement ». Tout le monde dit « c'est insuffisant, il en faut un deuxième ». Eh bien, nous nous sommes là pour dire voilà ce que nous proposons : sur l'investissement, sur le pouvoir d'achat, pour qu'il y ait un plan de relance équilibré, dynamique, massif. 50 milliards d'euros, c'est vrai que c'est important, mais nous faisons des propositions précises.

On y revient sur les propositions, précisément, dans deux minutes.

Oui, mais vous savez, c'est ça le rôle... Le temps de parole à l'Assemblée nationale, c'est pour pouvoir expliquer ce que nous proposons.

Bien, dans deux minutes nous sommes ensemble avec vous, J.- M. Ayrault, pour parler justement de ce point de relance, et puis j'ai d'autres questions sur les banques, sur l'industrie automobile, et sur la défiance qui semble s'amplifier, notamment dans le primaire, la défiance au ministre de l'Education nationale, et la désobéissance civile et pédagogique qui là encore semble se multiplier un peu partout en France. Merci d'être avec nous, sur RMC et BFM TV.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 22 janvier 2009