Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, à France 2 le 28 janvier 2009, sur la grève du 29 janvier, la mobilisation des partenaires sociaux et les aides aux secteurs de l'automobile.

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Média : France 2

Texte intégral


  
 
R. Sicard.- Demain, la plupart des syndicats appelle à la grève. Est-ce que vous avez le sentiment que cette grève sera plus massive, plus importante que les précédentes ?
 
Je le crois. C'est un appel, effectivement, de tous les syndicats, avec une plate-forme très large à propos du contexte économique et social, de la politique économique et sociale du Gouvernement, de l'attitude des entreprises. Alors, beaucoup d'ingrédients sont réunis pour avoir une très forte journée de mobilisation, sans doute plus importante que celle que nous avons plus constater depuis très longtemps, mais en même temps, il faut bien que - et je profite de ces quelques minutes d'antenne pour lancer un appel -, il faut absolument que les salariés, les chômeurs, les précaires, les retraités, qui souffrent aussi dans cette période, n'hésitent pas à participer à cette journée. On voit que le Gouvernement se dit observateur, attentif à ce qui va se passer. Réunir les meilleures chances d'être entendu, demain, va passer par le nombre qui vont se manifester dans les rues, dans les arrêts de travail, certains une heure, d'autres une demi-journée, parfois toute la journée, mais aussi des manifestations. Donc, vraiment, j'appelle le plus grand nombre à participer à la journée de demain.
 
N. Sarkozy avait dit une fois que "les grèves en France, ça ne se voyait pas". Là, vous pensez que ça va se voir ?
 
C'est sans doute une déclaration un peu rapide, et malheureusement pour lui, je pense que demain, ça représentera une partie de démenti à cette affirmation, qui avait été proclamée à l'occasion d'un meeting politique, réunissant des militants de l'UMP. C'était, je crois, une formule un peu facile pour obtenir un succès immédiat. Mais lorsqu'on est chef d'Etat, il faut aussi faire attention à la portée de certaines de ses déclarations à plus long terme.
 
La grève va toucher le secteur public, bien sûr, mais elle va toucher aussi le secteur privé...
 
L'ensemble des secteurs professionnels va être mobilisé demain, en témoigne la multiplication du nombre d'appels aux manifestations et aux arrêts de travail, dans des secteurs très divers, le secteur bancaire, dans la chimie, dans l'industrie automobile, dans la métallurgie plus largement, dans le commerce. On va s'apercevoir demain que c'est un mouvement réellement interprofessionnel. C'était l'objectif recherché par les organisations syndicales, avec, vous l'avez sans doute constaté, plusieurs enquêtes d'opinion qui montrent un soutien, une compréhension, l'affirmation d'une participation à un niveau très important, de l'ordre de 70 % des Français qui comprennent, partagent, voire soutiennent ce mouvement. Ce qui nous fait dire que le Gouvernement doit prendre la mesure de ce qui va se passer demain. Il ne peut pas considérer que c'est uniquement un mauvais moment à passer ou une angoisse qu'il est légitime d'exprimer, sans que cela ait de répercussions sur la manière dont le Gouvernement raisonne face à cette crise économique et sociale.
 
Mais le Gouvernement répond qu'il a déjà répondu à cette préoccupation, avec le plan de relance de 26 milliards d'euros.
 
Alors, qu'est-ce qui va expliquer que demain, il y aura des centaines de milliers de salariés, de retraités, de jeunes, de précaires, qui sont dans la rue, s'ils avaient le sentiment que le Gouvernement prenne en compte la dégradation de la situation sociale des salariés ? Nous l'avons dit, ça fait partie des mots d'ordre de demain, les salariés ne sont en rien responsables de cette crise économique et financière, par contre ils constatent qu'ils en sont les premières victimes. Et il n'y a pas d'action politique au niveau gouvernemental, susceptible de modifier cette situation et il n'y a pas non plus de décision à l'intérieur des entreprises, qui nous montre que l'on fonctionne sur des paramètres différents. On continue par exemple de supprimer de l'emploi, de licencier, dans des entreprises qui ne sont pas en santé financière menaçante. On va avoir des secteurs qui ont été aidés par les pouvoirs publics, qui vont afficher des résultats financiers dans leur bilan, qui vont afficher encore plusieurs milliards d'euros, dans le même temps où elles licencient ou mettent au chômage technique ces salariés !
 
Mais par exemple, dans le secteur de l'automobile, le Gouvernement a donné des aides en disant : il y a une condition, c'est qu'il n'y ait pas de délocalisation.
 
Oui, mais il est possible, donc, que des entreprises décident de délocaliser, en tournant le dos aux aides publiques, qu'en même temps certains des constructeurs... Moi, j'ai demandé au président de la République qu'avant l'annonce d'un plan précis d'aide au secteur automobile, les organisations syndicales puissent se prononcer. Parce que s'il s'agit d'injecter de l'argent public, comme ça peut être le cas aujourd'hui, si rien ne change, simplement pour maintenir le montant des dividendes à reverser aux actionnaires, autant que les contribuables fassent directement des chèques aux actionnaires de ces entreprises. Renault, par exemple, va augmenter les dividendes à ses actionnaires de 200 millions d'euros, alors qu'elle a mis, dans le même temps, au chômage technique, plusieurs semaines, des milliers de salariés. Donc, cet argent public, il a quelle destination ? Ce ne peut pas être simplement pour que les entreprises continuent à fonctionner sur les mêmes bases qu'auparavant. Peu importe les conséquences sociales, en termes d'emploi ou de pouvoir d'achat pour les salariés.
 
Vous, justement, ce que vous réclamez dans la journée de demain, c'est une relance du pouvoir d'achat, une relance par la consommation.
 
Notamment. Notamment, ce sont des actions publiques...
 
Sur le SMIC, par exemple, vous réclamez combien ?
 
La revalorisation du Smic, ce n'est pas nouveau. Avant l'été, nous avons dit que pour ce qui nous concerne...
 
Mais combien ? Quel niveau ?
 
...Le Smic devait être revalorisé à hauteur de 1.600 euros. C'est une progression significative...
 
Ça veut dire 400 euros de plus ?
 
Ça veut dire une augmentation très sensible, c'est vrai, mais c'est aussi une négociation sur l'ensemble des salaires. Ça fait 25 ans - 25 ans ! - que l'on nous explique, dans la mécanique économique, qu'il faut que les salariés acceptent de se serrer la ceinture. Ça n'est jamais le moment de négocier de l'évolution des salaires. Or, justement, on est...
 
Et là, en pleine crise mondiale, c'est le moment ?
 
Mais c'est le coeur du problème, c'est le coeur du problème ! Si nous avons eu une action en octobre, avec des syndicats de 130 pays, coordonnés, pour militer en faveur du travail décent, c'était bien aussi pour dénoncer une mondialisation qui se caractérise par une volonté de mettre en concurrence des salariés à l'échelle internationale, y compris à l'échelle européenne, en faisant appel au moins disant social. Aujourd'hui, on explique que l'on ferme des entreprises, en France - le cas de Molex, sous-traitant de l'industrie automobile - au motif qu'il y a, en Europe, des pays où les ingénieurs sont payés 250 euros par mois. C'est donc ce système-là qu'il faut revoir. Et la manière de le revoir, de sortir de cette crise, c'est d'accepter de reconnaître que la plus grosse valeur à rémunérer, c'est la valeur travail, c'est le travail salarié. Et c'est ce qui va expliquer qu'il y a aussi beaucoup de monde dans la rue demain. Il ne suffit pas d'avoir un discours sur la valeur travail, il faut des actes et donc des négociations salariales.
 
On disait qu'il y aurait de grosses perturbations dans les transports, ça relance le débat sur le service public, et il y a une cinquantaine de députés UMP qui proposent que les préfets puissent réquisitionner des agents de la SNCF. Comment vous réagissez à cette proposition ?
 
Je pense que, de manière assez classique, confronté à une critique très large des salariés, sur la politique économique et sociale qui est mise en oeuvre aujourd'hui, une partie de la majorité s'efforce de détourner le débat et aimerait bien que l'on discute surtout du droit de grève, voire des nouveaux instrument à mettre en oeuvre, pour que l'on s'éloigne du problème qui est posé dans la journée de demain. Le sujet, demain, c'est principalement l'appréciation de la situation économique et sociale et les mesures qui doivent être prises en urgence dans notre pays.
 
Je reviens quand même sur le service minimum. Le porte-parole de l'UMP propose par exemple des sanctions, dans certains cas, pour les grévistes.
 
Oui, mais monsieur Lefebvre, puisque je crois comprendre...
 
...C'est de lui dont il s'agit.
 
... Que c'est de lui dont vous parlez, a une espèce de mission permanente qui est d'être un peu le, comment dire, "l'illuminé en permanence", pour provoquer les interlocuteurs, les responsables syndicaux. Bon, si la seule réponse politique de la majorité, ça devait être de tenter de réprimer les responsables syndicaux, parce qu'il y a un mouvement qui a le soutien de 70 % de la population, ça nous prépare de beaux jours. Mais je ne peux pas croire qu'avec une telle mobilisation, ce soit la seule réponse politique à ce qui va se passer demain.
 
Et sur les grèves de 59 minutes qui ne pénalisent pas vraiment financièrement les salariés, mais qui perturbent le service. Quelle est votre position ?
 
Ça, c'est la législation. C'est la législation !
 
Il faut la changer ou pas ?
 
Attendez, il y a déjà eu une majorité qui a fait une loi pour modifier les conditions d'exercice du droit de grève. Alors, ça n'est pas parce que le discours politique, à l'époque, a laissé croire aux Français qu'il allait y avoir un service minimum, alors que demain, dans certaines situations, s'il y a beaucoup de grévistes, avec les textes actuels, il n'y a pas d'activité de service public, comme dans le privé, s'il y a beaucoup de grévistes, il n'y a pas d'activité productive. Donc, on a laissé entendre aux citoyens que l'on avait fait une réforme qui allait résoudre les situations en cas de grève, que les grèves allaient être incolores, inodores, que l'on allait plus les voir et en subir les conséquences. Dans les faits, ce n'est pas le cas. Mais là, ce sont les responsables politiques de l'époque, qui ont laissé croire que les textes qu'ils adoptaient, allaient répondre à certaines attentes. Et encore une fois, on constatera demain que la grève dans notre pays, c'est encore quelque chose de très visible et dont il faut tenir compte.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 28 janvier 2009