Tribune de M. Bruno Le Maire, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, dans "Libération" du 28 janvier 2009, sur les défis de la construction européenne, intitulée "Les vingt-sept en ordre de marche".

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Le rêve est de retour en Amérique. Avec les années Bush disparaît le temps des certitudes hasardeuses et de la peur. Une nouvelle relation transatlantique est possible. Barack Obama amène avec lui un enthousiasme qui a toujours fait la vitalité de la nation américaine.
Et en Europe ?
Nous venons de connaître un grand moment européen. Depuis quelques mois, sous l'impulsion du président de la République, nous avons montré que l'Europe pouvait agir autrement : au lieu de la résignation face à la violence dans le monde, l'engagement et la décision ont amené la paix en Géorgie et le cessez-le-feu à gaza. Au lieu de l'impuissance face à la crise économique et financière, une réponse forte, coordonnée, affranchie des dogmes a permis d'éviter les faillites bancaires et la ruine des épargnants. L'Europe a su se placer à la hauteur de ses responsabilités internationales : elle a été la première à réagir face au réchauffement climatique ; elle ne cesse de défendre la création d'un Etat palestinien viable aux côtés d'Israël ; elle est présente en Afghanistan.
Contrairement aux idées reçues, l'Europe participe à la construction d'un nouvel ordre mondial. Elle en a la volonté, dans le cadre d'un partenariat transatlantique rénové proposé par Bernard Kouchner. Alors, quelles étapes lui reste-t-il encore à franchir pour s'imposer définitivement comme un continent politique, un continent qui pèse sur les affaires du monde et que l'Amérique respectera ?
L'Union européenne doit d'abord régler la question préalable de ses instructions. Une amélioration de l'organisation des pouvoirs est nécessaire pour rendre l'Union élargie plus efficace et plus démocratique.
Le Traité de Lisbonne prévoit ces progrès. Sa ratification en 2009 par l'ensemble des Etats membres sera donc un enjeu majeur, faute de quoi de nouveaux élargissement ne seront pas envisageables. Ce traité donne aussi à l'Union une vraie capacité de décision et un poids politique réel grâce à des institutions prises comme un tout légitime et cohérent : Parlement, Conseil européen, Commission. Il lui donne aussi des visages, avec le président stable du Conseil européen et le Haut Représentant.
Le renforcement institutionnel est indispensable à l'Europe, mais il ne sera pas suffisant. Pour peser sur les affaires du monde, l'Union devra relever deux autres défis.
Le premier est politique. La réalité des rapports de puissance dans le monde ne laisse pas d'autre choix aux Européens que de constituer un front commun pour défendre efficacement leurs intérêts et leurs valeurs et pour travailler sur un pied d'égalité avec le nouvelle administration américaine. Réchauffement climatique, stratégies civiles et militaires en Afghanistan, menace nucléaire iranienne, nouvelle régulation financière : les sujets ne manquent pas. Face à la crise, il est urgent de faire preuve d'audace et d'imagination sur la sécurité énergétique et la politique industrielle : c'est le sens de ce que nous avons engagé pour défendre l'industrie automobile européenne. Pour trouver des compromis, les Européens ont besoin de placer leur dialogue au niveau politique. De cette façon, nous garantirons l'unité sans faille des Etats membres, comme l'a prouvé avec succès la Présidence française de l'Union européenne. Et surtout, nous répondrons aux attentes concrètes de nos concitoyens.
Le second défi, encore plus fondamental, est culturel. Il appelle un nouveau regard de l'Europe sur elle-même. Notre mémoire collective s'est construite sur le refus de la guerre, la volonté forcenée d'assurer la paix par le règne du droit, le refus du totalitarisme. A Prague, comme à Bratislava, j'ai pu mesurer combien le rejet des années de plomb du communisme restait vivace et pouvait orienter les choix de politique étrangère. Nous devons compter avec cette réalité. Mais nous devons aussi compter avec le monde neuf qui émerge et donc les évolutions concernent directement nos concitoyens : les choix en Russie, la poussée du Brésil, de l'Inde et de la Chine, les changements rapides des pays de la Méditerranée, le poids du monde musulman, le développement de l'Afrique, autant d'évolutions géopolitiques que l'Europe devra toujours prendre davantage en considération. Notre regard sur nous-mêmes ne peut rester figé. Il doit intégrer et comprendre les bouleversements en cours qui défont les hiérarchies mondiales et engagent l'avenir. C'est à cette dernière condition que l'Europe retrouvera le chemin de l'Histoire, sur lequel l'Amérique vient de s'engager.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 janvier 2009