Interview de M. Bruno Le Maire, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, à France Info le 11 février 2009, notamment sur l'aide de la France à son industrie automobile et l'Union européenne.

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Média : France Info

Texte intégral

R. Duchemin.- La France est sous le feu des critiques après la présentation de son plan d'aides au secteur automobile ; 6 milliards d'euros vont être prêtés à Renault et PSA. Mais cette enveloppe est conditionnée - et c'est ce qui pose problème - à l'engagement des constructeurs de ne pas délocaliser leurs usines pendant cinq ans. C'est du protectionnisme ?
 
Non, ce n'est pas du protectionnisme. Le protectionnisme c'est très simple, c'est lorsque l'on prend des mesures fiscales, réglementaires, pour interdire à des pays avec lesquels on commerce de vendre leurs produits en France. Aucune des mesures qui a été prises par le Premier ministre et par le Gouvernement ne répond à cette définition. Ce n'est pas du protectionnisme, c'est la défense de notre industrie, et c'est la défense de nos emplois. Je crois que c'est bien le moins qu'on puisse attendre, face à la crise, du Gouvernement et du Premier ministre. Par ailleurs, je précise que tous les pays européens aujourd'hui face à la crise prennent exactement le même genre de mesures pour éviter que l'emploi se retrouve dans une situation dramatique, ou que leur industrie s'affaiblisse de manière trop importante. Donc, je crois que les critiques sont exagérées et qu'il faut surtout garder son sang-froid et regarder ensemble comment est-ce que l'on peut avancer.
 
C'est la République tchèque, qui préside l'Union européenne en ce moment, qui vous accuse de protectionnisme. En Allemagne, les industriels se disent alarmés, la Commission européenne préoccupée. C'est donc injustifié, selon vous ?
 
Non seulement c'est injustifié, et puis le crois qu'il faut que l'on regarde aussi les critiques dans leur ensemble. J'ai vu que P. Steinbrück, qui est membre de la Commission européenne, a dit qu'il comprenait les mesures qui avaient été prises par les Français, et qu'il comprenait très bien que les Français défendent leur emploi et leur industrie. J'ai vu aussi samedi à Munich, les entretiens entre N. Sarkozy et A. Merkel, qui étaient des entretiens très constructifs, à la suite desquels ils ont envoyé une lettre réclamant davantage de coordination des politiques économiques européennes. Et je crois qu'entre la France et l'Allemagne, au plus haut niveau de l'Etat, il n'y a absolument aucune difficulté. J'ai écouté aussi les déclarations de W. Steinmeier, le ministre des Affaires étrangères allemand, qui dit, je vais le citer en allemand puisque c'est une langue que j'aime, qui dit : (en allemand, puis traduction) "Nous nous battrons pour chaque emploi !". Et je crois que c'est exactement ce que nous faisons aussi, nous nous battons pour chaque emploi. Alors, qu'il y ait besoin ensuite d'explications, que l'on présente notre plan, que l'on explique ce que nous voulons faire et quelles sont exactement les mesures que prenons, ça c'est normal. Et nous allons le faire ; F. Fillon sera demain à Bruxelles, il rencontrera le président de la Commission européenne, M. Barroso ; je serai lundi et mardi avec P. Devedjian dans un certain nombre de pays européens, et notamment à Prague, pour expliquer nos mesures. L. Chatel a pris naturellement des contacts avec la Commission, notamment avec N. Kroës pour expliquer nos mesures. Je l'ai fait également par téléphone. Donc, ce travail d'explication et de concertation avec nos partenaires nous allons le faire. Et je précise que la France est le pays qui pousse le plus précisément à la coordination des plans de relance et la coordination des politiques économiques aujourd'hui.
 
Mais si Bruxelles considère que votre plan d'aides est trop protecteur, voire protectionniste, que va-t-il se passer ? Est-ce que l'aide à la filière automobile sera maintenue mais sans contreparties ?
 
Cette aide est indispensable. Je crois qu'il faut quand même que l'on regarde la situation telle qu'elle est aujourd'hui et qu'on arrête de faire des critiques ici ou là parce que ce n'est pas du tout l'enjeu, ce n'est pas du tout la réponse à la crise actuelle. Il me semble que les pays européens seraient avisés de travailler ensemble, de se concerter, de regarder ce qu'ils peuvent faire ensemble plutôt que de céder à la tentation de la critique. Si on regarde les choses à une échelle un peu plus vaste, que voit-on ? On voit des Américains qui décident d'apporter 25 milliards de dollars d'aides directes à General Motors pour sauver l'industrie automobile américaine. Nous, qu'est-ce que nous faisons ? Nous apportons 6 milliards d'euros de prêts à Renault et à Peugeot. Des prêts, pas des aides directes. Donc, je crois qu'il faut garder la mesure de ce qui est décidé. Par ailleurs, je précise que Renault et Peugeot, c'est des dizaines de milliers d'emplois en France naturellement, mais c'est aussi des dizaines de milliers d'emplois en République tchèque, en Slovaquie, en Espagne, en Grande-Bretagne. Alors qu'est-ce que l'on veut ? Parce que je crois que c'est quand même la question qu'il faut se poser. Est-ce que l'on veut que ces entreprises connaissent des difficultés telles qu'elles soient obligées de supprimer des emplois non seulement en France mais dans le reste de l'Europe ? Ou est-ce que l'on veut garder les compétences, garder les industries, garder les salariés, non seulement en France mais aussi dans le reste des pays européens ? Il me semble que la deuxième solution, qui est celle qui a été choisie par le président de la République, par le Premier ministre et par l'ensemble du Gouvernement est la bonne solution, et la seule qui est défendable en face des salariés.
 
Mais la question c'est de savoir si cette mesure d'imposer à Renault et à PSA de rester en France est, oui ou non, illégale en regard du droit communautaire ?
 
Elle n'est pas illégale en regard du droit communautaire...
 
Ça fausse la concurrence, disent vos détracteurs.
 
Je trouve toujours surprenant qu'en période de crise aussi forte que celle que nous connaissons, alors que beaucoup de règles n'ont pas été respectées ou n'ont pas pu être respectées, alors que les marchés ont failli, on nous dise : les règles du marché sont les seules règles qu'il faut respecter, ce sont des règles impératives. Je crois qu'il faut quand même faire très attention. Si les marchés avaient si bien fonctionné que cela, les marchés, notamment le système bancaire, le système financier, auraient continué à approvisionner Renault et Peugeot en liquidités dont ils ont absolument besoin. Or ce n'est pas le cas. Si les banques, si le marché, fonctionnaient si bien que cela, ils auraient les financements dont ils ont besoin, et l'Etat n'aurait pas besoin d'intervenir. Mais il se trouve que ça n'est pas le cas. Ces entreprises ont besoin de liquidités, l'Etat apporte dans des conditions qui me semblent tout à fait justes des liquidités dont ils ont besoin pour poursuivre leurs activités, pour garder la compétence industrielle, pour sauver des emplois, ça me paraît la seule décision raisonnable aujourd'hui.
 
Cela fait maintenant deux mois que vous êtes au Gouvernement, vous avez succédé à J.-P. Jouyet au poste de secrétaire d'Etat aux Affaires européennes. Comment vous sentez-vous à ce poste, et plus généralement au Gouvernement ?
 
Je me sens très bien. Si je ne me sentais pas bien, je serais ailleurs ; je trouve que c'est un défi absolument formidable. On a une année 2009 qui doit être une grande année européenne, où en même temps on est confrontés aux défis d'une crise économique et d'une crise financière sans précédent. Mon souci numéro 1, c'est de faire en sorte que l'Europe soit une réponse à la crise. Et pour qu'elle soit une réponse à la crise, je pense précisément qu'il faut éviter de céder à la tentation de ces petites critiques ici ou là, et qu'il faut nous rassembler, il faut qu'on soit unis face à la crise. Il faut qu'on regarde ce que nous avons décidé en matière de plan de relance pour mieux coordonner nos plans de relance. Il faut que l'on apprenne à avoir une politique économique coordonnée en plus de la politique monétaire intégrée que nous avons déjà. C'est tous ces travaux-là qu'il faut lancer, je le ferai avec le plus d'enthousiasme et d'énergie possibles, parce que je crois que nous n'avons pas une minute à perdre. La coordination des politiques économiques, le rassemblement de tous les Européens pour faire face à la crise économique et financière, c'est une urgence absolue.
 
Les enseignants-chercheurs dans la rue hier ; les Antilles en grève générale contre la vie chère ; une nouvelle journée d'action sur l'emploi et le pouvoir d'achat en mars. Période de grosses turbulences pour l'exécutif. Vous craignez une explosion sociale ?
 
Je crois que tout notre travail doit être justement d'apporter les réponses les réponses à ces difficultés. Je suis élu en Normandie ; j'étais la semaine dernière sur le site de Glaxo-Smith-Kline à Evreux, entreprise pharmaceutique qui a annoncé qu'elle supprimait 800 emplois sur 1.500 à Evreux. J'ai rencontré les salariés pour essayer de trouver avec eux des solutions. Comment on pouvait garantir la pérennité du site, comment on pouvait avoir un plan social qui soit le plus généreux possible pour les salariés, comment on pouvait faire pour minimiser l'impact de ces décisions ? Je crois qu'à l'échelle nationale, c'est tout ce que veulent faire aujourd'hui le Gouvernement et le président de la République. C'est apporter des solutions à la crise. Qu'il y ait des inquiétudes, je le comprends parfaitement. Quand vous discutez avec des salariés, des mères de famille, des femmes isolées, des gens qui ont peu de qualification, à qui on dit du jour au lendemain : "vous n'avez plus d'emploi, vous allez devoir vous débrouiller autrement", cela crée une tension sociale et une inquiétude très profondes. À nous au Gouvernement d'y répondre de la manière la plus constructive possible, avec le plus de volonté possible. Je crois c'est notre seule tâche aujourd'hui.
 
Rapidement, un dernier mot, cette tendance à nommer des médiateurs, deux avec J. Jégo, une avec V. Pécresse, les ministres ne s'en sortent pas tout seuls ?
 
Je crois que tout ce qui permet d'expliquer ce que nous voulons faire et... d'apaiser...
 
C'est de la pédagogie...
 
... faire de la pédagogie, et surtout apaiser, parce que dans les périodes que nous traversons, il est normal que les gens soient tendus, qu'il y ait des véritables inquiétudes. S'il y a des médiateurs qui permettent de déminer des choses, d'expliquer ce que nous voulons faire, et de continuer à avancer, ça me paraît une très bonne solution.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 12 février 2009