Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, lors de la conférence de presse conjointe avec son homologue norvégien, M. Jonas Gahr Stoere, la commissaire européenne aux relations extérieures, Mme Benita Ferrero-Waldner, et le représentant spécial du Quartet pour le Proche-Orient, Tony Blair, sur l'urgence d'un cessez-le-feu dans la bande de Gaza, le financement de la reconstruction et du futur Etat palestinien, Paris le 15 janvier 2009.

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Circonstance : Quatrième réunion du suivi de la conférence internationale des donateurs pour l'Etat palestinien, à Paris le 15 Janvier 2009

Texte intégral

Bonsoir Mesdames et Messieurs,
Merci d'avoir attendu. Ce fut donc la quatrième réunion du suivi de la Conférence de Paris, avec le Premier ministre Tony Blair, représentant du Quartet, Mme Benita Ferrero-Waldner, représentante de la Commission européenne et M. Jonas Stoere, ministre des Affaires étrangères de Norvège, et moi-même.
Nous avons beaucoup travaillé, les uns et les autres, depuis le début de la crise, de la tragédie de Gaza. Nous allons vous présenter tout cela. Je voudrais souligner trois points avant de répondre à vos questions.
Tout d'abord, ce qui s'est passé cette nuit, à Gaza, est inacceptable. Nous condamnons tous très fermement les bombardements qui ont eu lieu sur les hôpitaux, sur le siège de l'UNWRA et sur la maison qui abritait les journalistes. Cette violation du droit international, du droit humanitaire, est inacceptable. Nous avons décidé de réfléchir de la façon la plus pertinente et directe et nous verrons comment cela se traduira à propos des violations constantes du droit humanitaire, pas seulement à Gaza, pas seulement en Israël, mais dans d'autres endroits du monde très récemment encore. Je répète que nous avons été le plus actif possible pour obtenir un cessez-le-feu, depuis le 27 décembre, depuis le premier jour, et que ce qui s'est passé cette nuit n'est pas supportable.
Deuxième point, la nécessité évidente d'obtenir un cessez-le-feu le plus vite possible. C'est-à-dire, peut-être, ce soir ou demain. Nous avons vu se dessiner, les uns et les autres, les contours de ce cessez-le-feu. Nous y avons tous travaillé. Il nous semble, à propos de la proposition remise au gouvernement israélien par M. Amos Gilad, à l'occasion de sa visite aujourd'hui au Caire, et qui est en discussion actuellement, qu'il y a quelques chances que cela se traduise par un cessez-le-feu. Ce cessez-le-feu est espéré et exigé le plus vite possible, conformément à la résolution 1860 qui a été voté le 8 janvier par le Conseil de sécurité des Nations unies.
Troisième point, nous avons décidé de répondre le plus vite possible, quelles que soient les perspectives immédiates, à l'urgence humanitaire à Gaza. Ce sera évidemment fait en fonction du cessez-le-feu, mais nous sommes décidés, les uns et les autres, à nous réunir et à proposer, non seulement les sommes nécessaires mais également les moyens pour accéder, au plus vite et de la façon la plus impartiale, aux populations.
Je voudrais, par ailleurs, vous dire que la Conférence de Paris a été, je le crois, un succès politique puisqu'il s'agissait de la création de l'Etat palestinien et de l'aide à la structure de cet Etat palestinien. Nous avons été très heureux d'observer combien les moyens budgétaires pour l'Etat palestinien et pour les projets de développement avaient été très bien contrôlés. Nous sommes également prêts à répondre à vos questions sur l'utilisation de ces crédits et aussi sur la nécessité de trouver des ressources pour le prochain budget, pour 2009. Il y a encore de l'argent disponible pour les projets mais nous devons attirer l'attention de tous sur les besoins du budget palestinien. Ce n'est pas parce que la crise de Gaza a été aussi terrible qu'il ne faut pas espérer la seule solution politique viable de notre point de vue, c'est-à-dire la création d'un Etat palestinien vivant côte à côte avec l'Etat d'Israël. Evidemment, depuis le début, nous avons inclus Gaza dans les projets de développement : au moins la moitié de l'argent a été dépensé pour Gaza et nous continuerons, bien sûr, de le faire.
Voilà, Mesdames et Messieurs, Nous sommes tout à fait prêts, M. Tony Blair, Mme Benita Ferrero-Waldner, M. Jonas Stoere, et moi-même à répondre à vos questions.
Q - A propos de la destruction, notamment de l'aéroport, à quelle condition pensez-vous que l'Union européenne peut devenir non seulement un payeur mais aussi un acteur dans la région ?
R - Je résume parce que nous venons de recevoir une dépêche du Secrétaire général des Nations unies, qui dit qu'il faudra encore, peut-être, quelques jours pour une trêve à Gaza. Il travaille dans le sens que vient d'indiquer Benita, c'est-à-dire l'application de la résolution 1860.
A propos du partenariat avec l'Union européenne, on peut parler de que l'on a appelé le "upgrading", le partenariat privilégié... C'est une longue démarche de l'Union européenne que nous avons proposé aux Israéliens et aux Palestiniens, malgré le fait qu'ils n'ont pas encore d'Etat. Nous avons fait la proposition et il y aura un vote du Parlement européen. Il s'agit d'une décision qui avait été prise en 2005 par la Présidence allemande. La Présidence slovène y avait ensuite travaillé, et puis nous nous sommes trouvé devant une décision politique : qu'est-ce que c'est que ce partenariat privilégié ? C'est un sommet par an. Nous avons proposé la même chose aux Israéliens et aux Palestiniens.
Je voudrais ajouter que le 27 décembre, c'était le début de la guerre. Le 30 décembre, ici même, dans cette salle, il y a eu une réunion des 27 pays de l'Union européenne pour adopter une déclaration dans laquelle était présentée, précisément, les termes du règlement du conflit : le cessez-le-feu immédiat, le plus durable possible, etc... Ensuite, les 3, 4 et 5 janvier, il y a eu le déplacement de la troïka dans la région, Benita vient de le dire, sous Présidence tchèque, avec ma participation - ce qui était d'ailleurs inédit, parce que la présidence précédente n'est jamais représentée dans cette troïka -, le président Sarkozy visitant tous les pays et, le 8 janvier, la résolution du Conseil de sécurité. Nous sommes allés très vite. Nous travaillons encore sur l'application de la résolution 1860.
Q - (à propos du cessez-le-feu)
R - Nous avons tous besoin d'un cessez-le-feu, surtout la population de Gaza. Nous devons soutenir tous les efforts dans ce sens. Il n'y a pas de dialogue entre Israël et le Hamas mais il y a une proposition, issue des discussions entre les Israéliens et les Egyptiens et des efforts de la communauté internationale, qui est actuellement soumise à l'étude des autorités israéliennes. Il est aussi nécessaire qu'il y ait une réconciliation des différentes factions palestiniennes.
Mais, avant tout, il faut un cessez-le-feu.
Q - Quel est le plan que vous suivez pour un cessez-le-feu à Gaza ? Quels sont les mécanismes ? Restez-vous limités à l'initiative égyptienne ou avez-vous votre action sur d'autres axes que l'initiative égyptienne ?
R - Il y a eu une pression constante, permanente de la part de chacun d'entre nous. Tout d'abord, il fallait s'adresser aux interlocuteurs de toute la région : il y a eu l'Egypte, Israël, les Territoires palestiniens - c'est-à-dire Ramallah -, la Syrie, le Liban et encore une fois l'Egypte. La France l'a fait, tout comme d'autres pays. Le président Sarkozy l'a fait le premier parce que c'était l'urgence. Nous avons parlé avec tous les interlocuteurs et nous continuons de le faire.
L'exigence d'un cessez-le-feu est une exigence, une urgence humaine vitale. C'est l'urgence quotidienne pour que les gens ne meurent pas, pour qu'ils ne meurent pas de faim, pour qu'ils aient de l'eau, pour qu'il n'y ait pas d'épidémies, etc. Nous avons travaillé dans ce sens.
Je crois que Tony Blair a très bien répondu à votre question. Il faut une solution politique, c'est-à-dire un retour au dialogue pour que cet Etat palestinien, Jonas vient de le dire, soit véritablement constitué. Je reviens encore une fois sur le titre de la Conférence de Paris : ce n'était pas "pour l'existence d'un Etat palestinien", c'était "pour l'Etat palestinien", comme s'il existait déjà.
La réconciliation sera-t-elle longue et difficile, ou bien sera-t-elle surprenante et courte ? Je n'en sais rien, mais nous faisons tout pour que la réconciliation ait lieu. C'est nécessaire et indispensable.
Q - Vous avez parlé dans votre introduction du plan Gilad, du projet Gilad. Je voudrais savoir si vous connaissez les points d'achoppement les plus difficiles sur ce plan ?
D'autre part, est-il exact qu'il existe aussi une idée selon laquelle il y aurait un cessez-le-feu jusqu'au 20 janvier pour permettre l'élection en toute tranquillité ?
R - L'élection est faite. Le 20 janvier, ce sera l'investiture de M. Obama.
(...)
R - Vous ne voulez pas en parler parce que c'est passé et que cela vous intéresse un peu moins, mais je vous rappelle que les résultats de la Conférence de Paris, non seulement en Cisjordanie mais à Gaza, furent tout à faire décisifs. Cela n'a pas empêché la guerre parce qu'il y avait un problème politique, parce qu'il y avait le Hamas et que les deux factions palestiniennes se sont battues.
Mais je le souligne, il y a eu des efforts palestiniens faits sous la direction du Premier ministre, Salam Fayyad. Il y a eu des succès considérables - allez-y, vous verrez -, pas simplement sur la sécurité. Je vous rappelle que sur le plan politique, il y a eu en effet des manifestations en Cisjordanie, mais il n'y a pas eu de révoltes. Il y a une prise de conscience politique exceptionnelle.
Q - Une fois que la priorité du cessez-le-feu aura été atteinte, rapidement espère-t-on, viendra le temps de la reconstruction. Avez-vous discuté ce soir de la forme que pourrait prendre ce processus ? Monsieur Kouchner, que pensez-vous par exemple de la proposition de la Présidence tchèque de réunir une conférence de donateurs dédiée à la reconstruction de Gaza ? Je voudrais aussi vous demander, aussi utopique que soit la question à ce stade : est-ce qu'Israël doit ou peut être associée, doit contribuer à ce processus ? En d'autres termes, pensez-vous qu'Israël doive payer pour les destructions qu'elle a provoquées ?
R - Il y a une question politique et puis il y a une question technique, d'urgence et d'intervention humanitaire.
C'est la première des choses dont nous avons parlé, même si la reconstruction a été très largement abordée, même si nous sommes conscients que la reconstruction doit être faite. Il doit y avoir dans la région une conférence pour l'aide d'urgence. Mais ce n'est pas seulement une conférence qu'il faut, c'est un système de distribution de l'aide d'urgence, dont nous avons parlé, qui passera probablement et forcément par l'UNRWA, l'Agence des Nations unies, et par d'autres agences des Nations unies, ainsi que par les collaborateurs habituels de l'UNRWA, c'est-à-dire le CICR, les grandes ONG, etc. Cela, nous devons le faire tout de suite et nous sommes d'accord.
Pour le reste, bien sûr, le problème de la reconstruction a été abordé ; nous en tenons compte. Je pense qu'il y aura non seulement une réflexion mais aussi, encore une fois, un appel qui sera lancé. C'est un petit peu prématuré. Doit-on mélanger les deux choses ? On ne doit pas les séparer, car c'est une façon de commencer à aider les gens qui en ont besoin. L'eau potable, par exemple, c'est évident, doit être distribuée et il va falloir faire des travaux qui, déjà, sont des travaux de reconstruction. Il faut aussi un accès à la nourriture, aux soins médicaux... Ceci entraînera nécessairement une reconstruction, sur laquelle nos amis peuvent s'exprimer.
(...)
Q - Puisqu'on voit à quel point c'est au coeur de bien des difficultés, l'Administration Obama va-t-elle se saisir en priorité du processus de paix israélo-palestinien ?
R - Je ne peux pas répondre à la place du président Obama.
Q - C'est une question qui s'adresse à vous tous...
R - Eh bien, on va faire une réponse unanime ! oui. Il est évidemment que nous devons revenir au processus politique, sinon nous ne pouvons rien faire, comme l'a très bien dit Tony Blair. Que voulez-vous faire ? Si le président Obama choisit une autre voie que ce que nous avons suivi depuis Annapolis, c'est son affaire, mais ce sera, de toute façon, la nécessité de retourner à un consensus politique qui passe par la réconciliation. N'oubliez pas que l'Autorité palestinienne, le président élu ne parlait pas au Hamas. On nous dit que nous devons parler au Hamas, mais il y a des gens qui leur parlent. C'est le problème avant tout des Palestiniens. C'est évident qu'il faut revenir au processus politique, au dialogue et à la construction impérative d'un Etat palestinien.
Cela veut dire que l'on se prononce tous, les uns et les autres, contre les colonisations israéliennes. Nous l'avons fait. Mais, malgré les obstacles, il faut continuer, continuer, continuer et faire naître cet Etat palestinien, ce qui nécessite une gouvernance - le mot est très vague -, mais une gouvernance politique palestinienne. Il faut donc qu'il y ait une réconciliation, nous travaillons à cela.
(...)
Q - Permettez-moi de revenir sur le cessez-le-feu, c'est l'urgence pour le moment. On apprécie l'aide de l'Europe, mais Israël n'a pas entendu la voix de l'Europe quand elle a demandé le cessez-le-feu... En tout cas, elle n'a pas accepté la résolution des Nations unies. Israël n'a pas entendu la voix de l'Europe. Israël continue dans cette guerre jusqu'à maintenant. Que peut faire l'Europe ? L'Europe peut-elle envisager des sanctions contre Israël ?
R - Il n'y a jamais eu de sanctions accompagnant immédiatement une résolution des Nations unies. Il y a une résolution des Nations unies avec une exigence de mise en application. Et puis, si cette exigence n'est pas satisfaite, on peut penser à des sanctions. Pour le moment, M. Ban Ki-moon, le Secrétaire général des Nations unies, est sur place. Il vient de déclarer qu'il faut encore donner quelques heures et peut-être quelques jours, mais qu'il est optimiste. Nous sommes aussi modérément, raisonnablement optimistes. Nous pensons que cela va se faire, heureusement, dans les jours qui viennent. Nous verrons bien.
C'est toujours une obligation pour les Etats des Nations unies, les 192, de suivre une déclaration du Conseil de sécurité. L'Assemblée générale qui a eu lieu aujourd'hui n'est pas contraignante. On dit qu'il faut des résolutions contraignantes, mais elles sont toutes contraignantes, celles qui sont votées par le Conseil de sécurité. En revanche, ce que certains exigeaient, cette Assemblée générale, qui a eu lieu aujourd'hui, n'était pas contraignante.
C'est pour cela que le Secrétaire général s'est déplacé pour que, de pays en pays, il y ait un agrément sur cette résolution et, donc, sur un cessez-le-feu.
Pour le reste, concernant les sanctions, nous verrons plus tard.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez parlé tout à l'heure de la position égyptienne et du gouvernement israélien qui est en train de considérer cette proposition. Confirmez-vous que cette proposition a été acceptée par le Hamas ? La proposition contient-elle l'idée de la présence internationale sur la frontière de Rafah ?
(...)
R - Le Hamas s'est également rendu au Caire avant de retourner à Damas. Il y a constamment des contacts, Tony Blair vient de le dire, entre l'Egypte et le Hamas ; ce sont les intermédiaires. Evidemment, tout cela a été proposé par l'Egypte après consultation du Hamas, c'est tout ce que je peux dire. Maintenant, c'est Israël qui se prononce, je l'espère ce soir, ce n'est pas sûr du tout, sur ce point.
Q - Monsieur Kouchner, une réaction rapide sur le fonds d'urgence proposé par l'Emir du Qatar, les 250 millions.
(...)
R - Cette somme sera la bienvenue. Je pense qu'il ne faut pas constituer des fonds supplémentaires et additionner les fonds. Je pense qu'il y a une structure qui a fait ses preuves, on vient de vous l'indiquer très clairement : la structure qui est sortie, contrôlée par la Banque mondiale, de la Conférence de Paris. Je pense que c'est très bien si nos amis Qataris peuvent se rendre à cette invitation précise ; ne multiplions pas les différentes structures.
Q - Sur le contenu de l'offre. Il semblerait qu'il s'agisse de l'offre d'une trêve d'un an, une trêve renouvelable d'un an, le retrait des forces israéliennes d'ici cinq à sept jours et l'ouverture immédiate des points de passage. Confirmez-vous que c'est de cela dont on parle en ce moment ? Vous parliez, Monsieur le Ministre, d'une réaction d'Israël ce soir. Avez-vous eu des retours d'Israël, une indication sur la façon dont ils réagissent par rapport à cette proposition ?
R - Vous avez raison sur certains points. Ce n'est pas à nous, qui ne sommes pas les négociateurs, de nous prononcer sur cela. Mais ce que vous avez cité fait partie, en effet, de la proposition qui vient d'Egypte, il y en a d'autres. Le président Sarkozy, ce soir, a essayé de joindre M. le Premier ministre israélien, M. Ehud Olmert et il n'a pas réussi car il était encore dans cette consultation, dans ce cabinet de crise. Donc, nous n'avons pas de réponse précise de ce qui se passe concernant cette proposition.
Puis-je vous rappeler une dernière chose : tous ceux qui sont ici et tous ceux qu'ils représentent sont favorables à une solution immédiate : arrêter les bombardements, qu'il y ait un cessez-le-feu. Et, sur le fond, nous sommes tous vraiment très désireux et nous nous efforçons et nous nous obstinons à ce qu'un Etat d'Israël en sécurité vive à côté d'un Etat palestinien en sécurité, avec l'ensemble de sa population, Gaza et Cisjordanie. Merci beaucoup.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 janvier 2009