Conférence de presse conjointe de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, et de M. Bruno Le Maire, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, sur la position européenne notamment sur le Proche-Orient et le dialogue interpalestinien, la fermeture du camp américain de Guantanamo et l'accueil de ses détenus, Bruxelles le 26 janvier 2009.

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Circonstance : Conseil Affaires générales et Relations extérieures à Bruxelles les 26 et 27 janvier 2009

Texte intégral

M. Kouchner - A propos de la situation au Proche-Orient, nous avons eu, hier, un dîner très intéressant avec les ministres des Affaires étrangères arabes. Nous avons également eu des entretiens avec le ministre israélien des Affaires étrangères, Mme Tzipi Livni. Notre position, aujourd'hui, tient compte de ces entretiens.
M. Le Maire - Je vais commencer par un point d'ordre intérieur, puisque nous avons évoqué, à la demande de la délégation française, à la demande de Bernard Kouchner et moi-même, la situation en France et en Espagne principalement, à la suite des catastrophes naturelles qui sont survenues dans plusieurs pays européens et j'ai demandé au nom de la France que nous puissions activer le fonds de solidarité européenne.
Nous avons fait part à la Commission de cette demande qui l'a reçue, je crois favorablement à en juger par la réaction de Benita Ferrero-Waldner. Nous avons remercié également tous les Etats membres qui avaient déjà commencé à apporter leur contribution à la France et à l'Espagne, je parle en particulier de l'Allemagne, du Royaume-Uni et du Portugal, qui ont apporté un soutien efficace, et nous avons marqué notre disponibilité à rester en contact étroit avec la Commission européenne pour regarder la manière dont nous pouvions mettre en oeuvre ce fonds de solidarité européenne. Il faut d'abord qu'on regarde quels sont exactement les territoires qui sont éligibles et comment nous pouvons débloquer des moyens d'aide dans les meilleurs délais possibles pour des populations qui ont été, vous le savez tous, très durement touchées.
Voilà le point que je voulais faire sur ce sujet. Je rappelle juste que vous savez que le fonds de coordination et la mutualisation des moyens européens en matière de protection civile ont été un des éléments importants sous Présidence française, notamment grâce à l'action qui a été conduite par Michèle Alliot-Marie et que c'est aussi un sujet sur lequel les autorités françaises se sont battues depuis longtemps, je pense notamment à ce qui a été fait par Michel Barnier dans ce domaine. Je crois de manière plus générale que la solidarité fasse à ces catastrophes naturelles doit être une exigence européenne et doit se traduire en actes concrets.
M. Kouchner - J'ajoute que nos amis espagnols et portugais ont soutenu cette position. Il y a eu en effet beaucoup de dégâts et de souffrances.
Nous avons donc tout d'abord écouté le ministre israélien des Affaires étrangères, puis les ministres des Affaires étrangères des pays arabes. Ce matin, la discussion sur les conclusions du Conseil a été très longue. Nous avons adopté le texte qui nous était présenté parce que c'était un point d'équilibre entre des exigences un peu contradictoires qui mélangeaient, à mon avis, de façon très difficiles à harmoniser, les exigences immédiates et les visions futures.
Bien sûr, on peut avoir une analyse un peu différente, parce que tout le monde a été impliqué de manière un peu différente, mais les grandes lignes sont les mêmes. On pouvait souligner les dialogues respectifs, les rencontres des uns et des autres, la position des Etats-Unis dans le processus d'Annapolis et l'évolution de la position américaine avec le voyage du sénateur Mitchell. Il y avait beaucoup de choses à dire.
Je crois que nous nous sommes entendus sur le point essentiel, c'est-à-dire l'ouverture nécessaire des points de passages. A Rafah, ils sont contrôlés par les Égyptiens mais, aux termes des accords de 2005, ils devraient être administrés conjointement avec l'OLP. L'application de ces accords présente quelques difficultés, dans les conditions actuelles, mais représente aussi un espoir. Et puis, il y a les points de passage israéliens qui doivent aussi être ouverts en permanence. C'était là le point essentiel de nos réunions et nous avons insisté auprès de Mme Tzipi Livni et de nos interlocuteurs arabes. Il faut absolument que les points de passage soient ouverts en permanence. Nous avons aussi appelé - c'est le minimum que nous pouvions faire les uns et les autres - à la réconciliation palestinienne.
Ce que nous constatons pour le moment, hélas, c'est que le nombre de camions d'aide humanitaire qui passent par ces points de passage est tout à fait insuffisant et ne correspond pas à notre volonté de manifester notre solidarité. Il faut laisser passer ce que l'on appelle "l'humanitaire". Il y a encore une discussion entre "l'humanitaire" et les positions politiques. C'est assez compliqué à définir, j'ai un peu l'habitude de cela. Entre "l'humanitaire" et la politique, il y a aussi la perspective de la reconstruction et la réponse à une question : avec qui et comment ? Tout cela a nourri une discussion tout à fait nécessaire, très intéressante, dont est ressorti le point d'équilibre, formulé dans les conclusions dont vous disposez.
Les entrevues avec le sénateur Mitchell constitueront la prochaine étape. Il est en ce moment, je crois, encore à Gaza. Dans quelques jours, nous pourrons voir avec lui si une position commune s'est dégagée, et si des décisions pouvant intéresser la population de Gaza et donner de l'espoir au processus politique peuvent être prises.
Voilà ce qui ressort des conclusions du conseil. Nous espérons tous que nous serons entendus - c'est vraiment le minimum que nous pouvions exiger. Pour l'heure, on ne peut pas affirmer que les étapes d'une réconciliation s'amorce, mais on peut fortement en souligner la nécessité.
A propos de Guantanamo, il y a eu, là aussi, une très longue discussion. Nous avons tous déploré l'existence de ce centre de détention. Nous avons tous publié des tribunes pour exiger la fermeture de Guantanamo. Un des premiers gestes du président Barack Obama - accueilli avec bonheur par tous - a été de signer la fermeture de ce centre.
Il y a maintenant une attitude à adopter pour l'accueil de ces personnes. Il s'agit d'une décision nationale qui consisterait à accepter un certain nombre de prisonniers. Il y a au moins trois situations : ceux qui ont été convaincus de terrorisme, ceux sur lesquels pèsent des soupçons, et un certain nombre d'entre eux sur lesquels ne pèse plus aucun soupçon. Quoiqu'il en soit, un certain nombre de pays, dont la France, se sont montrés disponibles sous réserve de conditions extrêmement précises.
Tout d'abord, nous souhaitons tous - et cela a été accepté -, qu'un rapport soit fait, qu'un document nous soit proposé par la Commission, par le Conseil. Ce sera fait dans quelques semaines. Certains Etat membres, la France en particulier, ont souhaité que des responsables de l'Union se rendent à Guantanamo et voient avec les autorités américaines quelles sont les conditions, quel statut, quelles démarches juridiques accomplies ou inachevées pourraient être faites, et à quelle catégorie les prisonniers concernés appartiennent ?
Il y aura ensuite une décision qui sera forcément nationale. Compte tenu des accords de Schengen, si vous accueillez quelqu'un vous ne pouvez pas lui interdire de se déplacer. Il faut donc qu'il y ait un éclairage européen.
Nous avions dit - c'était déjà extrêmement restrictif - que chacune des propositions serait étudiée au cas par cas, que les demandes devraient être individuelles et adressées à un pays précis. En outre, la France avait dit que la légalité devait être respectée et que, avant tout, les poursuites envisagées par les autorités américaines devaient être closes. Par ailleurs, chacun d'entre nous devait évidemment se conformer à la législation particulière de son pays. Voilà ce que chacun d'entre nous a tenu à exprimer. Ce point était important et a fait l'objet de longues discussions. Je crois que personne n'a refusé de voir cette fermeture comme un événement positif, moralement et politiquement.
Sur la Russie et sur l'Ukraine, et sur la sécurité énergétique, vous savez que l'action unie de l'Union européenne a été très efficace. Il y a eu quelques petites divergences, mais au final, c'est l'unité qui a payé, ce qui prouve qu'il faut toujours avoir une attitude solide des Vingt-sept. Nous n'avons salué ni l'attitude de l'Ukraine, ni celle de la Russie. Mais il n'y aura pas d'unité durable sans solidarité. Et il n'y aura pas de solidarité s'il n'y a pas, comme pour l'électricité, des possibilités de suppléance pour un pays de l'Union européenne qui serait affecté plus que les autres par un problème d'approvisionnement. Je ne pense pas forcément à une action de la Russie, il peut aussi y avoir un accident, il peut y avoir une consommation plus importante...
Nous avons donc demandé à la Commission, que les propositions qui seraient faites aillent dans le sens d'une solidarité européenne nécessaire et indispensable. Ces propositions doivent en particulier porter sur un soutien aux interconnections gazières. La sécurité énergétique figurait dans le programme de la Présidence française du Conseil de l'Union européenne. De notre point de vue - plusieurs pays l'ont demandé -, indépendamment de la question des axes de transit, il faut des interconnections entre les pays de l'Union européenne afin mettre en oeuvre cette solidarité. Il s'agit de travaux importants dont pourrait bénéficier chacun des Etats membres. Cela pourrait constituer une partie du plan de relance.
Q - Au sujet de l'Organisation des Moudjahidine du Peuple iranien, y aura t il appel de la part du Conseil ?
R - M. Kouchner - Nous avons émis des réserves. Nous avons pensé qu'éventuellement, si d'autres éléments venaient à notre connaissance, nous pourrions faire appel. Cette démarche n'était pas de l'avis général, néanmoins la discussion, certes longue, a été particulièrement intéressante...
Q - ... et ce n'est pas le cas ?
R - M. Kouchner - Je viens de vous dire que toutes les nations, les vingt-sept Etats membres de l'Union européenne et le Conseil avaient le droit de faire appel. Nous verrons bien ce qui se passe dans les quinze prochains jours. Ce qui fut intéressant, c'est que chacun ait pu évoquer son point de vue.
Q - Concernant les "Moudjahidine du Peuple", on a un peu de mal à comprendre la doctrine de l'Union européenne. Vous nous dites que finalement il n'y a pas vraiment de doctrine française en matière d'appel, êtes-vous en train, à travers cette absence de doctrine, de donner des gages à Téhéran ?
R - Le Conseil, comme chacun des pays, peut faire appel. Nous disposons de quinze jours pour nous déterminer. Cette décision dépendra des éléments nouveaux et non pas des pressions de l'Iran. Vous aurez remarqué également que nous, la France, disposons d'un certain nombre d'éléments, étant donné que les Moudjahidine du Peuple sont, en partie, présents en France.
Q - Les Moudjahidine du Peuple expliquaient que dans les promesses à Téhéran, on n'enlèverait pas leur organisation de la liste ?
R - M. Le Maire - Je voudrais juste préciser un point. Il ne faut pas confondre la décision judiciaire et la question politique. Il y a un recours qui a été fait, il y a une procédure judiciaire qui est en cours ; et puis il y a une position politique. La position politique de la France sur l'OMPI, je parle évidemment sous le contrôle de Bernard Kouchner, n'a pas changé et c'est la raison pour laquelle nous avons fait appel de cette décision au titre de la France. Nous verrons après ce que le Conseil décidera lui-même mais c'est bien la preuve que la position de fond de la France à l'égard de l'OMPI, elle, n'a pas changé. Je ne crois pas pouvoir être beaucoup plus clair.
Q - Une question sur le lien entre l'Organisation des Moudjahidine du Peuple iranien et le dossier nucléaire ?
R - M. Kouchner - Il n'y a aucun lien avec le dossier nucléaire. Que voulez-vous sous-entendre ? Qu'il y aurait des pressions parce que nous aurions promis ou nous aurions été menacés ? Je ne comprends pas cette position sur le dossier nucléaire et je vous saurais gré de bien vouloir préciser vos propos.
R - M. Le Maire - Si je peux me permettre, vous sur-interprétez un peu la discussion qui est en cours et vous mélangez une question politique avec une question d'ordre juridique. La question d'ordre juridique, je vous ai répondu, il y a une décision qui a été prise, une décision de justice, puisque nous la contestons. Nous avons le droit de faire appel, nous le faisons à titre national, la France a fait appel. Puis il y a une position politique, la position politique n'a pas changé.
Q - La France est-elle soutenue dans sa démarche ?
R - M. Kouchner - Pourquoi pas ? Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Le Conseil peut faire appel, mais j'ignore s'il le fera. Ce n'est pas simple de prendre une telle décision et compte tenu du fait que certains pays disposent d'éléments, ils ont le droit de le faire. La France dispose de quelques éléments, parce que, comme je vous le disais précédemment, "les Moudjahidine du Peuple" ont longtemps été basés en France. Je ne sais pas ce que feront les autres pays, il est possible qu'ils fassent appel.
Il convient seulement de souligner que politiquement rien n'a changé : il y a une liste et personne ne veut remettre en question tous les éléments de cette liste. Par ailleurs, il y a un certain nombre de pays qui sont engagés, des appels ont été faits et certains pays ont été déboutés. Y a-t-il d'autres éléments ? S'il y en a, il faut qu'on les considère. Mais, lors de cette discussion, nous n'avons pas fait part de tous les éléments qui intéressaient les services que l'on dit d'intelligence.
Q - A propos processus de paix, on a l'impression qu'il y a blocage sur la relation avec le Hamas ?
R - M. Kouchner - On ne peut pas parler de blocage, il a été important d'aborder ce dossier. Nous vous avons fait part des conclusions, même si au stade actuel, nous ne pouvons pas conclure ce dossier. Nous n'avons pas parlé du dialogue avec le Hamas, mais de la réconciliation palestinienne, évoquant à ce propos l'appel du président Mahmoud Abbas. Hier soir, nous avons écouté, entre autre, le ministre égyptien des Affaires étrangères Ahmed Aboul Gheit, mais aussi les Palestiniens et tous appellent à la réconciliation.
Certes, nous avons appelé à la réconciliation dans les conclusions, mais nous ne pouvons pas, pour le moment, en faire davantage. Nous essayerons d'aller dans ce sens et d'être utiles. Ainsi, il nous a semblé pour les habitants de Gaza qu'être utile était d'insister sur l'ouverture immédiate des points de passage. L'ouverture n'est toujours pas satisfaisante, donc nous continuons d'insister sur ce point tout en appelant à la réconciliation palestinienne. S'il n'y a pas de réconciliation palestinienne, il sera bien entendu plus difficile de continuer à parler de reconstruction, etc.
On ne peut pas répondre à la place des protagonistes. Les différentes analyses qui ont été faites étaient toutes très intéressantes. Nous avons abordé l'histoire de ces dernières années de conflit, le minimum que nous pouvions fournir aujourd'hui, ce sont ces conclusions qui correspondent à un point d'équilibre européen.
Q - N'y a-t-il pas d'alternative ? N'y a-t-il pas un geste de plus en direction du Hamas ?
R - M. Kouchner - Nous ne pouvons pas être plus royaliste que le roi, que les Palestiniens. Il y a des gens qui pensent en effet que le Hamas est une partie importante, mais c'est à eux de le dire. Pour ma part, j'ai dit à l'Assemblée nationale que nous reconsidérerions notre position à l'égard du Hamas dès lors qu'il s'inscrivait dans le processus de réconciliation, dans le processus de dialogue et non pas dans celui de la guerre, dès lors qu'il acceptait les résolutions de l'OLP, c'est-à-dire qu'il se comportait comme un partenaire. Certains pensent pourvoir résumer les choses en disant qu'un changement pourrait intervenir dès lors que le Hamas participerait ou accepterait l'initiative arabe. Pourquoi pas d'ailleurs, nous l'avons aussi souligné dans nos textes. Pour le moment, ce n'est pas le cas.
Nous avons également eu des discussions sur le gouvernement de l'Autorité palestinienne, sur un gouvernement d'unité nationale ou sur un rassemblement qui permettrait d'avancer. Nous sommes tous en faveur de ces étapes, mais le texte ne pouvait pas aller plus loin parce que cela ne nous appartient pas.
Le plus important, c'est l'ouverture des points de passage. L'aide humanitaire ne passe pas ou passe au compte-gouttes depuis neuf jours. Pour certains, dont je suis, le déblocage de la situation permettrait d'aller de l'avant sur le plan politique. Ce n'est pas en bloquant Gaza que nous irons de l'avant, du point de vue même de la réconciliation palestinienne. Les Egyptiens partagent notre opinion : c'est au contraire en permettant l'accès aux populations. J'ai un peu l'habitude de ces villes assiégées : plus on assiège et plus il y a de contrebande parce que les gens doivent vivre.
Nous avons parlé de tout cela et, dans la mesure où nous n'avions pas d'indication tangible, réelle, humaine, nous exigeons ce qui nous semble le plus urgent, c'est-à-dire l'ouverture des points de passage. La solution n'est pas d'amener des avions pour s'occuper des enfants blessés, mais de permettre aux hôpitaux de redresser leur situation, aussi bien énergétique qu'en fourniture de médicaments, etc. Il faut aussi permettre aux nombreuses équipes médicales de travailler sur place.
Q - Quelles sont les modalités de réconciliation qui permettraient à l'UE de faire un geste ? Les 27 n'ont-ils pas de position commune ?
R - M. Kouchner - Il y a eu un document qui était un point d'équilibre. A propos du Hamas, les points de vue sont très différents et nous avons donc donné un éclairage qui nous semblait le plus juste entre les points de vue des Vingt-sept. Ne croyez pas qu'il y a eu des divergences fracassantes.
Ce qui est évident, c'est que l'on a tous besoin - et nous en témoignons, ce qui y sont allés - de l'ouverture de ces points de passage pour que la situation change. Il y a un cessez-le-feu, à partir de l'initiative française et égyptienne. Nous y avons travaillé, les uns et les autres. Les Egyptiens ont presque achevé les travaux. De notre point de vue, il faut qu'il y ait une différence entre la situation avant le cessez-le-feu et après le cessez-le-feu. Pour le moment, l'arrêt des bombardements est une chose tout à fait essentielle, tout comme l'arrêt des roquettes tirées sur Israël, mais cela ne suffit pas pour la vie quotidienne des gens qui sont bloqués à Gaza.
Q - Et sur la reconstruction, les 27 sont d'accord ?
R - M. Kouchner - A propos de la reconstruction, c'est pareil, on peut dire que la discussion sur l'humanitaire et la politique est éternelle. Je pense que l'humanitaire est un geste politique, beaucoup plus qu'un geste de charité seulement. La charité n'est d'ailleurs pas condamnable.
Il est très difficile d'élaborer un document intitulé "reconstruction". Les réparations, par exemple, dans un hôpital où il n'y a plus d'accès, plus d'électricité, plus d'eau, etc. s'agit-il de reconstruction ou d'aide d'urgence ? Ce sont les deux à la fois. C'est très difficile d'arrêter l'aide humanitaire, comme certains voudraient le faire - certains protagonistes, en dehors des vingt-sept pays de l'Union européenne -, et puis ensuite ne pas compléter par la reconstruction. Il s'agit là d'un débat sémantique qui est lourd de politique.
Je n'ai pas assez souligné l'importance d'un document beaucoup plus précis, un plan d'action sur lequel la France a beaucoup travaillé. Les termes de ce plan ont été acceptés dans le texte des conclusions. Il pourra servir à Javier Solana. Je crois qu'il constitue une démarche intéressante puisqu'il a été réalisé par l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Espagne, l'Italie, la République tchèque et la France. Ce document est intitulé "humanitarian in action". Toutes les questions que vous avez posées sont abordées et mises en perspective : la prévention du trafic, l'ouverture des points de passage, la reconstruction, la réconciliation intra palestinienne et le retour à l'essentiel, c'est-à-dire à la politique, au processus de paix.
Q - A propos de Guantanamo, Vous avez parlé de trois catégories de détenus à Guantanamo, y aura-t-il des négociations en bilatéral ?
R - M. Kouchner - J'ai parlé de trois groupes que tout le monde connaît. Ils sont un peu différents mais je ne veux pas préciser parce que c'est l'affaire des Américains de les avoir classés ainsi. Nous avons tous parlé avec les Américains, nous sommes tous satisfaits, pleinement satisfaits du geste du président Obama. Maintenant, les choses - vous savez le président Obama l'a découvert dans les jours qui suivaient - vont prendre beaucoup plus de temps que l'on croit. Il s'agit de problèmes juridiques très difficiles, de problèmes de statut même de prisonniers.
Pour l'heure, nous préférons, dans un premier temps, qu'il y ait une démarche européenne. Ensuite, comme je l'ai dit pour la France, la question sera traitée au cas par cas au niveau national.
Q - Avez-vous des préférences ?
R - M. Kouchner - Je n'ai pas de préférence pour les malheureux qui seraient dans un cas ou dans l'autre. J'ai dit au cas par cas.
Q - Vous êtes ouvert à les prendre tous ?
R - M. Kouchner - Je vous dis au cas par cas, sur demande individuelle de prisonniers qui voudraient venir. Il y aurait dans ce cas un processus qui regarde beaucoup plus les ministères de l'Intérieur et de la Justice.
Q - Qui est d'accord ?
R - M. Kouchner - Le ministère de l'Intérieur ne peut pas être d'accord d'avance s'il ne sait pas de quel cas il s'agit. Il y a un accord européen, c'est une première étape. Nous disposerons dès lors d'un certain nombre de précisions juridiques, notamment sur le statut de ces personnes. Ensuite, dans l'hypothèse où il y aurait des demandes, elles seraient adressées aux pays concernés. Il est, donc, évident, que le ministère de l'Intérieur et les services de renseignements soient associés à une telle démarche. Il s'agirait d'une étude individuelle des dossiers, il n'est pas question d'accepter un nombre global qui nous serait imposé et il n'est pas question, non plus, de nous voir imposer qui que ce soit.
Il me semble, cependant, qu'il convient avant tout de se réjouir de la fermeture de Guantanamo. C'est un progrès. Ensuite, nous envisagerons la collaboration avec les Américains nous interrogeant sur un certain nombre de points, concernant notamment le statut de ces personnes, les raisons pour lesquelles ils ne veulent pas aller aux Etats-Unis ou pour lesquelles ils ne peuvent pas rentrer chez eux, savoir ce qui leur est reproché.
Q - Sur le plan pratique, quelle démarche fera l'Union européenne ? Enverra-t-elle un émissaire ?
R - M. Kouchner - J'ai fait certaines propositions, mais c'est à la Commission de décider. Le représentant de la lutte contre le terrorisme et celui des droits de l'Homme sont saisis de la question. Par ailleurs, il faut que la Présidence du Conseil de l'Union européenne et la Commission se mettent d'accord afin d'envisager ce qui peut être fait.
Q - Compte tenu de la complexité du dossier, il y aura probablement une personne ou une mission qui ...
R - M. Kouchner - On a parlé d'une éventuelle mission mais on n'a pas abordé la question de la personne qui dirigerait cette mission. Mme Benita Ferrero-Waldner nous remettra, dans quelques temps, un document à ce propos.
Q - Et l'idée de créer un guichet européen unique ? Les documents dont vous vous parlez sont ceux que prépare Mme Ferrero-Waldner ? Dans quels délais ?
R - M. Kouchner - On décidera après que nous ayons reçu le document. Ensuite, il faudra savoir dans quel cadre juridique, technique, cette démarche s'inscrira.
Q - Le document dont vous parlez sera fourni par Mme Benita Ferrero-Waldner, au prochain Conseil ?
R - M. Kouchner - Il sera, en effet, préparé par Mme Ferrero-Waldner. En revanche, je ne crois pas qu'elle puisse le fournir dès le prochain Conseil. Cela prendra plus de temps, mais nous n'avons pas encore précisé de date.
Q - C'est plutôt des mois que des semaines ?
R - M. Kouchner - Honnêtement, je ne peux pas être précis sur les dates.
Q - Une question sur la lutte contre la contrebande ? Cela a-t-il été repris dans le texte des conclusions du Conseil ? La France a-t-elle dépêché une frégate ? Y-a-t-il eu d'autres modalités pratiques ?
R - M. Kouchner - La France a dépêché une frégate mais cela n'apparaît pas dans les conclusions du Conseil.
Q - Aujourd'hui, est-ce que l'on a parlé, au sujet de l'Iran et de son mouvement d'opposition, d'un revirement européen ? Ou est-ce que c'est quelque chose ...
R - M. Kouchner - On n'a pas parlé d'un revirement. Il y a une liste dont l'organisation des Moudjahidine du Peuple est exclue. La France n'est pas d'accord avec cette position. Il peut y avoir un appel du Conseil ou de chacun des Etats. Nous disposons d'un certain nombre de jours pour le faire. Néanmoins, il faut qu'il y ait des éléments nouveaux pour que l'appel soit recevable.
Q - Sur le plan politique, quelle est la position française ?
R - M. Kouchner - La question n'est pas politique. Sur le plan strictement juridique, s'il y a des éléments nouveaux, l'appel se justifie. S'il n'y en a pas, l'appel sera rejeté.
Q - Vous parlez d'un délai ? Vous mettez tout au conditionnel ?
R - M. Kouchner - Le délai est d'environ quinze jours. Il faut que nous disposions d'éléments nouveaux, étant donné qu'il n'y a aucune raison que l'on puisse accuser en vain. Par ailleurs, il n'y a aucune raison, non plus, que nous rejetions l'ensemble de la liste parce que nous avons des réticences sur l'une des organisations. C'est, donc, une position délicate.
Q - Au-delà de l'appel, y a-t-il la possibilité de redemander une nouvelle fois l'intégration de ce mouvement à la liste ?
R - M. Kouchner - C'est la seule base dont nous disposions, à moins qu'il y ait des évidences criantes. La France n'est pas seule et d'autres pays peuvent réserver leur recours.
Q - Avez-vous parlé du Zimbabwe aujourd'hui ?
R - M. Kouchner - Malheureusement, nous n'avons pas parlé du Zimbabwe. La position de la France est que nous regrettons d'avoir peu d'influence, malgré les sanctions et que M. Tsvangirai ne puisse mettre à l'oeuvre ses talents de Premier ministre. Pour le moment rien n'avance, malgré le nombre important de victimes du choléra.
Concernant les sanctions, il faudrait un jour faire un débat sur ce sujet ? Sont-elles vraiment utiles dans les pays extrêmement pauvres ? Est-ce différent selon le niveau économique du pays et celui de ceux que l'on vise directement ? Il est évident que si l'on cible les voyages, les comptes en banque de certains, c'est sans doute efficace. Mais dans un pays avec un tel degré de misère, il faut s'interroger. Pour l'instant, nous maintenons les sanctions. M. Tsvangirai veut servir le peuple du Zimbabwe mais il fait face à un refus persistant concernant en particulier l'octroi de certains ministères, qui n'est pas acceptable, alors que cela avait fait l'objet d'un accord avec M. Mugabe.
Q - De quel autre outil disposeriez-vous ?
R - M. Kouchner - Quel autre outil ? Pour ce qui nous concerne, c'est l'accès aux victimes de l'épidémie de choléra. Il s'agit de trouver les possibilités d'aider les populations, en leur apportant par exemple des systèmes de purification de l'eau. Mais toutes nos équipes se sont vues refuser l'entrée du Zimbabwe. La question se pose de savoir si nous maintenons les sanctions au risque de nuire davantage à la population. Les sanctions sont l'ultime solution, que peut-on faire de plus ?
Q - A quel point l'Union européenne est-elle prête à aider les Etats-Unis dans la fermeture du camp de Guantanamo ?
R - M. Kouchner - Ils ont décidé de fermer le camp, mais ce processus prendra quelques temps. Il faudra déterminer le statut de ces personnes. Mais il y a un accord européen, nous avons tous réagi positivement à cette décision. Ensuite, sur un plan plus concret, nous traiterons les demandes, dans le cas où il y aurait des demandes, de façon individuelle après une enquête légale. C'est un long processus et j'insiste sur le fait que cas par cas signifie bien cas par cas.
Q - La France a-t-elle demandé à l'Union européenne d'envoyer une mission ?
R - M. Kouchner - Pas seulement la France.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 janvier 2009