Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Je vous présente, s'il en était besoin, Pierre Lellouche, notre Représentant spécial pour le Pakistan et l'Afghanistan.
Comme vous le savez, nous avons décidé - et c'est ce qui a été fait, il y a quelques mois- de nous engager plus fermement encore aux côtés des forces alliées dans la lutte contre le terrorisme. A ce propos, le président Obama a annoncé un certain nombre de mesures qui vont dans ce sens.
Comme nous l'avions indiqué aussi bien à Bucarest que lors de la Conférence de Paris sur l'Afghanistan - qui a permis de trouver des moyens -, nous sommes engagés pour le temps nécessaire, à affirmer la nécessité politique de réussir à nous approcher des Afghans. On a appelé cela l'"afghanisation". Le mot ne vous convient peut-être pas, pas plus qu'à moi, mais c'est assez clair. Il faut considérer que nous sommes engagés en Afghanistan, aux côtés d'un nombre important d'alliés, parmi lesquels les Américains qui constituent le plus gros des troupes, pour que les Afghans puissent choisir, parmi des conditions qu'ils détermineront eux-mêmes, un système de gouvernement qui n'est pas exactement la démocratie occidentale mais qui a déjà fait ses preuves. En effet, des élections ont eu lieu, elles ont été contrôlées et elles ont permis l'élection du président Karzaï, des membres du Parlement parmi lesquels de nombreuses femmes.
Quelque chose s'amorce que nous devons non seulement maintenir mais aussi conforter. Les Américains ont décidé qu'un Représentant spécial serait nommé, c'est chose faite. Il s'agit de Richard Holbrooke que nous connaissons depuis longtemps et avec lequel nous aimons travailler. Les Britanniques et les Allemands ont également désigné un Représentant spécial. Nous avons donc décidé de nommer un Représentant spécial, et j'ai proposé à Pierre Lellouche d'être celui-là.
Il connaît l'Afghanistan et les conditions stratégiques de cet engagement. Plus généralement, il connaît la stratégie internationale et les engagements internationaux. Autour de lui, ici au ministère des Affaires étrangères et européennes et sous ma direction, nous allons organiser une cellule afghane que nous définirons ensemble et qui permettra de rassembler un certain nombre d'experts.
L'Ambassadeur de France en Afghanistan, Jean d'Amécourt, est présent parmi nous. Nous avons eu l'occasion de nous entretenir ce matin, - ce qui n'est pas un fait nouveau, nous l'avons déjà fait auparavant- pour envisager cette cellule permanente qui sera établie et qui regroupera en son sein des représentants des autres ministères ainsi qu'un certain nombre d'experts. A chaque moment, ils nous permettront d'analyser la situation, d'écouter Pierre et d'ajuster, au mieux, les exigences, parfois contradictoires, de la coalition internationale formée par les alliés, l'OTAN et les Afghans.
Dans cette lutte contre le terrorisme, ce qui nous intéresse - et cela n'a pas assez été dit -, ce sont surtout les Afghans. Cela comporte un certain nombre de démarches que notre ambassadeur et Pierre Lellouche suivront au plus près, comme l'engagement auprès de la population et plus généralement de la société civile.
En parlant de société civile, je ne confonds pas l'Afghanistan avec d'autres pays. Je ne me contente pas d'être théorique. Il nous faudra développer un certain nombre d'engagements qui feront la différence, si cette différence est possible et nous la savons possible. Une différence entre les offres uniquement militaires et les offres qui tiennent à l'éducation, à la santé, à l'agriculture, au développement de ce pays - l'un des plus pauvres du monde, je vous le rappelle. 60 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, 78 % des Afghans n'ont pas accès à l'eau. L'Afghanistan, ce n'est pas seulement les villes, ce n'est pas seulement Kaboul!
Le président de la République a signé cette lettre adressée à Pierre Lellouche, député de Paris pour lui confier la mission de Représentant spécial.
Je fais entièrement confiance à Pierre Lellouche, non seulement pour conserver les gains que nous avons acquis pour la population afghane - qui sont certes fragiles - mais pour poursuivre dans ce sens, aux côtés bien sûr de l'Administration américaine et avec nos partenaires européens qui, je vous le rappelle, sont très nombreux.
Je crois que cette mission était nécessaire. Il s'agit, je vous l'ai indiqué, d'une mission qui concerne le Pakistan et l'Afghanistan, car on ne peut pas les séparer. Ce qui complique singulièrement la tâche de Pierre Lellouche. Nous nous réunirons très régulièrement, cette cellule sera en permanence à la disposition de Pierre et de moi-même. J'animerai ces réunions qui auront lieu à intervalles réguliers mais qui pourront être convoquées en urgence, en vue d'obtenir des consultations en fonction des événements.
Ce matin, à Lahore, il y a eu un attentat qui visait l'équipe sri lankaise de cricket. Nous avons condamné cet attentat. Ce dernier point me permet de replacer ce dossier dans le contexte régional. Pierre Lellouche aura à s'occuper des problèmes inhérents à la proximité, - je parle à mots couverts - entre le Pakistan et l'Afghanistan. Nous avons déjà convoqué une conférence sur ce thème et j'espère que nous recommencerons bientôt. Il y a une conférence à Moscou qui s'amorce, il y en aura, je l'espère, une en France et aux Etats-Unis. Nous avons déjà travaillé dans le cadre régional pendant deux jours à la Celle Saint-Cloud lors de la Conférence réunissant les voisins de l'Afghanistan. Tout le monde était venu, même les Indiens et les Pakistanais, et cela juste quelques jours après les attentats de Bombay. Ce n'était pas facile mais c'est essentiel.
Les Iraniens sont les seuls à ne pas être venus. Après avoir publié un communiqué selon lequel le gouvernement iranien se réjouissait de venir à Paris, le ministre des Affaires étrangères a obéi aux ordres du président Ahmadinejad qui lui demandait de ne pas venir : ce fut la seule surprise de cette conférence. Mais il faut aussi travailler avec les Iraniens sur ce sujet. Le contexte régional est essentiel.
Je donne la parole à Pierre Lellouche. Vous pouvez poser toutes les questions que vous souhaitez.
Pierre Lellouche - Merci Cher Bernard, Mesdames et Messieurs, je serai être extrêmement bref. Le ministre a parlé. Tout d'abord, je suis très honoré de la confiance que me témoigne le président de la République en me confiant cette mission très difficile, et je suis reconnaissant à Bernard Kouchner qui en a eu l'idée. Cela s'est produit à la Werkunde, au début du mois de février dernier, à la veille de mon dernier déplacement en Afghanistan.
Je suis à la fois très reconnaissant de l'honneur qui m'est fait et de la confiance qui m'est témoignée, mais aussi très conscient de l'extraordinaire difficulté de cette mission. Je l'étais d'ailleurs - et je ne me suis pas privé de le dire publiquement - depuis longtemps, puisque j'ai moi-même demandé une mission parlementaire d'évaluation de notre opération en Afghanistan. Je n'ai pas été particulièrement tendre sur l'état de la stratégie occidentale actuelle en Afghanistan.
Ma mission, telle que je la conçois, à la demande du président de la République et sous l'autorité du ministre des Affaires étrangères et européennes - que les choses soient claires, il y a un président de la République, il y a un ministre des Affaires étrangères et européennes, il y a un parlementaire en mission constitutionnellement pour six mois -, c'est d'essayer de mettre sur les rails un certain nombre de choses.
La première d'entre elles, c'est de nous donner une force de frappe intellectuelle. Nous allons fabriquer une "task force", un groupe vraiment interministériel installé dans cette maison avec les cerveaux qui s'occupent de l'Afghanistan et du Pakistan, pas seulement au Quai d'Orsay mais également dans d'autres ministères. Je l'avais demandé et je suis très heureux que le président de la République et le ministre des Affaires étrangères et européennes l'aient rendu possible. Nous allons l'ouvrir - c'est aussi la volonté de Bernard - sur la société civile et tous ceux qui ont travaillé sur place, qui connaissent, qui peuvent nous aider sur l'Afghanistan. On aura un certain nombre de propositions à formuler le moment venu sur ces questions.
Deuxièmement, nous allons remettre à plat l'ensemble de notre stratégie. Il y a des aspects à améliorer sur l'ensemble des volets : civils, militaires, reconstruction. Ma mission consistera à faire des propositions au gouvernement et au président de la République.
Troisièmement, ce travail intellectuel et politique va servir aussi à influer sur la stratégie des partenaires et notamment des Américains. Nous sommes dans une phase où l'administration américaine - Bernard était hier avec Hillary Clinton - est en phase d'écoute sur l'Afghanistan. Ils savent que c'est extrêmement difficile et que ce n'est pas très bien parti. Ils sont donc prêts à écouter. C'est le moment de remettre à plat l'ensemble du dispositif allié et c'est aussi l'une de mes missions. D'où la volonté du président de la République et du ministre des Affaires étrangères et européennes d'avoir en face de Richard Holbrooke quelqu'un qui puisse être l'interface entre ce que nous faisons et ce que fait la coalition. Cela va être un travail pour lequel je crois être assez préparé, mais là aussi assez difficile.
Les domaines de travail sont clairs. C'est bien entendu la sécurité, y compris la police, pas seulement l'armée. C'est l'aide civile, la reconstruction, donc inévitablement les problèmes de drogue. C'est la gouvernance, donc la préparation de l'élection présidentielle, qui n'est pas notre problème mais nous on est aussi là pour assurer la sécurité ; ce sera donc clairement une des choses très difficiles à faire dans les six mois qui viennent. En dernier lieu, il y a tout le volet concernant le Pakistan.
Vous voyez que chacun de ces problèmes est extraordinairement difficile. Je vais y mettre tout mon coeur, toute ma force de travail. Je suis heureux d'avoir à mes côtés des agents du Quai qui sont remarquables : mon ami, Jean d'Amécourt, et son adjoint, Jean-François Fitou à Kaboul. Ce sont des gens formidables, qui travaillent - il faut que vous le sachiez - dans des conditions qui ne sont pas faciles humainement. Kaboul est une ville dangereuse et ce n'est pas évident. Ils font un travail remarquable, de même que Philippe Errera, Jasmine Zerinini et les autres, qui font aussi un travail formidable. Nous sommes en train de mettre ensemble des bonnes volontés et des talents au service, je l'espère, de bons résultats.
Je vous le dis d'entrée de jeu, je ne compte pas faire de la mousse médiatique sur cette affaire. J'espère que nous obtiendrons de véritables bons résultats, et on le saura assez vite, on aura tout lieu de se féliciter et d'en rendre compte. Mais ce qui nous attend, c'est d'abord énormément de travail, dans la clarté et la transparence la plus totale.
Bernard Kouchner - Je vous remercie. Nous allons travailler étroitement avec les autres ministères, notamment celui de la Défense, de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi ainsi que celui de l'Intérieur, de l'Outre-mer et des Collectivité territoriales. Ce qui sera un travail collectif sera également une préoccupation collective, et elle l'est déjà.
Q - Pouvez-vous revenir sur les attentats de Lahore ? Quelle est votre réaction ? Que pensez-vous que cela signifie pour le terrorisme dans la région ?
R - Bernard Kouchner - Comme je vous l'ai dit, nous venons de publier un communiqué dont je vous donne la teneur. Nous condamnons avec une très grande fermeté et avec beaucoup d'indignation l'attaque dont a été victime l'équipe nationale sri lankaise de cricket en déplacement à Lahore, tuant 8 policiers et faisant 7 blessés parmi les joueurs. Non seulement cet acte constitue une négation totale du rôle international du sport, mais c'est un mauvais présage en ce qui concerne l'usage des bombes et le terrorisme dans la région. En l'état actuel de l'enquête, je ne peux pas vous faire plus de commentaires.
Q - Monsieur Lellouche, comment concevez-vous votre mission allant du Darfour à Kaboul, tout le monde pense qu'il peut y avoir des implications régionales dans tout ce qui touche l'Afghanistan ?
R - Pierre Lellouche - Je ne suis pas sûr que la région de l'Afghanistan et du Pakistan déjà complexe doive s'étendre jusqu'au Darfour. Je ne comprends pas bien le sens de votre question.
Q - Tout le monde dit que le problème afghan et plus précisément taliban touche l'extrémisme et les mouvements salafistes dans toute la région. Quand on dit les mouvements salafistes dans toute la région, je ne vais pas vous apprendre que cela va jusqu'au Darfour et même maintenant cela dépasse cette région et arrive dans le désert algérien. Vous avez dit que vous alliez faire une force de frappe intellectuelle. Cette force de frappe intellectuelle va-t-elle étudier toutes les implications des salafistes dans ce qui se passe dans la région ?
R - Bernard Kouchner - Non. Ne mélangez pas tout !
R - Pierre Lellouche - Merci Bernard. J'ajoute que Bernard, lui, connaît beaucoup mieux l'Afghanistan que moi. Il a donc bien répondu à cette question.
R - Bernard Kouchner- Il ne faut pas exagérer. On l'accable déjà d'une mission extrêmement difficile.
R - Pierre Lellouche - Vous avez raison dans votre question. Tout le monde sait qu'il y a des implications ce qui fait partie du problème.
Q - Les Etats-Unis ont demandé plusieurs fois que l'Europe envoie plus de troupes en Afghanistan. La France a toujours dit qu'il y a déjà des troupes en mission extérieure. Il y a quelques semaines, le gouvernement a annoncé le retrait des troupes, notamment de l'Afrique. Est-ce que cela veut dire qu'il y a maintenant plus de ressources pour envoyer des troupes en Afghanistan ?
R - Bernard Kouchner - Non. Nous avions annoncé en ce qui concernait l'Afrique, puisque vous l'évoquez, que nous pourrions retirer, et nous l'avons déjà fait, un certain nombre de troupes. Non seulement nous négocions, et nous sommes en train de le faire à nouveau sur de nouvelles bases, les accords de défense, mais nous réfléchissons sur le maintien de nos bases dans certains endroits, notamment en Côte d'Ivoire.
Il y a quelques mois, nous avons déjà renforcé nos troupes en Afghanistan qui comptent 3.300 soldats. Il s'agit, par son importance, de la quatrième contribution à l'effort commun et nous n'avons pas l'intention, le président de la République l'a dit, de renforcer à nouveau cette contribution puisque nous venons de le faire. Cela ne veut pas dire qu'on n'enverra pas quelques techniciens qui seraient nécessaires auprès de nos soldats. C'est très clair et, d'ailleurs, il n'y a pas eu de véritable demande. Il y a seulement eu l'affirmation d'un renforcement des troupes américaines par le président Obama, il y a quelques jours. Cela avait été annoncé pendant la campagne électorale et le président Obama vient de le confirmer.
Q - Sur les questions de police, est-ce que la France va proposer au gouvernement afghan la formation d'une gendarmerie afghane ?
R - Bernard Kouchner - C'est une idée que Pierre Lellouche, s'il le souhaite, aura à présenter de façon très concrète. Nous pouvons en effet assurer cette formation, nous l'avons déjà fait très souvent. La formation des policiers et, en particulier, celle de la gendarmerie est une de nos spécialités. Nos gendarmes et nos policiers savent très bien faire cela. Nous en avons parlé à l'occasion de la dernière visite du ministre de l'Intérieur afghan. Ces idées cheminent et Pierre en précisera la portée.
Q - Lors de son passage à Paris, le général Petraeus avait parlé avec M. Morin de la stratégie américaine d'essayer de diviser les Talibans, de travailler avec ceux avec qui on peut envisager de travailler, et d'isoler le reste. Est-ce que la France soutient cette stratégie, quelle est votre position ?
R - Pierre Lellouche - Je crois pouvoir dire que nous sommes tout à fait en ligne avec cela. Il y a dans ce que l'on appelle les insurgés en Afghanistan un mélange totalement hétéroclite qui va de militants tchétchènes, arabes, divers et autres dans la nébuleuses d'Al-Qaïda. Il y a de vrais nationalistes, des trafiquants de drogue, des criminels de droit commun... C'est le mélange entre la politique et la drogue qui finance une bonne partie de l'insurrection. Tout le monde sait, le président Karzaï aussi d'ailleurs, que la solution se trouve dans la réconciliation nationale avec ceux qui sont des nationalistes afghans et qui se trouveront peut être, d'une façon ou d'une autre, associés au pouvoir, sans les armes. Effectivement, nous allons travailler aussi dans cette direction.
Q - Vous dites que les Américains sont prêts à écouter, que voulez-vous leur dire ?
R - Bernard Kouchner - Hier, à Charm el Cheikh, j'ai participé à un déjeuner auquel était également présente Mme Hillary Clinton. Je l'avais vu longuement quelques jours auparavant à Washington. Nous avons déjà parlé avec les Américains et nous continuerons de le faire.
R - Pierre Lellouche - Dans mon esprit et avec l'accord plein et entier du gouvernement, mon premier souci sera de consulter nos amis européens. C'est d'ailleurs à Bruxelles que je vais commencer demain ma mission, avec des contacts au niveau de l'Union européenne, de l'OTAN, de la Présidence tchèque du Conseil de l'Union européenne et, bien sûr, mes homologues allemands et britanniques. Une fois que nous aurons commencé à regarder où nous voulons aller, il sera temps d'aller voir M. Holbrooke. C'est ce que nous ferons le moment venu, probablement dans les jours qui viennent, mais dans un deuxième temps seulement. Ensuite, j'irai en Afghanistan et au Pakistan.
Q - Cette guerre se déroule depuis près de huit ans en Afghanistan. Il y a eu des changements de stratégie, pas beaucoup mais la dernière, annoncée hier par le président Obama, est l'envoi de 17.000 soldats supplémentaires. La remise sur la table de cette stratégie comprend-elle cette donnée ? Ne craignez-vous pas un enlisement à l'irakienne annoncé en Afghanistan ? Avec les négociations qui se déroulent aujourd'hui avec les Taliban en Arabie saoudite, quel serait le rôle de la France ? Quelles sont les parties avec lesquelles vous acceptez de négocier et quel serait le rôle de l'Iran dans ce cadre-là ?
R - Bernard Kouchner - Vous posez une série de questions auxquelles il est un peu tôt pour répondre dans le détail. C'est très difficile et il y a, bien sûr, des risques d'enlisement. La vérité, aujourd'hui, c'est que la situation sur le terrain est telle qu'il y a un vrai problème de sécurité qui obère la reconstruction de l'Afghanistan. A bien des égards, tous les efforts qui ont été faits méritent d'être repensés. C'est ce que nous allons essayer de faire pour éviter l'enlisement.
Vous avez remarqué que le prince Saoud était jeudi ici et que mon voyage en Arabie Saoudite, en plus de ce contact, est toujours programmé pour les jours qui viennent. Ne croyez pas que les contacts qui ont été pris, de l'avis même des Saoudiens, aient été déterminants. Pas encore.
Sur l'Iran, je vous ai donné mon sentiment. C'est un voisin important de l'Afghanistan et je sais que la communauté chiite compte beaucoup. La manière dont cette communauté a été traitée dans le monde entier, et pas seulement en Afghanistan, compte également beaucoup. Il faut tenir compte de cette proximité. Ils étaient invités à la réunion de Paris et j'ai vu le ministre iranien des Affaires étrangères il y a quelques jours.
R - Pierre Lellouche - Plus généralement, il faut rendre hommage à l'initiative de la France et de Bernard Kouchner d'avoir organisé la réunion de la Celle Saint-Cloud. Il y a quelques mois, la dimension régionale de la question afghane n'était pas dans les esprits, notamment aux Etats-Unis. Il y a une véritable évolution. Aujourd'hui on comprend en partie l'importance du Pakistan et de l'Iran parce que ce travail a été fait du côté français.
Q - Sur qui s'appuyer aujourd'hui, sur quels Afghans, et comment faire en sorte que la population ne maudisse pas les Occidentaux tous les jours davantage ?
R - Pierre Lellouche - Eh bien, vous venez de résumer ma mission.
R - Bernard Kouchner - Je vous rappelle que, depuis 2001, il y a eu une extension de la scolarisation des filles. C'était inimaginable lorsque nous étions présents en Afghanistan lors de la première guerre contre les Soviétiques, tout d'abord parce que c'était des petites filles et ensuite parce qu'il n'y avait pas d'école.
Q - Mais elles y vont ?
R - Bernard Kouchner - Oui, elles vont à l'école, ce qui est un progrès. Le système de santé n'est plus le même du tout : certes il est encore insuffisant, tout le monde n'y a pas accès, mais c'est aussi un progrès considérable. L'infrastructure - les routes - a été améliorée, ce qui est encore un progrès. Je ne vais pas faire une énumération qui aurait l'air d'une publicité. Néanmoins, tout cela demeure encore extraordinairement difficile. C'est une entreprise intellectuellement, militairement risquée mais aussi humainement - que ce soit sociologiquement ou religieusement. Vous avez raison. C'est la raison pour laquelle nous nous y attachons avec les moyens intellectuels et de réflexion qui sont les nôtres aux cotés de nos partenaires.
R - Pierre Lellouche - Vous évoquez de nombreuses choses que j'ai décrites dans mes rapports parlementaires. Je souhaiterais vous mettre en garde contre l'idée qu'il ne s'est rien passé en sept ans et demi et contre la tentation de jeter le bébé avec l'eau du bain. Il y a eu des choses de faites. Aujourd'hui, quand vous allez à Kaboul, ce n'est plus la même ville, ni même le même pays. Le pays s'est développé. On ne peut pas dire que tout a été un échec. Ce que l'on peut dire aujourd'hui, c'est que l'on est dans une sorte d'impasse où il y a une vraie dégradation sécuritaire qui menace la suite de la reconstruction. Il y a également des problèmes de corruption de l'administration. Tout cela mérite d'être traité.
Je voudrais dire deux choses. Je suis convaincu que nous n'avons pas le choix de plier bagages et de nous en aller. Non seulement parce nous sommes membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et nous avons des responsabilités, mais surtout parce que les Taliban et Al-Qaïda reprendraient le pouvoir si la coalition s'arrêtait que l'on rentrait tous chez nous. On reviendrait sept ans en arrière, avec des risques d'attentat chez nous. Il y a un problème de sécurité de la France et d'impact sur l'ensemble du monde.
La deuxième chose c'est que nous le devons au peuple afghan. Il y a eu des progrès de fait. Les gens qui ont bâti l'hôpital de Kaboul, les gens qui travaillent dans l'humanitaire et les Afghans méritent que ce travail soit fait. Je ne suis pas de ceux qui disent que c'est fichu et qu'il faut partir. Essayons de faire le travail, donnons-nous le temps et l'effort de la réflexion et de l'action. On est là pour cela. Merci de le comprendre.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 mars 2009
Je vous présente, s'il en était besoin, Pierre Lellouche, notre Représentant spécial pour le Pakistan et l'Afghanistan.
Comme vous le savez, nous avons décidé - et c'est ce qui a été fait, il y a quelques mois- de nous engager plus fermement encore aux côtés des forces alliées dans la lutte contre le terrorisme. A ce propos, le président Obama a annoncé un certain nombre de mesures qui vont dans ce sens.
Comme nous l'avions indiqué aussi bien à Bucarest que lors de la Conférence de Paris sur l'Afghanistan - qui a permis de trouver des moyens -, nous sommes engagés pour le temps nécessaire, à affirmer la nécessité politique de réussir à nous approcher des Afghans. On a appelé cela l'"afghanisation". Le mot ne vous convient peut-être pas, pas plus qu'à moi, mais c'est assez clair. Il faut considérer que nous sommes engagés en Afghanistan, aux côtés d'un nombre important d'alliés, parmi lesquels les Américains qui constituent le plus gros des troupes, pour que les Afghans puissent choisir, parmi des conditions qu'ils détermineront eux-mêmes, un système de gouvernement qui n'est pas exactement la démocratie occidentale mais qui a déjà fait ses preuves. En effet, des élections ont eu lieu, elles ont été contrôlées et elles ont permis l'élection du président Karzaï, des membres du Parlement parmi lesquels de nombreuses femmes.
Quelque chose s'amorce que nous devons non seulement maintenir mais aussi conforter. Les Américains ont décidé qu'un Représentant spécial serait nommé, c'est chose faite. Il s'agit de Richard Holbrooke que nous connaissons depuis longtemps et avec lequel nous aimons travailler. Les Britanniques et les Allemands ont également désigné un Représentant spécial. Nous avons donc décidé de nommer un Représentant spécial, et j'ai proposé à Pierre Lellouche d'être celui-là.
Il connaît l'Afghanistan et les conditions stratégiques de cet engagement. Plus généralement, il connaît la stratégie internationale et les engagements internationaux. Autour de lui, ici au ministère des Affaires étrangères et européennes et sous ma direction, nous allons organiser une cellule afghane que nous définirons ensemble et qui permettra de rassembler un certain nombre d'experts.
L'Ambassadeur de France en Afghanistan, Jean d'Amécourt, est présent parmi nous. Nous avons eu l'occasion de nous entretenir ce matin, - ce qui n'est pas un fait nouveau, nous l'avons déjà fait auparavant- pour envisager cette cellule permanente qui sera établie et qui regroupera en son sein des représentants des autres ministères ainsi qu'un certain nombre d'experts. A chaque moment, ils nous permettront d'analyser la situation, d'écouter Pierre et d'ajuster, au mieux, les exigences, parfois contradictoires, de la coalition internationale formée par les alliés, l'OTAN et les Afghans.
Dans cette lutte contre le terrorisme, ce qui nous intéresse - et cela n'a pas assez été dit -, ce sont surtout les Afghans. Cela comporte un certain nombre de démarches que notre ambassadeur et Pierre Lellouche suivront au plus près, comme l'engagement auprès de la population et plus généralement de la société civile.
En parlant de société civile, je ne confonds pas l'Afghanistan avec d'autres pays. Je ne me contente pas d'être théorique. Il nous faudra développer un certain nombre d'engagements qui feront la différence, si cette différence est possible et nous la savons possible. Une différence entre les offres uniquement militaires et les offres qui tiennent à l'éducation, à la santé, à l'agriculture, au développement de ce pays - l'un des plus pauvres du monde, je vous le rappelle. 60 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, 78 % des Afghans n'ont pas accès à l'eau. L'Afghanistan, ce n'est pas seulement les villes, ce n'est pas seulement Kaboul!
Le président de la République a signé cette lettre adressée à Pierre Lellouche, député de Paris pour lui confier la mission de Représentant spécial.
Je fais entièrement confiance à Pierre Lellouche, non seulement pour conserver les gains que nous avons acquis pour la population afghane - qui sont certes fragiles - mais pour poursuivre dans ce sens, aux côtés bien sûr de l'Administration américaine et avec nos partenaires européens qui, je vous le rappelle, sont très nombreux.
Je crois que cette mission était nécessaire. Il s'agit, je vous l'ai indiqué, d'une mission qui concerne le Pakistan et l'Afghanistan, car on ne peut pas les séparer. Ce qui complique singulièrement la tâche de Pierre Lellouche. Nous nous réunirons très régulièrement, cette cellule sera en permanence à la disposition de Pierre et de moi-même. J'animerai ces réunions qui auront lieu à intervalles réguliers mais qui pourront être convoquées en urgence, en vue d'obtenir des consultations en fonction des événements.
Ce matin, à Lahore, il y a eu un attentat qui visait l'équipe sri lankaise de cricket. Nous avons condamné cet attentat. Ce dernier point me permet de replacer ce dossier dans le contexte régional. Pierre Lellouche aura à s'occuper des problèmes inhérents à la proximité, - je parle à mots couverts - entre le Pakistan et l'Afghanistan. Nous avons déjà convoqué une conférence sur ce thème et j'espère que nous recommencerons bientôt. Il y a une conférence à Moscou qui s'amorce, il y en aura, je l'espère, une en France et aux Etats-Unis. Nous avons déjà travaillé dans le cadre régional pendant deux jours à la Celle Saint-Cloud lors de la Conférence réunissant les voisins de l'Afghanistan. Tout le monde était venu, même les Indiens et les Pakistanais, et cela juste quelques jours après les attentats de Bombay. Ce n'était pas facile mais c'est essentiel.
Les Iraniens sont les seuls à ne pas être venus. Après avoir publié un communiqué selon lequel le gouvernement iranien se réjouissait de venir à Paris, le ministre des Affaires étrangères a obéi aux ordres du président Ahmadinejad qui lui demandait de ne pas venir : ce fut la seule surprise de cette conférence. Mais il faut aussi travailler avec les Iraniens sur ce sujet. Le contexte régional est essentiel.
Je donne la parole à Pierre Lellouche. Vous pouvez poser toutes les questions que vous souhaitez.
Pierre Lellouche - Merci Cher Bernard, Mesdames et Messieurs, je serai être extrêmement bref. Le ministre a parlé. Tout d'abord, je suis très honoré de la confiance que me témoigne le président de la République en me confiant cette mission très difficile, et je suis reconnaissant à Bernard Kouchner qui en a eu l'idée. Cela s'est produit à la Werkunde, au début du mois de février dernier, à la veille de mon dernier déplacement en Afghanistan.
Je suis à la fois très reconnaissant de l'honneur qui m'est fait et de la confiance qui m'est témoignée, mais aussi très conscient de l'extraordinaire difficulté de cette mission. Je l'étais d'ailleurs - et je ne me suis pas privé de le dire publiquement - depuis longtemps, puisque j'ai moi-même demandé une mission parlementaire d'évaluation de notre opération en Afghanistan. Je n'ai pas été particulièrement tendre sur l'état de la stratégie occidentale actuelle en Afghanistan.
Ma mission, telle que je la conçois, à la demande du président de la République et sous l'autorité du ministre des Affaires étrangères et européennes - que les choses soient claires, il y a un président de la République, il y a un ministre des Affaires étrangères et européennes, il y a un parlementaire en mission constitutionnellement pour six mois -, c'est d'essayer de mettre sur les rails un certain nombre de choses.
La première d'entre elles, c'est de nous donner une force de frappe intellectuelle. Nous allons fabriquer une "task force", un groupe vraiment interministériel installé dans cette maison avec les cerveaux qui s'occupent de l'Afghanistan et du Pakistan, pas seulement au Quai d'Orsay mais également dans d'autres ministères. Je l'avais demandé et je suis très heureux que le président de la République et le ministre des Affaires étrangères et européennes l'aient rendu possible. Nous allons l'ouvrir - c'est aussi la volonté de Bernard - sur la société civile et tous ceux qui ont travaillé sur place, qui connaissent, qui peuvent nous aider sur l'Afghanistan. On aura un certain nombre de propositions à formuler le moment venu sur ces questions.
Deuxièmement, nous allons remettre à plat l'ensemble de notre stratégie. Il y a des aspects à améliorer sur l'ensemble des volets : civils, militaires, reconstruction. Ma mission consistera à faire des propositions au gouvernement et au président de la République.
Troisièmement, ce travail intellectuel et politique va servir aussi à influer sur la stratégie des partenaires et notamment des Américains. Nous sommes dans une phase où l'administration américaine - Bernard était hier avec Hillary Clinton - est en phase d'écoute sur l'Afghanistan. Ils savent que c'est extrêmement difficile et que ce n'est pas très bien parti. Ils sont donc prêts à écouter. C'est le moment de remettre à plat l'ensemble du dispositif allié et c'est aussi l'une de mes missions. D'où la volonté du président de la République et du ministre des Affaires étrangères et européennes d'avoir en face de Richard Holbrooke quelqu'un qui puisse être l'interface entre ce que nous faisons et ce que fait la coalition. Cela va être un travail pour lequel je crois être assez préparé, mais là aussi assez difficile.
Les domaines de travail sont clairs. C'est bien entendu la sécurité, y compris la police, pas seulement l'armée. C'est l'aide civile, la reconstruction, donc inévitablement les problèmes de drogue. C'est la gouvernance, donc la préparation de l'élection présidentielle, qui n'est pas notre problème mais nous on est aussi là pour assurer la sécurité ; ce sera donc clairement une des choses très difficiles à faire dans les six mois qui viennent. En dernier lieu, il y a tout le volet concernant le Pakistan.
Vous voyez que chacun de ces problèmes est extraordinairement difficile. Je vais y mettre tout mon coeur, toute ma force de travail. Je suis heureux d'avoir à mes côtés des agents du Quai qui sont remarquables : mon ami, Jean d'Amécourt, et son adjoint, Jean-François Fitou à Kaboul. Ce sont des gens formidables, qui travaillent - il faut que vous le sachiez - dans des conditions qui ne sont pas faciles humainement. Kaboul est une ville dangereuse et ce n'est pas évident. Ils font un travail remarquable, de même que Philippe Errera, Jasmine Zerinini et les autres, qui font aussi un travail formidable. Nous sommes en train de mettre ensemble des bonnes volontés et des talents au service, je l'espère, de bons résultats.
Je vous le dis d'entrée de jeu, je ne compte pas faire de la mousse médiatique sur cette affaire. J'espère que nous obtiendrons de véritables bons résultats, et on le saura assez vite, on aura tout lieu de se féliciter et d'en rendre compte. Mais ce qui nous attend, c'est d'abord énormément de travail, dans la clarté et la transparence la plus totale.
Bernard Kouchner - Je vous remercie. Nous allons travailler étroitement avec les autres ministères, notamment celui de la Défense, de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi ainsi que celui de l'Intérieur, de l'Outre-mer et des Collectivité territoriales. Ce qui sera un travail collectif sera également une préoccupation collective, et elle l'est déjà.
Q - Pouvez-vous revenir sur les attentats de Lahore ? Quelle est votre réaction ? Que pensez-vous que cela signifie pour le terrorisme dans la région ?
R - Bernard Kouchner - Comme je vous l'ai dit, nous venons de publier un communiqué dont je vous donne la teneur. Nous condamnons avec une très grande fermeté et avec beaucoup d'indignation l'attaque dont a été victime l'équipe nationale sri lankaise de cricket en déplacement à Lahore, tuant 8 policiers et faisant 7 blessés parmi les joueurs. Non seulement cet acte constitue une négation totale du rôle international du sport, mais c'est un mauvais présage en ce qui concerne l'usage des bombes et le terrorisme dans la région. En l'état actuel de l'enquête, je ne peux pas vous faire plus de commentaires.
Q - Monsieur Lellouche, comment concevez-vous votre mission allant du Darfour à Kaboul, tout le monde pense qu'il peut y avoir des implications régionales dans tout ce qui touche l'Afghanistan ?
R - Pierre Lellouche - Je ne suis pas sûr que la région de l'Afghanistan et du Pakistan déjà complexe doive s'étendre jusqu'au Darfour. Je ne comprends pas bien le sens de votre question.
Q - Tout le monde dit que le problème afghan et plus précisément taliban touche l'extrémisme et les mouvements salafistes dans toute la région. Quand on dit les mouvements salafistes dans toute la région, je ne vais pas vous apprendre que cela va jusqu'au Darfour et même maintenant cela dépasse cette région et arrive dans le désert algérien. Vous avez dit que vous alliez faire une force de frappe intellectuelle. Cette force de frappe intellectuelle va-t-elle étudier toutes les implications des salafistes dans ce qui se passe dans la région ?
R - Bernard Kouchner - Non. Ne mélangez pas tout !
R - Pierre Lellouche - Merci Bernard. J'ajoute que Bernard, lui, connaît beaucoup mieux l'Afghanistan que moi. Il a donc bien répondu à cette question.
R - Bernard Kouchner- Il ne faut pas exagérer. On l'accable déjà d'une mission extrêmement difficile.
R - Pierre Lellouche - Vous avez raison dans votre question. Tout le monde sait qu'il y a des implications ce qui fait partie du problème.
Q - Les Etats-Unis ont demandé plusieurs fois que l'Europe envoie plus de troupes en Afghanistan. La France a toujours dit qu'il y a déjà des troupes en mission extérieure. Il y a quelques semaines, le gouvernement a annoncé le retrait des troupes, notamment de l'Afrique. Est-ce que cela veut dire qu'il y a maintenant plus de ressources pour envoyer des troupes en Afghanistan ?
R - Bernard Kouchner - Non. Nous avions annoncé en ce qui concernait l'Afrique, puisque vous l'évoquez, que nous pourrions retirer, et nous l'avons déjà fait, un certain nombre de troupes. Non seulement nous négocions, et nous sommes en train de le faire à nouveau sur de nouvelles bases, les accords de défense, mais nous réfléchissons sur le maintien de nos bases dans certains endroits, notamment en Côte d'Ivoire.
Il y a quelques mois, nous avons déjà renforcé nos troupes en Afghanistan qui comptent 3.300 soldats. Il s'agit, par son importance, de la quatrième contribution à l'effort commun et nous n'avons pas l'intention, le président de la République l'a dit, de renforcer à nouveau cette contribution puisque nous venons de le faire. Cela ne veut pas dire qu'on n'enverra pas quelques techniciens qui seraient nécessaires auprès de nos soldats. C'est très clair et, d'ailleurs, il n'y a pas eu de véritable demande. Il y a seulement eu l'affirmation d'un renforcement des troupes américaines par le président Obama, il y a quelques jours. Cela avait été annoncé pendant la campagne électorale et le président Obama vient de le confirmer.
Q - Sur les questions de police, est-ce que la France va proposer au gouvernement afghan la formation d'une gendarmerie afghane ?
R - Bernard Kouchner - C'est une idée que Pierre Lellouche, s'il le souhaite, aura à présenter de façon très concrète. Nous pouvons en effet assurer cette formation, nous l'avons déjà fait très souvent. La formation des policiers et, en particulier, celle de la gendarmerie est une de nos spécialités. Nos gendarmes et nos policiers savent très bien faire cela. Nous en avons parlé à l'occasion de la dernière visite du ministre de l'Intérieur afghan. Ces idées cheminent et Pierre en précisera la portée.
Q - Lors de son passage à Paris, le général Petraeus avait parlé avec M. Morin de la stratégie américaine d'essayer de diviser les Talibans, de travailler avec ceux avec qui on peut envisager de travailler, et d'isoler le reste. Est-ce que la France soutient cette stratégie, quelle est votre position ?
R - Pierre Lellouche - Je crois pouvoir dire que nous sommes tout à fait en ligne avec cela. Il y a dans ce que l'on appelle les insurgés en Afghanistan un mélange totalement hétéroclite qui va de militants tchétchènes, arabes, divers et autres dans la nébuleuses d'Al-Qaïda. Il y a de vrais nationalistes, des trafiquants de drogue, des criminels de droit commun... C'est le mélange entre la politique et la drogue qui finance une bonne partie de l'insurrection. Tout le monde sait, le président Karzaï aussi d'ailleurs, que la solution se trouve dans la réconciliation nationale avec ceux qui sont des nationalistes afghans et qui se trouveront peut être, d'une façon ou d'une autre, associés au pouvoir, sans les armes. Effectivement, nous allons travailler aussi dans cette direction.
Q - Vous dites que les Américains sont prêts à écouter, que voulez-vous leur dire ?
R - Bernard Kouchner - Hier, à Charm el Cheikh, j'ai participé à un déjeuner auquel était également présente Mme Hillary Clinton. Je l'avais vu longuement quelques jours auparavant à Washington. Nous avons déjà parlé avec les Américains et nous continuerons de le faire.
R - Pierre Lellouche - Dans mon esprit et avec l'accord plein et entier du gouvernement, mon premier souci sera de consulter nos amis européens. C'est d'ailleurs à Bruxelles que je vais commencer demain ma mission, avec des contacts au niveau de l'Union européenne, de l'OTAN, de la Présidence tchèque du Conseil de l'Union européenne et, bien sûr, mes homologues allemands et britanniques. Une fois que nous aurons commencé à regarder où nous voulons aller, il sera temps d'aller voir M. Holbrooke. C'est ce que nous ferons le moment venu, probablement dans les jours qui viennent, mais dans un deuxième temps seulement. Ensuite, j'irai en Afghanistan et au Pakistan.
Q - Cette guerre se déroule depuis près de huit ans en Afghanistan. Il y a eu des changements de stratégie, pas beaucoup mais la dernière, annoncée hier par le président Obama, est l'envoi de 17.000 soldats supplémentaires. La remise sur la table de cette stratégie comprend-elle cette donnée ? Ne craignez-vous pas un enlisement à l'irakienne annoncé en Afghanistan ? Avec les négociations qui se déroulent aujourd'hui avec les Taliban en Arabie saoudite, quel serait le rôle de la France ? Quelles sont les parties avec lesquelles vous acceptez de négocier et quel serait le rôle de l'Iran dans ce cadre-là ?
R - Bernard Kouchner - Vous posez une série de questions auxquelles il est un peu tôt pour répondre dans le détail. C'est très difficile et il y a, bien sûr, des risques d'enlisement. La vérité, aujourd'hui, c'est que la situation sur le terrain est telle qu'il y a un vrai problème de sécurité qui obère la reconstruction de l'Afghanistan. A bien des égards, tous les efforts qui ont été faits méritent d'être repensés. C'est ce que nous allons essayer de faire pour éviter l'enlisement.
Vous avez remarqué que le prince Saoud était jeudi ici et que mon voyage en Arabie Saoudite, en plus de ce contact, est toujours programmé pour les jours qui viennent. Ne croyez pas que les contacts qui ont été pris, de l'avis même des Saoudiens, aient été déterminants. Pas encore.
Sur l'Iran, je vous ai donné mon sentiment. C'est un voisin important de l'Afghanistan et je sais que la communauté chiite compte beaucoup. La manière dont cette communauté a été traitée dans le monde entier, et pas seulement en Afghanistan, compte également beaucoup. Il faut tenir compte de cette proximité. Ils étaient invités à la réunion de Paris et j'ai vu le ministre iranien des Affaires étrangères il y a quelques jours.
R - Pierre Lellouche - Plus généralement, il faut rendre hommage à l'initiative de la France et de Bernard Kouchner d'avoir organisé la réunion de la Celle Saint-Cloud. Il y a quelques mois, la dimension régionale de la question afghane n'était pas dans les esprits, notamment aux Etats-Unis. Il y a une véritable évolution. Aujourd'hui on comprend en partie l'importance du Pakistan et de l'Iran parce que ce travail a été fait du côté français.
Q - Sur qui s'appuyer aujourd'hui, sur quels Afghans, et comment faire en sorte que la population ne maudisse pas les Occidentaux tous les jours davantage ?
R - Pierre Lellouche - Eh bien, vous venez de résumer ma mission.
R - Bernard Kouchner - Je vous rappelle que, depuis 2001, il y a eu une extension de la scolarisation des filles. C'était inimaginable lorsque nous étions présents en Afghanistan lors de la première guerre contre les Soviétiques, tout d'abord parce que c'était des petites filles et ensuite parce qu'il n'y avait pas d'école.
Q - Mais elles y vont ?
R - Bernard Kouchner - Oui, elles vont à l'école, ce qui est un progrès. Le système de santé n'est plus le même du tout : certes il est encore insuffisant, tout le monde n'y a pas accès, mais c'est aussi un progrès considérable. L'infrastructure - les routes - a été améliorée, ce qui est encore un progrès. Je ne vais pas faire une énumération qui aurait l'air d'une publicité. Néanmoins, tout cela demeure encore extraordinairement difficile. C'est une entreprise intellectuellement, militairement risquée mais aussi humainement - que ce soit sociologiquement ou religieusement. Vous avez raison. C'est la raison pour laquelle nous nous y attachons avec les moyens intellectuels et de réflexion qui sont les nôtres aux cotés de nos partenaires.
R - Pierre Lellouche - Vous évoquez de nombreuses choses que j'ai décrites dans mes rapports parlementaires. Je souhaiterais vous mettre en garde contre l'idée qu'il ne s'est rien passé en sept ans et demi et contre la tentation de jeter le bébé avec l'eau du bain. Il y a eu des choses de faites. Aujourd'hui, quand vous allez à Kaboul, ce n'est plus la même ville, ni même le même pays. Le pays s'est développé. On ne peut pas dire que tout a été un échec. Ce que l'on peut dire aujourd'hui, c'est que l'on est dans une sorte d'impasse où il y a une vraie dégradation sécuritaire qui menace la suite de la reconstruction. Il y a également des problèmes de corruption de l'administration. Tout cela mérite d'être traité.
Je voudrais dire deux choses. Je suis convaincu que nous n'avons pas le choix de plier bagages et de nous en aller. Non seulement parce nous sommes membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et nous avons des responsabilités, mais surtout parce que les Taliban et Al-Qaïda reprendraient le pouvoir si la coalition s'arrêtait que l'on rentrait tous chez nous. On reviendrait sept ans en arrière, avec des risques d'attentat chez nous. Il y a un problème de sécurité de la France et d'impact sur l'ensemble du monde.
La deuxième chose c'est que nous le devons au peuple afghan. Il y a eu des progrès de fait. Les gens qui ont bâti l'hôpital de Kaboul, les gens qui travaillent dans l'humanitaire et les Afghans méritent que ce travail soit fait. Je ne suis pas de ceux qui disent que c'est fichu et qu'il faut partir. Essayons de faire le travail, donnons-nous le temps et l'effort de la réflexion et de l'action. On est là pour cela. Merci de le comprendre.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 mars 2009