Interview de Mme Rama Yade, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et aux droits de l'homme, à LCI le 10 mars 2009, notamment sur les relations franco-chinoises et la question du Tibet et sur la situation à la Guadeloupe.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- R. Yade, bonjour.
 
Bonjour.
 
Il y a 50 ans, le Tibet se soulevait contre la Chine, aujourd'hui la Chine verrouille. Les journalistes, notamment de France 24 et de l'AFP, sont empêchés de travailler. Que pouvez-vous faire, qu'allez-vous faire ?
 
C'est vrai qu'il n'y a pas beaucoup d'évolution et qu'il est triste que le Tibet soit fermé aux touristes et aux étrangers, dans un contexte où l'année 2009 sera jalonnée d'une série d'anniversaires, comme le 10 mars, les fameux soulèvements au Tibet, le 14 mars, c'était il y a ...
 
Il y a un an.
 
 ... il y a bien sûr 50 ans. Le 14 mars, il y a un an, avec le soulèvement de Lassa. Il y a une série, comme ça, d'anniversaires...
 
Vous aviez demandé, il y a un an : on veut la lumière sur la répression, les victimes...
 
Effectivement.
 
Vous avez eu la lumière de la part des autorités chinoises ?
 
On regrette qu'il n'y ait pas eu beaucoup d'évolution. Il faut comprendre que notre position est équilibrée. Nous ne demandons pas l'indépendance du Tibet. Le Tibet fait partie intégrante de la Chine, c'est une donnée de la politique étrangère française, depuis le Général de Gaulle. Ce que nous souhaitons, c'est que l'identité spirituelle et religieuse du Tibet soit pleinement respectée, ainsi que la Dalaï-lama qui est un chef spirituel et religieux, un prix Nobel de la Paix, qui a été reconnu sur le plan international, par la communauté internationale. Ce n'est pas un homme dangereux.
 
Ah, mais attendez, Pékin vient de dire : « C'est un menteur, il propage des rumeurs », parce qu'il a dit « la Chine fait du Tibet un enfer sur terre. Alors....
 
Eh bien je vous répète que ce n'est pas un homme dangereux, c'est un homme de paix, un homme de dialogue, c'est un homme de sagesse, un apôtre de la non violence, c'est pour cela qu'on lui doit respect et égards. Et c'est pour cela aussi que le président de la République l'a reçu, en Pologne, à Gdansk, il y a plusieurs mois, comme l'ont fait l'ensemble de ses homologues, allemand, anglais ou encore américain.
 
Est-ce que ce n'était pas une erreur de le rencontrer en Pologne ? Est-ce que ce n'était pas une erreur de votre part d'aller le voir l'été dernier avec Carla Bruni-Sarkozy ? Résultat : la France est boycottée par la Chine quand le Premier ministre chinois fait une tournée en Europe ; nous en subissons des sanctions économiques.
 
Je ne vois pas de quelles sanctions économiques vous parlez, je vois surtout pas en quoi cela nous punit particulièrement, et arrangerait la Chine, parce que, aujourd'hui, nous sommes dans une période, je vous le rappelle, de crise financière et économique internationale. Nous devons tous être solidaires, les uns et les autres, pour surmonter cette crise. Je veux dire, c'est la raison pour laquelle nous avons appelé la Chine à la responsabilité ; la Chine ne peut pas non plus rester isolée sur cette question de la gestion de la crise économique et financière internationale. Nous devons travailler ensemble, nous avons besoin les uns des autres, et la France est un pays qui, comment dire, qui a une indépendance nationale. C'est aussi une tradition, une tradition gaullienne, et nous avons le droit de recevoir le Dalaï-lama ou d'aller le voir, parce qu'effectivement, ce n'est pas un homme dangereux, et de ce point de vue, il n'y a pas de raison de focaliser sur la France.
 
S'entraider face à la crise, dites-vous, vous êtes donc d'accord avec J.-P. Raffarin qui, hier matin, ici même, sur LCI, disait : « Il faut un partenariat stratégique, sans ingérence, entre la France et la Chine ».
 
Mais, il existe ce partenariat stratégique. Il existe déjà, et depuis plusieurs années, et nous y tenons. Nous respectons les Chinois, nous savons de quelle civilisation ancestrale ils sont issus. Nous tenons à ce que l'on ait un partenariat équilibré, mais pour le reste, pour ce qui s'agit du Tibet, il n'y a nulle ingérence, il y a juste rencontre entre le chef de l'Etat français et puis un homme de paix, comme d'autres chefs d'Etats dans le monde l'ont fait. Donc, il n'y a là-dedans rien de spécifique à la France ou d'un comportement qui serait particulièrement condamnable. Au contraire.
 
Richard Gere, l'acteur de cinéma, qui défend le Tibet, rêve qu'un jour la Chine ait un président tibétain. Et vous ?
 
Un président tibétain, eh bien écoutez, rien ne l'interdit, surtout si le Tibet fait partie de la Chine, précisément. Donc, après, vous savez, pour ce qui est des subtilités, des équilibres, entre les différentes populations en Chine, je n'ai pas à me prononcer. On peut toujours avoir des rêves, oui.
 
N. Sarkozy rentre du Mexique, sans F. Cassez, son sort sera décidé par une commission de juristes, et éventuellement son transfert, donc, en France. Est-ce que ce n'est pas un camouflet, tout de même, pour le président de la République française, qui a été accueilli vertement par l'opinion mexicaine ?
 
Je ne crois pas. Je ne crois pas. Il a été très bien accueilli par le président Calderon. Le président de la République a saisi la difficulté de la situation. D'un côté il sait que l'opinion publique mexicaine est très sensible ces dernières années aux enlèvements, et il respecte cela ; il a montré beaucoup d'égards à l'égard, enfin, à l'encontre de cette sensibilité forte. Il a par ailleurs dit son respect pour l'indépendance de la justice mexicaine, ce qui est tout à fait naturel et normal, et donc, de ce point de vue, il a dit clairement qu'il n'avait pas à s'ingérer, qu'il n'avait pas à juger, lui-même, de l'innocence, ou pas, de F. Cassez. En revanche, il a dit que c'était son devoir de protéger consulairement et de s'assurer que les droits d'une personne française, citoyenne française, sont respectés. Et il a eu, je crois, au final, une position très équilibrée, en n'allant pas dans un sens ou dans un autre, mais en disant : « Mettons en place un groupe de travail, entre des juristes mexicains et français, pour essayer de trouver une solution et de réfléchir à l'applicabilité des conventions internationales qui lient le Mexique et la France, et savoir si elle peut être transférée ou non ».
 
Et si elle est transférée en France, est-ce qu'elle doit y purger sa peine, comme au Mexique, c'est-à-dire plus de 60 ans de prison ?
 
Ecoutez, pour ce qui est des subtilités juridiques de cette affaire, moi je laisse le soin à cette commission, à ce groupe de travail qui va se constituer, de nous dire ce qu'il ne sera.
 
Alors, en Guadeloupe, quand E. Domota déclare que les chefs d'entreprise qui ne signeront pas l'accord salarial, devront quitter l'île et qu'il ne laissera pas les Békés rétablir l'esclavage, est-ce qu'il est, selon vous, coupable de provocation à la haine raciale, puisqu'il est poursuivi de ce chef ?
 
Ce n'est pas à moi de le dire, c'est à la justice, et...
 
Ça vous a choqué, ces propos, de sa part ?
 
Une enquête judiciaire a été ouverte et donc je n'ai pas à me prononcer là-dessus.
 
Vous pouvez réagir comme citoyenne, simplement. Il met de l'huile sur le feu ou il dit une vérité ?
 
Ce que je constate, c'est qu'il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt. La société guadeloupéenne est hiérarchisée, c'est un fait, ce n'est accuser personne que de dire cela.
 
C'est colonial, comme système ?
 
Je dirais que c'est un système qui, pour des raisons historiques, a laissé des traces. La blessure de l'esclavage, effectivement, est forte, et la mémoire est douloureuse et elle n'appartient pas encore au passé. Je pense qu'aujourd'hui deux facteurs peuvent expliquer cette mobilisation aux Antilles : d'abord, il y a la question de la vie chère et du chômage endémique - mais le gouvernement a su apporter des réponses très fortes là-dessus -, et la deuxième raison, plus fondamentale, je dirais que c'est un espoir que j'appellerais "l'effet Obama", d'une correction des effets négatifs de l'histoire. L'espoir que les hiérarchies héritées de l'histoire soient modifiées, avec une plus juste répartition des richesses dans les DOM, et des responsabilités dans les DOM. L'espoir aussi que la blessure de l'esclavage soit enfin entendue. C'est vrai, ne nous y trompons pas, je pense que ce mouvement social en Guadeloupe, a été plus qu'une agitation sociale ou qu'une grève générale, je pense qu'il a été l'expression d'une... enfin, la volonté d'affirmer sa dignité.
 
Et, est-ce que cet espoir ne va pas aller trop loin, dans une sorte de vengeance, de racisme anti-Blancs ?
 
Non, je ne crois pas. Je crois que la République est suffisamment respectée, aimée, en Guadeloupe et plus généralement dans les Départements d'Outre-Mer, pour qu'il n'en soit pas ainsi. Je crois qu'il y a une demande forte de République, une demande d'égalité, un refus des solutions victimaires ou à court terme, ou des remèdes à court terme, et donc, dans ces conditions, ne cédons pas, ni à la peur, ni aux divisions. La République, je crois, a suffisamment en elle, pour savoir qu'elle a des ressorts, pour nous permettre de surmonter ces tensions-là, puisqu'il y a une demande, précisément, de République, de la part des Antillais.
 
« Les immigrés clandestins de Calais, sont les Juifs de 43 », a déclaré P. Lioret, le réalisateur de « Welcome », soulevant la colère d'E. Besson. Est-ce que vous défendez les propos de l'artiste ?
 
Je n'ai pas vu le film « Welcome », j'en ai vu des images, mais...
 
Mais, les immigrés clandestins vous semblent traités comme les Juifs en 43 ?
 
Ecoutez, il faut que je voie ce film, parce que c'est à partir de ce film-là qu'il y a cette conclusion de tirée, mais enfin, il faut je que voie ce film, mais je me méfie toujours des comparaisons historiques, parce que comparaison n'est pas raison et l'histoire n'est jamais... ne se répète jamais tout à fait. Donc, laissez-moi voir ce film, et puis je jugerai après. Vous irez. En espérant trouver le temps.
 
La Cour pénale internationale a lancé un mandat d'arrêt contre O. El-Béchir, le président du Soudan. Résultat, de nombreuses ONG ont été expulsées, on a tiré sur des soldats de l'ONU récemment. La CPI a-t-elle eu une fausse bonne idée ?
 
Vous savez, la CPI est un progrès très important pour l'humanité. La Cour pénale a été créée par le statut de Rome en 1998, elle a commencé à fonctionner en 2003. Depuis, elle s'est saisie de quatre dossiers, quatre ou cinq dossiers, touchant notamment des responsables africains et le dernier d'entre eux est évidemment monsieur O. El-Béchir. Ce que j'ai envie de dire, c'est que les droits de l'homme, avec la Cour pénale internationale, c'est plus que des mots. Plus aucun chef d'Etat, personnalité, chef de guerre, ne pourra désormais, à l'abri de ses frontières, impunément provoquer, ces chefs qui ont été retenus, à savoir des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité, sans devoir un jour en rendre des comptes. Il s'agit de lutte contre l'impunité. Et je crois que ce qui se passe au Darfour - j'ai été au Darfour l'année dernière - blesse la conscience humaine, et que nous, Français, nous avons été ceux qui avons porté ce qualificatif de crime contre l'humanité, de crime de guerre, aux Nations Unies. Nous avons signé le Statut de Rome qui a créé la Cour pénale internationale. Nous considérons donc que la paix ne se construit pas dans l'oubli des victimes, et qu'il n'y a pas de paix sans justice. Donc, dans ces conditions, effectivement, nous déplorons que les ONG aient été expulsées, et de l'autre, nous appelons le Soudan à coopérer pleinement avec la Cour pénale internationale.
 
En un mot, Y. Sabeg veut mesurer la diversité en fonction de l'appartenance communautaire, déclarée par les sondés, par les individus. C'est un type de décompte qui vous choque ou qui vous intéresse ?
 
En France, on a le secret de ces débats, où on lance des thèmes - "statistiques ethniques", "discrimination positive" - et puis tout le monde s'écharpe sur les mots. Moi, je trouve que l'on devrait essayer des choses, et puis si ça marche, eh bien on retient, si ça ne marche pas, on arrête. Voilà, c'est ça ma philosophie. "Essayons quelque chose" : vous devez aider M. Barnier aux élections européennes, alors, vous faites quoi ?
 
Il m'a dit que ce serait bien que je puisse participer à la campagne, en l'aidant, et donc, je lui ai dit « pourquoi pas Michel...
 
C'est oui ?
 
... si tu penses que je peux être utile, volontiers ». J'espère que je peux être un atout.
 
R. Yade, merci, bonne journée.
 
Merci à vous.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 10 mars 2009