Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, lors du point de presse conjoint avec Mme Hillary Clinton, secrétaire d'Etat américaine, sur la concertation franco-américaine sur les dossiers internationaux, notamment l'Afghanistan et le Proche-Orient, Washington le 5 février 2009.

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Circonstance : Voyage de Bernard Kouchner aux Etats-Unis et entretien avec Hillary Clinton, à Washington le 5 février 2009

Texte intégral

Madame la Secrétaire d'Etat, je suis très heureux et honoré de vous rencontrer aujourd'hui, ici à votre nouveau poste, qui fait de nous deux collègues.
L'amitié entre nos deux pays est une amitié profonde. C'est une vieille amitié et c'est une amitié qui a beaucoup d'avenir. Nous avons bien sûr salué l'élection du président Barack Obama, bien que nous ne soyons pas d'accord à 100 % sur tous les dossiers.
Nous avons évoqué plusieurs dossiers internationaux dont principalement celui du Proche-Orient. Nous sommes en effet préoccupés par la situation de la population de Gaza qui a besoin d'une assistance humanitaire. Nous sommes d'accord, avec Mme la Secrétaire d'Etat, pour exercer une pression sur les deux parties en vue d'obtenir une ouverture des points de passage. Nous y parviendrons, même si c'est difficile car nous devons tenir compte à la fois du processus électoral qui a lieu en Israël et de la perspective de constitution d'un gouvernement d'unité nationale dans les Territoires palestiniens conduite par Abou Mazen, le président de l'Autorité palestinienne. Nous soutenons bien évidemment M. Abou Mazen et nous devons l'aider à renforcer ses positions, mais cela prendra du temps. Nous devons néanmoins avoir rapidement accès aux populations.
Nous sommes par ailleurs en accord complet concernant l'idée de soutenir l'initiative égyptienne, et vous savez que des négociations ont lieu au Caire entre la délégation du Hamas et de l'OLP. Nous attendons le résultat de ces négociations en manifestant un grand soutien aux Egyptiens.
Nous avons également parlé de l'Afghanistan, du Darfour, de Guantanamo. Nous vous remercions d'avoir décidé de fermer cette prison de Guantanamo. Avec nos partenaires de l'espace Schengen, nous souhaitons avoir une position commune parce que vous savez que si un des Etats accepte un prisonnier, ce dernier pourra se déplacer librement dans les 25 pays de l'espace Schengen.
L'Afghanistan constitue une lourde responsabilité pour nous et nous devons réussir. Nous devons réussir en Afghanistan avec notre soutien au gouvernement, élu démocratiquement, et à la population. Pour cette raison, nous devons sécuriser certaines zones. Nous nous sommes longuement entretenus sur ce thème avec Mme Clinton.
Q - Monsieur le Ministre, avez-vous parlé en détail d'une coopération franco-américaine en Afghanistan ? Pourriez-vous être plus précis à ce sujet ?
R - En effet, nous avons beaucoup parlé de l'Afghanistan parce qu'il s'agit d'un dossier important. Nous sommes déterminés à poursuivre notre soutien aux Afghans sur le terrain, comme nous le faisons déjà.
En fait, on ne parle pas suffisamment des succès que les Alliés rencontrent en Afghanistan. Il y a des succès pour la population afghane en matière d'éducation, de santé et d'organisation de l'agriculture. Pour ce qui concerne l'éducation, deux millions de petites filles vont à l'école en Afghanistan et Mme Clinton a été aimable de rappeler mon engagement personnel dans ce pays. Laissez-moi vous dire qu'à cette époque, il n'était pas possible, même en rêve, d'imaginer que deux millions de petites filles puissent se rendre à l'école. L'Afghanistan sera bien sûr l'une des plus rudes et des plus importantes tâches du président Obama, même s'il y a d'autres dossiers. Il y a bien entendu la crise financière qui touche le monde entier, vous ici aux Etats-Unis comme nous en France.
Concernant l'Afghanistan, je pense que le mot clé, c'est ce que j'appelle l'"afghanisation". Cela signifie que nous devons donner au peuple afghan le contrôle de leur propre destin dans le sens du progrès déjà accompli avec une montée en puissance des institutions. Ils ont élu leur propre gouvernement. Ils ont un Parlement dont les représentants ont également été élus, parmi lesquels des femmes - choses que nous n'aurions même pas pu rêver il y a quelque temps. Nous devons donc faire savoir aux Afghans qu'ils ont le contrôle de leur propre progrès et de leur propre futur. Ils ont quelque chose à prouver pour leur famille et pour leur avenir dans l'un des pays les plus pauvres du monde où 80 % de la population travaille dans l'agriculture. Je pense que c'est ce que nous avons à faire.
Nous avons donc décidé de continuer à travailler ensemble. Ce n'est pas une tâche simple. Il y a notamment des questions liées à la sécurité mais, avec nos alliés, nous avons décidé que c'est la voie à suivre et nous ferons des progrès en ce sens.
Q - Monsieur le Ministre des Affaires étrangères, Tony Blair a déclaré que le Hamas devrait être associé au processus de paix. Etes-vous d'accord avec cette déclaration ?
R - Vous savez, nous l'avons dit à plusieurs reprises : nous n'avons pas de contacts officiels avec le Hamas. C'est impossible pour le moment. Bien entendu, nous avons des contacts indirects en soutenant l'initiative égyptienne. Les Egyptiens, les Turcs, les Norvégiens, les Russes ont des contacts, surtout les Egyptiens parce qu'ils parlent en ce moment avec le Hamas.
Pourquoi ne parlons-nous pas officiellement avec le Hamas ? Parce qu'ils ne font pas partie du processus de paix. Nous parlerons certainement avec eux quand ils voudront commencer à parler avec les autres Palestiniens, ceux de l'OLP, et quand ils accepteront le processus de paix, la signature de l'OLP sur les documents palestino-israéliens et principalement l'initiative arabe en faveur de la paix. Tony Blair avait raison en déclarant cela. A Gaza, si vous ne pouvez pas mettre en place une force commune pour obtenir l'accès à la population civile ou à un gouvernement d'unité nationale, ce sera difficile. Je le sais, nous le savons.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 février 2009