Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "RTL" le 13 février 2009, sur les chiffres de la croissance économique, du chômage, du Produit intérieur brut, les bénéfices de Total.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie.- L'Insee l'a annoncé hier : le Produit intérieur brut de la France est contracté de 1,2 % au quatrième trimestre de l'année dernière. Au total, la croissance, en 2008, aura été de seulement 0,7 % en France. Sur ces mauvaises bases-là, C. Lagarde, comment se présente selon vous l'année 2009 ?

Elle se présente tous des aspects qui ne sont pas particulièrement réjouissants, puisque l'on entre dans l'année 2009 avec ce que l'on appelle un acquis de croissance, c'est le cas quand on a de la croissance. En l'espèce, le 4ème trimestre à -1,2 % est vraiment mauvais, on le savait, donc on entre dans 2009 avec du retard, si j'ose dire, on entre avec déjà un poids de - 0,9 % et il faudrait que l'on réalise une année 2009 exceptionnellement bonne, avec de très bons premier et deuxième trimestre, pour remonter déjà ce handicap. Donc, on le sait, le premier trimestre sera difficile, on le vit déjà puisqu'on voit les annonces de chômages partiels, de fermetures, etc. On aura une année 2009 qui sera difficile et je pense que nous n'aurons pas une croissance qui sera supérieure à - 1 %, ça sera probablement inférieur à - 1 %

C'est-à-dire : nous n'aurons pas de croissance en France, cette année, 2009.

Comme dans la plupart des pays du monde. Vous savez, aujourd'hui, on a une situation de récession mondiale, de récession européenne et donc de récession nationale en France. On n'est pas plus mal lotis que les autres, on est plutôt un tout petit peu mieux lotis si on examine attentivement les différents postes qui constituent la croissance. Mais, on est en récession, clairement.

Le Parlement a voté un projet de budget, en décembre, qui prévoyait une croissance de 0,2 à 0,5 en 2009, donc vous allez faire une révision de croissance et demander aux parlementaires de revoir la copie budgétaire, C. Lagarde ?

Ce que l'on va surtout devoir faire, c'est vis-à-vis de nos partenaires européens, un réexamen de l'ensemble des données, c'est-à-dire à la fois croissance, prévisions de déficit, prévisions de dette, parce que tout simplement l'activité détermine tout ça. S'il y a peu d'activité, il y a peu de rentrées fiscales, quand il y a peu de rentrées fiscales, avec des dépenses qui, même bien gérées, même contraintes, continuent - parce qu'on continue à avoir besoin de nos administrations, on continue à avoir besoin de nos services - clairement, le déficit augmente et quand le déficit augmente, on le finance par de la dette.

Donc, vous allez revoir à la baisse tous les indicateurs ?

On reverra l'ensemble de ces indicateurs au mois de mars.

L'Unedic prévoit 282 000 chômeurs en plus, en 2009. Dans ce contexte très morose, C. Lagarde, comment pouvez-vous justifier la suppression de 30 000 postes de fonctionnaires ?

Vous savez, ça c'est un engagement très ferme du président de la République et de l'ensemble du Gouvernement...

Pendant la campagne électorale.

... qui consiste à dire : on a une administration qui est extrêmement efficace, certes, mais qui est pléthorique dans un certain nombre de domaines. Et donc, on va remplacer les départs en retraite, mais on en remplacera un sur deux. Donc, c'est une....

Mais vous le maintenez, dans la crise, C. Lagarde ?

C'est une attrition marginale par rapport au nombre total des fonctionnaires et c'est un engagement que le président de la République, que le Premier ministre F. Fillon et que nous tous, autour d'eux, nous tenons. Alors, vous parlez...

Mais quand en même temps le chômage augmente, supprimer des postes dans la fonction publique, est-ce que ce n'est pas un éclairage négatif ?

Attendez, d'abord, il n'y a pas de chômage dans la Fonction publique.

Non, supprimer des postes dans la Fonction publique quand le chômage augmente.

Un des grands privilèges de la fonction publique, c'est précisément de pouvoir conserver son job.

Je ne vous ai pas dit qu'il y avait du chômage dans la fonction publique !

Ce qui est important, ce sont les mesures que l'on prend contre le chômage, ce sont les mesures que nous sommes en train de discuter, notamment avec les partenaires sociaux, dans le cadre de réunions bilatérales organisées autour de B. Hortefeux et qui vont déboucher sur la réunion du 18 février. On a tout un volet en discussion sur ce sujet-là, parce que ce qui va être grave, ce seront les salariés qui vont perdre leur emploi, soit partiellement, soit totalement, parce que, eh bien l'activité s'arrête, l'entreprise est obligée de faire du chômage partiel. Et pour cela, il faut absolument qu'on mette un filet de sauvetage, un filet de sécurité, pour tenir le temps de la crise.

Mais les partenaires sociaux, le 18, vous demandent justement de revenir sur la suppression des postes de fonctionnaires, donc vous leur répondez ce matin, C. Lagarde, c'est non.

Je réponds que là on est en train de mélanger les genres. Ce n'est pas parce que vous allez faire du recrutement supplémentaire, maintenir des postes de fonctionnaires, que vous allez résoudre le problème du chômage partiel, de celui qui ne travaille plus que deux semaines sur quatre. Donc, sur ces questions-là, il faut absolument que l'on ait des réponses pratiques, rapides, parce que je sais très bien que les effets de la crise se font sentir déjà maintenant.

Dans cet environnement très morose, la société Total a annoncé hier un bénéfice record en France : 13,9 milliards d'euros réalisés en 2008. Quel est votre commentaire à propos de ce profit de Total, C. Lagarde ?

Moi, je m'en réjouis et je me réjouis qu'il y ait des entreprises, en France, qui réussissent, qui fassent des profits, qui génèrent des bénéfices. Alors, je dis une entreprise en France, il se trouve que c'est une entreprise qui exerce un tout petit peu de son activité en France et beaucoup, beaucoup à l'international. Donc, je trouve ça réjouissant qu'on réalise des bénéfices. Toute la question...

Bravo Total.

... qui va se poser maintenant, c'est : quelle est la suite ? Est-ce qu'il va y avoir des investissements, est-ce qu'il va y voir des embauches ?

Je peux vous répondre ?

Est-ce qu'il va y avoir un certain nombre de réalisations pratiques qui vont apporter de la valeur à la France ?

Je peux vous répondre, C. Lagarde : la direction de Total a décidé de répartir ainsi ses 13,9 milliards d'euros de bénéfices : 60 % pour l'investissement, 38 % pour les actionnaires et 2 %... 2 % pour les salariés. Un commentaire ?

Ecoutez, ce n'est pas tout à fait les lignes de partage sur lesquelles on discute actuellement avec les partenaires sociaux et les organisations syndicales, pour les inciter à un débat.

Mais si vous dites le fond de votre pensée, ce n'est pas assez pour les salariés ?

Je n'ai pas à porter de jugement sur la répartition telle qu'elle est décidée par les actionnaires dans un groupe privé. Je vous donne un exemple...

Le chef de l'Etat a dit qu'il voudrait que ce soit trois tiers.

Aujourd'hui, ce que nous faisons dans les entreprises où nous mettons de l'argent...

Vous avez entendu le chef de l'Etat, jeudi dernier : trois tiers.

Laissez-moi finir mon propos.

Nous en sommes loin, C. Lagarde.

Il y a des entreprises dans lesquelles aujourd'hui on met de l'argent, qu'il s'agisse des banques, qu'il s'agisse des constructeurs automobiles. Quand on est en position, ainsi, de demander des contreparties, de dire aux constructeurs automobiles : « vous n'allez pas fermer de sites, vous n'allez pas envisager de plans sociaux, vous allez faire tout ce que vous pourrez pour éviter les suppressions d'emploi », là on est dans une position où on peut avoir un certain nombre d'exigences. Maintenant, qu'un groupe, sous actionnariat privé, qui réalise l'essentiel de son activité à l'étranger, fasse des bénéfices, et que les actionnaires décident la répartition de ces bénéfices ainsi, c'est leur prérogative dans le cadre d'une société commerciale. Je pense que...

Donc, ça ne vous choque pas.

Je ne pense pas...

Que Total ne donne que 2 % à ses salariés, ne vous choque pas ?

Attendez, laissez-moi finir. Je ne pense pas que les salariés du groupe Total soient dans une situation de paupérisation, ou de misérabilisme. Moi, ce qui m'intéresse, c'est de savoir ce que le groupe fait, pour créer de l'activité, pour développer de la valeur et je serai très attentive aux investissements, en particulier du groupe Total. J'ajoute, en ce qui concerne ce groupe, qu'il s'est comporté de manière tout à fait particulière, c'est tout à fait inhabituel par exemple, qu'un groupe privé décide de financer la prime à la cuve. On verse une prime à la cuve de 200 euros à tous les ménages qui ne sont pas imposables, c'est Total qui finance. Bon. Voilà. Alors, c'est une petite chose mais c'est un exemple d'un comportement un peu différent, aussi.

L'Etat, vous venez de le dire, C. Lagarde, a prêté 3 milliards d'euros à Renault, 3 milliards d'euros à Peugeot. C. Streiff, PDG de PSA/Peugeot Citroën, était l'invité de RTL mardi matin, et il a dit ceci...

C. Streiff (extrait invité RTL du 10/02/09) : Les banques ne nous prêtent plus d'argent, c'est terrible, mais c'est la réalité, et nous avons un dépannage de 3 milliards d'euros de l'Etat.

« Les banques ne nous prêtent plus d'argent », « dépannage de l'Etat ». Quand est-ce que vous allez taper du poing sur la table, C. Lagarde, pour dire aux banques de faire leur travail ?

Je trouve assez intéressant que, donnant des prêts participatifs, on soit des dépanneurs. Mais, ceci étant...

Il dit : « Les banques ne nous prêtent plus d'argent », c'est lui qui le dit, le PDG de Peugeot Citroën.

Il y a deux choses, je crois, pour le secteur automobile. C'est d'une part, le fait que l'argent...

Non, je vous parle des banques.

Mais non, non, non, non...

C. Lagarde, je vous parle des banques.

Non, non, mais je vous parle du financement des constructeurs automobiles.

On ne parle pas de la même chose.

Si, on parle de la même chose. Je vais vous répondre sur deux points. En ce qui concerne l'accès au crédit, les banques leur donnent de l'accès au crédit. C. Streiff trouve ça trop cher, bon, très bien, il a sans doute raison, c'est l'appréciation par les banques, d'un secteur automobile dont elles considèrent qu'il a des risques. Deuxièmement, Peugeot a essayé, comme Renault, d'ailleurs, d'aller sur le marché obligataire, pour lever des fonds eux-mêmes, ils n'y arrivent pas. C'est pour cela que l'Etat vient, en disant : « Eh bien écoutez, nous, on a une garantie forte, on va chercher de l'argent, on en met à disposition, on facture les intérêts et on vous demande, on vous demande de ne pas fermer de site et de ne pas procéder à des licenciements massifs ».

C. Lagarde, qui ne veut pas taper du poing sur la table, pour les banques, tant pis, on n'a pas réussi ce matin !

Je passe mon temps à taper du poing sur la table.

Allez, elle a tapé du poing sur la table, alors. Elle était l'invitée de RTL, ce matin. Bonne journée.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 13 février 2009