Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "RMC" le 19 février 2009, sur la gestion par le gouvernement de la tension économique et sociale en Guadeloupe, sur les mesures annoncées par le Président de la République, à l'issue du sommet social avec les partenaires sociaux.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin.- C. Lagarde notre invitée ce matin, ministre des Finances, et de l'Emploi aussi. Très vite, les Antilles, il ne s'agit pas d'évacuer les Antilles : près de 200 euros pour les bas salaires, c'est ce que promet F. Fillon ?

Il s'est prononcé je crois ce matin sur une radio concurrente que je ne nommerai pas...

Oui, RTL...

Et je crois qu'il a parlé d'une suggestion et d'une proposition. Donc je pense que c'est un projet à développer...

C'est l'État qui s'implique à nouveau.

Un projet qu'il faut développer rapidement entre les partenaires sociaux, avec des négociations bien encadrées dans le cadre desquelles l'État peut, je l'espère, jouer un rôle de catalyseur et...

L'État qui honore sa parole, donc ?

...Et calmer un peu les esprits dans le cadre de cette négociation.

Oui, l'État qui honore la parole donnée. Si la grève générale s'était développée dans un département de Métropole, le Rhône, les Bouches-du-Rhône, Paris, franchement, franchement, aurait-on attendu un mois avant de s'intéresser de près à ce qui passe ?

Je ne pense pas que vous puissiez dire cela, parce que, d'abord, le chef de l'État lui-même suit ce dossier au plus près depuis maintenant plusieurs jours...

Ça fait un mois que ça dure !

Y. Jégo a été sur place pendant très longtemps aussi. Et il a essayé de trouver les voies d'une solution. Donc chacun fait des efforts mais je crois que vraiment, là, les esprits sont très, très mobilisés. La ministre de l'Intérieur l'a indiqué hier, il faut ramener l'ordre, ramener le calme, et puis ensuite asseoir tout le monde autour de la table des négociations et essayer de trouver des solutions, qui soient des solutions qui fondent une politique nouvelle. Et je crois que la réunion de cet après-midi avec l'ensemble des élus locaux, de gauche comme de droite, va être aussi très importante parce qu'il faut que les élus locaux, qui sont les représentants du peuple, prennent aussi en charge un certain nombre des situations locales pour proposer des solutions nouvelles.

Alors on va parler du sommet social, mais hier j'avais le témoignage d'un chef d'entreprise de Métropole, qui a vendu son entreprise en métropole, qui a voulu s'installer à la Guadeloupe. Il a créé son entreprise, il a commencé à bien fonctionner, il vendait des voitures, il s'est mis à vendre des voitures, et au bout de deux mois, quand la concurrence a vu qu'il se développait, son entrepôt a brûlé, il a été menacé de mort. Les règles de la concurrence ne sont pas respectées en Guadeloupe, souvent la loi est bafouée.

Je ne connais pas les circonstances précises. Ce que vous dites est consternant, à la fois pour ce chef d'entreprise qui a démarré une activité, qui a déployé de l'énergie. Et ce qu'il faut viser à l'avenir c'est évidemment que les règles de la concurrence puissent jouer librement et que ceux qui veulent entrer sur un territoire, prendre des parts de marché, puissent le faire dans le cadre d'un État de droit.

On est en France, en Guadeloupe.

Absolument.

Bien. Le sommet social. Hervé et Marion m'ont écrit : "Nous gagnons près de 4.000 euros, nous sommes les oubliés des mesures annoncées hier".

C'est un peu compliqué parce que vous me donnez un exemple comme ça, sans me parler du statut fiscal, du couple, est-ce qu'ils ont des enfants...

Deux enfants.

Alors, moi je vais vous donner un autre exemple. Monsieur et madame Dupont, contre-exemple, ils ont deux enfants, ils gagnent par mois 3.000 euros, et normalement, s'il n'y avait pas eu les propositions d'hier, ils paient à peu près 800 euros d'impôts par an. Grâce aux dispositions d'hier qui touchent, je le rappelle, 6 millions de contribuables, leur impôt va être tout simplement divisé par trois, c'est-à-dire qu'ils vont payer 265 euros d'impôts. Donc vous voyez, les mesures fiscales sont vraiment ciblées sur les ménages modestes qui ont néanmoins une activité, un revenu, et qui sont bien souvent les oubliés des mesures de soutien, les primes, etc. Et je vous rappelle que c'est 6 millions de foyers qui vont être concernés.

On va parler de ces réductions d'impôts d'abord, c'est du pouvoir d'achat. Suppression exceptionnelle donc. Je lis Le Parisien ce matin, qui a très bien fait les choses, voyez. Donc suppression exceptionnelle des deux tiers provisionnels restant à payer de l'impôt sur le revenu pour les personnes assujetties à la première tranche. Cela représente en moyenne 200 euros par foyer fiscal, ça fait 20 euros par mois. C'est à la fois beaucoup et peu, ce sont les réactions qu'on a. Mais bon, c'est mieux que rien. Ça coûte à l'État 1,1 milliard d'euros.

Oui, c'est cela. Parce qu'il y a une autre tranche concernée, ce sont ceux qui sont dans la tranche juste au-dessus, au début de la tranche à 14 %, où là on essaie aussi de faire "une sortie en biseau", comme on dit, pour qu'il n'y ait pas un effet de seuil catastrophique juste à la sortie de la première tranche. Mais je rappelle que la mesure est ciblée sur ceux qui payent un peu d'impôt, qui ont des revenus modestes et qui sont des personnes vulnérables.

Qu'est-ce que l'on achète avec 20 euros par mois ? Moins de 20 euros, 18 euros ?

D'abord il faut réfléchir à 200 euros par an, parce que l'impôt, vous savez, c'est trois tiers. Si vous êtes exonéré du deuxième et du troisième tiers, eh bien ce n'est pas désagréable.

Prime d'allocation familiale d'un montant de 150 euros, elle concerne les familles qui touchent l'allocation de rentrée scolaire.

Exact. Cela représentera à peu près 3 millions de foyers.

Et ça coûte 450 millions d'euros à l'État.

Tout a fait.

Ça c'est le pouvoir d'achat, il y a aussi des bons d'achat de service de 200 euros pour les personnes âgées ou dépendantes, qui perçoivent le minimum vieillesse.

Il n'y a pas que cela, il y a aussi pour les familles qui ont un enfant à charge. Et cela concernera un peu plus d'un million de foyers. Donc vous voyez, 6 millions, 3 millions, 1,2 million, c'est un plan qui balaye large.

L'emploi maintenant : indemnisation du chômage partiel. Là, c'est une mesure qui a été bien reçue par les syndicats, qui passe de 60 % à 75 %. Alors là, on a besoin de précisions : qui va payer ?

D'abord pourquoi cette mesure-là ? Parce que l'objectif absolu que nous avons, c'est de lutter pour maintenir l'emploi, pour le préserver et pour préserver les salariés lorsqu'ils sont en chômage partiel. Pourquoi ? Parce que l'on sait très bien que cette crise va durer un certain temps mais que l'on va en sortir, et surtout il faut en sortir avec des entreprises qui tiennent encore, qui continuent à se développer et des salariés qui sont encore dans l'emploi, totalement si c'est possible, et si c'est partiellement, avec une meilleure indemnisation et avec de la formation. À votre question "qui va payer ?", les partenaires sociaux ont négocié, ils ont beaucoup négocié sur le chômage partiel, sur la formation professionnelle et sur l'assurance chômage. Le président de la République l'a dit hier, il n'est pas question de leur demander de rouvrir toute une négociation. En revanche, par branche, le président de la République a proposé que l'on puisse négocier des accords ad hoc, c'est-à-dire par secteur d'activité, dans le cadre desquels l'État prendrait en charge une partie, l'Unedic prendrait en charge une partie aussi parce que, tout simplement, c'est dans l'intérêt et des salariés et des entreprises que l'activité puisse être soutenue, même s'il y a un peu de chômage partiel ou même beaucoup de chômage partiel.

L'entreprise est mise à contribution aussi ?

Oui, bien sûr, vous savez les entreprises, elles contribuent pas mal à l'indemnisation.

Alors prime exceptionnelle pour les chômeurs, là ça concerne ceux qui ont travaillé entre deux et quatre mois, qui ne sont pas indemnisés aujourd'hui. Cela concerne des jeunes essentiellement, 234.000 personnes.

Tout à fait. Et ça, c'est une mesure de justice. Pourquoi ? Parce que l'on s'aperçoit que ceux qui perdent en ce moment leur emploi, les emplois qui sont, entre guillemets, "détruits", ce sont très souvent les emplois de l'intérim. Et bien souvent, les intérimaires n'ont pas accumulé suffisamment de droits pour bénéficier de l'indemnisation de chômage. Donc là, ce que l'on dit, au lieu d'avoir une exigence de quatre mois de cotisation, eh bien on ramène cela à deux mois de cotisation. Et pour ceux-là, il y a une prime spéciale de 500 euros.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 19 février 2009