Déclaration de Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, sur la prise en charge des personnes âgées et l'allocation personnalisée d'autonomie, Marseille le 13 avril 2001.

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Circonstance : Réunion du Comité départemental des retraités et des personnes âgées à Marseille le 13 avril 2001

Texte intégral

Monsieur le préfet,
Monsieur le président du Conseil général,
Monsieur le vice-président du comité départemental des retraités et personnes âgées,
Mesdames et messieurs les membres du comité départemental,
Mesdames et messieurs,
C'est un grand plaisir pour moi d'être aujourd'hui parmi vous avec Paulette Guinchard-Kunstler, pour discuter du projet de loi sur l'allocation personnalisée d'autonomie, et plus largement de la politique du gouvernement en direction des personnes âgées.
La rencontre de ce jour prend un relief particulier puisque votre comité vient d'être récemment renouvelé et je salue particulièrement les membres du bureau qui viennent d'être élus il y a quelques jours.
J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer devant les représentants des CODERPA à l'automne dernier, à l'occasion de leurs Rencontres nationales annuelles. J'avais alors indiqué que la préparation de ce projet de loi constituait pour moi et le gouvernement une priorité. Le texte qui sera examiné par l'Assemblée nationale la semaine prochaine en est la traduction. J'ai également discuté de ce projet avec M. Maurice BONNET, vice-président du comité national des retraités et personnes âgées (CNRPA), en début de semaine. C'est dire que le réseau des CODERPA et le CNRPA sont pour moi des interlocuteurs de qualité et des interlocuteurs nécessaires.
Ce projet de loi fait, vous le savez, suite à des missions d'études confiées par le gouvernement à Madame Guinchard-Kunstler, aujourd'hui à mes côtés comme secrétaire d'Etat, à Monsieur Jean-Pierre Sueur. Leurs travaux ont beaucoup contribué à construire ma réflexion et celle du gouvernement sur ce sujet.
La perte d'autonomie des personnes âgées est un des défis qu'adresse à notre société ce phénomène historiquement nouveau qu'est le vieillissement de la population.
Les personnes âgées veulent exercer pleinement leurs droits et choisir librement leur mode de vie. Elles veulent participer pleinement à l'élaboration et à la prise de décision dans tous les champs les concernant. Elles ont raison. Elles aspirent à une autonomie la plus large possible, c'est-à-dire à la capacité à vivre librement, à vivre selon ses choix, à assumer soi-même les modalités de son existence.
J'entends tout mettre en uvre pour que nos concitoyens les plus âgés puissent :
*profiter de leur autonomie et de leur liberté d'action, de circulation aussi longtemps qu'il est possible ;
*la reconquérir, la restaurer ou la consolider quand elle est menacée ;
*conserver leur dignité et leur joie de vivre quand la perte d'autonomie commence à se manifester ou devenir irréversible.
Finalement, pour reprendre les termes de Paulette Guinchard-Kunstler, " vieillir n'est pas une maladie ", vieillir est une évolution normale pour tout individu. Ce qui compte, c'est la place des personnes âgées dans notre société, pour que celle-si soit véritablement une " société pour tous les âges ".
Le regard que chacun d'entre nous peut porter sur la vieillesse, la représentation que l'on accorde aux personnes âgées, sont à cet égard déterminants. C'est la question de la citoyenneté que pose le vieillissement.
C'est dans cette perspective que le projet de loi qui nous occupe aujourd'hui prend son sens. Il vise à assurer aux personnes âgées les moins autonomes une pleine intégration dans notre société, et donc à réaliser cette " société pour tous les âges " que nous appelons tous de nos vux.
I. La perte d'autonomie des personnes âgées porte réellement en germe une limitation de la citoyenneté. Cela implique que la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées sorte d'une logique d'aide sociale, subsidiaire, ou elle est actuellement confinée, pour être reconnue comme un vrai risque social appelant une réponse de la solidarité nationale.
Faire un peu d'étymologie nous éclaire bien. Etre autonome, c'est vivre selon sa propre loi, c'est avoir la possibilité de choisir, choisir son mode de vie comme choisir son lieu de vie. Perdre son autonomie, c'est donc vivre sous la loi d'un autre, c'est dépendre d'un autre. Il faut tout faire pour que cette situation soit compatible avec la dignité des personnes. Dès lors, la perte d'autonomie des personnes âgées ne peut plus relever de la seule sphère privée, familiale, ou de l'aide sociale traditionnelle qui n'intervient qu'à titre subsidiaire. Elle est désormais l'affaire de tous, de la communauté des citoyens. S'en désintéresser serait exclure de la communauté civique les plus âgés d'entre nous.
Cela signifie qu'il faut reconnaître la perte d'autonomie des personnes âgées pour ce qu'elle est : un nouveau risque social.
Or, il n'est pas contestable que l'action publique à cet égard n'est pas satisfaisante, et notamment le bilan défavorable de la prestation spécifique dépendance est connu.
Dans ces conditions, l'essentiel de l'effort repose sur les familles, qui doivent subvenir financièrement aux dépenses provoquées par la perte d'autonomie et s'épuisent parfois physiquement et nerveusement lorsque la perte d'autonomie devient sévère. On est donc loin de la logique de solidarité nationale.
C'est justement ce principe de solidarité qui fonde le projet du gouvernement, pour apporter à la perte d'autonomie des personnes âgées les réponses politiques qu'elle appelle.
L'aspiration à la reconnaissance de la perte d'autonomie des personnes âgées comme un nouveau risque social s'est cristallisée sur la question du mode de gestion. Il serait réducteur de n'aborder ce problème que sous l'angle des modalités de gestion.
Ce qui importe d'abord, c'est de savoir quel droit est reconnu aux personnes en fonction de leur situation. A cet égard, on voit bien que la réalité de la prise en charge des risques sociaux par la sécurité sociale admet une assez grande diversité : l'universalité n'apparaît pas incompatible avec une modulation en fonction des ressources, notamment pour les prestations familiales.
En revanche, ce qu'exige la reconnaissance d'un risque social, c'est l'égalité des droits et leur appréciation sur une base objective. Cette préoccupation est au cur du projet du gouvernement.
Quant aux modalités de gestion, il faut avant tout rechercher l'efficacité. Pour parler simplement, il faut que " ça marche ", plutôt que d'échafauder des constructions théoriques, sans doute séduisantes, mais éloignées des réalités du terrain.
Je crois donc qu'il faut arrêter de jouer sur les mots : ce n'est pas parce qu'une prestation est servie par le département qu'elle est une prestation d'aide sociale - il existe bien une aide sociale de l'Etat -. Ce n'est pas parce qu'une prestation serait servie par un organisme de protection sociale qu'elle serait de fait une prestation de sécurité sociale. Le choix des modalités de gestion est donc tout à fait à distinguer de la philosophie d'une prestation.
II. Le projet du gouvernement apporte bien une réponse en terme de risque social. Je vais y revenir. Par ailleurs, le projet du gouvernement souhaite également renforcer la qualité de la prise en charge des personnes âgées.
Je voudrais d'abord résumer les traits saillants du projet de loi, qui montrent bien que l'on sort d'une logique d'aide sociale pour entrer dans une logique de solidarité nationale.
Il s'agira d'abord d'un droit universel. Ce droit sera universel puisqu'il n'y a pas de plafond de ressources excluant certaines personnes dont la perte d'autonomie justifierait qu'elles soient aidées. Très concrètement, il sera étendu à ce que l'on appelle les personnes en " GIR 4 ", ou moyennement dépendantes, aujourd'hui exclues de la PSD. Son montant sera modulé en fonction du degré de perte d'autonomie et du niveau de ressources.
La modulation de l'aide en fonction des ressources est justifiée dans la perspective d'une compensation des coûts provoquées par la perte d'autonomie : ce n'est pas la même chose de devoir recourir à une aide à domicile lorsque l'on perçoit le minimum vieillesse et lorsque l'on dispose de 20 000F par mois.
Concrètement, l'aide à domicile ira de 600F/mois pour une personne dont la perte d'autonomie est modérée et gagnant plus de 20000F/mois, à 7000F/mois pour une personne très dépendante et gagnant jusqu'à 6000F/mois. Nous sommes en train de finaliser le barème, mais à titre d'illustration, une personne percevant 10000F/mois et très dépendants devrait percevoir environ 5600F/mois.
L'égalité et l'objectivité des droits sont également très importants. Le montant d'aide sera défini très précisément par décret. Il y aura donc bien un droit objectif et égal, et non plus des situations différentes selon le lieu de résidence.
Il s'agira enfin d'un droit personnalisé, on pourrait dire " sur mesure ". Les montants nationaux par niveau de perte d'autonomie et de revenus prendront la forme de "plans d'aide" qui seront un véritables droit de tirage pour les personnes âgées. Dans la limite de ce droit de tirage, elles pourront financer toutes les actions qui auront été reconnues nécessaires.
Il s'agira ainsi de permettre une adaptation au cas par cas des aides concrètement apportées à la personne âgée, pour tenir compte de chaque situation particulière, en fonction de l'environnement, de l'entourage. A titre d'exemple, la difficulté à se déplacer n'a pas la même ampleur si la personne habite un rez-de-chaussée ou une maison avec étages.
De même, la perte d'autonomie n'a pas les mêmes conséquences pour les personnes qui ont pu rester à leur domicile et pour celles qui sont hébergées dans une maison de retraite. Dans ce deuxième cas, il faut en effet distinguer, la prise en charge de l'hébergement (d'hôtellerie), qui n'est pas liée à la perte d'autonomie, celle des soins financés par l'assurance maladie, et la prise en charge de l'aide à la vie quotidienne de la personne.
Les besoins nécessaires à la prise en charge des personnes âgées seront désormais précisément mesurés dans chaque établissement et serviront de base au calcul de l'allocation. Cela permettra de tenir compte des coûts précis de l'établissement dans lequel la personne âgée est accueillie, et donc, comme à domicile, de personnaliser l'allocation en fonction des dépenses réelles supportées du fait de la perte d'autonomie dans chaque cas particulier.
Parallèlement au bénéfice de l'allocation personnalisée d'autonomie, les personnes accueillies dans les maisons de retraite bénéficieront aussi d'une baisse du tarif hébergement, en moyenne de 20%, qui contribuera beaucoup à les solvabiliser.
Les moyens des établissements vont également beaucoup augmenter dès cette année. Le gouvernement a en effet décidé un plan de médicalisation de 6 MdsF sur cinq ans. Cela permettra bien sûr d'améliorer la prise en charge médicale en permettant aux établissements d'embaucher du personnel supplémentaire. Cela améliorera aussi l'aide à la vie quotidienne des personnes hébergées car certains personnels, notamment les aides-soignants, jouent un rôle important en ce sens auprès des personnes hébergées.
Concernant l'APA, avant d'en venir au financement et aux modalités de gestion, il est un sujet que je ne voudrais pas éluder qui est celui de la récupération sur les successions.
Je sais que c'est une question difficile qui suscite de fortes oppositions. Je crois qu'elle pose le problème du partage entre la solidarité familiale, qu'il faut maintenir bien sûr, et la solidarité nationale. Beaucoup considèrent que la récupération sur les successions caractérisent l'aide sociale. On pourrait cependant observer que le minimum-vieillesse, qui est une prestation de sécurité sociale, est également soumis à récupération.
Quoi qu'il en soit, je crois important qu'un débat ait lieu au Parlement sur cette question essentielle du rôle respectif de la solidarité familiale et nationale. Cela permettra de déterminer quel est le bon équilibre.
J'ai lu aussi des interrogations sur la pérennité du financement. Je peux vous assurer qu'il n'y a aucun doute sur cette pérennité. Nous savons très bien que le coût de la prestation augmentera à l'avenir par rapport à la première année d'application. Ce que nous ne savons pas avec exactitude, c'est jusqu'où et à quelle vitesse. C'est pour cela que la loi prévoit une clause de bilan fin 2003 pour faire le point et, si nécessaire, adapter les modalités de financement.
Un autre point important concerne les modalités de gestion.
La mise en uvre de l'APA supposera une action de proximité importante. Le versement de l'allocation personnalisée d'autonomie sera l'objet d'un dialogue approfondi entre le bénéficiaire et les équipes médico-sociales. Celles-ci doivent aller chez la personne âgée, évaluer son niveau de perte d'autonomie, discuter avec elle des aides qui lui seraient nécessaires, enfin élaborer un " plan d'aide " qui soit l'aboutissement de ce travail. Cela nécessite d'avoir des équipes de terrain, de connaître les services d'aide à domicile disponibles localement, bref, de pouvoir faire de la coordination gérontologique.
C'est pourquoi le projet de loi confirme la compétence des départements dans la mise en uvre de cette nouvelle allocation, en les associant étroitement aux caisses de retraite. L'objectif poursuivi est de généraliser les partenariats qui existent déjà dans nombre de départements, dans un souci de pragmatisme et d'efficacité. Il s'agit en effet d'assurer la mobilisation de tous les moyens existants, des différents savoirs-faire, aujourd'hui réparties assez largement entre ces deux catégories d'institutions.
Je sais que certains s'interrogent sur le rôle important confié aux départements dans la gestion de la nouvelle prestation. J'ai déjà eu l'occasion de le dire, ce qui compte vraiment c'est l'efficacité. En l'occurrence, l'Etat définit un droit au niveau national. Il en délègue la mise en uvre à d'autres. Il en assurera le contrôle. Ce qui est important, c'est que les personnes âgées aient effectivement accès à leurs droits, et que ce droit soit égal pour tous.
S'appuyer sur les conseils généraux, c'est aussi un choix de société fondé sur la conviction qu'il faut rapprocher les décisions du terrain. C'est donc le choix de la décentralisation, qui n'est évidemment pas incompatible avec l'égalité des droits sur le territoire. Et c'est bien l'équilibre que réalise le projet du gouvernement : concilier l'égalité des droits avec la décentralisation.
La mise en uvre de la loi doit permettre d'assurer une prise en charge de qualité.
Plusieurs mesures en ce sens ont déjà été annoncées dans cette perspective. Je les rappelle ici :
- La diffusion progressive des centres locaux d'information, de liaison et de coordination (CLIC) d'ici 2005, qu'avait suggéré Paulette Guinchard-Kusntler. Le réseau des CLIC maillera le territoire au niveau des bassins de vie et offrira aux personnes âgées et à leur famille une " porte d'entrée " dans le dispositif de prise en charge. 25 sites ont démarré une expérimentation en 2000, dont deux en région marseillaise. 70 MF ont été prévus dans la loi de finances pour les étendre en 2001 et une dizaine de projets émanant des Bouches-du-Rhône seront d'ailleurs examinés.
- Un plan de médicalisation, qui se traduit par l'augmentation forte des crédits d'assurance maladie en faveur des maisons de retraite et des services de soins infirmiers à domicile (SSIAD), sur une durée de cinq ans, avec 7,2 MdsF de mesures nouvelles. La région PACA est d'ailleurs la première bénéficiaire de ces mesures en 2001, du fait des besoins importants de prise en charge des personnes âgées.
Je souhaite aujourd'hui apporter une attention particulière à l'aide à domicile, car c'est autour d'elle que s'articule la prise en charge de la perte d'autonomie, et c'est grâce à elle que peut être évitée ou retardée l'entrée dans les établissements spécialisés. C'est aussi grâce à elle que la personne âgée peut choisir de vieillir chez elle.
Il s'agit d'inciter les personnes âgées à recourir aux services d'aide à domicile, qui apportent généralement une meilleure qualité et plus de continuité dans la prise en charge. Il faut cependant laisser la liberté de choix aux personnes âgées et à leur famille, et penser aussi aux contraintes pratiques, qui ne permettent pas toujours d'organiser une prise en charge par l'intermédiaire d'un service.
Dans cette perspective, le projet de loi prévoit que l'équipe médico-sociale définira quel est le mode d'intervention - emploi direct ou service prestataire - qui lui paraît le plus approprié compte tenu de la situation de la personne. Si celle-ci est très dépendante, elle sera prioritairement orientée vers un service d'aide à domicile, sans que cela constitue une obligation. Le montant de l'aide pourra également être modulée pour tenir compte des différences de qualité.
Il reste que pour développer ce recours aux services de professionnels, dans l'intérêt même des personnes âgées, encore faut-il s'en donner les moyens. A cet égard, l'aide à domicile doit trouver des financements. Le secteur a également besoin d'être modernisé, la condition des salariés doit être améliorée, les qualifications renforcées.
Par ailleurs, le projet de loi crée pour le première fois un fonds de modernisation de l'aide à domicile, dont l'objet sera de contribuer au financement d'actions de formation, de développement des services, et de toutes mesures susceptibles de favoriser la professionnalisation du secteur. Je vais discuter, avec les professionnels de l'aide à domicile qui souhaitent s'engager dans une démarche constructive, les modalités de fonctionnement de ce fonds qui seront précisées par décret.
Je crois qu'il est important de souligner la novation que constitue ce fonds : pour la première fois, l'Etat se dote d'un outil budgétaire permettant de conduire une politique structurelle dans l'aide à domicile.
C'est donc une politique ambitieuse que le gouvernement entend mettre en uvre pour apporter une réponse adaptée aux questions que posent la perte d'autonomie des personnes âgées.
C'est une tâche difficile parce que les situations varient d'un individu à l'autre ; parce qu'avec le temps se sont développées des logiques de territoire entre les différents acteurs ; ces difficultés doivent être surmontées. Ce projet doit enfin, comme je l'ai indiqué être replacé dans le cadre plus large du vieillissement, et dont la perte d'autonomie ne constitue qu'une manifestation, sans doute la plus sensible.
Je ne doute pas que ce projet permette de mettre en place un dispositif qui offrira les cadres nécessaires à une vraie rupture pour sortir enfin de l'aide sociale. L'APA n'en présente d'ailleurs aucune des caractéristiques : elle n'est pas réservée à une population de personnes sans ressources ou à très faibles revenus ; elle n'est pas subsidiaire par rapport à la mise en uvre de droits sociaux ; elle est identique sur tout le territoire.
L'APA n'est pas non plus une prestation assurantielle, reposant sur des cotisations qui conditionneraient l'ouverture des droits ; elle est peut-être une prestation sui generis. Mais elle est très certainement et surtout une prestation de solidarité nationale parce que fondée sur un droit objectif, et financées par des ressources universelles.
Le gouvernement et moi-même sommes très déterminés, pour que toutes les personnes âgées, quelle que soit leur situation, trouvent toute leur place dans notre société.

(source http://www.social.gouv.fr, le 18 avril 2001)