Interview de M. Luc Chatel, secrétaire d'Etat à l'industrie et à la consommation, porte-parole du gouvernement, à "Europe 1" le 24 mars 2009, sur les parachutes dorés de certains patrons d'entreprise, sur les restructurations d'entreprises.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- L. Chatel, bonjour.
Bonjour.
Le président de la République part aujourd'hui chez X. Bertrand, à Saint-Quentin, où il s'était présenté, il y a 26 mois en défenseur de "la France qui souffre". Quelle nouvelle solution peut-il encore inventer ?
Je crois que ce soir, le président de la République fera un discours politique. Il veut montrer à la fois qu'on se bat depuis six mois, pour sortir de la crise.
Pourquoi ? On ne le sait pas ?
Non, je pense que c'est important, à ce moment de la crise, de replacer tout cela en perspective et de montrer qu'à la fois on se bat pour sortir de la crise, mais qu'en même temps on n'a pas renié nos convictions. On n'a pas renié les engagements qui ont été pris dans le cadre de la campagne présidentielle. Et le Gouvernement en parallèle, il tente de sortir au plus vite de la crise en mobilisant le plan de relance, en veillant à ne laisser personne au bord du chemin. Mais en même temps, il continue sur les réformes qui ont été validées par les Français, il y a deux ans.
Vous vous adressez ou il s'adresse plutôt à son électorat de droite ?
Non, il s'adresse aux Français, c'est un meeting républicain et il s'adressera aux Français, parce que, vous savez, je pense qu'aujourd'hui, les Français sont tous un peu déboussolés, ils sont inquiets, face à cette crise d'une violence absolument inouïe.
Vous ne l'êtes pas, vous, au niveau du Gouvernement ?
Si, bien sûr ! Vous savez, moi, j'ai travaillé pendant 12 ans dans une entreprise qui m'a appris la saine inquiétude. C'est-à-dire se lever tous les matins en se disant : est-ce que ce qu'on a fait hier, c'était à la hauteur des enjeux.
Est-ce qu'on n'atteint pas aujourd'hui les limites du volontarisme en politique ? Parce que longtemps, on nous a dit « je veux, je peux ». Est-ce qu'aujourd'hui, ce n'est pas « je veux, mais je ne le peux pas » ?
Non, vous savez, j'ai été hier dans le nord, à Douai, pour présenter le pacte automobile que le président de la République a annoncé, le 9 février dernier. Je n'ai pas l'impression que nous soyons dans l'incantation. Moi, j'ai vu des chefs d'entreprises, qui ont compris que le Gouvernement et les différents acteurs sont totalement mobilisés sur le secteur de l'automobile...
Ils ont compris que vous alliez les sauver ?
Ils ont compris que nous étions à leur côté, avec des mesures très concrètes.
A Calais, hier, justement, vous avez déclaré L. Chatel, que la crise est tellement violente, que pour sauver des entreprises, il faut les restructurer. Est-ce que vous confirmez comme on le dit, Le Parisien en particulier, que le Président devrait annoncer à Saint- Quentin, la nomination d'un Haut commissaire à la restructuration ?
Ecoutez, le président de la République, bien sûr, il va parler de ce sujet, majeur, qui est celui des restructurations. En ce moment, l'industrie est touchée de plein fouet par la crise, c'est la première victime par la crise. Il y a le gouvernement au quotidien, il travaille, il tente de résoudre les conflits de restructurations.
Non, mais est-ce que vous me le confirmez ? C'est ça qui est intéressant ?
Il va évoquer ce sujet, je ne vais pas vous dévoiler ce matin à 8 heures, ce que le président de la République dira dans son discours ce soir, J.-P. Elkabbach ! Par contre ce que je peux vous dire, c'est que le Gouvernement, il travaille sur les restructurations dans trois directions en même temps. On fait trois choses en même temps. D'abord de l'anticipation, on essaie d'éviter à chaque fois qu'on le peut, qu'il y ait des situations dramatiques...
Permettez-moi de vous dire, qu'on en voit le résultat, quant à l'anticipation !
Oui, je vous en donne un résultat : en six mois le comité interministériel de restructuration industrielle a permis de sauver 22 000 emplois. Alors ça peut vous paraître peu, mais c'est en même temps la mobilisation des moyens de l'Etat, des différents acteurs, pour éviter les drames qu'on entend tous les matins à la radio.
Donc ce soir, la réponse, ce soir, il y aura un nouveau « Monsieur Bricolage » ?
Nous allons renforcer, il l'a annoncé la semaine dernière, nos moyens en faveur des restructurations. Parce qu'il y a l'anticipation, mais il y a aussi le traitement, c'est-à-dire l'accompagnement des salariés qui sont victimes de la crise. Nous avons mis en place, la convention de contrats de transition professionnelle, nous allons avoir le fonds social qui a été validé avec les partenaires sociaux, qui va nous aider à tout cela. Et puis il y a aussi la revitalisation ; ce soir, ils seront à Saint-Quentin, dans un bassin, dans une région qui est particulièrement touchée, par la crise. C'est important qu'on ait aussi, des moyens à destination de revitalisation des territoires.
Je reviendrai tout à l'heure sur Heuliez, si vous le voulez bien, avec vous et d'autres entreprises, L. Chatel. Mais ce matin, on a appris que le PDG de Valeo, T. Morin, s'en va en bénéficiant d'un parachute doré de 3,2 millions d'euros, avec l'accord de son conseil d'administration, alors que son entreprise aidée par l'Etat, supprime 5.000 postes dont 1.600 en France. Dans ce climat d'indignation de l'opération, comment qualifiez-vous ce geste ?
Je le qualifie de choquant. Ça me choque, pourquoi ? Parce que comme vous l'avez rappelé, Valeo a reçu l'aide de l'Etat, il y a quelques semaines, à travers le fonds des équipementiers automobile. C'est-à-dire un fonds qui sert à investir dans les fonds propres, dans des belles entreprises, Valeo est une belle entreprise, dont on pense qu'elle est stratégique pour l'avenir de l'automobile. Donc ça me choque, parce que le président de la République a eu l'occasion d'annoncer à plusieurs reprises, C. Lagarde l'a également fait, le Premier ministre, que lorsqu'il y avait l'aide de l'Etat, eh bien, les dirigeants devaient renoncer à toute forme de rémunération exceptionnelle.
Donc chez Valeo, on est sourd ! Comme dit A. Minc, il y a un autisme suicidaire. Est-ce que vous demandez à T. Morin de renoncer à tout ou partie de ce qu'il a touché ?
Ecoutez, je crois, je le mets face à ses responsabilités, T. Morin. A la fois, il a géré pendant de nombreuses années, il a travaillé 20 ans chez Valeo, cette entreprise qui est une belle entreprise. En même temps, aujourd'hui, il ne peut pas nier qu'il y a une crise et que ce type de pratique choque nos concitoyens.
Lui doit considérer qu'il est dans son droit.
Il a sans doute un contrat qui prévoit deux ans de rémunérations en cas de départ. Encore une fois, l'Etat a accompagné cette entreprise, a accompagné cette société, et je trouve choquant que dans le contexte actuel, on mette en place ce type de rémunération.
Que peut faire l'Etat ? Que va faire l'Etat ?
L'Etat va faire une chose : c'est que depuis la loi de modernisation de l'économie, que nous avons fait adopter avec C. Lagarde, il y a une disposition importante, c'est que ce type de parachute doré doit être validé par l'assemblée générale des actionnaires. L'Etat est aujourd'hui, à travers la Caisse Des Dépôts et le fonds de modernisation des équipementiers présent au capital de Valeo, à hauteur de 8 %. Il n'est pas encore au conseil d'administration encore, mais il est membre du capital, il est au capital et donc il sera l'assemblée générale. Il s'opposera à l'assemblée générale au versement de ce parachute doré.
Donc chaque fois, L. Chatel, l'Etat s'opposera surtout quand il aura aidé des entreprises ?
Oui, parce que - le Président l'a rappelé la semaine dernière - l'idée c'est un véritable pacte, c'est du donnant/donnant, du gagnant/gagnant. On vient chercher l'Etat aujourd'hui, parce que les entreprises ont besoin de ses engagements. En contrepartie, on doit renoncer à certaines pratiques, le monde change en même temps, J.-P. Elkabbach.
Mais eux, ne le savent pas, nous, nous le savons, tous les matins, mais eux ne les avent pas, apparemment ils ne l'entendent pas. Qui a convaincu les patrons de la Société Générale à renoncer à leurs stock-options ? On dit le président de la République, C. Lagarde, L. Parisot, qui ?
Je crois qu'il y a eu mobilisation générale de la part du Gouvernement, du président de la République. C. Lagarde a longtemps discuté, échangé avec les responsables de la Société Générale. J'ai eu l'occasion de m'exprimer dès vendredi sur ce sujet...
Elle l'a fait dimanche matin. Vous aussi. Donc il y a eu une pression de l'Etat, sur la Société Générale ?
Bien sûr ! Il y a eu une pression pour considérer qu'on ne pouvait pas à la fois demander l'accompagnement et l'aide de l'Etat, et ne pas renoncer à des rémunérations exceptionnelles.
Beaucoup réclament une loi - vous avez entendu, C. Bartolone avec M.-O. Fogiel, tout à l'heure - ; la loi c'est l'arme de dissuasion massive ou majeure. Est-ce qu'on va vers la loi ?
D'abord, nous avons amélioré, modifié la loi, et il faut commencer par faire appliquer les dispositions qui existent. Le sujet des stock-options que vous l'avez évoqué avec le Société Générale, eh bien, ça a été amélioré avec la loi de décembre dernier, du 3 décembre 2008, puisque dorénavant, lorsqu'il y a un plan de stock-options, il doit être partagé par l'ensemble des salariés, ou bien quand il n'est pas partagé par l'ensemble des salariés, on doit augmenter l'intéressement et la participation.
Donc on peut ne pas aller jusqu'à la loi ?
On peut ne pas aller jusqu'à la loi. Il y a un débat dans la majorité et je crois que c'est une bonne chose. Il y a des propositions qui sont nombreuses. Le Gouvernement après concertation, C. Lagarde l'a dit, dimanche sur votre antenne, décidera ce qu'il fera.
Votre gouvernement est-il favorable à un plafond des rémunérations des patrons à la manière de B. Obama ?
Je ne suis pas sûr que ce soit la formule adaptée. Vous savez, je vous rappelais tout à l'heure, que j'étais hier dans le Nord-Pas-de-Calais ; l'immense majorité des chefs d'entreprises sont des gens responsables qui n'abusent pas en terme de rémunération et on a besoin de ces entrepreneurs pour revitaliser notre économie.
Et ce n'est pas ça qui empêchera la crise, le développement de la crise, et des licenciements et des fermetures d'entreprises.
Absolument !
Encore une question, qu'est-ce que vous attendez du Medef et de L. Parisot ?
Eh bien, j'attends de sa part qu'elle mette en oeuvre complètement la charte qui avait été annoncée par l'AFEP, il y a quelques mois, le code de bonnes pratiques. Et puis je pense aussi qu'elle a une responsabilité morale importante vis-à-vis de l'ensemble du patronat. Mais encore une fois, je ne tombe pas non plus dans l'excès inverse de stigmatisation du patronat, on a besoin dans cette crise de chefs d'entreprise. J'en vois tous les jours, des industriels qui se battent, qui se retroussent les manches, et eux ne peuvent pas être stigmatisés.
Heuliez, L. Chatel. On disait que C. Lagarde allait recevoir demain avec vous, S. Royal, non, c'est pour plus tard, si je comprends bien ?
D'abord, Heuliez, je vais vous dire, c'est une société qui est en difficulté depuis longtemps, puisqu'elle avait été placée en sauvegarde, en octobre 2007, c'est un dossier sur lequel, moi, je travaille depuis plusieurs mois, avec mon équipe et notre priorité...
Déjà en 2006, J.-L. Borloo et G. Larcher l'avaient aidée ?
Absolument !
Parce qu'on vous demande 10 millions, on dit qu'on vous demande 10 millions d'euros pour sauver, à travers le fonds stratégique d'investissement...
Notre objectif, mon objectif aujourd'hui...
...on dit que vous refusez les 10 millions ?
Je vais y venir. Mon objectif aujourd'hui, c'est de me battre, de nous battre, le Gouvernement, pour éviter la liquidation de l'entreprise. Mais c'est difficile parce qu'Heuliez, elle est un peu à la croisée des chemins. D'un côté, son activité traditionnelle de fabriquer des coupés cabriolets est en perte de vitesse ; ils ont perdu des marchés et leur dernière voiture qu'il fabrique, s'arrête en juillet prochain. Et puis de l'autre, ils ont une activité émergeante intéressante, porteuse, qui est la voiture électrique et qui démarre.
Non, mais rassurez-les, est-ce qu'ils auront les 10 millions ou non ?
Alors encore une fois, nous sommes en train... Le sujet c'est quoi ? C'est d'avoir un vrai tour de table des perspectives industrielles sur Heuliez. Parce que vous me dites 10 millions d'euros, mais aujourd'hui ce n'est pas 10 millions d'euros qu'il faut, c'est 45 millions d'euros. Et donc ce n'est pas uniquement le FSI, c'est un tour de table avec différents partenaires industriels. Donc moi, je travaille en ce moment, ça fait quatre jours, que je suis totalement mobilisé sur ce dossier. J'ai vu un certain nombre d'industriels
D'accord ! Est-ce que vous allez leur proposer de découper l'entreprise, ou elle restera un tout ?
Nous devons examiner toutes les hypothèses. Ce qu'il faut, c'est une perspective industrielle. Parce que mettre 10 millions, 45 millions aujourd'hui... aujourd'hui on a besoin de 45 millions d'euros, c'était 25 il y a six mois, si on ne fait rien ce sera 60 dans six mois.
Donc l'avenir n'est pas assuré ?
Donc l'objectif, c'est de trouver des solutions, des perspectives industrielles, pour dire la vérité aux salariés.
On n'en est pas là !
Il faut à la fois qu'on soit responsable...
On n'en est pas là !
...ne pas laisser tomber sans rien faire Heuliez, mais en même temps regarder et travailler sur un vrai projet industriel porteur.
Madame S. Royal va encore vous allumer. Elle sera là jeudi matin.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 24 mars 2009