Extraits d'un entretien de Mme Rama Yade, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et aux droits de l'homme, dans "Libération" du 14 avril 2009, notamment sur le Président de la République et l'Afrique.

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Texte intégral

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Q - Vous avez affiché dans votre bureau le discours, en 1948, du Guyanais Gaston Monnerville, président du Sénat, pour le centenaire de l'abolition de l'esclavage. Pourquoi ?
R - Pour montrer que les Français, contrairement aux élites, ne sont pas des conservateurs. Qu'il y a déjà eu des Obama en France et que cela donne à espérer. Aujourd'hui, on trouve extraordinaire qu'un jeune Noir intègre Normale Sup. Mais cela a toujours existé. Souvenez-vous des intellectuels afro-américains, dans les années 50, qui venaient se réfugier à Paris parce que chez eux ils ne pouvaient pas monter dans les mêmes bus que les Blancs.
Q - Cinq années d'emprisonnement pour toute personne ayant facilité le séjour irrégulier de clandestins. Etes-vous d'accord ?
R - La solidarité n'est pas un délit. Eric Besson l'a confirmé. Dont acte. Il faut veiller à ce que les gens ne se retrouvent pas en prison, jusque parce que, par générosité. Ils ont voulu aider. Ne pas avoir de papiers n'est pas une indignité. Et la dignité humaine, c'est ce qui doit rester, même quand il n'y a plus rien.
(...)
Q - Le discours de Dakar de Nicolas Sarkozy ne procédait-il pas d'une vision passéiste de l'Histoire ?
R - L'Afrique a une histoire, qui n'a rien à envier aux autres continents ! L'Africain n'est ni un barbare à éduquer ni une victime à sauver. Nicolas Sarkozy n'avait pas l'intention de blesser et les accusations portées contre lui l'ont touché. Dans ce discours, il dit aussi à la jeunesse africaine que la France l'accompagnera sur le chemin de la liberté, du droit, de la justice et de la solidarité, il faut le prendre au mot.
Q - Faut-il une repentance ?
R - Sur la colonisation il faudrait commencer par enseigner l'histoire. Si on rendait par exemple un hommage civil aux tirailleurs sénégalais qui sont morts pour la France, je crois qu'on panserait beaucoup de plaies, sans autoflagellation. Le plus grave reste la traite négrière. L'asservissement, la déportation vers d'autres terres. C'est énorme. Est-ce que je peux aimer un pays qui a pratiqué la traite ? Quand je deviens française, à l'âge de 18 ans, je me pose cette question, comme beaucoup de jeunes aujourd'hui. Mais il faut accepter l'histoire d'un pays, avec ses ombres et ses lumières, dépasser les rancoeurs, pour construire une France plurielle, à l'image de la société actuelle.
Q - Après avoir insisté pour que s'ouvre un dialogue entre le Dalaï-Lama et Pékin, Paris bannit aujourd'hui toute ingérence. Pourquoi ce revirement ?
R - Il n'y a rien de nouveau. Depuis le général de Gaulle, nous avons dit que le Tibet fait partie de la Chine. Cela ne nous empêche pas de recevoir le Dalaï-Lama s'il le souhaite. Il est le bienvenu.
Q - N'êtes-vous pas rentrée dans le rang ?
R - Je ne servirais à rien si je tenais des positions alignées sur la realpolitik. Et certains ne manqueraient pas de le reprocher au président de la République. Mais je ne suis pas irresponsable : je sais que nous avons des intérêts économiques à préserver. Il faut juste trouver un équilibre, à la hauteur du rang de la France dans le monde.
Q - La diplomatie française n'est-elle pas schizophrénique ?
R - Ce n'est pas de la schizophrénie, mais de la subtilité.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 avril 2009