Interview de Mme Rama Yade, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et aux droits de l'homme, à LCI le 17 avril 2009, sur la Conférence de l'ONU sur le racisme, dite "Durban II", et sur sa place dans le gouvernement.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.- La France participera-t-elle à la Conférence dite "Durban II" à Genève, à partir de lundi, c'est l'ONU, c'est les droits de l'homme, mais il y avait eu des dérapages à Duban I, en 2001, en Afrique du Sud. Alors, irons-nous lundi ?
 
Aujourd'hui est un jour décisif parce qu'on saura d'ici ce soir si on y va.
 
Qu'est-ce qui bloque ?
 
Nous sommes dans la dernière ligne droite ; hier soir, s'est tenue jusqu'à minuit une réunion de la dernière heure, j'ai envie de dire, durant laquelle nous avons obtenu des avancées, parce que comme vous savez, avant qu'un facilitateur russe ait été nommé pour proposer un texte acceptable par tout le monde, il y avait eu les mêmes dérapages que ceux qui avait été constatés à Durban. Et ce facilitateur russe avait proposé un texte qui a malheureusement reculé mercredi dernier, puisque il y a eu une focalisation sur le conflit israélo-palestinien alors que cette Conférence a pour objet finalement de parler de tous les conflits, et que par ailleurs, la notion de "diffamation des religions", qui est l'une des lignes rouges que nous nous sommes fixée - nous ne voulons pas la reconnaissance de ce concept - est revenue en fait par une autre porte, à travers le concept de "stéréotypes négatifs visant les religions". Et donc ces deux reculs ont été observés mercredi dernier alors que le texte qu'avait fait le facilitateur russe était pas mal. Et finalement, une réunion de la dernière heure s'est tenue hier soir, et nous avons rétabli ces deux points, c'est-à-dire que Israël est concerné par les conflits mais on ne s'arrête pas à Israël à travers le concept "d'occupation étrangère". Et par ailleurs, les "stéréotypes négatifs visant les religions" ne vont pas être reconnus comme notion juridique mais on va juste viser les personnes. De ce fait aujourd'hui, nous sommes revenus à un équilibre acceptable pour l'Europe, hier soir en tout cas, mais nous nous sommes donnés pour délais jusqu'à ce soir pour décider si nous y allons en tant que Français et en tant qu'Européens. Donc, on n'est pas à l'abri d'un coup de théâtre d'ici ce soir.
 
Si la France y va, est-ce que c'est vous en personne qui vous rendrez lundi à Genève, est-ce que c'est bloqué sur votre agenda ?
 
C'est une décision qui appartient au président de la République de savoir : un, si la France y va, et deux, à quel niveau elle est représentée. Ça dépend aussi du niveau de représentation dans les autres pays. Mais de toutes les façons, la France si elle y va c'est évidemment de manière unitaire avec l'Union européenne.
 
Est-ce que la France attend également la position des Etats-Unis ? Bush avait dit non, Obama ne dit rien.
 
Les Etats-Unis se sont retirés pour l'instant, tout comme le Canada, tout comme Israël, et tout comme l'Italie aussi qui a suspendu sa participation. L'Union européenne essaye de préserver son unité, elle a fixé en fait des lignes rouges en souvenir de Durban I. Parce que qu'est-ce qui s'est passé en 2001 ? C'était en septembre 2001 que s'était tenue la première Conférence sur le racisme et les discriminations. Cette Conférence avait donné lieu à des dérives anti-sionistes voire antisémites, qui ont laissé un goût amer à la plupart des participants. Et ça s'est passé en septembre 2001 ; quelques jours plus tard il y a eu des attentats, comme si les mots avaient précédé les faits. Et donc, dans cette situation d'amertume, avec ce souvenir qui est douloureux, nous sommes aujourd'hui dans un positionnement de prudence et de vigilance extrêmes.
 
Avez-vous envie, vous, que ça se tienne quand même et qu'on trouve une issue ?
 
Ma position a toujours été la même depuis le début, qui est de dire : restons, pendant tout le processus préalable à la Conférence, restons pour nous battre pour nos valeurs, restons pour défendre la lutte contre le racisme, restons pour défendre l'égalité hommes-femmes, restons pour défendre les valeurs de lutte contre les discriminations, notamment l'homophobie, restons jusqu'au bout. Parce que si on boycotte, si nous partions ou si nous nous étions retirés, là, qu'est-ce que ça aurait été ? Ca aurait été, je pense, une défaite parce que les absents ont toujours tort. En 2001, quand les Etats-Unis et Israël se sont retirés pendant la Conférence, leur retrait avait été accueilli par une grande clameur de victoire de la part des pays arabes et des pays africains qui contestaient leur présence. Donc, ça aurait été une défaite morale que de se retirer. Et donc nous restons jusqu'au bout pour nous battre. C'est pour ça qu'hier soir encore, à Genève, nous étions encore en négociation pour obtenir le retrait des points les plus litigieux.
 
Et néanmoins, si on y va et que ça se passe mal, vous envisagez éventuellement que la France puisse claquer la porte ?
 
Je pense qu'il faut laisser la porte ouverte. Ce qui se joue au fond c'est quoi ? C'est l'identité morale de l'Europe. Ce que je veux dire par là c'est qu'on va dans cette Conférence en se disant voilà, on a des lignes rouges : on ne stigmatise pas Israël, on se bat pour l'égalité hommes-femmes...
 
Si elles sont franchies ?
 
...pour la liberté d'expression, on refuse la reconnaissance juridique de la notion de "diffamation des religions", parce que c'est anti-voltairien, on y va comme ça. Et je trouve que c'est bien si on obtient satisfaction sur le non franchissement de ces lignes rouges. Mais je trouve quand même que c'est une position bien défensive, et que même si finalement nous allions à cette Conférence sans que nos lignes rouges soient franchies, je ne serais tout de même pas satisfaite, parce que ce serait une position défensive. Faut-il donc que les lignes rouges ne soient pas franchies pour qu'on crie victoire ? Je ne crois pas que ça soit suffisant. Parce qu'au fond, la notion d'égalité hommes-femmes, elle n'est pas encore dans le texte, le mot "égalité" n'est pas encore prononcé, je trouve que c'est quand même un recul. La question de l'orientation sexuelle, de la lutte contre l'homophobie, toujours pas. Donc, je trouve que c'est bien de dire : ne franchissons pas nos lignes rouges, mais en même temps qu'est-ce qu'il y a de positif ? Je crois que dans ces moments-là, dans ces cas-là, ce qu'il faut faire c'est ne pas hésiter à revendiquer ce jour-là les valeurs auxquelles nous croyons, ne pas juste être dans une position défensive. Il faut penser au racisme vraiment, il faut penser aux discriminations ; il faut penser au conflit du Proche- Orient mais il faut aussi penser au Sri-Lanka, il faut aussi penser à ce qui se passe en termes de démocratie, d'Etat de droit. Ce sont des notions positifs que l'Europe doit porter et qui pour l'instant ne transparaissent pas trop.
 
Le président iranien Ahmadinejad sera présent, c'est la garantie quasiment que les lignes rouges seront franchies ?
 
Non, parce qu'il y a un texte sur la base duquel la Conférence doit s'ouvrir, texte établi par le Russe.
 
Mais il y aura les discours ?
 
Evidemment il y aura des discours. Ce qui est frappant dans cette Conférence qui a été créée en 2001 sous l'égide des Nations unies, c'est que c'est une Conférence à portée purement déclaratoire, c'est-à-dire que derrière il n'y a pas de résolutions, il n'y a pas de portée juridique, il n'y a pas de textes qui seront adoptés. C'est juste une Conférence à portée déclaratoire. Ce qui veut dire que la dimension morale ne doit pas être négligée, ce qui veut dire que c'est sur cette dimension morale que nous sommes attendus. Et ce que je pense c'est que la recherche du consensus ne doit se faire au prix de renoncements idéologiques ; on ne doit pas lâcher sur les femmes, on ne doit pas lâcher sur l'égalité, ce qui affaiblit, ce qui nous affaiblirait moralement sur la scène internationale. Et on aura donc négocié sur le dos des victimes, c'est-à-dire sur le dos des femmes, des homosexuels, des Juifs notamment, puisque l'antisémitisme - et à un moment donné, le texte disait que l'antisémitisme était juste la critique des religions, alors qu'il y a plus que ça - sur le dos de ceux qui ont la liberté de pensée. Et donc, c'est pour cette raison-là que, pour éviter qu'on ait un sentiment d'amertume après cette Conférence, nous devons éviter les renoncements idéologiques trop forts qui feraient que nous abandonnerions une part essentielle de notre identité morale.
 
Est-ce qu'on n'a pas abandonné une part de notre identité en oubliant complètement Tien An Men ? Il y a vingt ans jour pour jour, les étudiants commençaient à se rassembler sur cette place de Pékin. On a oublié.
 
Non, on n'a pas oublié mais simplement ce que je note à travers cette conférence, c'est que la focalisation sur Israël fait qu'on parle moins des autres conflits.
 
On parle moins de la Chine, parce qu'aussi on a pactisé avec la Chine, avec Pékin ?
 
Pas du tout. On parle, on parle... Moi je n'ai pas non plus vu qu'on parlait de la RDC où quand même...
 
Du Congo...
 
Voilà, du Congo, où quand même depuis 2003, 300.000 femmes ont été violées ; je n'ai pas entendu parler de ce qui se passe au Sri Lanka ; je n'entends pas parler de la société civile, de la démocratie, de l'Etat de droit, de toutes ces notions...
 
Sur la Chine, par exemple, même vous, vous en parlez moins, parce qu'il y a eu des incidents diplomatiques...
 
Ah si, si, moi j'en ai parlé. J'en ai parlé encore ce mardi pour expliquer - il faut dire que je n'étais pas là toute la semaine - mais pour expliquer que nous rien n'a changé. Je ne sais pas pourquoi on a fait toute une histoire de ce communiqué franco-chinois adopté lors du G20. Parce qu'au fond, qu'est-ce que ça dit ? Ça dit : un, le Tibet appartient à la Chine ; oui, effectivement, nous le disons depuis le Général de Gaulle, personne en France n'a appelé, au niveau des officiels du moins, à l'indépendance du Tibet. Ça dit une deuxième chose : que nous ne devons pas faire de l'ingérence. Mais nous ne nous sommes jamais engagés à ne pas recevoir le Dalaï-lama. Quand le Dalaï-lama vient en France, nous ne le recevons, et ça continuera.
 
Un mot de politique française. P. Ollier considère qu'il y a des ministres usés au Gouvernement. Vous vous sentez usée ?
 
Non, pas du tout. Moi je n'ai que 32 ans...
 
Vous êtes en pleine forme ?
 
Et je ne suis engagée en politique que depuis trois ans. Donc, s'il y a bien quelqu'un qui ne l'est pas, c'est moi.
 
On dit que le Président Sarkozy lui est agacé, qu'il ne veut pas vous reprendre lors du prochain remaniement.
 
Moi ?
 
Vous en avez parlé depuis, franchement ?
 
Ah non, moi je n'ai pas lu cela nulle part. Mais vous lancez une perche, je vois.
 
On manque de poids lourds dans ce Gouvernement, à côté des valeurs nouvelles, comme vous. Est-ce qu'on manque de poids lourds parce que c'est la crise, et qu'il faudrait peut-être rentrer des hommes et des femmes...
 
Je n'ai pas à me prononcer là-dessus, parce que ce n'est pas moi qui décide de la formation du Gouvernement. C'est évidemment, comme vous le savez, le président de la République et le Premier ministre. En ce qui me concerne, moi je ne demande rien de spécial, je fais juste mon travail aujourd'hui. Vous ne m'avez jamais vu depuis que je suis en fonction revendiquer tel ou tel poste, et je ne le ferai jamais, parce que les fonctions ministérielles ne nous appartiennent pas, et je ne serai jamais de ceux qui diront dans la presse ou même en coulisse qu'ils revendiquent tel ou tel poste. Je ne l'ai jamais fait, je ne le ferai jamais. Ce qui m'importe aujourd'hui c'est de faire mon travail le mieux possible, et qu'au niveau collectif, nous répondions aux préoccupations des Français par rapport à la crise.
 
Vous aviez promis d'aider M. Barnier dans sa campagne européenne...
 
Je n'ai rien promis du tout. Vous connaissez très bien...
 
Il l'avait dit le 24 février.
 
Oui mais ce n'est pas parce que monsieur Barnier l'a dit que c'est moi qui l'ai dit. C'est monsieur Barnier, comme vous le rappelez, qui l'a dit.
 
Alors, vous êtes prête à l'aider ?
 
Moi, comme vous savez, je ne suis pas candidate aux élections européennes. Je pense que pendant huit mois, on a assez parlé de ça. Je suis aujourd'hui...
 
Mais vous êtes populaire, vous pourriez pousser la campagne ?
 
Précisément, je suis aujourd'hui porte-parole de la campagne des élections régionales, avec V. Pécresse...
 
 En 2010, ça suffit ?
 
Mais ça commence dès à présent. Donc, voilà. Mais je voudrais tordre le cou à certaines légendes où on dit que j'ai fait des propositions... Non, je n'en ai fait aucune. Alors, je vous en prie, que ce soit dit cette fois.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 20 avril 2009