Entretien de M. Bruno Le Maire, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, dans "Le Parisien" du 19 avril 2009, notamment sur les élections européennes, les institutions communautaires et sur la vie politique en France.

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Média : Le Parisien

Texte intégral

Q - Les sondages annoncent une abstention massive pour les européennes du 7 juin. Comment mobiliser les électeurs ?
R - On incitera les gens à se rendre aux urnes si chacun comprend qu'il y a un enjeu. Il s'agit de savoir quelle Europe nous voulons pour les cinq années à venir, dans un temps de bouleversement politique et international. La conception défendue par la majorité présidentielle, c'est une Europe politique forte, qui pèse dans le débat international et existe entre les Etats-Unis et la Chine. Une Europe qui prend des décisions politiques. Et qui arrête l'élargissement aux Balkans pour se consacrer à davantage d'intégration. En France le seul parti tout à fait clair sur les frontières de l'Europe, c'est l'UMP.
Q - Craignez-vous que la question de la Turquie pèse sur la campagne ?
R - Non, à partir du moment où on pose les problèmes sereinement. La Turquie est un grand pays ami et un allié essentiel qui joue un rôle stratégique majeur. Mais on ne peut pas dire qu'on veut construire une Europe politique forte et en même temps qu'on va élargir.
Q - Comment ce thème de l'Europe politique peut-il mobiliser ?
R - Il s'agit de dire que l'Europe doit bouger. Il faut arrêter avec le dogme de la seule concurrence pour avancer vers davantage de coopération. Regroupons nos forces pour construire une politique industrielle autour de nos pôles d'excellence : le transport à grande vitesse, le spatial, le nucléaire... Protégeons nos grandes entreprises stratégiques en dotant l'Europe d'un pouvoir de veto sur des investissements étrangers qui menaceraient son indépendance, comme cela existe aux Etats-Unis. Dans le secteur aéronautique, Boeing est actuellement mieux armé qu'Airbus si un fonds étranger veut prendre des participations dans l'entreprise. Il faut en finir avec la naïveté en Europe.
Q - Mais, José Manuel Barroso, l'actuel président de la Commission, incarne une Europe libérale...
R - Ne nous focalisons pas sur les personnes. José Manuel Barroso est un président qui fait bien son travail dans des conditions très difficiles. Les institutions européennes ne sont pas adaptées à une crise de cette ampleur. Elles ont été pensées pour le temps calme, pas pour le gros temps. Regardons comment elles pourraient mieux fonctionner à l'avenir face à de tels bouleversements et à un rythme international qui s'accélère. Le traité de Lisbonne nous y aidera.
Q - Faut-il renforcer la Présidence européenne ?
R - La solution passe par le renforcement de chaque institution. En situation de crise, chacun doit jouer son rôle à 1 000 %. Les chefs d'Etat du Conseil européen doivent être sans cesse mobilisés pour répondre aux difficultés des citoyens européens : c'est ce que la France et l'Allemagne, avec Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, font depuis des mois. Il faut aussi que la Commission soit une force de proposition et que les décisions nécessaires soient prises rapidement. Le nouveau Parlement devra lui aussi être pleinement mobilisé.
Q - Pourquoi n'y a-t-il pas plus de coordination entre plans de relance ?
R - Une des réponses à la crise vient de la relation entre la France et l'Allemagne. Nous avons tiré les leçons de certaines erreurs du passé. Nous avons décidé de coordonner nos politiques économiques, pour la première fois dans l'histoire entre nos deux pays. Avec Luc Chatel, nous avons mis sur pied par exemple un groupe industrie-automobile qui rassemblera notamment Volkswagen, Daimler, BMW, Peugeot et Renault. De ce point de vue, le couple franco-allemand est exemplaire. Il est le seul aujourd'hui à proposer une autre Europe.
Q - Comment fonctionne ce couple Sarkozy-Merkel ?
R - Ils sont réellement complémentaires et c'est ce qui fait la force de leur relation. Ils sont une force d'impulsion à l'échelle européenne et internationale. Quand Nicolas Sarkozy et Angela Merkel parlent d'une seule voix et réclament une nouvelle régulation financière, ils l'obtiennent.
Q - Nicolas Sarkozy doit-il s'engager dans la campagne ?
R - Je crois qu'il s'impliquera et c'est souhaitable. Il a une expérience unique : celle d'avoir été président de l'Union européenne pendant six mois et d'avoir réussi. Il s'implique d'ailleurs avec Angela Merkel puisqu'il devrait tenir au moins un meeting en commun avec elle.
Q - A six semaines du scrutin, on ne connaît toujours pas les listes UMP...
R - Ne nous focalisons pas sur la question des listes. Ce qui compte, avant tout, c'est notre projet européen.
Q - N'est-ce pas un problème quand des candidats annoncent par avance que s'ils sont élus ils ne siégeront pas forcément à Strasbourg ?
R - Le métier de parlementaire européen est un métier à temps plein, qui requiert beaucoup de compétences, d'engagement personnel et de disponibilité.
Q - Le socialiste Benoît Hamon appelle à un vote sanction...
R - Le PS se trompe d'échéance. C'est un enjeu européen, il faut voter européen. Je ne reconnais plus le PS d'un Jacques Delors, qui a été un grand président de la Commission européenne.
Q - Le chef de l'Etat s'est emporté contre certains ministres qui voudraient profiter du prochain remaniement...
R - Dans la période qu'on traverse, notre priorité est de répondre aux inquiétudes et aux attentes des Français.
Q - Approuveriez-vous le retour au gouvernement d'hommes d'expérience tels Alain Juppé ou Philippe Séguin ?
R - Chacun sait qu'Alain Juppé est un homme de grand talent, tout comme Philippe Séguin. Mais la décision appartient exclusivement au président de la République et au Premier ministre.
Q - Comment être villepiniste et ministre quand Villepin n'arrête pas de critiquer Sarkozy ?
R - L'essentiel est de rester fidèle à ses convictions. Dominique de Villepin est un ami personnel et rien ni personne ne me fera changer d'avis à ce sujet. Je ne suis pas toujours d'accord avec lui, notamment sur les attaques personnelles.
Q - Jacques Chirac est l'homme politique le plus populaire chez les Français. Comment l'expliquez-vous ?
R - Jacques Chirac a toujours su créer un lien particulier avec les Français, c'est ce lien qui est reflété par les sondages aujourd'hui.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 avril 2009