Déclaration de M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur les difficultés de la filière du lait et l'éventualité de la suppression des quotas, Le Mans le 25 mars 2009.

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Circonstance : Assemblée générale de la Fédération nationale des producteurs laitiers, Le Mans le 25 mars 2009

Texte intégral

Monsieur le Président, cher Henri BRICHART,
Messieurs les Présidents,
Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs,
Je salue tout d'abord les instances dirigeantes de la FNPL qui ont été renouvelées hier en assemblée générale statutaire (administrateurs régionaux). Nous sommes dans une période charnière pour la filière laitière. Un travail immense vous attend qui nécessitera du courage pour construire « un monde laitier nouveau», thème de votre assemblée générale.
Je sais que vous avez ce courage, même si la situation actuelle du marché ne facilite pas la réflexion prospective. Je sais que vous êtes prêts à participer à la construction du nouveau modèle économique qui permettra d'assurer la pérennité de votre filière.
Préparer ce nouveau modèle économique, nous avons commencé à le faire dans le cadre du bilan de santé de la PAC.
Au cours des négociations que j'ai conduites pendant la présidence française, il était primordial de prendre en compte le nouveau contexte économique marqué par une ouverture croissante des marchés, une plus grande volatilité des prix, une montée des risques climatiques et sanitaires.
L'accord du 20 novembre, contrairement à ce que proposait la Commission, a préservé l'avenir en conservant les fondamentaux, et je pense à la régulation des marchés, et en ouvrant des pistes nouvelles pour l'avenir.
Nous avons réussi à introduire un pilotage politique de l'évolution des quotas laitiers avec deux rendez-vous en 2010 et en 2012. Je vous le rappelle : la proposition de la Commission était simple : on augmente les quotas dans l'attente de leur suppression en 2014/2015 au mépris de l'évolution des marchés. Ces deux rendez-vous donnent la possibilité aux 27 Ministres de l'agriculture de décider de l'avenir des quotas. Leur suppression n'est pas scellée dans le marbre, tout comme leur augmentation de 5% d'ici 2014. Le premier rendez-vous de l'été 2010 sera l'occasion de se poser toutes les questions, sans tabous, et même la question centrale : et si nous avions encore besoin des quotas laitiers ?
Nous avons ensuite préservé l'efficacité des mécanismes d'intervention sur le marché des produits laitiers. Ils sont bien utiles aujourd'hui qu'il s'agisse du stockage privé du beurre, des restitutions à l'exportation, de l'intervention publique pour le beurre et la poudre de lait écrémé. La Commission les a déclenchés dès janvier pour répondre à la baisse des cours.
Enfin, nous nous sommes engagés dans une réorientation des aides pour rendre la PAC plus juste, plus préventive, plus durable. Cette réorientation était une nécessité pour répondre à la diversité de nos agricultures et de nos territoires. Nous avons cherché à redonner du sens au premier pilier en instaurant des dispositifs de couverture des risques sanitaires et climatiques, en consolidant les productions animales, en liant le soutien à une contractualisation des débouchés, en développant des systèmes de production durables. Plusieurs décisions prises vous concernent :
*l'instauration d'une aide couplée au litre de lait dans les zones de montagne et de piémont. Elle s'élève à 45 millions d'euros pour un montant de 20 euros/1000 litres produits dans la limite d'un plafond par exploitation à définir. Je souhaite que nous en fassions un levier pour contractualiser les débouchés,
*l'introduction dans le premier pilier d'un soutien à l'herbe avec une enveloppe de 700 millions d'euros .Ce nouveau soutien à vocation économique est complémentaire de la PHAE qui est préservée dans le second pilier. Les moyens consacrés à l'herbe sont ainsi multipliés par 4.
*la prise en compte des systèmes lait/viande à partir des céréales à travers un soutien de 30 millions d'euros dont l'objectif est d'alléger le prélèvement au titre de l'aide grandes cultures.
*la mise en place d'un fonds sanitaire
Les modalités concrètes de ces nouveaux dispositifs seront définies dans le cadre de groupes de travail qui ont commencé leurs travaux.
Globalement, nous avons consolidé le revenu des éleveurs laitiers, notamment sur systèmes herbagers. Et nous avons ouvert de nouvelles voies de soutien pour demain.
Nous venons de parler de l'avenir mais il nous faut avant gérer le présent caractérisé par une situation sanitaire toujours fragile et une situation de marché dégradée.
- Une situation sanitaire toujours fragile : cas de la FCO
La fièvre catarrhale ovine a largement perturbé l'élevage en France ces deux dernières années. Cette maladie émergente, qui se caractérise par une grande diversité de sérotypes, est inscrite dans le paysage européen de manière durable. Nous devons l'intégrer.
Nous avons ensemble Administration, éleveurs et vétérinaires lutté efficacement contre deux sérotypes de cette maladie en mettant en oeuvre un plan de vaccination de grande ampleur mobilisant plus de 50 millions de doses. Nous devons poursuivre nos efforts sur la campagne de vaccination. Nous devons protéger au maximum le cheptel alors que l'activité vectorielle vient tout juste de reprendre.
Une fois cette campagne de vaccination terminée, et au regard du niveau de protection de cheptel obtenu, il faudra décider de la stratégie sanitaire à retenir pour l'année prochaine.
Sans préjuger de la stratégie qui sera retenue pour la vaccination contre la FCO, nous devons préparer les évolutions possibles de notre schéma sanitaire et poursuivre les discussions avec les organisations professionnelles vétérinaires et agricoles. La possibilité d'une vaccination par les éleveurs sous certaines conditions doit être proposée comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire.
L'expérience que nous avons acquise à la faveur de cette crise sans précédent doit nous permettre de mieux agir, en responsabilité et en efficacité, dans la surveillance et la lutte des principales maladies animales qui demandent l'intervention de l'Etat.
Je présiderai le 15 avril un dernier comité de suivi de la FCO afin de faire le point sur la campagne de vaccination et sur l'ensemble des mesures de soutien économique.
- Le présent, c'est aussi une situation du marché dégradée
Quel contraste avec la conjoncture de votre Assemblée générale d'il y a un an ! Le prix du beurre était à 170% du prix d'intervention. Avec quelle rapidité, dès la fin de l'année 2008, les marchés se sont retournés. Les perspectives restent peu favorables à court terme même si l'on observe depuis très peu de temps une certaine stabilisation, depuis l'ouverture par la Commission de l'intervention publique.
Les cours n'ont jamais atteint un niveau aussi bas, et tous les indicateurs de marché sont dans le rouge.
Les exportations européennes vers les pays tiers sont faibles avec une baisse pour le beurre de 35%. Plusieurs facteurs sont à l'origine d'une telle situation : l'évolution de la parité euro/dollar au cours du premier semestre 2008, le retour en force de la Nouvelle-Zélande sur les marchés, le recul de la consommation des ménages et le ralentissement de la demande mondiale.
La réponse à ces difficultés ne peut pas être que nationale. Elle est avant tout européenne.
La Commission a mis en place dès la fin du mois de janvier les restitutions à l'exportation pour le beurre, les poudres de lait ainsi que pour certains fromages. Les taux restent toutefois encore un peu faibles au regard des écarts entre les cours européens et les cours mondiaux.
En 3 jours, le plafond d'achat de 30 000 tonnes de beurre à prix fixe a été atteint. Lors de la première adjudication qui a eu lieu le 19 mars, le prix maximum d'achat a été fixé à 220 euros/100 kg (99,2 % du prix d'intervention).Ce résultat, plutôt satisfaisant a permis de retenir 6 665 tonnes. Mais il a toutefois conduit à rejeter presque 30 % des offres présentées. Cette décision ne donne donc pas un signal suffisant. En effet, les entreprises dont les offres ont été rejetées vont proposer des prix plus bas, avec le risque d'entraîner les marchés dans une spirale à la baisse. J'ai donc demandé à la Commission de retenir pour la deuxième adjudication le même niveau de prix que pour la première.
L'intervention publique et les aides à l'exportation restent les outils de dégagement du marché à privilégier dans les prochaines semaines. Cependant, s'ils s'avèrent insuffisants dans les mois qui viennent, la réactivation des aides à l'écoulement sur le marché intérieur de la matière protéique, en particulier l'aide à la caséine, pourrait être pertinente pour rééquilibrer plus durablement le marché. Ce point a été abordé au Conseil des Ministres de lundi dernier sans accord pour le moment entre les Etats membres et la Commission.
Au-delà des mesures européennes, nous devons aussi faire des choix pour la gestion nationale.
Tout d'abord, en pleine crise économique où la solidarité alimentaire doit s'exprimer, les dons de lait pourront être effectués jusqu'au 31 mars, au lieu du 15 février, et à hauteur de 25 000 tonnes, au lieu de 15 000 tonnes.
Dans le cadre de la prochaine campagne, ce sont des mesures de maîtrise de la production que nous devons prendre et j'ai entendu votre position à ce sujet même si j'ai pris le temps de consulter.
Vous le savez, l'accord du 20 novembre prévoit une augmentation de 1 % par an pendant 5 ans du quota national. Dans la conjoncture dégradée que nous connaissons et après concertation avec les différentes familles de la filière, je propose de geler temporairement la distribution d'1 % pour la campagne 2009/2010 et de fixer un rendez-vous au début de l'été pour décider. Si la situation reste difficile, le gel définitif de 1% jusqu'à la campagne suivante s'imposera.
Il faut également pour la campagne 2009/2010 qui va démarrer que le taux d'allocation provisoire soit très significativement revu à la baisse.
Je propose donc de ne pas accorder de garantie de taux minimum d'allocations provisoires pour chaque producteur et de retenir à ce stade un taux final d'allocations provisoires notifié par chaque acheteur ne pouvant pas excéder 3 %.
Le rendez-vous du début de l'été permettra d'ajuster ces mesures si la situation venait à s'améliorer.
Le gel temporaire de la redistribution de quotas supplémentaires ne doit pas nous faire oublier l'intérêt de poursuivre à terme le travail entamé par certaines régions avec succès en 2008/2009. Nous devons poursuivre la régionalisation de la gestion des quotas afin de préparer la gestion de la production laitière par grands bassins de production. La redistribution de références supplémentaires devra garder comme principes d'être pilotée régionalement et dirigée vers des exploitations ayant besoin de références supplémentaires pour être sécurisées dans leur pérennité. Je pense en particulier aux nouvelles installations de jeunes agriculteurs.
Il faut même, je le pense, que nous allions plus loin dans cette régionalisation. Je propose donc que, dès cette année 2009/2010, la redistribution de l'ensemble des ressources départementales qui peut déjà être pour partie régionalisée puisse l'être sur décision prise à la majorité des départements d'une région et non plus sur décision prise à l'unanimité. Dans les régions où la réalité laitière est très différente d'un département à l'autre, cette possibilité est essentielle pour préserver et renforcer l'activité laitière globale.
Malgré les mesures communautaires et la maîtrise de la production au niveau national, nous savons tous que les discussions sur la fixation du prix du lait seront difficiles. Mon rôle est de faciliter ces discussions. Je m'y suis employé l'année dernière en sécurisant le cadre d'intervention de l'interprofession laitière.
Nous arrivons maintenant à la mise en place du nouveau dispositif prévu par la loi. Je tiens à souligner ici la qualité des échanges que j'ai pu avoir avec les familles professionnelles.
La dernière réunion qui s'est tenue le 18 mars a permis d'acter la liste des nouveaux indicateurs qui seront suivis par l'interprofession nationale afin de faciliter les négociations au niveau régional. Un échange de courriers entre le CNIEL et mon ministère et celui de Mme Lagarde permettra de formaliser la reconnaissance de ces indicateurs.
Je resterai attentif dans les semaines qui viennent à l'évolution des discussions entre familles, entre producteurs et transformateurs.
En ce moment particulier, je voulais vous remercier de la qualité de nos échanges sans concession, leur exigence pour un Ministre de l'Agriculture. Nous avons traversé depuis plus de 18 mois de multiples crises avec des retournements spectaculaires de conjoncture. Mais, je crois que nous avons su ensemble tracer un chemin pour notre agriculture. Nous avons su ensemble la remettre au coeur des défis de nos sociétés. Nous avons redonné de la légitimité à notre politique agricole. Nous avons ouvert des voies pour l'avenir.
Où que je sois demain, les convictions que j'ai portées pour ce secteur, partagées avec vous resteront toujours les mêmes :
- l'Union européenne a besoin d'une agriculture performante
- l'agriculture et l'alimentation ont besoin de gouvernance et de régulation
Je vous remercie pour votre attention.
Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 27 mars 2009