Texte intégral
P. Lapousterle On est le 10 mai ce matin. Il y a vingt ans, que faisiez-vous à 20 heures ?
- "J'étais à la mairie de Saint-Ouen-l'Aumône, puisque j'étais élu là-bas ; j'étais d'ailleurs député de l'opposition. Avec mes amis, avec tous ceux avec qui on avait fait la campagne de cette élection présidentielle, on a pris conscience de la victoire. Je la devinais un peu - je fais partie des gens qui font des analyses électorales depuis longtemps. Je voyais bien, après le premier tour, que c'était jouable, mais je n'avais pas d'information privilégiée. J'ai reçu cette nouvelle comme tout le monde. Le souvenir personnel fort que j'ai date de quelques jours après. Il se trouvait que dans la législature précédente, j'avais été élu vice-président de l'Assemblée, et donc je faisais partie des autorités de la République qui avaient accès à l'Elysée le jour de l'investiture de F. Mitterrand comme Président de la République. Le souvenir fort que j'ai - parce que dans mon parcours politique, cela a du sens - c'est la présence de P. Mendès-France qui était dans sa dernière année de vie et qui avait tenu à être là. Sa présence représentait une forme de passage de relais pour beaucoup."
Affaire Aussaresses, du nom de ce général qui a avoué dans un livre avoir torturé et tué pendant la guerre d'Algérie et qui même, on va dire, le revendique. Votre sentiment en tant que ministre de la Défense sur cet homme et sur cet aveu ?
- "Cela recouvre un aspect dramatique et sombre de notre histoire pendant le conflit algérien que nous connaissions déjà. La prise de position de cet officier général, du cadre de réserve, justifie une réprobation absolue sur le plan éthique et sur le plan politique. Il peut y avoir des suites judiciaires, ce n'est pas à moi de l'apprécier. Le Président de la République, chef des armées, a estimé que cette prise de position justifiait une mesure disciplinaire dans celles que prévoient nos lois. C'est un cas aussi pour se rappeler que nous sommes un Etat de droit. Je vais donc, dans les heures qui viennent, présenter une proposition dans ce sens au Président de la République."
Que pouvez-vous et que comptez-vous proposer ?
- "Un dispositif disciplinaire qui fixe le statut général des militaires encadre notre action et le choix du Président de la République."
Quelles sont les possibilités ?
- "Je pense que c'est au Président de la République de faire son choix et donc je ne commenterai pas ce point avant. Par contre, ce que je souhaite dire du ministère de la Défense, c'est que nous avons d'autres responsabilités. La première c'est de permettre le travail des historiens, et nous le faisons. Le service historique de l'armée de terre a collaboré avec des chercheurs qui voulaient travailler sur ce sujet. Une thèse a été présentée par une jeune historienne il y a quelques mois, qui démontre par A+B d'une part que ce phénomène a pris une certaine ampleur, mais d'autre part, qu'il n'a pas été le fait de tous les militaires. C'est à ceux-là que je veux penser aussi. Je ne souhaite pas que le débat, parfois un peu hâtif, qui se déroule sur ces déclarations d'Aussaresses aboutisse à mettre tout le monde dans le même sac. Moi, dans ce cas-là, je pense surtout à ceux qui justement ont eu une autre conception de leur devoir."
C'est la question que je voulais vous poser : aujourd'hui, vous êtes ministre des armées. Est-ce qu'il n'y a pas une ombre qui plane sur l'ensemble du corps militaire après les aveux d'Aussaresses ?
- "Justement, c'est le deuxième point que je voudrais évoquer et je vous remercie de m'en donner l'occasion. Mon rôle aujourd'hui, c'est de m'assurer que l'éthique et l'approche professionnelle en situation de combat d'un militaire français aujourd'hui sont à l'opposé de cela. J'en ai la démonstration, parce que toutes ces dernières années, encore en ce moment, des militaires français sont en opération dans des théâtres où il y a des confrontations extrêmement dures avec en face des gens sans foi ni loi. Ils se sont trouvés dans des situations où ils auraient pu être tentés de transgresser les règles des droits de l'homme vis-à-vis de leurs adversaires. Nous avons la démonstration dans la réalité que ce n'est pas leur attitude et qu'aujourd'hui, la République peut compter sur son personnel militaire pour mener une action, y compris dans des situations dramatiques, en conformité avec nos principes et nos lois."
Tout le monde le savait, on dit que l'armée savait ce que les officiers faisaient au nom de la France ?
- "Oui, et le pouvoir politique aussi."
Qu'est-ce que vous pensez de la repentance ? La France pourrait-elle ou devrait-elle présenter des excuses au peuple algérien ?
- "Je pense que c'est une affaire qui relève d'abord de choix politiques. Les relations entre nos deux nations, aujourd'hui, sont d'une autre nature. Je crois d'ailleurs que nos partenaires algériens ne souhaitent pas qu'on rouvre ce type de débat. Nous avons été deux nations en guerre. La France a dit que c'était une guerre. Il y a eu des actes encore une fois injustifiables des deux côtés ; je me méfie des distributions de bons et de mauvais points un peu hâtives."
A propos de bons et de mauvais points, pensez-vous que F. Mitterrand a commis une très grave erreur en laissant aux militaires le soin de disposer du pouvoir judiciaire en Algérie à l'époque ?
- "Il n'était pas seul au pouvoir et là aussi, je ne me place pas d'abord en donneur de leçons, notamment aujourd'hui par rapport à ce qu'a été l'ensemble du parcours de F. Mitterrand."
Un dernier mot : quand allez-vous présenter au Président de la République les sanctions possibles ?
- "Aujourd'hui."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 10 mai 2001)
- "J'étais à la mairie de Saint-Ouen-l'Aumône, puisque j'étais élu là-bas ; j'étais d'ailleurs député de l'opposition. Avec mes amis, avec tous ceux avec qui on avait fait la campagne de cette élection présidentielle, on a pris conscience de la victoire. Je la devinais un peu - je fais partie des gens qui font des analyses électorales depuis longtemps. Je voyais bien, après le premier tour, que c'était jouable, mais je n'avais pas d'information privilégiée. J'ai reçu cette nouvelle comme tout le monde. Le souvenir personnel fort que j'ai date de quelques jours après. Il se trouvait que dans la législature précédente, j'avais été élu vice-président de l'Assemblée, et donc je faisais partie des autorités de la République qui avaient accès à l'Elysée le jour de l'investiture de F. Mitterrand comme Président de la République. Le souvenir fort que j'ai - parce que dans mon parcours politique, cela a du sens - c'est la présence de P. Mendès-France qui était dans sa dernière année de vie et qui avait tenu à être là. Sa présence représentait une forme de passage de relais pour beaucoup."
Affaire Aussaresses, du nom de ce général qui a avoué dans un livre avoir torturé et tué pendant la guerre d'Algérie et qui même, on va dire, le revendique. Votre sentiment en tant que ministre de la Défense sur cet homme et sur cet aveu ?
- "Cela recouvre un aspect dramatique et sombre de notre histoire pendant le conflit algérien que nous connaissions déjà. La prise de position de cet officier général, du cadre de réserve, justifie une réprobation absolue sur le plan éthique et sur le plan politique. Il peut y avoir des suites judiciaires, ce n'est pas à moi de l'apprécier. Le Président de la République, chef des armées, a estimé que cette prise de position justifiait une mesure disciplinaire dans celles que prévoient nos lois. C'est un cas aussi pour se rappeler que nous sommes un Etat de droit. Je vais donc, dans les heures qui viennent, présenter une proposition dans ce sens au Président de la République."
Que pouvez-vous et que comptez-vous proposer ?
- "Un dispositif disciplinaire qui fixe le statut général des militaires encadre notre action et le choix du Président de la République."
Quelles sont les possibilités ?
- "Je pense que c'est au Président de la République de faire son choix et donc je ne commenterai pas ce point avant. Par contre, ce que je souhaite dire du ministère de la Défense, c'est que nous avons d'autres responsabilités. La première c'est de permettre le travail des historiens, et nous le faisons. Le service historique de l'armée de terre a collaboré avec des chercheurs qui voulaient travailler sur ce sujet. Une thèse a été présentée par une jeune historienne il y a quelques mois, qui démontre par A+B d'une part que ce phénomène a pris une certaine ampleur, mais d'autre part, qu'il n'a pas été le fait de tous les militaires. C'est à ceux-là que je veux penser aussi. Je ne souhaite pas que le débat, parfois un peu hâtif, qui se déroule sur ces déclarations d'Aussaresses aboutisse à mettre tout le monde dans le même sac. Moi, dans ce cas-là, je pense surtout à ceux qui justement ont eu une autre conception de leur devoir."
C'est la question que je voulais vous poser : aujourd'hui, vous êtes ministre des armées. Est-ce qu'il n'y a pas une ombre qui plane sur l'ensemble du corps militaire après les aveux d'Aussaresses ?
- "Justement, c'est le deuxième point que je voudrais évoquer et je vous remercie de m'en donner l'occasion. Mon rôle aujourd'hui, c'est de m'assurer que l'éthique et l'approche professionnelle en situation de combat d'un militaire français aujourd'hui sont à l'opposé de cela. J'en ai la démonstration, parce que toutes ces dernières années, encore en ce moment, des militaires français sont en opération dans des théâtres où il y a des confrontations extrêmement dures avec en face des gens sans foi ni loi. Ils se sont trouvés dans des situations où ils auraient pu être tentés de transgresser les règles des droits de l'homme vis-à-vis de leurs adversaires. Nous avons la démonstration dans la réalité que ce n'est pas leur attitude et qu'aujourd'hui, la République peut compter sur son personnel militaire pour mener une action, y compris dans des situations dramatiques, en conformité avec nos principes et nos lois."
Tout le monde le savait, on dit que l'armée savait ce que les officiers faisaient au nom de la France ?
- "Oui, et le pouvoir politique aussi."
Qu'est-ce que vous pensez de la repentance ? La France pourrait-elle ou devrait-elle présenter des excuses au peuple algérien ?
- "Je pense que c'est une affaire qui relève d'abord de choix politiques. Les relations entre nos deux nations, aujourd'hui, sont d'une autre nature. Je crois d'ailleurs que nos partenaires algériens ne souhaitent pas qu'on rouvre ce type de débat. Nous avons été deux nations en guerre. La France a dit que c'était une guerre. Il y a eu des actes encore une fois injustifiables des deux côtés ; je me méfie des distributions de bons et de mauvais points un peu hâtives."
A propos de bons et de mauvais points, pensez-vous que F. Mitterrand a commis une très grave erreur en laissant aux militaires le soin de disposer du pouvoir judiciaire en Algérie à l'époque ?
- "Il n'était pas seul au pouvoir et là aussi, je ne me place pas d'abord en donneur de leçons, notamment aujourd'hui par rapport à ce qu'a été l'ensemble du parcours de F. Mitterrand."
Un dernier mot : quand allez-vous présenter au Président de la République les sanctions possibles ?
- "Aujourd'hui."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 10 mai 2001)