Interview de M. Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, à "Canal Plus" le 4 mai 2009, sur les politiques communes à construire pour sortir l'Europe de la crise, sur son maintien au gouvernement jusqu'au résultat des élections européennes de juin prochain.

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Média : Canal Plus

Texte intégral

M. Biraben et G. Delafon.- G. Delafon : Il est ministre et il est en campagne pour devenir député, afin de pouvoir redevenir commissaire. Alors ça vous paraît compliqué, mais c'est l'Europe. M. Barnier est à part, il est l'un des rares à croire qu'il vaut mieux faire de la politique à Bruxelles qu'à Paris.

M. Biraben : Bonjour M. Barnier. Soyez le bienvenu.

Bonjour.

G. Delafon : Bonjour.

Bonjour.

M. Biraben : Vous allez rester ministre malgré vous jusqu'au scrutin européen ; N. Sarkozy n'a pas écouté votre demande ?

Moi, j'ai toujours dit que j'étais prêt à quitter le Gouvernement pour être totalement disponible pendant la campagne. Simplement, un gouvernement ce n'est pas un jeu personnel, c'est une équipe, il y a un chef d'équipe, il y a des entraîneurs, et ce qui est en jeu - c'est très compliqué et très difficile - c'est la crise, c'est l'action, c'est le soutien aux Français qui sont en difficulté, c'est l'action internationale. Donc je peux très bien comprendre que le Président, qui est le chef d'équipe, choisisse le moment pour modifier, pour faire sortir un des membres de l'équipe ou en faire rentrer d'autres, donc...

M. Biraben : Ça ne risque pas de poser un problème ? C'est un petit peu compliqué de mener campagne et de mener de front tout ça, par exemple, pour votre numéro deux, R. Dati, qui va devoir gérer les problèmes des prisons ?

Pour elle, qui a ses dossiers et ses responsabilités, comme pour moi, j'ai beaucoup de difficultés aussi à gérer, beaucoup de difficultés dans la pêche, de difficultés dans la filière porcine, des difficultés dans la filière laitière, il y a l'action internationale, il y a - j'ai apporté ça - le Plan Objectif Terre, c'est la mise en oeuvre des engagements du Grenelle, la diminution des pesticides. Enfin, il y a tous les dossiers à gérer, donc je...

G. Delafon : Donc il y a moyen de faire les deux ?

Moi, je pense qu'il y a moyen de faire les deux. Il y a beaucoup d'exemples dans le passé de ministres qui ont été candidats, et simplement, il faut bien séparer les choses. Je ferai totalement mon travail, je le dois aux agriculteurs, aux pêcheurs, aux viticulteurs, aux éleveurs, je le ferai comme je l'ai toujours fait depuis deux ans. Soyez sûr de ça. Et puis, je prendrai le temps, le soir, le week-end, de faire une campagne sérieuse parce que ça mérite, cette campagne mérite qu'on s'engage. J'ajoute...

G. Delafon : Alors, justement...

... Je suis le ministre de deux politiques qui sont historiquement, depuis 1957, les deux premières politiques économiques européennes : la Pêche et l'Agriculture, donc il y a une sorte de continuité.

G. Delafon : Alors justement, si on fait du sérieux, vous êtes tête de liste en Ile-de-France pour les européennes. Comment l'UMP peut-elle appeler à voter pour des listes qui ne sont pas finalisées, on ne sait pas qui il y a sur les listes ?

Je suis très touché par votre impatience, mais vous n'aurez pas longtemps à attendre, nous avons été les premiers...

G. Delafon : Jusqu'à quand ?

Dans les jours qui viennent. Nous, nous prenons le temps de faire des listes sérieusement et non pas dans un coin en nous cachant...

G. Delafon : Mais, le scrutin, c'est le 7 juin.

Le dépôt des listes, c'est jusqu'au 20 mai, donc ne vous inquiétez pas, vous aurez des listes, et je veux dire une chose que je peux dire, c'est que ces listes seront constituées d'hommes et de femmes volontaires qui s'engageront, qui représenteront toutes les sensibilités de la majorité, car nous ne faisons pas seulement des listes de l'UMP, nous faisons des listes de la majorité présidentielle, avec le Nouveau centre, avec la Gauche moderne, avec les Progressistes, des listes de gens qui s'engageront réellement pour changer les choses donc. Et puis, nous avons été les premiers, depuis le 24 janvier, à désigner nos têtes de listes qui sont en campagne, et moi...

G. Delafon : Oui, mais vous serez les derniers à les boucler...

Non, j'en suis, avec R. Dati, à, je crois, une trentaine de réunions, nous avons déjà rencontré près de 5.000 personnes à la région Ile-de-France.

G. Delafon : Alors justement, justement, la gauche appelle, elle, à un vote sanction contre le Gouvernement ; de ces élections européennes, vous voulez faire quoi ? Vous, vous réclamez un vote de soutien à l'action du Président ou vous réclamez une adhésion à un projet européen ?

Mais nous voulons, avec le Président, changer de projet européen, tenir compte de cette crise, résister à cette crise, comme nous avons vu, avec N. Sarkozy, que c'était possible pendant la présidence française. Pendant six mois, nous avons été acteurs et pas spectateurs de cette crise.

G. Delafon : C'est ça, changer le projet européen ?

Et tenir compte de la crise pour imaginer cette nouvelle croissance que nous devons construire, une croissance verte, une économie verte, avec des engagements, de nouvelles politiques, nous voulons être exigeants à l'égard de l'Europe. Nous sommes pour le projet européen, nous pensons que la France a sa place à tenir dans le projet européen. Elle en est d'ailleurs un des pays fondateurs. Mais il faut changer ce projet et être exigeant et avec les institutions et avec les politiques européennes ; il y a de nouvelles politiques communautaires à construire...

G. Delafon : Par exemple ?

Sur l'industrie, sur l'énergie, sur la recherche, faire le travail de mutualisation pour avoir un effet de levier plus large et plus fort, le même effort de mutualisation que nous avons fait pour l'agriculture. Comment expliquez-vous, puisque vous interrogez le ministre de l'Agriculture et de la Pêche, que le secteur agricole tienne le coup, c'est parce que des gens travaillent...

G. Delafon : A coup de subventions...

Les gens travaillent dur et beaucoup se sont adaptés depuis vingt ans, peut-être plus que d'autres secteurs de la société, et il y a une politique publique, G. Delafon, avec des règles, des régulations, un budget, eh bien, je pense qu'il faut faire la même chose dans d'autres secteurs stratégiques, comme les nanotechnologies, l'énergie ou la recherche.

G. Delafon : Alors, demain, le président de la République doit faire un discours important sur l'Europe. Qu'est-ce qu'il va proposer, ce que vous êtes en train de nous décrire, une croissance verte, des politiques communes sur l'énergie ; F. Fillon a parlé d'une Europe rempart, c'est quoi une Europe rempart ?

Une Europe qui protège, nous voulons nous battre sur l'idée que l'Europe doit protéger les citoyens, et ce n'est pas du protectionnisme, c'est être exigeant en matière de sécurité sanitaire, on peut en parler avec les crises qui nous menacent dans les années qui viennent, la sécurité alimentaire, la défense ; il y a plein de sujets où... et l'emploi naturellement, où nous devons retrouver les moyens de préserver notre emploi chez nous et de créer de nouveaux emplois...

G. Delafon : Comment ? Comment, par exemple, la protection de l'emploi au niveau européen, comment ça peut se faire ?

Par exemple, en investissant ensemble, en mobilisant l'épargne des Européens, pourquoi pas une Caisse des dépôts européennes, en mobilisant ensemble l'épargne des Européens ou le budget de l'Union européenne, ou nos budgets nationaux qu'on mutualise, comme on l'a fait pour l'agriculture.

G. Delafon : Vous pensez que c'est possible, ça, de mutualiser...

Mais ça a été fait pour l'agriculture, G. Delafon, il n'y a plus de budgets nationaux pour l'agriculture ; aujourd'hui, nous avons un budget européen qui est pour la France dix fois plus important, vous m'entendez bien, dix fois plus important que le budget national qui est dans mon budget. Et c'est ça qui crée l'effet de levier...

G. Delafon : Donc on utiliserait ce budget pour aider par exemple les licenciés...

On peut imaginer un fonds plus important que celui qui existe pour ajuster l'économie aux crises, pour aider les bassins industriels, peut-être des programmes... industrie. Dans notre projet qu'avec X. Bertrand nous allons présenter dans les jours qui viennent, et qui sera présenté dans la foulée du grand discours du président de la République, le président de la République ne va pas faire un discours à l'UMP, il va s'adresser aux Français, peut-être aussi aux autres Européens, il va présenter sa vision, et on attend ça de lui, il a des choses à dire, il a fait des choses pendant la présidence française. Et l'idée, c'est que nous ne soyons pas spectateurs mais acteurs de notre propre destin, et franchement, c'est simple de comprendre et de dire, et nous allons le dire pendant cette campagne, que dans cette crise, pour résister, pour s'en sortir, il vaut mieux être ensemble que chacun chez soi ou chacun pour soi.

G. Delafon : Alors justement, il y a une chose que les Français ont du mal à comprendre, c'est la dichotomie qu'il peut y avoir entre le Parlement européen et le Parlement français, par exemple...

M. Biraben : Le ministre de l'Agriculture et le député européen.

G. Delafon : Oui, alors, il y a ça, mais par exemple, si on prend la loi sur le piratage Internet, elle a été examinée au Parlement français, et au même moment, au Parlement de Bruxelles. Pourquoi dans deux Parlements en même temps, et qui prédomine ?

M. Biraben : Et c'est antinomique, les deux lois sont antinomiques.

Pour l'instant, il y a une contradiction, mais naturellement, toute l'histoire de l'Europe, c'est fait de compromis entre les gouvernements entre eux d'abord, entre les gouvernements, le Conseil des ministres et le Parlement, la Commission est au milieu. Donc on trouvera un accord, mais nous avons un souci...

G. Delafon : Mais qui est déterminant : c'est le Parlement européen ou le Parlement français ?

On verra bien si cette loi européenne va jusqu'au bout et si elle n'évolue pas. En tout cas, nous allons, nous, être extrêmement vigilants pour préserver le point d'équilibre auquel nous sommes parvenus, entre la liberté des internautes et puis la protection du travail des créateurs, des artistes, la création culturelle. Nous avons trouvé ce point d'équilibre, et nous souhaitons convaincre les autres Européens que l'on doit préserver ce point d'équilibre.

G. Delafon : Alors, la référence que faisait Maitena, c'est cette idée que, bon, vous êtes actuellement ministre de l'Agriculture, donc vous vous battez contre les quotas de pêche, si l'élection réussit pour vous, vous deviendrez commissaire européen, et là, vous défendrez les quotas...

M. Biraben : Vous faites un grand écart, M. Barnier...

G. Delafon : Donc comment vous allez gérer cette schizophrénie ?

D'abord, il n'est pas question de la Commission, mettez les choses dans l'ordre. Objectivement, la seule chose dont il est question pour moi aujourd'hui, c'est d'être candidat, si les Français le veulent, d'être élu au Parlement européen. S'agissant de la Commission...

G. Delafon : Si on vous propose d'être commissaire, vous ne refuserez pas ?

S'agissant de la Commission, laissez les Français, les citoyens européens voter. La Commission, elle sera formée après, et c'est l'affaire des chefs d'Etat et de gouvernement, après l'élection, de désigner les commissaires européens. Je ne me bats pas contre les quotas, je me bats pour changer la politique des quotas, les pêcheurs, dont je suis le ministre, ont besoin des quotas, c'est une protection ; si vous supprimez les quotas - et je n'ai pas de problème pour le dire ici, sur votre plateau, comme je l'ai dit aux pêcheurs - vous donnez la pêche artisanale à tous les grands financiers, à des grandes sociétés multinationales, capitalistes, qui vont détruire la pêche artisanale. Je me bats avec les agriculteurs pour une politique agricole commune, peut-être avec des révolutions, avec des règles que l'on crée ou que l'on maintient, notamment sur le lait, mais je me bats pour cette politique, je n'ai pas deux langages.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 14 mai 2009