Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "Canal Plus" le 14 mais 2009, sur la récession économique, les conclusions du rapport Cotis sur la répartition de la valeur, sur la nomination d'un ancien collaborateur de la ministre à la direction de France Télécom.

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Média : Canal Plus

Texte intégral

M. Biraben, G. Delafon et L. Mercadet.- M. Biraben : La ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, C. Lagarde est notre invité Gilles.

G. Delafon : La crise financière l'a imposé comme l'un des ministres les plus actifs du Gouvernement et en a fait une vedette de la presse internationale. Mais il lui reste à prouver maintenant que ses décisions permettront au pays de sortir de la crise.

M. Biraben : Bonjour Madame, soyez la bienvenue. La France entrera officiellement demain en récession, vous allez nous dire que vous n'allez pas augmenter les impôts, comme F. Fillon ce matin dans Le Figaro et pourtant, on a du mal à vous croire.

Moi je vous dis simplement ce que les chiffres me donnent et ce que l'état de notre économie nous indique. Je ne suis pas en train de vous raconter des histoires. Vous me posez des questions, j'essaye de vous répondre avec le plus de solidité et d'honnêteté possible. Aujourd'hui, on est en train de vivre une récession, suite à une crise financière comme le pays, ni l'Europe, ni l'ensemble des économies du monde n'en ont jamais vue depuis la Deuxième Guerre mondiale. La France résiste mieux que la plupart de ses voisins - ce n'est pas moi qui le dis cette fois-ci, si jamais vous ne me croyez pas encore, c'est le Fonds monétaire international, c'est l'OCDE, c'est la Commission européenne. Parce qu'on a mené une politique de relance très tôt, parce qu'on a une économie plus équilibrée dans son modèle économique, si vous voulez, puisqu'on a trois moteurs : consommation, investissement, exportation. Et quand il y en a un qui est vraiment en panne et qui ne fonctionne pas, un autre fonctionne. Et l'investissement public vient un petit peu au secours de l'investissement privé. Pour autant, la demande internationale est très faible, l'économie mondiale s'est contractée et l'investissement privé est très timide, parce que tout le monde se dit : attention, ce n'est pas le moment, il vaut mieux pour l'instant épargner. Et si vous ajoutez à cela évidemment un fonds de grande (...) aux risques des banques, qui se sont brûlées les ailes et qui aujourd'hui sont très attentives, on a une situation qui est difficile, qui est moins difficile en France que dans la plupart des autres économies du monde. Le Financial Times avait fait sa Une il y a deux jours en indiquant les courbes de la Chine, des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France et on voyait que c'était la France qui était descendue le moins bas et qui remontait le plus vite.

M. Biraben : Et La Tribune faisait sa Une hier en disant : les impôts vont augmenter.

Ils ont été cruellement démentis et par moi, la veille, et par F. Fillon dont la voix porte bien plus, ce qui est légitime, puisque c'est le Premier ministre, en disant : on n'augmentera pas les impôts. Alors vous allez me dire, la situation est mauvaise, vous n'augmentez pas les impôts. Qu'est-ce qui se passe, comment on fait en ce moment ? Eh bien on creuse le déficit, ça c'est tout à fait clair. On est obligé aujourd'hui d'investir de l'argent public pour relancer la machine. Alors le pari qu'on fait, c'est que la machine va repartir. Et il faut pour ça deux conditions : il faut premièrement que les banques se remettent à jouer le jeu du financement de l'économie et qu'elles le fassent bien et vite. Et deuxièmement, il faut que le plan de relance qu'on a initié depuis le mois de janvier produise ses effets. C'est-à-dire que les investissements par les collectivités, par les entreprises publiques, les remboursements anticipés d'impôt sur les sociétés, de TVA, etc., entraînent la machine.

G. Delafon : Vous avez dit : on va creuser le déficit. Mais creuser le déficit, c'est-à-dire donc la dette publique, cela a un coût énorme. Qui va payer ?

C'est nous qui payons, ce sont les français, tous ensemble et ce seront les générations qui viennent.

G. Delafon : Donc, les impôts c'est les générations qui viennent qui les payeront ?

Non, les impôts c'est nous qui les payons. Mais ce qu'il faut impérativement faire c'est, je vous l'ai dit : un, relancer. Donc si la machine économique repart, cela veut dire que les recettes fiscales vont à nouveau rentrer. Donc on a de la recette qui remonte. Et puis, en parallèle, il faut absolument qu'on fasse des économies et que l'on continue sur la lignée qui avait été donnée par le président de la République et que l'on mette en oeuvre, un peu, mais à mon avis pas suffisamment, qui est l'économie dans la dépense publique. Donc si vous augmentez les recettes d'un côté, si vous faites des économies en dépenses de l'autre, eh bien vous resserrez le déficit. Alors on va le faire moins vite que ce qu'on avait espéré, soyons clairs. On avait un plan, un programme de stabilisation du déficit sur 5 ans...

G. Delafon : C'est-à-dire en temps, vous pouvez donner une fourchette de temps à peu près ?

Je ne sais pas vous dire aujourd'hui, précisément, parce que vous savez que l'on va bientôt réviser la prévision de croissance qui va nous donner une projection plus ferme, mais cela sera plus que 2012, ça c'est clair.

G. Delafon : Mais demain, on va avoir la croissance pour le premier trimestre 2009, on sait qu'elle sera mauvaise, est-ce que vous avez une idée du chiffre ?

Non, je ne l'ai pas encore, parce que les ordinateurs de l'INSEE continuent à mouliner. Et puis il y a un embargo jusqu'à demain matin, même si je le savais un tout petit peu plus tôt, puisque je le saurai probablement dans la nuit, je ne le dirais pas, parce qu'il y a un embargo et que je tiendrai, mais je sais qu'il ne sera pas bon !

G. Delafon : Il ne sera pas bon et il sera moins bon que ce que vous espériez. Donc, on va encore dire : mais C. Lagarde, elle a sous-estimé !

Non, non, ça sur le premier trimestre 2009... je n'ai pas sous-estimé, je sais qu'il sera mauvais, je n'ai jamais dit qu'il serait bon. Parce qu'on est dans la foulée du T4 2008 - 4ème trimestre 2008 - qui a été à moins 1,1. Et depuis, cela ne s'est pas amélioré. Nous, la politique que l'on mène, elle vise à redresser fin 2009 pour avoir des effets sur 2010.

M. Biraben : Une question de spectateur tout de suite pour vous C. Lagarde.

L. Mercadet : Oui, bonjour madame la ministre. Plusieurs téléspectateurs posent la même question - Patricia, Jean-Jacques, Yves - : on parle de remettre la vignette auto en place le 1er janvier 2010, info ou intox ?

Intox !

M. Biraben : Voilà c'est clair : Intox ! Ce ne sera pas en janvier, c'est ça, cela sera en février... non intox !

L. Mercadet : Certains précisent en disant : mais ça va être masqué, ça sera en fait le malus écologique qu'il y aura à payer tous les ans et non plus seulement quand on achète la carte grise, donc vous le démentez aussi ?

Bonus-malus, cela a été une vraie mesure efficace. Si on a réussi à faire repartir les ventes dans le secteur automobile, c'est bien par la prime à la casse, le bonus-malus et c'est une mesure intelligente, parce qu'on incite à la consommation de véhicules plus propres. Donc, là, bravo ! Il faut évidemment continuer.

L. Mercadet : Et l'annualisation du malus dont certains parlent...

Intox !

G. Delafon : Alors venons-en à un autre sujet. Le rapport qui a été remis hier au président de la République sur la répartition de la valeur. Il y a un double problème, si j'ai bien compris : un problème de rémunération avec des salaires qui ont peu progressé et un problème de profits qui vont plutôt aux actionnaires qu'aux salariés. Comment on résout le premier problème, par exemple celui de la rémunération, comment est-ce que l'on fait ?

C'est un tout petit peu plus compliqué, si vous me le permettez. Parce que ce que constate J.-P. Cotis, qui est un expert indépendant auquel le président de la République a confié cette étude, il dit la chose suivante, il dit : sur l'échelle des salaires, ceux du bas ont augmenté - c'est l'augmentation du SMIC, régulière pendant les dix dernières années, contrairement à ce qu'a fait l'Allemagne, qui a tenu ses salaires terriblement pendant la même période. Et puis tout en haut, tout en haut, le zéro mille pourcents, ce n'est pas le zéro un pourcent, c'est le zéro mille pourcents, eux leurs salaires ont un peu explosé. Et résultat, les cadres moyens, en fait ceux qui sont au milieu, ils ont un peu bougé, ils ont bougé un peu plus que l'inflation, mais ils se trouvés rattrapés par ceux du bas et complètement distancés par ceux du haut. Donc c'est ça le vrai problème de la distorsion que l'on a actuellement. Etant précisé que si l'on regarde en agrégats, aujourd'hui le partage de la valeur c'est 67 % pour les salaires, 33% pour le capital. Ce sont les deux gros facteurs de production et de création de valeurs dans notre économie, 67 % va aux salariés, 33 % au capital. Cela pose un problème, cette espèce d'écrasement.

G. Delafon : Comment on fait alors pour le résoudre, par la loi ?

Le président de la République a été très clair quand il a reçu le rapport de J.-P. Cotis ; il a demandé aux partenaires sociaux, les syndicats, les représentants des employeurs de se saisir de l'analyse, que personne aujourd'hui ne conteste. Et ils ont jusqu'au 14 juillet pour réfléchir ensemble, faire des propositions et je crois que c'est la meilleure voie. C'est-à-dire que ceux qui sont directement concernés, le lieu dans lequel se crée, se distribue la valeur, fassent des propositions, ils ne seront pas forcément d'accord.

G. Delafon : Et s'ils ne sont pas d'accord, on passera par la loi ?

Ils ne seront pas forcément d'accord, pourquoi ? Parce que souvent, les organisations syndicales n'ont pas envie d'entrer dans la logique : et si on participait au jeu et si on était détenteur du capital et si on avait des actions gratuites ou des stock-options, etc., etc., pas toujours d'accord là-dessus. Et puis de l'autre côté, les représentants des employeurs sont aussi un peu restreints.

G. Delafon : Les syndicats, eux, ils disent que le problème, c'est un problème de salaires, un problème de baisse de salaires. Est-ce que selon vous, il y a un problème de salaires en France ?

Il y a un problème de répartition de la valeur que l'on doit régler. Cette espèce de grand écart - enfin ce n'est pas tellement le grand écart - c'est le fait qu'il y a un resserrement sur la partie médiane et puis une envolée en haut, une remontée en bas. Donc il faut arriver à répartir ça de manière plus équitable et se poser la question de la participation du capital. Vous savez, c'était la magnifique idée du général de Gaulle, qu'il a promue par la participation des salariés au profit de l'entreprise. Quand une entreprise fait des profits, on doit là aussi - et c'est un deuxième sujet - se poser la question de savoir comment on répartit et comment on renforce un jeu collectif ?

G. Delafon : Pour l'instant, il n'y a que 7 % justement des profits de l'entreprise qui vont aux salariés. Le Président a parlé de la règle des trois tiers, vous pensez qu'on doit aller vers cette règle des trois tiers ?

Je ne pense pas que l'on puisse régler la répartition des profits dans ces conditions-là, pourquoi ? Parce que vous avez des entreprises, qui par exemple au début, au moment de leur développement, si elles font des profits, il faut tout réinvestir ; il faut recapitaliser, il faut renforcer les fonds propres. A mon avis, à ce moment-là, il n'est pas question de distribuer. Et puis vous en avez d'autres en régime de croisière qui ont très lourdement investi, qui sont...

G. Delafon : Donc, il faut faire du cas par cas en gros ?

Mais bien sûr, bien sûr, chaque entreprise c'est une histoire individuelle. Chaque entrepreneur c'est une histoire individuelle et on ne peut pas avoir une règle mathématique.

G. Delafon : Pas de législation là-dessus, pas de loi là-dessus ?

Non, je crois qu'on peut proposer des outils, on peut proposer des méthodes, mais on ne peut pas cadrer en disant : un tiers, un tiers, un tiers.

G. Delafon : Une question plus personnelle, elle concerne votre directeur de cabinet, S. Richard, qui doit partir chez France Télécom. Evidemment, cela a fait du bruit ; il y avait un précédent avec le cas de monsieur F. Pérol. Et S. Richard a demandé à la Commission de déontologie de se saisir de son cas, elle l'a fait hier. Est-ce que vous savez ce qu'a décidé la Commission de déontologie ?

Oui, je sais ce qu'a décidé la Commission de déontologie, puisque S. Richard a passé son espèce d'audition, de grand oral hier, dans des conditions très sérieuses, très approfondies, très fouillées, m'a-t-il dit. Moi je n'y participais pas. Et l'avis a été rendu en fin de journée, hier. Je le publierai intégralement ce matin avec un communiqué de presse de mon ministère. Il est donc autorisé par la Commission de déontologie à aller exercer ses fonctions au sein de France Télécom, selon les modalités qui ont été indiquées par D. Lombard, le président de France Télécom, et qui résultent d'un accord entre eux. Donc, il est autorisé à le faire. En revanche, il faut que, à partir du moment où il rejoindra cette entreprise, il n'ait pas de contacts professionnels avec les membres de l'équipe qui constituent mon cabinet aujourd'hui et dont il assure, jusqu'à sa cessation de fonction une extraordinaire direction. Donc autorisé à rejoindre, mais pas de contacts professionnels avec les membres de l'équipe et cela me paraît une décision frappée du bon sens.

G. Delafon : Donc, il n'y a pas d'affaire S. Richard ! Non, autrement que celle d'un grand professionnel dont France Télécom a la chance d'accueillir et que j'ai le regret de voir partir.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 15 mai 2009