Interview de Mme Rama Yade, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et aux droits de l'homme, à Europe 1 le 15 mai 2009, notamment sur la détention de l'opposante birmane Aung Suu Kyi, le pape et le problème israélo-palestinien et sur la défense des droits de l'homme.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Bonjour et bienvenue R. Yade.
 
Bonjour.
 
En Birmanie, Aung San Suu Kyi déjà en isolement depuis 6 ans est arrêtée, détenue, elle risque entre 3 ans et 5 années de plus de prison. Comment sauver ce symbole du courage mondial ?
 
Vous dites "sauver", effectivement la Dame de Rangoon se meurt, si je puis dire et si elle meurt, elle sera la mauvaise conscience du monde car c'est un Prix Nobel de la Paix, une femme frêle leader de l'opposition, qui a gagné les élections en 1990 à 80 % des voix, qui depuis 15 ans en fait est assignée à résidence et aujourd'hui en prison. En effet...
 
Comment la libérer ? Son procès a lieu dans quelques jours, lundi ; comment la libérer, qui doit bouger et qu'est-ce que vous faites au niveau européen, ensemble, et international ?
 
Alors elle a été arrêtée, emprisonnée et inculpée en vertu d'une loi relative, je cite, "à la protection de l'Etat contre la menace d'éléments subversifs", parce qu'un Américain serait rentré dans sa maison après être rentré à la nage chez elle. Qu'est-ce qu'on peut faire ? D'abord elle a un avocat, c'est une bonne chose, il faut s'assurer d'une part qu'elle soit libérée urgemment et immédiatement. C'est ce que nous demandons depuis plusieurs années et que j'ai réitéré lundi dernier, quand on a appris que, en plus son état de santé s'est dégradé.
 
Depuis plusieurs années, c'est-à-dire que la junte militaire est indifférente et arrogante à tout ce qu'on peut dire et les autres pays sont impuissants !
 
C'est une décision qui moi me stupéfait, me consterne parce que la junte birmane n'entend rien, n'écoute rien. Elle applique sans faille la feuille de route qu'elle s'est fixée pour parvenir à des élections en 2010 qu'elle gagnerait, voilà. Et donc ce qu'on peut faire, c'est... vous savez, j'ai été la première à sensibiliser sur cette question de la Birmanie, j'ai déjà exprimé la disponibilité de la France à venir à son secours sur le plan médical...
 
Vous avez essayé d'ailleurs avec B. Kouchner d'entrer dans le pays, vous n'y êtes pas parvenue !
 
J'avais obtenu un visa que le président de la République avait demandé auprès des autorités chinoises notamment qui ont des relations avec la junte birmane...
 
Et alors ?
 
 
 
Je l'avais obtenu, mais simplement les conditions de la visite n'étaient pas les bonnes, ça aurait été une visite Potemkine. J'ai écrit hier aux autorités...
 
Qu'est-ce que c'est une visite Potemkine ?
 
C'est une visite où on est suivi par le ministre de l'Intérieur et on ne peut pas voir grand-chose. J'ai écrit hier aux représentants des pays asiatiques, notamment les Chinois, les Thaïlandais, les Indonésiens, les Japonais, tous ceux qui sont susceptibles d'avoir des relations avec la junte pour qu'ils fassent pression parce que la clé est là. L'Union européenne, elle a fait son travail, ça fait 10 ans qu'elle a établi un régime de sanctions. Et, au mois d'avril dernier, elle a renouvelé ces sanctions, ces sanctions c'est quoi ? C'est l'embargo sur les armes, sur les pierres précieuses, le bois, l'interdiction du territoire européen, le gel...
 
C'est-à-dire essayer d'asphyxier économiquement cette junte militaire...
 
Exactement.
 
Mais à chaque décision totalitaire de la junte, le débat reprend. Est-ce qu'il faut utiliser le dialogue ou la manière forte et le maintien des sanctions ? Quel est votre choix ce matin ?
 
Alors on a déjà essayé l'autre stratégie qui consistait à dire : nous, on est prêts à assouplir les sanctions si on voit arriver des gestes...
 
Ça n'a pas marché.
 
Ça n'a pas marché... Ce matin... On durcit ? Non plus. Parce qu'au fond, l'Europe c'est loin pour la junte birmane. Ceux qui ont des relations serrées, étroites avec les Birmans...
 
C'est l'Asie, c'est la Chine...
 
C'est pour ça que dans 10 jours, je vais me rendre en Asie du Sud-est et je vais tout faire pour rencontrer un maximum d'autorités asiatiques, pour leur redire qu'il faut faire pression sur la junte birmane...
 
Donc on ne peut rien faire pour sauver, là, sinon parler ?
 
On fait le maximum. Le secrétaire général des Nations unies avait prévu d'y aller, nous l'encourageons à le faire. Son envoyé spécial, I. Gambari, a vu Aung San Suu Kyi en février dernier et finalement, c'était une visite un peu infructueuse parce qu'il voulait préparer la visite de Ban Ki-Moon, les autorités birmanes sont... vous savez, c'est une junte militaire qui dirige le pays après avoir volé la victoire d'Aung San Suu Kyi en 1990. Il y a un côté un petit peu autiste de cette junte qui n'a pas besoin du reste du monde, tout ce qui lui importe c'est que quelques pays asiatiques lui permettent de se protéger du reste du monde en quelque sorte.
 
Voilà, on change de sujet. Le Pape, il achète sa visite en Terre Sainte. En Cisjordanie, il a jugé tragique l'existence du mur construit par Israël et il a dit : les murs peuvent être facilement bâtis, nous savons aussi qu'ils peuvent être abattus. Il a souhaité la création d'un Etat palestinien. R. Yade, si vous étiez Palestinienne, est-ce que vous seriez satisfaite de ce voyage ?
 
Je ne suis hélas pas Palestinienne, je suis Française, c'est un autre type de chance. Je dirai que les déclarations du Pape sur la nécessité d'un Etat palestinien, dans des frontières internationalement reconnues, sont une exhortation aux Palestiniens de renoncer au terrorisme. Sa condamnation du "pouvoir, comme il dit, destructeur", de la haine et des préjugés, la nécessité du dialogue interreligieux, tout cela reçoit politiquement l'assentiment de la France qui défend ces positions depuis de longues années.
 
Vous n'êtes pas Israélienne mais vous savez qu'en Israël, on trouve qu'il n'a pas trouvé les mots justes. Est-ce que vous seriez rassurée ou déçue ? Et sur le plan général, est-ce que vous pensez que cette visite n'a pas été une visite ratée, elle n'a pas convaincu ? Je lisais la presse allemande, la presse italienne, la presse française ; Le Figaro dit ce matin : ce Pape sans charisme a suscité plus de déception que d'enthousiasme.
 
Je ne vais pas juger de la personnalité charismatique ou non du Pape. Il faut comprendre que cette visite...
 
Des effets de sa présence...
 
D'après ce que j'en ai vu, cette visite avait une dimension essentiellement apostolique et pastorale. De ce point de vue, je n'ai pas de commentaire à faire. C'est peut-être cette dimension religieuse qui a pris beaucoup d'espace. Mais en ce qui concerne l'aspect purement politique, je dirai que ces appels à la création d'un Etat palestinien et tout ce que je vous ai dit est conforme à la position française. La France veut un Etat palestinien viable, l'arrêt complet de la colonisation, enfin tous ces points, nous sommes...
 
D'accord, il a bien défendu la position française en Terre Sainte ?
 
Disons que nous sommes d'accord avec ce qu'il a dit sur le plan politique. Sur le plan religieux...
 
Et en Israël aussi ?
 
En Israël... enfin c'est toute la crise au Proche-Orient, au fond, sur laquelle il s'est prononcé avec l'urgence de paix.
 
D'accord. Autre sujet, le président Obama refuse la publication de photos de sévices pratiqués par les soldats américains en Irak et en Afghanistan, il avait promis le contraire. Toutes les associations humanitaires réclament la transparence par respect pour les droits de l'homme. Est-ce qu'il faut publier les photos ?
 
Ce que je crois, c'est que B. Obama dès son élection a pris des décisions symboliquement très fortes en matière des droits de l'homme : la fermeture de Guantanamo...
 
Non, non, mais...
 
La reconnaissance de l'existence de prisons secrètes, donc autant de points qui étaient attendus depuis très longtemps qui, je crois, marquent le début d'une présidence avec du souffle. Il est revenu au Conseil des droits de l'homme, enfin il a fait revenir les Etats-Unis au Conseil des droits de l'homme. S'il n'a pas publié ces photos, il n'a pas non plus nié qu'elles existent, c'est quand même ça l'essentiel. Quel est l'objectif ?
 
Oui mais vous, vous, porte-parole et défenseur des droits de l'homme, est-ce que vous dites qu'elles apporteraient quelque chose et qu'il faut les publier ou alors, ce n'est pas la peine et qu'il s'est trompé quand il a promis de les publier ?
 
Pas spécialement. Je dirai juste qu'à partir du moment où il reconnaît que ces photos existent... enfin c'est déjà essentiel parce qu'au fond, s'il publiait ces photos, peut-être qu'il s'est dit que... imaginons, ça va peut-être provoquer une recrudescence des actes terroristes, des actes antiaméricains...
 
Je sais qu'elles existent, je ne les montre pas, elles sont assez horribles, voilà.
 
C'est peut-être par refus d'un certain voyeurisme politique...
 
Donc vous comprenez ?
 
Oui, je peux comprendre, mais il faut lui laisser le temps de dérouler sa présidence, je crois...
 
Dans une heure, vous inaugurez à Paris le Congrès mondial sur les droits de l'homme, l'orientation sexuelle et l'identité du genre.
 
Comment coopérer pour lutter, si j'ai bien compris, contre la transphobie et l'homophobie qui est en France et partout d'ailleurs en train d'augmenter, en particulier avec Internet etc.... ?
 
Exactement, il y a 80 pays qui pénalisent l'homosexualité dont 8 qui appliquent la peine de mort aujourd'hui, c'est une situation tragique. En décembre dernier à l'ONU, j'avais fait le décompte des Etats qui soutenaient notre déclaration contre l'homophobie, on était 66 et dans la salle à côté, la Syrie portait une contre-déclaration et comptabilisait aussi les Etats qui le soutenaient. Et je trouve que...
 
Vous pensez que ça fait partie de l'urgence du dossier des droits de l'homme dans le monde ?
 
A partir du moment où il y a 80 pays qui pénalisent et 8 qui appliquent la peine de mort, où il y a de la lapidation à la pierre, oui effectivement c'est une urgence humaine, il s'agit de droits fondamentaux. Et donc, ce Congrès sera l'occasion d'accueillir une centaine d'ONG venues du Sud et de leur proposer des actes de coopération concrète.
 
En France, deux détenus se sont récemment pacsés, ils vivent ensemble en couple dans leur cellule. Est-ce que vous êtes favorable au Pacs dans les prisons ?
 
Vous savez si la loi le permet, moi je n'ai rien contre. Ce n'est pas parce qu'on est en prison, qu'on a perdu sa liberté, qu'on n'a plus sa dignité humaine. Je crois que quand on n'a plus rien, ce qui doit rester c'est la dignité de l'homme.
 
Le gouvernement Berlusconi a obtenu l'accord des élus italiens pour durcir les lois contre l'immigration clandestine. Premièrement, elle devient délit ; deuxièmement, les immigrés resteront dans les centres d'expulsion 6 mois au lieu de 2 ; troisièmement, tout Italien qui loue un logement ou héberge des clandestins risque jusqu'à 3 ans de prison. Est-ce que R. Yade proteste ?
 
Ce que je crois, c'est qu'en matière d'immigration, il y a 2 écueils à éviter : l'immigration zéro qui ne sert à rien, on ne peut pas éviter l'immigration, donc si c'est la philosophie de ce texte, je ne lui prédis pas un grand avenir. Et l'autre écueil à éviter, c'est l'ouverture totale des frontières parce que sans moyens, sans travail, sans logement, c'est quasiment irréaliste.
 
D'accord mais on n'imite pas Berlusconi ?
 
On n'imite pas Berlusconi ? Non, je ne préfère pas.
 
Sur ces mesures-là au moins...
 
Pour sa popularité, peut-être, mais pour le reste non.
 
Non, je pense que la France, terre d'accueil, tradition républicaine nous oblige peut-être à un peu plus de générosité.
 
C'est dommage qu'on ne parle pas plus des droits de l'homme pendant la campagne européenne.
 
Je pense que les Français sont dans des préoccupations très immédiates, mais plus on va y aller, plus je crois que la mobilisation se renforcera. Je ne m'inquiète pas là-dessus.
 
Merci d'être venue.
 
Merci à vous.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 15 mai 2009