Déclaration de M. François Hollande, Premier secrétaire du PS, le 28 janvier 2001, sur le bilan de l'action du gouvernement et de la majorité depuis 1997, sur la nécessité pour le Parti socialiste d'élaborer un projet pour le long terme et sur les enjeux électoraux de l'année 2001.

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Circonstance : 7ème rassemblement des secrétaires de section du PS à Paris, janvier 2001

Texte intégral


Le rassemblement des secrétaires de section, le 7ème du genre aujourd'hui, prend une ampleur chaque année plus impressionnante. Impressionnante par le nombre, par la qualité des orateurs -je parle des militants qui viennent ici poser des questions, impressionnante par l'effet qu'il a dans le débat public. Il est devenu, sans que nous l'ayons voulu initialement, un rendez-vous essentiel dans la vie de notre Parti.
Il permet, chaque début d'année, non pas de faire des vux (la formule finit par fatiguer y compris son acteur principal) mais de fixer le calendrier de travail du Parti socialiste, en fonction des objectifs qui sont les nôtres et du contexte politique et social que nous traversons.
A cet égard, saluons la force de la mobilisation de jeudi dernier. Ces manifestations ont eu le double mérite de faire reculer le Medef, dont les méthodes menaçantes et les propositions provocatrices sont inacceptables dans une démocratie comme la nôtre, et de rappeler l'attachement de millions de Français au principe de la retraite à 60 ans : grande conquête de la Gauche avec François Mitterrand et Pierre Mauroy. C'est un rappel utile et une bonne leçon administrée par la rue à Monsieur Seillière, comme hier à Alain Juppé. Souhaitons qu'il la retienne à son tour.
J'en reviens à nos propres affaires.
Le rôle du PS, dans cette année 2001, sera décisif parce que nous avons à relever collectivement deux défis majeurs :
Consolider notre bilan pour préparer notre projet
I - BILAN ET PROJET
2001 est, en effet, une année charnière. Il nous faut achever l'action réformatrice engagée depuis le début de la législature et en même temps réfléchir déjà à la suivante.
Bilan et projet ne se distinguent pas. Il s'agit des deux faces de la même pièce. Il n'y a pas de projet crédible qui ne s'appuie sur un socle solide de réalisations. Mais, nous savons aussi qu'il n'y a pas de bilan, aussi impressionnant soit-il, qui puisse à lui seul incarner l'espoir.
En bref, c'est parce que nous avons agi que nous pouvons promettre. Et, c'est parce que nous sommes la Gauche que le pays attend toujours de nous le mouvement pour de nouveaux progrès.
De ce double point de vue, nous ne redoutons à aucun moment la comparaison. Nous la revendiquons même. De 1993 à 2001, Droite et Gauche auront gouverné à peu près le même temps (4 ans); et les citoyens peuvent donc juger les résultats respectifs des uns et des autres, et surtout l'écart entre les promesses du temps électoral et les prouesses du temps utile. Et il y a bien eu fracture d'un côté et cohérence de l'autre.
En juin 1997, nous nous étions engagés devant les Français à changer leur avenir dans deux domaines essentiels : l'emploi et la cohésion sociale. Trois ans et demi après, où en sommes-nous ?
1/ - Le chômage :
Il dépassait plus de 3 millions de personnes en 1997 ; il sera sans doute inférieur à 2 millions à la fin de cette année. Ce mouvement qui s'est installé de façon continue depuis l'automne 1997 concerne toutes les catégories de la population : les jeunes comme les chômeurs de longue durée. Il s'est même accéléré durant l'année 2000, puisque le nombre d'emplois créés aura dépassé plus de 600 000 cette année-là, ce qui constitue un record dans notre histoire économique et une performance qu'aucun autre pays européen n'aura atteint dans la même période.
Comment ne pas y voir l'effet, certes d'une conjoncture économique favorable et d'une mutation technologique incontestable, mais surtout l'impact d'une politique volontariste qui a conjugué le soutien de la demande, la création des emplois jeunes et la réduction du temps de travail ? Il n'y a pas de chance en politique. Il n'y a que des opportunités à saisir. Il y a ceux qui ont le don de les étouffer et ceux qui ont le mérite de les stimuler. Il n'y a pas une uvre commune des gouvernements successifs, comme d'aucun voudrait nous le faire croire. Il y a bien eu rupture en juin 97.
J'y insiste parce que nous avons payé -au début des années 90- un tribut si cruel et si injuste à la montée du chômage (je pense à la défaite de 1993 et à la tragédie de Pierre Bérégovoy), et la Droite alors n'avait pas de mot assez dur pour stigmatiser notre action, que nous pouvons bien prendre notre part collective dans les succès d'aujourd'hui. Pas tout le bénéfice, mais celui qui revient au rôle de notre propre politique économique : la confiance est revenue, une croissance riche en emplois, des comptes publics et sociaux équilibrés.
Mais, s'il nous faut nous débarrasser de fausses pudeurs, gardons-nous de tomber dans une jubilation déplacée :
la précarité continue de progresser (CDD, intérim, temps partiel contraint) ;
les plans sociaux n'ont pas disparu, même dans les entreprises qui réalisent des bénéfices imposants. Après Michelin, Danone -la communication cynique en plus, vient de nous le rappeler.
La loi sur la modernisation sociale, débattue en ce moment au Parlement, mettra fin à un certain nombre d'abus (pénalisation financière des CDD, intégration de l'amendement Michelin obligeant les entreprises à négocier d'abord sur la réduction du temps de travail plutôt que de recourir aux licenciements, information des salariés). Mais, il est clair que nous n'en aurons terminé avec ce fléau que lorsque le plein emploi sera devenu une réalité concrète pour chacun. Nous en sommes encore loin. Et le chômage reste notre première priorité.
2/ - La cohésion sociale
Depuis trois ans et demi, nous avons :
a) Agi pour réduire les inégalités
entre les personnes : la loi contre les exclusions, la CMU
entre les territoires : la loi sur la solidarité urbaine, les contrats de plan
b) Distribué du pouvoir d'achat
Relèvement du SMIC et des minima sociaux
Temps de travail
Réduction des prélèvements : TVA, TH, droits de bail, vignette et maintenant CSG sur les bas salaires
c) Nous allons donner de nouveaux droits :
droits des malades
droit à la prestation dépendance
En cinq ans, nous avons réussi à réconcilier les Français avec leur avenir et à les sortir du regard chagrin qu'ils portaient sur leur pays et parfois sur eux-mêmes. Bref, la France est sortie de la crise qui la taraudait depuis plus de 25 ans.
Mais, en même temps, sont nées d'autres aspirations et apparues d'autres exigences :
les sécurités de toute nature : alimentaire, sanitaire, mais aussi la volonté d'en finir avec la montée de toutes les formes la violence ;
l'éducation : accès aux savoirs, aux nouvelles technologies, à la formation sur toute la vie ;
la qualité de la vie : urbanisme, transports, loisirs, culture. Nouveaux besoins qui appellent des formes nouvelles d'intervention publique et des services publics adaptés, renforcés
l'environnement : cela vaut pour la protection de la nature que pour celle de la planète.
De ce point de vue d'ailleurs, ne faisons pas un projet simplement hexagonal et pas simplement un projet européen. Ce que les pauvres de la planète attendent des socialistes Français, des socialistes Européens, c'est aussi un projet international et mondial.
C'est dans ce contexte, et en fonction de ces nouvelles priorités, que nous devons lancer la préparation de notre projet.
L'Elaboration a été voulue originale dans :
- Sa conception : Il ne s'agit pas simplement de faire un programme de législature ; il faut :
Voir loin : réflexion à 10 ans et non un programme catalogue
Voir large : tous les domaines de la vie en société, pas seulement les questions économiques
Agir mieux : pas seulement l'Etat, mais l'ensemble des acteurs (publics, sociaux, citoyens, nouveaux instruments de l'action publique)
- Sa méthode :
Intervention des militants : pas seulement lors du vote du texte de la convention, mais dans les propositions ;
Ouverture à la Gauche plurielle (au plan local à partir des fédérations et au plan national avec les sommets) ;
Dialogue avec les citoyens.
Cette tâche mobilisera notre Parti tout au long de l'année.
Mais, nous avons aussi à relever victorieusement les échéances électorales qui s'annoncent.
Convaincre les Français à l'occasion des échéances de 2001 pour continuer à représenter l'espoir en 2002
II - CONVAINCRE EN 2001 POUR GAGNER EN 2002
1/ - Sortir renforcés des élections locales de 2001
A deux mois des élections municipales et cantonales, le Parti socialiste est en ordre de marche. Après avoir désigné nos chefs de file l'été dernier, nous avons ratifié nos listes hier et conclu avec nos partenaires de la Gauche plurielle des accords dans la plupart des villes de France (même si les exceptions sont un peu plus nombreuses que nous ne l'aurions nous-mêmes voulu avec les Verts).
Nous avons, avec la FNESR, conçu un " Manifeste " municipal et départemental qui montre la cohérence, au-delà des caractéristiques locales, de la politique des socialistes sur le territoire :
* faire vivre pleinement la décentralisation et la démocratie locale ;
* prolonger nos priorités nationales par une politique de proximité ;
* améliorer la qualité de la vie.
A bien des égards, la rigueur de notre préparation, la qualité de nos candidats, la manière avec laquelle nous avons appliqué la parité (qui est vécue comme une obligation par la Droite, mais qui est une fierté et une chance pour la Gauche) nous donne des raisons d'espérer.
Et l'état de la Droite pourrait finir de nous convaincre de nos chances sérieuses de victoire. Car, à première vue, son état fait moins envie que pitié.
Elle n'est toujours pas sortie de la crise provoquée par la dissolution. Et ses échecs électoraux successifs (1998 et 1999) n'ont créé aucun sursaut, à tel point qu'il en ait, paraît-il, à Droite qui attendent une nouvelle défaite en mars prochain pour créer le choc psychologique. Nous sommes prêts à les y aider autant que nous le pourrons.
La Droite ne s'intéresse qu'à elle. Quand ses leaders s'expriment, c'est pour parler de l'état de l'opposition et non de la situation des Français. Edouard Balladur rédige scrupuleusement les statuts d'un parti unique qui ne verra jamais le jour (ses mémoires seraient plus intéressantes) ; Alain Juppé publie une Charte d'union dans laquelle il oublie de parler de l'emploi (il y a des lapsus qui révèlent autant un passé qu'une pensée) ; Michèle Alliot-Marie n'a pour seul projet que de défendre bec et ongle le RPR, comme si c'était une fin en soi pour les Français et pour la République. Quant à Nicolas Sarkozy, il découvre enfin l'ivresse de la liberté pour se mettre de nouveau au service de Jacques Chirac, lequel a désormais tout à craindre.
La Droite se révèle incapable, et pour notre démocratie il ne faut pas s'en réjouir, d'assumer clairement une politique alternative. Et, c'est Jacques Chirac qui occupe seul le terrain en reprenant ses slogans jaunis de 1995, pour faire oublier un septennat raté.
Enfin, la Droite se donne en spectacle au risque de fatiguer le civisme des Français. A cet égard, la tragi-comédie de Paris joue le rôle de mauvais feuilleton ou de sit-com. Un système agonise sous nos yeux faute d'être défendu par son inventeur comme par ses bénéficiaires. Et Philippe Seguin, à force de faire le vide, est de plus en plus seul. Et ses amis semblent attendre le premier tour pour s'en débarrasser. Ce sera d'ailleurs pour lui une délivrance.
Et pourtant, aussi juste que soit ce portrait, ne cédons pas à un excès d'optimisme et de confiance. Ne confondons pas sondages et élections, pas plus que les échéances.
* D'abord la Droite à des ressources :
* Son socle sociologique n'a pas été sensiblement érodé, malgré notre travail depuis 1997 ;
* Elle a son réseau d'élus locaux qui constitue une assise bien plus forte que celle des partis conservateurs
* Elle a recours à ces alliances larges : les conservateurs iront chercher loin, trop loin parfois leurs alliés pour remporter la victoire.
* En outre, la Droite a des recettes :
* la première s'appelle " l'apolitisme ". Quand la Droite va mal, elle se cache, elle se maquille, se dissimule, elle localise, personnalise, banalise. Partout, en ce moment, les étiquettes se gomment, les sigles s'estompent, les appartenances s'éclipsent : personne n'est de Droite dans cette campagne ! A nous de politiser, au bon sens du terme, les élections locales. Il y aura bien partout en France d'un côté la Gauche plurielle et de l'autre toutes les droites coalisées. Et le résultat final et global aura bien un sens politique, même si c'est d'abord le choix d'équipes locales qui sera en cause.
* La deuxième se nomme : l'exploitation de l'insécurité. Parce qu'elle frappe les plus fragiles, les plus modestes et les plus faibles, c'est un devoir pour la Gauche de lutter contre toutes les formes de violence. L'insécurité est une préoccupation légitime des citoyens. Le droit à la sécurité, à la tranquillité, au respect est donc, à juste raison depuis 1997, une priorité de l'action gouvernementale (police de proximité, contrats locaux de sécurité, politique de la ville, la Justice). Nous avons compris, nous, qu'il faut agir autant sur les causes que sur les manifestations de la violence. La Droite tente d'exploiter, comme à d'autres moments de notre histoire récente, un filon que l'effacement du Front National lui fournit l'occasion de creuser. Quand elle s'en prend à la Justice ou revendique une décentralisation dans les mains des élus locaux de la police nationale, elle joue dangereusement avec le feu. Il y a, en effet, par rapport à l'insécurité deux manières de faire : En parler pour faire peur ; agir pour faire reculer la peur. Nous avons choisi notre voie. C'est celle de la République, faite de droits et de devoirs, de prévention et de sanctions, d'efforts de tous (police, acteurs locaux, famille) et de citoyenneté. Ne laissons pas la Droite utiliser les prochaines élections pour faire de l'insécurité, comme hier de l'immigration, un thème malsain d'affrontement partisan.
Voilà pourquoi, il faut dans les semaines à venir poser clairement les enjeux des élections du mois de mars :
2/ - Fixer clairement les enjeux
* Valoriser notre bilan : bilan gouvernemental mais aussi local : sur la solidarité, l'intercommunalité, le développement économique
* Assurer la cohérence entre l'action locale et l'action nationale, pour faire vivre les lois que nous votons
* Donner du sens à la politique : il n'y a pas pire fléau pour la démocratie que l'éloignement des citoyens par rapport à leurs élus et pas plus funeste triomphe pour les forces économiques que l'indifférence civique et la perte de légitimité politique. Chaque fois que la démocratie recule, c'est la dictature du marché qui progresse. Ce qui doit nous animer, au-delà de la victoire des uns et des autres, au-delà même de l'appropriation partisane des villes qui finit par nous insupporter, ce qui doit l'emporter c'est la démarche citoyenne, c'est la réhabilitation du lien entre ceux qui votent et ceux qui sont élus, c'est la conviction commune que nous pouvons agir les uns et les autres pour changer l'ordre des choses.
Après les municipales, je n'ignore pas qu'il y aura d'autres scrutins en 2002 dans un ordre que la majorité de Droite au Sénat cherche inutilement à en retarder l'annonce, mais qui dépendra d'abord de la volonté, en dernier ressort, de l'Assemblée nationale. Il faut prendre conscience que l'ordre est important pour la clarté, mais est relatif pour la préparation de nos propres échéances. Nous désignerons nos candidats aux élections législatives avant la fin du mois de décembre 2001. Nous aurons d'ailleurs veillé au respect du principe de parité. Nous aurons aussi comme devoir de faire en sorte que la majorité plurielle se retrouve dans les désignations que nous ferons, au-delà même de savoir ce qui se passera pour l'élection présidentielle. Les composantes de la majorité plurielle ont parfaitement le droit de vouloir se présenter comme elles le voudront aux élections présidentielles, et nous n'avons pas à préjuger de ce que nous avons à faire selon leur choix ; nous avons à dire, en revanche, que nous sommes ouverts à discuter avec les composantes de la majorité plurielle pour préparer les élections législatives. Nous aurons à désigner notre candidat à l'élection présidentielle en février 2002. Il paraît que nous voulons faire un " costume sur mesure " à Lionel Jospin. Nous ne changeons pas nos règles en fonction de tel nous tel. Nous fixons nos priorités en fonction de nos principes : le principe est d'abord de désigner nos candidats aux élections législatives, c'est de fixer notre projet (janvier 2002) ; et une fois que nous aurons fixé notre projet, nous désignerons notre candidat ou notre candidate d'ailleurs.
Je n'ignore pas non plus les supputations qui sont faites à propos des élections municipales de mars prochain et de la répercussions qu'elles pourraient avoir sur d'autres scrutins. Veillons cependant à ne pas établir un lien d'automaticité avec d'autres scrutins. Chaque élection a sa logique propre. Celle de 2001 créera l'ambiance, mais pas le dénouement.
Ne brûlons pas les étapes. Laissons Lionel travailler à la tête du Gouvernement. Il n'y réussit pas si mal. A la Réunion, nos amis étaient un peu pressés. Je peux comprendre leur envie et leur impatience car cela pèse un septennat. Mais, chaque chose en son temps.
Ne faisons pas comme d'autres, ne confondons ni les temps, ni les lieux, ni les genres. Faisons de 2001 une année de travail pour faire de 2002 une année de victoire.
5Source http://www.parti-socialiste.fr, le 08 février 2001).