Déclaration de M. Alain Joyandet, secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie, sur les priorités de l'aide au développement notamment de l'Afrique, à Washington le 26 avril 2009.

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Circonstance : Déplacement à Washington à l'occasion de la session de printemps de la Banque mondiale et du FMI les 25 et 26 avril-comité du développement du FMI, le 26 avril 2009

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Ministres,
Chers collègues,
Cette assemblée de printemps ne doit pas être une assemblée de plus, une assemblée de routine. Le 20 avril dernier, le G20 a envoyé un signal fort à la communauté internationale : le plan de soutien adopté est d'une ampleur sans précédent. Il devait être à la hauteur de la crise que nous traversons.
Avec 1100 milliards de dollars annoncés pour la relance de l'économie mondiale, avec également des mesures sans précédent pour réguler la finance et la mettre au service de l'économie réelle, nous avons su créer un choc de confiance, un choc salutaire.
La France y a pris toute sa part : Christine Lagarde a confirmé hier la décision de notre pays de contribuer à l'augmentation des financements du FMI pour lutter contre la crise, ceci à hauteur de 16 milliards de dollars.
Ces changements profonds, d'approche et d'échelle, ont fait dire à de nombreux commentateurs qu'un nouvel ordre économique mondial était sur le point de naître. Les marchés et les observateurs - nombreux - ont salué ces décisions. Les attentes sont désormais très fortes. Maintenant il faut y répondre concrètement. Il y a urgence.
En tant que ministres du développement, il nous faut faire deux choses :
- d'abord expliquer ce qu'il en sera des milliards annoncés pour les plus démunis ;
- ensuite indiquer clairement ce que nous proposons de faire de ces moyens additionnels pour le développement.
Sur le premier point, je comprends que tout n'est pas encore précisé. La France souhaite que la part qui sera consacrée au développement de l'Afrique soit prépondérante. Il n'est pas concevable qu'après avoir annoncé le triplement des ressources du FMI nous ne soyons pas en mesure de changer d'échelle dans l'aide aux pays les plus pauvres.
L'augmentation de 100 milliards d'euros des prêts des banques multilatérales de développement, à la demande du G20, constitue une très bonne nouvelle. Ces annonces doivent se traduire dans les faits. L'urgence n'est pas seulement à Londres, Paris ou Washington, elle est également à Bamako, à Dakar ou à Port-au-Prince...
De même, comme pour les pays émergents, nous devons explorer les flexibilités dans les conditions de recours à l'endettement par les pays les plus pauvres.
Deuxième point : comment allouer au mieux ces efforts additionnels ? A quelles priorités devons nous nous atteler ? Avec quelles chances surtout d'enrayer, ou à défaut, de compenser le triple choc, alimentaire, énergétique et désormais économique que subissent de plein fouet les pays les plus pauvres ?
Ce n'est sans doute pas le lieu de redéfinir des priorités qui sont connues de tous et sur lesquelles nous nous sommes engagés de longue date. Elles ont été pour la plupart d'entre elles définies par les pays eux-mêmes. Il importe aujourd'hui de s'y tenir et de saisir l'opportunité qui s'offre à nous pour qu'elles puissent enfin trouver les moyens de leur réalisation.
J'en vois au moins trois pour le continent africain.
Longtemps présentée comme l'utopie salvatrice, la « révolution verte » tarde à se concrétiser. Ailleurs, en Asie notamment, elle a permis le décollage des économies ; elle a été le meilleur ami de la croissance ; elle a permis d'éradiquer en partie les formes les plus extrêmes de la pauvreté, je pense à la sous-nutrition et à la malnutrition.
Pour l'Afrique, le Plan Marshall pour l'agriculture existe. Les Africains eux-mêmes en ont tracé les contours dans le cadre du NEPAD. La FAO tout récemment encore en a fait sa priorité pour mettre un terme à un fléau qui affecte plus de 200 millions de personnes. Il nous reste à y mettre les moyens. La fourchette est connue : entre 15 et 20 Mds $ devraient être mobilisés chaque année pour que cette « révolution verte » en Afrique ne demeure pas une utopie.
Pour augmenter la productivité agricole, l'essentiel reste à faire. L'irrigation d'abord. La FAO estime que 7% seulement des terres arables en Afrique sont irriguées, contre 40% en Asie. L'Afrique utilise 4% seulement des réserves en eau disponibles pour l'irrigation, contre 17 pour cent en Asie. Nous avons là une chance historique pour inverser le cours des choses et mettre un terme à l'étrange désaffection qu'ont connu au cours de la dernière décennie les politiques de développement rural.
Pour sa part, la France, via l'AFD, s'est engagée sur cette priorité à hauteur d'1 Md euros sur les cinq prochaines années. Nous en avions également fait l'axe principal de notre présidence de l'UE pour le volet de notre aide publique au développement. Et j'ai tout récemment signé avec le Président de la Banque africaine de Développement, Donald Kaberuka, le lancement d'un fonds d'investissement pour l'agriculture africaine d'un montant initial de 200 Meuros.
Il me semble indispensable que nous nous prononcions d'urgence sur le montant que nous pouvons assigner collectivement à cette priorité déterminante pour l'avenir de l'Afrique. Il nous faut également proposer un mécanisme efficace de mise en oeuvre de cette importante orientation stratégique.
Deuxième priorité sur laquelle il nous faut mobiliser rapidement des moyens : l'accès des pays en développement, et tout particulièrement africains, à l'énergie. La pauvreté énergétique est aujourd'hui un frein considérable à toute croissance durable. Là encore, il s'agit de changer d'échelle. Les matières premières énergétiques sont abondantes ; les capacités hydrauliques sous-exploitées ; les nouvelles sources d'énergie peu mobilisées, qu'il s'agisse de la biomasse ou de l'ensemble des énergies renouvelables. La perspective de la Conférence de Copenhague nous offre une excellente opportunité pour formuler des propositions ambitieuses. J'y vois non seulement une fantastique chance pour le développement de l'Afrique, mais aussi une opportunité d'affaires pour les investisseurs tant les besoins sont immenses avec moins de 15% d'accès des Africains à l'énergie...
Troisième priorité, enfin, l'éducation et la formation. En Afrique désormais près de 60% des enfants sont scolarisés. L'effort additionnel qui reste à faire sera déterminant : pour que l'enseignement soit de qualité, pour qu'il permette aux enfants d'accéder à des formations et à des emplois, pour que l'enseignement supérieur, technique ou universitaire puissent suivre. Il faut honorer les engagements pris en 2000 pour une « éducation pour tous » en 2015. Lundi, 75 millions d'enfants n'iront pas à l'école ! Les efforts ne doivent donc pas être relâchés ; des moyens additionnels seront là encore nécessaires, de l'ordre d'une dizaine de milliards d'euros par an. Il s'agit d'encourager et de soulager les Etats, dont les dépenses sociales sont croissantes, et qui consacrent d'ores et déjà à l'éducation en moyenne entre 10 et 20% de leur budget national.
En conclusion, le triplement annoncé des engagements de la Banque mondiale et des Banques régionales de développement doit être rapidement corrélé à un plan d'action cohérent, tenant compte des priorités définies par les Africains eux-mêmes. Ce pourrait être notre feuille de route pour les quelques mois qui nous séparent du prochain sommet du G20, cet automne, en marge de l'Assemblée générale des Nations Unies.
Nous avons ainsi moins de six mois pour faire la preuve que nous saurons nous mobiliser et que les engagements pris seront tenus. Dans le domaine de la régulation financière, le G20, auquel je vous le rappelle, la France a demandé que l'Afrique soit pleinement associée, a voulu un suivi des efforts de relance, il a demandé le suivi de la régulation financière, il manque aujourd'hui le suivi des efforts de développement.
La France suggère très concrètement que le FMI, la Banque Mondiale et les Nations Unies rendent compte aux Chefs d'Etat et de gouvernement de l'état de mise en oeuvre de ces engagements relatifs aux développement. Ce pourrait être lors du prochain rendez-vous international d'automne. Le temps de l'action sur le terrain doit commencer !
Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 juin 2009