Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, à "Europe 1" le 4 juin 2009, sur les mauvais chiffres du chômage et les bons chiffres de créations d'emploi, sur l'urgence d'une coordination des politiques économiques notamment européennes.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Bonjour, C. Lagarde et bienvenue.

Bonjour J.-P. Elkabbach.

L'heure c'est l'heure. Vous aviez promis d'annoncer, aujourd'hui, le taux officiel de chômage du premier trimestre. Quel est-il ?

Je vais d'abord vous donner deux ou trois bonnes nouvelles, puisque c'est ainsi que vous m'avez lancée tout à l'heure. Aujourd'hui, on apprend d'une étude d'un cabinet comptable que la France est le deuxième pays d'accueil des investissements étrangers, derrière la Grande-Bretagne, c'est quand même une assez une bonne nouvelle. Deuxième bonne nouvelle : c'est le chiffre de 200 000, on a plus de 200 000 auto-entrepreneurs à ce jour, et il y a eu plus de 200 000 créations d'emplois grâce à la mesure "Zéro charge" pour les entreprises de moins de 10 salariés, qui peuvent donc embaucher et qui l'ont fait massivement depuis le 1er janvier. Ça c'était la bonne nouvelle et vous m'avez fait la grâce de me laisser les annoncer.

Voilà, les petites bonnes nouvelles. Alors la mauvaise, s'il y en a une ?

C'est évidemment un mauvais chiffre et on le savait. On a une dégradation de la situation de l'emploi, qui est tout simplement la conséquence de la dégradation de la situation économique, depuis 6 mois, de manière absolument nette.

Alors ?

Donc on a un chiffre du chômage pour le premier trimestre 2009 qui est de 8,7 %.

C'est-à-dire qu'au 4ème trimestre 2008, c'était 8,2, aujourd'hui, c'est 8,7 ?

Non ! 4ème trimestre 2008, le chiffre a été révisé, il a été révisé en amélioration, il était à 7,6. On est à 8,7, donc c'est une progression très forte, 1,1 % de plus, c'est brutal.

C'est des chiffres qui font mal ?

Ce sont des chiffres qui sont mauvais, c'est une dégradation très nette. On est dans la moyenne de l'Union européenne, premièrement ; ça se dégrade moins vite qu'ailleurs. On observe, en particulier en Espagne, en Grande-Bretagne, des dégradations beaucoup plus rapides, beaucoup plus douloureuses ; aux Etats-Unis aussi on a une augmentation de plus de 100 %. Donc, c'est un mauvais chiffre, on est dans la moyenne de l'Union européenne et ça se dégrade moins vite qu'ailleurs. Puisque la progression par rapport au meilleur taux de chômage qu'on ait eu, c'est plus 20 %, voilà !

Mais on a noté, par exemple, que depuis janvier jusqu'en avril, les chiffres encore forts, paraissent en pente descendante de mois en mois. Est-ce que c'est une tendance, une certaine réduction de la hausse du chômage ? Est-ce que ce n'est qu'une tendance ?

Les inscrits à Pôle Emploi, janvier, février, mars, avril, sont importants, mais déclinants, vous avez raison. Ce qui est plutôt...

Mais est-ce que c'est une tendance ?

Quand vous observez une diminution du nombre des demandeurs d'emploi, de manière progressive, régulière, trois mois de suite, c'est une indication de tendance. Le chiffre que je vous donne de 8,7 %, c'est le chiffre estimation BIT, aux méthodes du Bureau International du Travail, travail effectué par l'INSEE, qui est le chiffre de référence que l'on utilise habituellement pour comparer les marchés du travail.

Et quelles sont les prévisions de Bercy pour les six prochains mois, si vous pouvez les faire ?

On le sait, c'est une situation qui va perdurer et c'est pour ça qu'on a décidé de s'y attaquer de manière forte avec trois séries de mesures. Des mesures qui sont destinées à maintenir dans l'emploi : ce sont toutes les mesures de chômage partiel, en particulier avec un renforcement de l'indemnisation ; ce sont toutes les mesures d'incitation à la création d'emploi ; vous savez quand on dit aux entreprises de moins de 10 salariés, vous ne payerez pas de charges sociales patronales si vous embauchez avant la fin de l'année 2009, c'est important...

C'est-à-dire que ça limite l'augmentation et la catastrophe, ça la limite ?

On dit trois choses : maintien dans l'emploi, incitation à la création d'emplois, encouragement au retour ou à l'accès à l'emploi et c'est toute la politique qu'on engage à l'égard des jeunes, qui sont particulièrement frappés et à l'égard des seniors, cher Jean-Pierre, nous sommes tous les deux concernés, parce qu'il ne faut pas, si vous voulez, ouvrir grand la porte de sortie, pour nous, « les vieux » entre guillemets, et puis fermer la porte d'entrée pour les jeunes. Donc on a cette politique qui vise à la fois à encourager les jeunes à accéder au travail, par les formations en alternance, par des primes à l'embauche ; aujourd'hui, on dit aux entreprises qui embauchent un stagiaire : si vous embauchez un stagiaire vous avez une prime de 3000 euros ; si vous embauchez un apprenti avant la mi-2010, vous aurez une prime là aussi.

Alors on dit que la France va passer d'une récession de -2,6 % à une croissance l'année prochaine de +0,7, est-ce que vous le confirmez ? A partir de tout ce que vous venez d'indiquer ?

J'ai indiqué déjà que nous aurions pour l'année 2009 un taux de croissance négatif, aux alentours de 3 %. Et nous allons fournir à la Commission européenne, à nos partenaires européens - et évidemment je le fournirai à ce moment-là à nos concitoyens - des prévisions macroéconomiques, c'est-à-dire que je vous donnerai à ce moment-là les prévisions de croissance, les prévisions d'inflation, les estimations qu'on fait sur le prix du baril, sur le taux de change, je vous donnerai ça en début de semaine prochaine.

En 2000, combien, la France va connaître une alerte, dit P. Séguin, un déficit et un endettement, comme elle n'en a jamais connu, en période de paix. Qu'est-ce qu'on fait pour limiter ces déficits et ces endettements ?

On est en période de paix, mais on est en période de crise. Et c'est la raison pour laquelle tous les pays du monde ont aujourd'hui, des déficits budgétaires qui sont très forts. La France un peu moins que les autres, si vous me le permettez, puisque si vous regardez par exemple, Outre Manche, les Anglais et les Irlandais, vont avoir des déficits supérieurs à 10 % cette année, les Américains probablement supérieur à 12 %...

Mais ils vont mal les Anglais, on entendait P.-M. Christin, avec raison, ils vont très mal les Anglais.

...Vous savez pourquoi ? Parce qu'ils ont notamment beaucoup misé sur le secteur financier, sur le développement du secteur financier. Et s'ils ont bien sûr un secteur industriel fort, le secteur financier était hypertrophié, il est malade, c'est lui qui a transmis un certain nombre de difficultés à toute l'économie, et les Anglais sont plus touchés que les autres...

Et comment fait-on justement, pour l'Europe, avec une Grande- Bretagne si affaiblie et si touchée ?

Il faut être solidaire, c'est évidemment la seule réponse à la crise. On est tous tombés dans cette crise, il faut qu'on en sorte ensemble et, de toute évidence, la solidarité doit jouer. C'est tout le sens de l'Union européenne, ça donne des raisons supplémentaires de croire en l'Europe, de voter pour l'élection de nos parlementaires européens, dimanche.

Justement, justement est-ce qu'après dimanche, justement la France va demander dans les prochains jours, après les Européennes, plus de coordination des politiques économiques de l'Europe ?

La coordination des politiques économiques c'est une demande de la France, une demande forte, le président de la République l'a très régulièrement demandé, sollicité...

Mais il n'y a pas de réponse suffisante.

L'Allemagne n'était pas toujours au rendez-vous et n'était pas toujours désireuse d'engager des mesures de ce type. Je pense que la crise actuelle révèle un certain nombre de besoins. Elle révèle le besoin du politique, elle révèle le besoin de la solidarité, on l'a exprimé au niveau européen, on est allé au secours des Hongrois, on est allé au secours d'un certain nombre des pays membres qui sont en difficulté. Et, très clairement, l'Union européenne nous aide. Regardez aujourd'hui, en matière d'emploi, il y a des fonds qui sont débloqués, au niveau européen, qui vont être utilisés.

Et apparemment ça va durer, vous avez confié hier au Parisien, que la crise ou la sortie de crise, n'est pas à très court terme. Est-ce que « pas à très court terme » signifie que vous n'attendez pas de sortie de crise avant 3, 4, 5 ans ?

Non, ce n'est pas du tout ce que j'ai dit. Nous sommes dans une crise profonde, les circuits financiers nous ont affectés gravement, parce qu'ils ne fonctionnaient plus. Ils ont fonctionné mal, ils vont fonctionner un peu mieux maintenant. L'économie réelle est affectée, on le voit, au niveau des licenciements et des résultats du chômage, et moi, je suis convaincue que les mesures de relance que nous avons prises, soutien au secteur bancaire pour ranimer l'économie, soutien au financement des PME, mesure de relance par la dépense publique et par l'accélération des paiements aux entreprises, ça, ça va produire des résultats. Et ça produira des résultats, de mon point de vue, au début de l'année 2010.

Au début de 2010. Comment vous faites, dans ces conditions, pour arriver à faire un nouveau budget, et à quoi, il va ressembler ? Parce qu'il faut l'acter constamment.

C'est un travail... Le nouveau budget, il est établi sous l'autorité d'E. Woerth, ministre du Budget, des Comptes publics. Bien sûr, nous y collaborons tous, et ça se passe dans le cadre des règles qui sont fixées par le Premier ministre. J'espère qu'on aura des règles bien strictes sur l'utilisation des fonds publics.

Un mot encore. Vous avez confié à un journal allemand qu'il fallait isoler et traiter à part les déficits dus à la crise. Un mot. Et vous parlez d'un traitement spécial, qu'est-ce que ça veut dire ?

C'est une analyse distincte qu'on doit faire entre le bon déficit, celui qu'on a dû engager pour la relance, le mauvais déficit, celui qui est le déficit structurel que l'on traîne depuis 30 ans, et auquel, il faut absolument s'attaquer.

On le sort, on le sort celui-là ?

Non, non, je n'ai pas dit qu'on le sortait, j'ai dit qu'on l'analyse distinctement et qu'on ne peut pas, sous prétexte qu'on fait de la dépense publique dans le cadre de la crise, faire n'importe quoi, en matière de dépenses publiques.

Vous avez confié au Parisien-Aujourd'hui en France : "si un jour, on ne me fait plus confiance, alors il faudra que je m'en aille". Donc vous restez ?

Ce sont ceux qui vous font confiance qui le décident. Ce n'est pas moi qui le décide. C'est comme vous, J.-P. Elkabbach, si on vous fait confiance, vous restez, mais ce n'est pas vous qui décidez de la confiance. Ca se gagne.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 4 juin 2009