Texte intégral
Jean-Louis Borloo - Merci de votre accueil. Avec le ministre des Affaires étrangères et européennes, nous souhaitions faire un point le plus complet possible sur la future réunion du MEF à Paris, ainsi que sur les enjeux liés au processus de Copenhague.
Comme vous le savez, le MEF se réunira à Paris, après s'est être réuni à Washington le mois dernier. Nous avons eu deux journées de travail extrêmement riches, introduites par Hillary Clinton et ponctuées par un point informel avec le président Obama.
Le MEF, successeur du "Major economic meeting" qui était une réunion au statut mal défini, réunit l'essentiel des pays émetteurs de gaz à effet de serre de la planète. Ce sont 17 à 18 pays qui représentent à peu près 80 % des émissions. Ceci est intéressant car c'est un statut qui est intermédiaire entre les négociateurs - j'allais dire spécialisés et professionnels - et les chefs d'Etat et de gouvernement.
Il s'agit d'une sorte d'introduction, au niveau ministériel, qui ne se situe pas formellement dans le cadre de l'ONU, même si Yvon De Boer est présent.
Elle a pour but de tester des pistes ou des idées à un niveau intermédiaire afin de préparer le futur G 8 + 5 qui se tiendra à l'Aquila. Son autre objectif est de poursuivre les négociations de Copenhague, dont les réunions techniques reprendront à Bonn le 1er juin prochain.
Que peut-on dire de ces réunions qui, par ailleurs, sont très utiles ?
D'abord, elles permettent de rappeler que l'ONU avait confié à un groupe d'experts internationaux la mission d'évaluer le niveau de nos émissions et leurs conséquences sur notre planète. Le 4ème rapport du GIEC souligne ainsi qu'avec une augmentation de 2°C de la température moyenne, le monde se trouverait face à une situation irréversible. La question est donc de ne pas dépasser cette limite.
C'est important car cela signifie qu'en tout état de cause, et indépendamment des résultats obtenus à Copenhague, nous devrons quand même conduire des programmes d'adaptation et trouver des financements.
Et puis, pour ne pas dépasser ces deux degrés, le GIEC recommande que les pays industrialisés réduisent leurs émissions de gaz à effets de serre de 25 à 40 % d'ici à 2020. Or, 2020, c'est aujourd'hui !
J'ajoute que, d'après les experts, nous nous situons plutôt dans "le haut de la fourchette". Autrement dit, les prévisions du GIEC sont relativement prudentes par rapport à la réalité, ce qui implique d'accentuer encore nos efforts de réduction.
Le deuxième point concerne les résultats de Bali. Comme vous le savez, il n'y a pas eu de déclarations formelles et engageantes de la part des Etats. Cependant, les chiffres du GIEC ont été validés. Les notes de bas de page font ainsi clairement référence à un objectif de réduction compris entre 25 % et 40 %.
La troisième question qui est posée au MEF, c'est la validation ou non des objectifs et des dates de référence (à commencer par la référence à l'année 1990). Je rappelle que tous les calculs sont établis sur la base des émissions constatées en 1990. Je crois qu'il est vraiment essentiel que la communauté internationale adopte une référence stable et lisible par tous.
Quatrième question : les engagements des pays industrialisés doivent-ils être évaluables, contraignants, sanctionnés ?
Il ne vous a pas échappé que sous la Présidence française, l'Union européenne a mis en place un dispositif chiffrable, évaluable pays par pays, secteur par secteur, et contraignant. Ce dispositif, c'est le Paquet Energie Climat qui prévoit une réduction des émissions de gaz à effets de serre en Europe de 20 % d'ici 2020 et, en cas d'accord satisfaisant à Copenhague, de 30 %. Je rappelle que ce paquet se décline sous la forme de cinq directives et règlements qui, comme on le constate dans les discussions que nous avons à présent, sont devenus l'élément de référence des débats. Cette question en appelle une autre : si on se met d'accord sur un dispositif évaluable et contraignant, quel doit être le pic d'émissions des pays émergeants ?
Mais le débat porte également sur la nouvelle donne américaine, et sur la volonté des Etats-Unis de rompre avec leur position antérieure héritée de l'Administration précédente. Cependant on sent, dans le même temps, une certaine appréhension face aux efforts à accomplir. Nous nous réjouissons et nous nous félicitons évidemment de la nouvelle donne américaine. Ce qui est annoncé aujourd'hui en matière automobile est, bien sûr, extrêmement important. La situation de crise dans laquelle se trouve par ailleurs l'industrie automobile américaine offre des marges de manoeuvre à l'exécutif pour agir.
Voilà ce que sera la réunion du MEF.
Je reviens sur l'action du président de la République car je ne suis pas certain que l'on ait toujours mesuré - et on le voit à présent devant les difficultés ressenties par nos amis canadiens, australiens et américains -, ce qu'a été l'engagement des vingt-sept pays européens dans ce débat. Il faut bien rappeler que c'est la première fois au monde qu'un groupe d'Etats s'engage à une telle remise en cause de ses fondamentaux économiques, énergétiques et industriels. Plus on approche de Copenhague, plus on mesure les efforts qui ont été accomplis, d'abord par l'Allemagne, puis par la Commission et enfin par la Présidence française.
Nous ne devons pas nous voiler la face : Copenhague, c'est le rendez-vous de l'Humanité.
Je ferai deux observations à ce sujet.
D'abord, il ne faut pas sous-estimer le désespoir de certains Etats, comme les îles du Pacifique Sud, ou de continents comme l'Afrique. Copenhague, ce n'est pas seulement des discussions techniques, c'est aussi un vrai enjeu de civilisation. C'est la raison pour laquelle la France va proposer une stratégie pour l'Afrique, fondée essentiellement sur le développement des énergies renouvelables.
Un dernier mot peut être concernant la Chine. Je crois que désormais, la Chine est vraiment déterminée à s'engager. Je ne vais pas dès maintenant donner mon sentiment sur ses objectifs ou sur les moyens mis en oeuvre : c'est justement tout l'enjeu des discussions que nous aurons dans le cadre du MEF. Cependant, la position de la Chine ne peut plus servir de prétexte aux USA pour ne pas s'engager. Mon sentiment est que, pour ces deux pays, il s'agit d'une question vitale à court terme pour leur compétitivité.
Enfin, nous faisons ce point de la situation avec Bernard Kouchner car, en réalité, depuis de nombreux mois, nos équipes travaillent ensemble, en étroite collaboration. La diplomatie verte est devenue un élément structurant, un des éléments forts de la diplomatie française. D'ailleurs au niveau européen, nos équipes sont quasiment communes et nous sommes évidemment très heureux de cette collaboration.
Bernard Kouchner - Il est vrai que nous travaillons ensemble, les équipes et les directeurs de Cabinet, Jean-Louis Borloo et moi-même ; le résultat me paraît évident. C'est très difficile à mettre en oeuvre. Tout ceci s'est fait avec beaucoup de bonheur entre les équipes de nos ministères respectifs, mais aussi avec beaucoup de difficultés car nous restions dans la théorie. Il y a de très bons techniciens dans les ministères, en particulier dans celui de Jean-Louis.
Cette succession de réunions déterminera les lendemains de l'Humanité. On peut dire qu'il y a des conséquences diplomatiques et politiques. Ce sont des demandes extraordinairement fortes avec des conséquences, notamment sur la gouvernance mondiale ; on se poserait la question à moins. Qu'est-ce que le G20 ? Qu'est-ce que le G8 que nous avons transformé en G13 ? Pourquoi y associer les pays arabes et les pays les plus riches pour le transformer en G20 ?
Mais, tout d'abord, il fallait exiger - c'était de la diplomatie et de la politique - que le président des Etats-Unis, qui à l'époque était M. Bush, veuille bien accepter la Conférence à Washington, pour qui et sur quels critères...
Il y a eu un G20 à Londres et il y aura, toujours dans cette perspective des rencontres de la diplomatie internationale - donc de la politique -, une rencontre au mois de septembre à New York.
Il y aura des gestes politiques nécessaires parce que la diplomatie s'imprégnera et s'imprègne déjà de verdure. C'est Mme Clinton qui est responsable aux Etats-Unis et c'est donc le président Obama qui décidera. Ce qui se passera ou pas à Copenhague ne sera pas forcément un drame. Ce sera une discussion, une confrontation entre les décisions prises en Europe et celles qui vont être prises dans les mois qui viennent aux Etats-Unis. Pour que ces décisions soient proches des décisions qui ont déjà été prises par l'Europe, nous devons mettre en oeuvre notre pouvoir de conviction. Si on y additionne - ce qui est juste - les problèmes de la Chine, c'est quand même un enjeu mondial, politique très important.
Concernant la gouvernance mondiale, que devient l'ONU dans tout ceci ? Modifie-t-on l'ONU ? A-t-on une réforme particulière parce que les besoins sont plus grands ? On parle de la réunion du G8, devenu le G13 en Italie dans quelques semaines, mais qu'est-ce que cela veut dire par rapport au fonctionnement de l'ONU ? Est-ce seulement les pays riches qui décideront ? Non, ce n'est pas possible. Or, les pays moins riches, c'est-à-dire ceux que nous avons mentionnés, en particulier en Afrique, quelle voix ont-ils à ce chapitre essentiel pour eux ?
Non seulement il y a des problèmes de gouvernance, mais il y a aussi des problèmes de développement. Comment adopte-t-on un langage commun entre ceux qui ont presque tout - je résume, car ce n'est pas aussi provoquant - et ceux qui n'ont rien ? Ils vont nous dire que c'est très bien de réduire les émissions de gaz à effets de serre, mais eux n'ont pas de développement. Alors, comment fait-on ?
C'est, de façon caricaturale, le cas de la Chine parce que les pays émergeants se trouvent entre les pays en développements et les pays riches. Les cinq pays émergeants, le BRIC sont sur la voie mais l'immense majorité des pays pauvres, qu'en fait-on ?
Il y a donc des problèmes pour un développement harmonieux, aussi bien en matière de santé, de démographie etc., ceux-ci seront contenus dans l'accord ou dans les accords.
Il y a également des problèmes immédiats de sécurité universelle. Le développement du Paquet Energie Climat, s'il était étendu à la planète, entraînerait des migrations et des réfugiés économiques par millions. Brice Lalonde, l'ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique, construit avec les Africains l'énergie de demain ; ce ne sera pas facile..
Bien évidemment, c'est un problème de volonté politique mais c'est surtout un problème de financement et d'accords, accords auxquels participeraient - ce n'est pas encore fait - l'Union africaine dans son entier. Cette dernière était représentée au G20 à Londres, mais ce n'est pas habituel. L'Union africaine n'a pas les moyens de faire cela et pourtant, pour les pays africains, c'est cette représentation que nous avons choisie parce qu'elle s'impose. Il y a également des représentations régionales, etc.
A Washington, nous avons un peu oublié la représentation des pays en développement, mais nous ne l'avons pas oublié à Londres ; ces pays, par rapport à nous, n'ont rien. Si on ne les met pas dans la boucle, avec nous, tout de suite, alors je crois que ce serait non seulement très dommageable pour eux, mais aussi pour nous. Je vous signale qu'ils portent une partie de la croissance mondiale en ce moment, car si nous sommes à - 3 en terme de PIB, eux sont encore à 4, 5 ou 6. Ce n'est peut-être pas la même croissance mais c'est un socle sur lequel nous avons besoin de nous appuyer. Il est tout à fait nécessaire de les associer. C'est indispensable pour leur avenir énergétique et aussi pour leur vie quotidienne qui, pour le moment, est loin de ressembler à la nôtre.
J'en resterai là alors que je devrais vous développer tout cela. C'est un problème qui concerne les deux ministères. C'est pourquoi je me réjouis que ce travail ait été fait en amont et bien avant cette Conférence, car il y a en fait deux années que nous y travaillons. Nous vous encourageons à y participer, à informer, car la réduction des émissions de gaz à effets de serre, dans un contexte de crise économique, ce n'est pas très populaire. Il faut cependant que ce soit une réflexion humaine qui dépasse très largement ce que l'on appelle la diplomatie. Il faut qu'il y ait une prise de conscience des efforts demandés pour l'avenir des hommes et des femmes de cette planète.
C'est la raison pour laquelle j'approuve ce qu'a dit Jean-Louis concernant Copenhague. Jamais, en dehors des grandes guerres mondiales, il n'y a eu de rendez-vous aussi important. Tout le monde sera confronté à son destin et, par conséquent, aux efforts à consentir car il y en aura. Nous parlons de nos efforts en matière industriels et même les uns par rapport aux autres dans ces formidables vingt-sept pays qui ont abordé ensemble le Paquet Energie Climat. A cet égard, on ne se rend pas compte de l'action de la Présidence française du Conseil de l'Union européenne. Les vingt-sept Etats membres ont tout accepté, ensemble. Pourtant, ils sont bien différents, ils ont des ressources énergétiques bien différentes et ils polluent différemment.
Au-delà des vingt-sept pays européens, c'est maintenant 196 pays qui devraient pouvoir bénéficier non seulement d'une compréhension technique mais aussi, bien sûr, d'une compréhension politique et diplomatique. C'est ce à quoi nous nous employons, je vous remercie.
Q - J'aimerais mieux comprendre quels seraient les côtés contraignants de cette politique commune de tous ces pays, cette volonté dont vous nous avez donné les premières ébauches ?
R - Jean-Louis Borloo - Le côté contraignant européen, nous le connaissons. Ce sont les engagements, les directives, la Cour de justice et les pénalités. Mais, dans ce caractère contraignant, il y a aussi des sous-contraintes, comme les contraintes par secteur.
Je le dis autrement : tous les pays, tous les blocs n'accepteront pas qu'il y ait des contraintes qui soient de nature à mettre en cause leur indépendance nationale. Le processus européen n'est pas forcément transposable ailleurs. Tout le monde peut comprendre que la Chine ne soit pas traitée comme l'un des 27 pays de l'Union européenne. En revanche, il peut y avoir des mécanismes contraignants, comme un mécanisme sur les quotas d'émission ou, tout simplement, sur le prix des émissions, ou bien encore des mécanismes sur le prix de l'énergie...
Q - Encourageant...
R - Jean-Louis Borloo - Pénalisant ou encourageant. L'important est de raisonner par secteurs d'activité afin de ne pas remettre en cause l'indépendance du pays concerné. C'est ce que les Européens ont accepté de faire. Nous parlons de méthode et pas de chiffres.
Q - D'après Bernard Laponge, qui critique la politique énergétique française, si nous étions sérieux à propos de la réduction de l'impact sur l'environnement du gaspillage d'énergie, nous pourrions immédiatement dire "arrêtons le gaspillage". Nous pouvons le réduire de 50 % aujourd'hui. Cela demande du courage politique. Est-ce que vous êtes d'accord avec M. Laponge ? Si oui, avez-vous le courage politique nécessaire ?
R - Bernard Kouchner - Il est facile de dire : "vous n'avez pas de courage politique" à un politicien. Nous avons du courage politique. M. Laponge n'est pas aux commandes, nous nous y sommes. La réalité est qu'il faut, bien sûr, arrêter la production automobile actuelle parce qu'elle est extrêmement polluante, mais que fait-on avec les travailleurs, le chômage ? Il y a une différence entre ce que vous appelez le courage politique et la réalité.
Le courage politique est certainement de confronter toute l'Union européenne, les vingt-sept Etats membres, afin de débuter le processus ; nous l'avons fait. Certains d'entre nous croient que ce n'est pas assez mais, honnêtement, vous ne pouvez pas accuser d'inertie les personnes qui se battent. Nous devons persuader le reste de la planète. Ils ne sont pas tous au même niveau et ils souffrent de ne pas l'être. Ils doivent développer leur pays afin d'avoir des vaccins, les équipements essentiels à la santé publique, etc. C'est cela qui est si difficile. M. Laponge est le bienvenu s'il a la recette miracle.
Q - Le Guardian a révélé hier qu'il y avait eu des discussions entre la Chine et les Etats-Unis à propos du climat. Qu'en pensez-vous et en quoi cela gêne ou perturbe ou tout simplement intervient dans le MEF et dans les discussions qui se poursuivent ?
R - Jean-Louis Borloo - Il faut bien comprendre que Copenhague n'est pas une négociation de type OMC. Il s'agit de savoir comment chaque pays s'engage pour répondre à la question posée par les scientifiques du GIEC. Vous avez trois catégories de personnes : il y a ceux qui font une espèce de déni, ceux qui pensent que c'est une chance et ceux qui pensent que c'est une charge. C'est d'abord une chance parce que la compétitivité de demain se fondera, quoi qu'on en dise, sur les technologies propres et non pas sur les technologies de la fin du XXe siècle. Il est assez simple de comprendre que celui qui gagnera la bataille automobile sera celui qui fera la voiture "décarbonée" la plus confortable et la plus rapide. Il ne faut pas être sorti des grandes écoles pour avoir compris cela. Je ne dis pas que ce n'est pas difficile à expliquer aux entreprises ou aux consommateurs. Il s'agit de modifier nos représentations : l'écologie, contrairement à ce qu'on a pu dire pendant des années, n'est pas une charge mais une chance pour nos entreprises.
J'observe d'ailleurs une chose. J'entends aujourd'hui les mêmes phrases à Washington que celles que j'entendais à Paris, au début du Grenelle, ou que nous avons entendues à Berlin, à Rome, à Budapest, à Londres au moment des négociations sur le Paquet Energie climat : "ce n'est pas le moment, il y a la crise, vous êtes fou, ce sont des charges en plus, notre compétitivité", etc. Et puis tout d'un coup, on comprend que c'est en fait un nouvel espoir, l'espoir d'un monde meilleur et que c'est économiquement rentable.
Donc, le fait que nos amis américains discutent avec nos amis chinois sur ces sujets-là, puis sur des sujets qui leur sont propres, va plutôt dans le bon sens. Nous, notre message, c'est "Yes you can" : il faut aller plus loin que 6 %...
Vous savez qu'en Europe, pour les pays qui ont signé le Protocole de Kyoto, il y a la procédure Eurostat, c'est-à-dire l'évaluation des prévisions d'émissions de gaz à effet de serre par pays européens. Les chiffres ont été publiés pas plus tard que la semaine dernière.
Ils démontrent qu'avec le Grenelle Environnement, la France aura réduit ses émissions de 22,8 % en 2020 par rapport à 1990, c'est-à-dire, plus que sa part prévue par le Paquet Energie Climat (qui est de 14 %).
On est heureux que les Américains discutent avec les Chinois. Cela va très vite en Chine, la Chine va nous surprendre.
R - Bernard Kouchner - J'accepte que cela soit une chance, mais ne négligeons pas les charges et les sacrifices, parce nous ne ferions pas de politique. Il est évident que les Chinois et les Américains, tout en parlant des bénéfices réciproques pour l'ensemble de la planète et, pour les uns et les autres, de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, ont des problèmes économiques majeurs. Il y a des rapports très précis entre le soutien du dollar, les bons du trésor américain et l'évolution de l'économie. Mais c'est un atout supplémentaire que d'avoir ensemble à avancer dans le domaine du climat et de l'énergie.
C'est aussi un sujet politique, il n'est pas seulement technique et de bonne volonté, ce qui serait déjà énorme. C'est aussi une affaire politique pour le développement des pays émergents qui va certes être modifié, mais aussi sûrement amélioré. Cela n'empêchera pas que ce développement ait lieu. Il aura lieu sous d'autres auspices et avec d'autres exigences. On parlera bientôt beaucoup de cela dans la vie politique internationale. On parlera beaucoup plus de ces sujets qu'avant. La confrontation ne disparaîtra pas, la concurrence non plus, mais je crois qu'il y aura, petit à petit, une volonté commune ; on ne peut pas faire autrement.
R - Jean-Louis Borloo - A l'occasion du "G8 énergie" à Rome, dans quatre jours, nous allons reparler de tous ces sujets. Je le dis et je le répète : ce n'est pas une négociation du type OMC et tout ne se joue pas le jour du rendez-vous à Copenhague. Nous sommes face à un processus de long terme et il n'est pas exclu, qu'il y ait ainsi plusieurs réunions de haut niveau.
Q - Vous avez une stratégie pour l'Afrique. Est-ce que vous pourriez préciser ce que cela signifie ? Y-a-t-il déjà des projets concrets ? Qui va les financer ? Dans quelle mesure est-ce compatible avec la stratégie du président de la République qui accepte d'exporter des centrales nucléaires dans des pays africains où cela pose tout de même des problèmes écologiques ?
R - Bernard Kouchner - Cela pose peut-être des problèmes, mais cela va peut-être en régler aussi. Vous avez évoqué le président de la République française. Personne n'est plus franc que lui sur ces questions d'énergie. Pour lui, vous avez le droit de choisir, et ce choix n'est pas forcément incompatible avec les énergies renouvelables : vous avez le droit de choisir l'énergie nucléaire, ou bien de choisir les deux.
Nous n'allons pas avoir beaucoup d'autres possibilités. Si cela n'est pas incompatible, parlons-en au moins ensemble. Nous le faisons au niveau de l'Europe, pourquoi pas avec les Africains ? Avec les pays africains, je le dis avec le plus de douceur possible, nous ne partons pas des mêmes bases, et c'est bien ce qu'ils sentent. Il est essentiel de se parler, d'être avec eux, même si cela est difficile. L'énergie en Afrique, si on n'en parle pas maintenant, je ne vois pas comment on pourra assurer le développement des projets y compris de ceux déjà engagés. Cela n'a rien à voir avec les offres déjà connues. Un certain nombre de pays africains ont, par rapport à leurs sources d'énergie, des positions connues ou qui vont évoluer comme le reste des pays. Mais l'engagement, le financement, le développement, la formation, tout cela s'inscrit à un autre niveau d'inquiétude.
Nous ne partons pas du même niveau et nous n'offrons pas immédiatement les mêmes perspectives. Pourtant, la prise de conscience est déjà générale et les solutions devront être aussi, à un moment donné, générales. Nous allons partager le fardeau. On ne peut pas demander aux Africains de faire des efforts considérables alors qu'ils n'en sont pas au même point dans la vie quotidienne, dans la formation, dans l'habitat, etc. C'est bien pour cela que nous avons consacré tant d'efforts pour qu'il y ait une représentation de l'Afrique au G20. Non seulement il y avait deux pays africains, mais il y avait également l'Union africaine qui, pourtant, n'est pas souvent présente à ces sommets. Si on ne le faisait pas, alors on les laisserait de côté. Ne pas les laisser de côté, c'est faire du développement, de la politique mais c'est évidemment aussi du bon sens.
Alors laissez les Africains choisir. Sur l'énergie nous y travaillons très fortement, aussi bien Jean-Louis que moi-même et bien d'autres. Il y a une commission européenne qui y travaille, beaucoup d'argent est consacré au développement. Voyons si les choix correspondent aux nécessités et aux urgences.
Q - Y-a-t-il des projets concrets ?
R - Jean-Louis Borloo - Nous faisons face à un véritable scandale : un quart des Africains n'ont pas accès l'énergie primaire. De plus, la recherche de bois de chauffage ou de cuisine est la première cause de déforestation en Afrique.
Je pense que nous pouvons faire de Copenhague, où les pays industrialisés devront de toute façon financer une partie des politiques d'adaptation, un grand rendez-vous du développement. Nous avons ainsi recensé, avec les pays africains, un certain nombre de projets, des plus simples, comme par exemple l'amélioration de la performance des fours dans les villages au Burkina Faso, aux plus complexes. Evidemment, selon les pays d'Afrique, le mix énergétique de demain ne sera pas le même. Vous n'avez pas le même mix énergétique au Congo que dans le Sahel. On a recensé tout cela. On a chiffré tout cela. On en parle avec les pays africains, les uns après les autres, et on en reparlera un peu plus globalement à Nairobi, le 28 mai, où nous avons invité l'ensemble des pays à dîner à l'ambassade de France, non pour arrêter les programmes mais pour savoir si on se situe bien sur la même ligne. Concrètement, si nous voulons aider l'Afrique à devenir totalement autonome sur le plan énergétique d'ici 2020, cela coûtera environ 20 milliards d'euros par an pendant 20 ans. Mais il faut bien avoir à l'esprit que cette somme est de toute façon inférieure aux fonds dits d'adaptation. Et puis, nous devons également penser aux autres pays pauvres qui bénéficieront également de la solidarité internationale.
Enfin je rappelle que, dans le cadre du Paquet Climat-Energie, une partie des quotas d'émission peuvent être utilisés pour financer ce type de projets. Donc oui, je crois que nous disposons des capacités suffisantes. Oui, je pense que c'est un rendez-vous historique, y compris dans ce domaine. Je pense également que c'est aussi une chance pour les entreprises européennes, notamment allemandes et espagnoles. C'est d'ailleurs pour cette raison que nous travaillons étroitement avec eux.
Q - Nous avons bien compris que vos initiatives visent surtout les gouvernements. Ma question se porte plutôt sur les gens qui causent la pollution, l'industrie en particulier et dans les pays où il y a un système démocratique. Comment peut-on inciter les grands pollueurs, surtout dans trois secteurs, automobile, énergie et agriculture, à jouer le jeu que vous imaginez et pour lequel vous être en train de vous battre ? Quelles sont les formules politiquement possibles ? Des projets pour les impôts, des crédits, etc. Beaucoup de formules sont discutées mais comment inciter les gens qui sont responsables de la pollution pour réduire, dans une période de crise, leurs activités qui sont essentiellement économiques ?
R - Jean-Louis Borloo - Votre première phrase est très importante. Si nous n'avions pas fait le Grenelle Environnement avec l'ensemble des acteurs, c'est-à-dire avec l'Etat, bien sûr, mais aussi avec les élus locaux, les associations, les entreprises et les salariés, nous n'aurions jamais réussi. Et d'ailleurs, je suis convaincu que si nous n'avions pas réussi le Grenelle Environnement, nous n'aurions jamais été capables de peser de tout notre poids pour obtenir un accord autour du Paquet Energie Climat.
Pour le reste, vous savez aussi bien que moi qu'il n'existe pas de réponse unique. Vous avez des secteurs où tout est fixé par des règles comme par exemple l'automobile. Cependant, pour accompagner les acteurs, vous pouvez compléter ces normes par des dispositifs du type "bonus écologique". Les Chinois viennent par exemple de créer un système de bonus/malus sur les assurances et sur le prix d'acquisition des automobiles.
Et puis, vous avez aussi des mécanismes plus globaux. Les quotas d'émission sont des mécanismes de marché. Les pouvoirs publics n'interviennent qu'à un seul moment : lorsqu'il s'agit de définir le degré préalable de gratuité et le rythme de paiement. Est-ce que tout est payable immédiatement ou faut-il prévoir des mécanismes d'adaptation en douceur ? Nos amis américains sont en train d'y travailler très activement. Je rappelle quand même qu'ils l'avaient déjà inventé pour le souffre, à une période pas si lointaine. C'est ce qui a été fait en Europe et c'est ce que les Chinois sont en train d'examiner. A défaut, nous serions obligés de prévoir un système d'ajustement aux frontières, car il n'y a aucune raison qu'il y ait des différentiels de compétitivité ou de concurrence qui puissent s'établir sur ces sujets-là.
Il y a un nombre de mécanismes extrêmement importants, mais avant les mécanismes, c'est le débat avec les acteurs industriels et syndicaux qui doit prévaloir.
R - Bernard Kouchner - Pour compléter - étant un peu moins optimiste -, il est évident que le problème que vous avez posé, c'est celui qui nous fait face avant Copenhague. Nous sommes très heureux que les Américains - surtout ces jours-ci, d'ailleurs - manifestent autant d'allant et que, chez eux déjà, ils désignent l'ennemi, le gaz à effets de serre et la façon dont nous allons pouvoir compter sur leur appui.
Il y a de toute façon un problème politique. Ce mot, "politique", n'est pas complètement incompatible avec les désirs moraux d'assainir la planète, mais il faut convaincre que nous ne sommes pas opposés les uns aux autres pour aboutir à ce qu'a dit Jean-Louis, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de compétition mais une coordination et des bénéfices à attendre. Il faut que nous soyons en situation de dire qu'on le fait ensemble, même si nous l'avons déjà décidé, car le Paquet Energie Climat est un modèle par rapport à ce qui existe ailleurs. C'est là-dessus qu'il faut jouer à présent, sur les sacrifices qu'un gouvernement pourrait accepter. Il est important et c'est même indispensable, que la population le comprenne. Or, vous l'avez dit, la population, dans une période de crise telle que celle que nous vivons, n'est pas encline à tout accepter car les sacrifices individuels sont maintenant plus grands qu'ils ne l'étaient il y a quelques mois ou quelques années. Il faut donc travailler avec acharnement. C'est un problème d'information majeur que de leur répéter que ces sacrifices, non seulement ne les visent pas eux - évidemment ce n'est pas pareil dans un pays hyper développé que dans un pays en développement -, mais que ce sera un bénéfice commun.
Tout cela s'inscrit évidemment dans un cadre politique et diplomatique. Il faut mettre les formes pour ne pas choquer ni brusquer les choses. Il ne faut pas, comme Jean-Louis l'a indiqué au début de son explication, arriver à Copenhague en position de combat mais en position d'adhésion collective minimum. C'est de cette manière qu'il faut agir et c'est là où la politique internationale va tenter de jouer son rôle.
Lorsqu'il s'agit de pays en voie de développement, où les populations n'ont pas encore atteint le minimum de confort de vie quotidienne, d'éducation pour les enfants, etc., la question ne se pose pas tout à fait dans les mêmes termes. L'exemple du bois de chauffage, nous le connaissons depuis 25 ans. Les femmes qui vont chercher le bois en Afrique agrandissent le cercle, elles marchent durant de nombreux kilomètres et leurs fours ne sont pas performants.
Depuis 25 ans, nous ne réussissons pas, même si des progrès sont faits en termes d'aide au développement. Nous ne sommes donc pas au même niveau et pourtant, politiquement, en termes de financement, nous devons mettre tout cela en perspective, nous les plus riches. Or, en ce moment, on n'a pas assez d'argent pour le développement ; c'est une réalité, dans notre pays en particulier. Notre futur commun est de partager différemment dès maintenant. Il faut plus de sacrifices de la part des pays riches et ce n'est pas commode.
Q - Vous vous êtes félicités à plusieurs reprises de la nouvelle donne aux Etats-Unis, mais vous avez aussi rappelé la réalité des chiffres. Nous sommes sur une base de 5 à 7% de réduction des émissions par rapport à 1990, c'est donc très loin des objectifs européens, c'est très loin également des préconisations du GIEC. Le sommet de Copenhague peut-il aboutir à un accord avec un engagement américain finalement aussi faible ? Doivent-ils faire mieux et peuvent-ils le faire quand on constate en ce moment toutes les difficultés au Congrès côté Républicain mais aussi côté Démocrate ?
R - Jean-Louis Borloo - Les choses sont assez simples. Les émissions de gaz à effet de serre des Etats-Unis d'Amérique sont de l'ordre de 23 à 24 tonnes par habitant et par an. L'Union européenne est à 12 tonnes, la France à 19 tonnes, la Chine à 4 tonnes, l'Inde à 1,2 tonne et l'Afrique à 0. Si les pays industrialisés doivent réduire leurs émissions par rapport à 1990 - il s'agit-là d'une position scientifique, pas d'une position diplomatique - pour éviter d'aller au-delà de deux degrés Celsius d'augmentation, on se demande qui va être entre 25% et 40%, si ce n'est pas l'Europe, les Etats-Unis, le Canada, l'Australie et quelques autres.
La grande question est de savoir si Copenhague est l'application de Bali, qui est elle-même l'application de Kyoto, ou si c'est une autre discussion. Si ce n'est pas une autre discussion, si Bali était bien la Feuille de route de Copenhague, la question est comment, ensemble, on arrive à ces 25 - 40 tonnes de réduction d'émission ?
Il va bien falloir que l'Europe fasse un peu plus, qu'elle raisonne par rapport à la "fourchette haute" de ce qu'elle avait décidé en décembre et non pas la "fourchette basse". Et il va bien falloir que les Etats Unis d'Amérique aient confiance en eux et fassent évidemment plus.
Sauf à contester le GIEC, nous n'avons pas le choix. Il faut que les syndicalistes européens parlent aux syndicalistes américains. Il faut que les secteurs industriels européens parlent aux secteurs industriels des Etats-Unis d'Amérique et du Canada parce que c'est par les acteurs, par vous, par les citoyens, par les consommateurs que passera le message.
Je le dis et je le répète : j'entendais les mêmes arguments avant le Grenelle Environnement et avant le Paquet Energie Climat. Or, qui, aujourd'hui, pense sérieusement que nous avons fait une erreur en trouvant un accord autour du Paquet Energie Climat. Personne bien entendu. Il s'agit de passer de l'appréhension à la conviction partagée.
R - Bernard Kouchner - Je dirai même que cela devient plus vraisemblable, plus crédible.
Q - On dit que la forêt équatoriale de mon pays, la République démocratique du Congo, est un bien commun. Quelles sont les alternatives pour qu'il n'y ait pas la déforestation que l'on connaît actuellement et quelles sont les mesures qui sont prises pour que les Congolais ne puissent pas détruire tous les arbres qui sont dans ce pays ?
R - Jean-Louis Borloo - Premièrement, je l'aime cette forêt du Congo. Je me suis même rendu sur place. Il s'agit d'un sujet très complexe car il faut procéder au recensement, identifier les actes de propriété et régler les problèmes de cadastre. Je crois que, de ce point de vue, les choses évoluent dans la bonne direction.
Deuxièmement, les grandes compagnies forestières gèrent plutôt bien les forêts en République démocratique du Congo. Il y a beaucoup de Français qui sont là-bas avec des personnes formées au CIRAD, etc... Or, il faut des ingénieurs de qualité et des scientifiques pour gérer une forêt dans de bonnes conditions. J'ajoute enfin que le Parlement européen et la France soutiennent la certification du bois.
Mais, il y aussi le problème de la déforestation liée à la demande d'énergie locale. Nous avons élaboré, conjointement avec les autorités de votre pays, un programme pour répondre à ces besoins.
Il y a cependant derrière tout cela, une question beaucoup plus fondamentale : doit-on prévoir un financement spécifique pour la préservation des forêts ? Il s'agit là encore, d'un enjeu majeur de la future discussion de Copenhague.
R - Bernard Kouchner - Franchement, ce sont des problèmes énormes. Il ne faut pas croire que tout cela sera réglé à Copenhague, mais ce sont des problèmes posés pour la première fois.
Souvenez-vous ce qui s'est passé avec la forêt amazonienne. Pendant très longtemps, on a poussé des petits cris et, finalement, rien ne se faisait. Maintenant la conscience est différente pour les forêts que vous citez, pour les deux Congo, pour le Gabon... Il y a des progrès qui sont faits en la matière. Avant, ces thèmes étaient abordés par des écologistes qui semblaient de doux rêveurs. Maintenant, c'est enfin un problème politique mondial et le devenir de l'humanité est à ce prix. Je crois que les gens, notamment dans votre pays, sont conscients de la situation. Il y a 20 ans, cela paraissait évident que l'on pouvait exploiter, sans compter, la forêt à des fins familiales et villageoises ; ce n'est désormais plus possible. Et ce n'est pas une violation, ce n'est pas de l'impérialisme, ce n'est pas du colonialisme, c'est même capital de dire "on va gérer ensemble".
Q - Je voulais revenir sur l'application des normes en Europe, qui ne coulent pas toujours de source. La semaine dernière, j'ai entendu des constructeurs de poids lourds demander un report de l'application de la norme EURO6 parce que, selon eux, son application serait catastrophique car cela représente des investissements conséquents dans le contexte de crise actuelle. S'agit-il juste d'appréhension ou y a t il vraiment un problème ?
R - Jean-Louis Borloo - On ne fait pas une mutation de cette importance sans mesures d'adaptation mais, en même temps, on n'a pas le choix. Si les constructeurs européens de camions pensent qu'ils ne vont pas rencontrer de difficultés face à la concurrence de camions chinois faiblement émetteurs, ils se trompent. Tout cela est compliqué mais notre responsabilité politique, c'est d'anticiper des mutations de toute façon inévitables. Pour autant, il faut bien entendu prévoir des mesures d'accompagnement.
Q - Y-aura-t-il une taxe carbone en Europe ?
R - Jean-Louis Borloo - Vous êtes suffisamment avertis pour savoir que le Paquet Energie Climat a prévu l'hypothèse d'un mécanisme d'inclusion carbone en fonction des résultats obtenus à Copenhague. Il s'agit essentiellement de lutter contre les risques de dumping écologique. Voilà où nous en sommes.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 mai 2009
Comme vous le savez, le MEF se réunira à Paris, après s'est être réuni à Washington le mois dernier. Nous avons eu deux journées de travail extrêmement riches, introduites par Hillary Clinton et ponctuées par un point informel avec le président Obama.
Le MEF, successeur du "Major economic meeting" qui était une réunion au statut mal défini, réunit l'essentiel des pays émetteurs de gaz à effet de serre de la planète. Ce sont 17 à 18 pays qui représentent à peu près 80 % des émissions. Ceci est intéressant car c'est un statut qui est intermédiaire entre les négociateurs - j'allais dire spécialisés et professionnels - et les chefs d'Etat et de gouvernement.
Il s'agit d'une sorte d'introduction, au niveau ministériel, qui ne se situe pas formellement dans le cadre de l'ONU, même si Yvon De Boer est présent.
Elle a pour but de tester des pistes ou des idées à un niveau intermédiaire afin de préparer le futur G 8 + 5 qui se tiendra à l'Aquila. Son autre objectif est de poursuivre les négociations de Copenhague, dont les réunions techniques reprendront à Bonn le 1er juin prochain.
Que peut-on dire de ces réunions qui, par ailleurs, sont très utiles ?
D'abord, elles permettent de rappeler que l'ONU avait confié à un groupe d'experts internationaux la mission d'évaluer le niveau de nos émissions et leurs conséquences sur notre planète. Le 4ème rapport du GIEC souligne ainsi qu'avec une augmentation de 2°C de la température moyenne, le monde se trouverait face à une situation irréversible. La question est donc de ne pas dépasser cette limite.
C'est important car cela signifie qu'en tout état de cause, et indépendamment des résultats obtenus à Copenhague, nous devrons quand même conduire des programmes d'adaptation et trouver des financements.
Et puis, pour ne pas dépasser ces deux degrés, le GIEC recommande que les pays industrialisés réduisent leurs émissions de gaz à effets de serre de 25 à 40 % d'ici à 2020. Or, 2020, c'est aujourd'hui !
J'ajoute que, d'après les experts, nous nous situons plutôt dans "le haut de la fourchette". Autrement dit, les prévisions du GIEC sont relativement prudentes par rapport à la réalité, ce qui implique d'accentuer encore nos efforts de réduction.
Le deuxième point concerne les résultats de Bali. Comme vous le savez, il n'y a pas eu de déclarations formelles et engageantes de la part des Etats. Cependant, les chiffres du GIEC ont été validés. Les notes de bas de page font ainsi clairement référence à un objectif de réduction compris entre 25 % et 40 %.
La troisième question qui est posée au MEF, c'est la validation ou non des objectifs et des dates de référence (à commencer par la référence à l'année 1990). Je rappelle que tous les calculs sont établis sur la base des émissions constatées en 1990. Je crois qu'il est vraiment essentiel que la communauté internationale adopte une référence stable et lisible par tous.
Quatrième question : les engagements des pays industrialisés doivent-ils être évaluables, contraignants, sanctionnés ?
Il ne vous a pas échappé que sous la Présidence française, l'Union européenne a mis en place un dispositif chiffrable, évaluable pays par pays, secteur par secteur, et contraignant. Ce dispositif, c'est le Paquet Energie Climat qui prévoit une réduction des émissions de gaz à effets de serre en Europe de 20 % d'ici 2020 et, en cas d'accord satisfaisant à Copenhague, de 30 %. Je rappelle que ce paquet se décline sous la forme de cinq directives et règlements qui, comme on le constate dans les discussions que nous avons à présent, sont devenus l'élément de référence des débats. Cette question en appelle une autre : si on se met d'accord sur un dispositif évaluable et contraignant, quel doit être le pic d'émissions des pays émergeants ?
Mais le débat porte également sur la nouvelle donne américaine, et sur la volonté des Etats-Unis de rompre avec leur position antérieure héritée de l'Administration précédente. Cependant on sent, dans le même temps, une certaine appréhension face aux efforts à accomplir. Nous nous réjouissons et nous nous félicitons évidemment de la nouvelle donne américaine. Ce qui est annoncé aujourd'hui en matière automobile est, bien sûr, extrêmement important. La situation de crise dans laquelle se trouve par ailleurs l'industrie automobile américaine offre des marges de manoeuvre à l'exécutif pour agir.
Voilà ce que sera la réunion du MEF.
Je reviens sur l'action du président de la République car je ne suis pas certain que l'on ait toujours mesuré - et on le voit à présent devant les difficultés ressenties par nos amis canadiens, australiens et américains -, ce qu'a été l'engagement des vingt-sept pays européens dans ce débat. Il faut bien rappeler que c'est la première fois au monde qu'un groupe d'Etats s'engage à une telle remise en cause de ses fondamentaux économiques, énergétiques et industriels. Plus on approche de Copenhague, plus on mesure les efforts qui ont été accomplis, d'abord par l'Allemagne, puis par la Commission et enfin par la Présidence française.
Nous ne devons pas nous voiler la face : Copenhague, c'est le rendez-vous de l'Humanité.
Je ferai deux observations à ce sujet.
D'abord, il ne faut pas sous-estimer le désespoir de certains Etats, comme les îles du Pacifique Sud, ou de continents comme l'Afrique. Copenhague, ce n'est pas seulement des discussions techniques, c'est aussi un vrai enjeu de civilisation. C'est la raison pour laquelle la France va proposer une stratégie pour l'Afrique, fondée essentiellement sur le développement des énergies renouvelables.
Un dernier mot peut être concernant la Chine. Je crois que désormais, la Chine est vraiment déterminée à s'engager. Je ne vais pas dès maintenant donner mon sentiment sur ses objectifs ou sur les moyens mis en oeuvre : c'est justement tout l'enjeu des discussions que nous aurons dans le cadre du MEF. Cependant, la position de la Chine ne peut plus servir de prétexte aux USA pour ne pas s'engager. Mon sentiment est que, pour ces deux pays, il s'agit d'une question vitale à court terme pour leur compétitivité.
Enfin, nous faisons ce point de la situation avec Bernard Kouchner car, en réalité, depuis de nombreux mois, nos équipes travaillent ensemble, en étroite collaboration. La diplomatie verte est devenue un élément structurant, un des éléments forts de la diplomatie française. D'ailleurs au niveau européen, nos équipes sont quasiment communes et nous sommes évidemment très heureux de cette collaboration.
Bernard Kouchner - Il est vrai que nous travaillons ensemble, les équipes et les directeurs de Cabinet, Jean-Louis Borloo et moi-même ; le résultat me paraît évident. C'est très difficile à mettre en oeuvre. Tout ceci s'est fait avec beaucoup de bonheur entre les équipes de nos ministères respectifs, mais aussi avec beaucoup de difficultés car nous restions dans la théorie. Il y a de très bons techniciens dans les ministères, en particulier dans celui de Jean-Louis.
Cette succession de réunions déterminera les lendemains de l'Humanité. On peut dire qu'il y a des conséquences diplomatiques et politiques. Ce sont des demandes extraordinairement fortes avec des conséquences, notamment sur la gouvernance mondiale ; on se poserait la question à moins. Qu'est-ce que le G20 ? Qu'est-ce que le G8 que nous avons transformé en G13 ? Pourquoi y associer les pays arabes et les pays les plus riches pour le transformer en G20 ?
Mais, tout d'abord, il fallait exiger - c'était de la diplomatie et de la politique - que le président des Etats-Unis, qui à l'époque était M. Bush, veuille bien accepter la Conférence à Washington, pour qui et sur quels critères...
Il y a eu un G20 à Londres et il y aura, toujours dans cette perspective des rencontres de la diplomatie internationale - donc de la politique -, une rencontre au mois de septembre à New York.
Il y aura des gestes politiques nécessaires parce que la diplomatie s'imprégnera et s'imprègne déjà de verdure. C'est Mme Clinton qui est responsable aux Etats-Unis et c'est donc le président Obama qui décidera. Ce qui se passera ou pas à Copenhague ne sera pas forcément un drame. Ce sera une discussion, une confrontation entre les décisions prises en Europe et celles qui vont être prises dans les mois qui viennent aux Etats-Unis. Pour que ces décisions soient proches des décisions qui ont déjà été prises par l'Europe, nous devons mettre en oeuvre notre pouvoir de conviction. Si on y additionne - ce qui est juste - les problèmes de la Chine, c'est quand même un enjeu mondial, politique très important.
Concernant la gouvernance mondiale, que devient l'ONU dans tout ceci ? Modifie-t-on l'ONU ? A-t-on une réforme particulière parce que les besoins sont plus grands ? On parle de la réunion du G8, devenu le G13 en Italie dans quelques semaines, mais qu'est-ce que cela veut dire par rapport au fonctionnement de l'ONU ? Est-ce seulement les pays riches qui décideront ? Non, ce n'est pas possible. Or, les pays moins riches, c'est-à-dire ceux que nous avons mentionnés, en particulier en Afrique, quelle voix ont-ils à ce chapitre essentiel pour eux ?
Non seulement il y a des problèmes de gouvernance, mais il y a aussi des problèmes de développement. Comment adopte-t-on un langage commun entre ceux qui ont presque tout - je résume, car ce n'est pas aussi provoquant - et ceux qui n'ont rien ? Ils vont nous dire que c'est très bien de réduire les émissions de gaz à effets de serre, mais eux n'ont pas de développement. Alors, comment fait-on ?
C'est, de façon caricaturale, le cas de la Chine parce que les pays émergeants se trouvent entre les pays en développements et les pays riches. Les cinq pays émergeants, le BRIC sont sur la voie mais l'immense majorité des pays pauvres, qu'en fait-on ?
Il y a donc des problèmes pour un développement harmonieux, aussi bien en matière de santé, de démographie etc., ceux-ci seront contenus dans l'accord ou dans les accords.
Il y a également des problèmes immédiats de sécurité universelle. Le développement du Paquet Energie Climat, s'il était étendu à la planète, entraînerait des migrations et des réfugiés économiques par millions. Brice Lalonde, l'ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique, construit avec les Africains l'énergie de demain ; ce ne sera pas facile..
Bien évidemment, c'est un problème de volonté politique mais c'est surtout un problème de financement et d'accords, accords auxquels participeraient - ce n'est pas encore fait - l'Union africaine dans son entier. Cette dernière était représentée au G20 à Londres, mais ce n'est pas habituel. L'Union africaine n'a pas les moyens de faire cela et pourtant, pour les pays africains, c'est cette représentation que nous avons choisie parce qu'elle s'impose. Il y a également des représentations régionales, etc.
A Washington, nous avons un peu oublié la représentation des pays en développement, mais nous ne l'avons pas oublié à Londres ; ces pays, par rapport à nous, n'ont rien. Si on ne les met pas dans la boucle, avec nous, tout de suite, alors je crois que ce serait non seulement très dommageable pour eux, mais aussi pour nous. Je vous signale qu'ils portent une partie de la croissance mondiale en ce moment, car si nous sommes à - 3 en terme de PIB, eux sont encore à 4, 5 ou 6. Ce n'est peut-être pas la même croissance mais c'est un socle sur lequel nous avons besoin de nous appuyer. Il est tout à fait nécessaire de les associer. C'est indispensable pour leur avenir énergétique et aussi pour leur vie quotidienne qui, pour le moment, est loin de ressembler à la nôtre.
J'en resterai là alors que je devrais vous développer tout cela. C'est un problème qui concerne les deux ministères. C'est pourquoi je me réjouis que ce travail ait été fait en amont et bien avant cette Conférence, car il y a en fait deux années que nous y travaillons. Nous vous encourageons à y participer, à informer, car la réduction des émissions de gaz à effets de serre, dans un contexte de crise économique, ce n'est pas très populaire. Il faut cependant que ce soit une réflexion humaine qui dépasse très largement ce que l'on appelle la diplomatie. Il faut qu'il y ait une prise de conscience des efforts demandés pour l'avenir des hommes et des femmes de cette planète.
C'est la raison pour laquelle j'approuve ce qu'a dit Jean-Louis concernant Copenhague. Jamais, en dehors des grandes guerres mondiales, il n'y a eu de rendez-vous aussi important. Tout le monde sera confronté à son destin et, par conséquent, aux efforts à consentir car il y en aura. Nous parlons de nos efforts en matière industriels et même les uns par rapport aux autres dans ces formidables vingt-sept pays qui ont abordé ensemble le Paquet Energie Climat. A cet égard, on ne se rend pas compte de l'action de la Présidence française du Conseil de l'Union européenne. Les vingt-sept Etats membres ont tout accepté, ensemble. Pourtant, ils sont bien différents, ils ont des ressources énergétiques bien différentes et ils polluent différemment.
Au-delà des vingt-sept pays européens, c'est maintenant 196 pays qui devraient pouvoir bénéficier non seulement d'une compréhension technique mais aussi, bien sûr, d'une compréhension politique et diplomatique. C'est ce à quoi nous nous employons, je vous remercie.
Q - J'aimerais mieux comprendre quels seraient les côtés contraignants de cette politique commune de tous ces pays, cette volonté dont vous nous avez donné les premières ébauches ?
R - Jean-Louis Borloo - Le côté contraignant européen, nous le connaissons. Ce sont les engagements, les directives, la Cour de justice et les pénalités. Mais, dans ce caractère contraignant, il y a aussi des sous-contraintes, comme les contraintes par secteur.
Je le dis autrement : tous les pays, tous les blocs n'accepteront pas qu'il y ait des contraintes qui soient de nature à mettre en cause leur indépendance nationale. Le processus européen n'est pas forcément transposable ailleurs. Tout le monde peut comprendre que la Chine ne soit pas traitée comme l'un des 27 pays de l'Union européenne. En revanche, il peut y avoir des mécanismes contraignants, comme un mécanisme sur les quotas d'émission ou, tout simplement, sur le prix des émissions, ou bien encore des mécanismes sur le prix de l'énergie...
Q - Encourageant...
R - Jean-Louis Borloo - Pénalisant ou encourageant. L'important est de raisonner par secteurs d'activité afin de ne pas remettre en cause l'indépendance du pays concerné. C'est ce que les Européens ont accepté de faire. Nous parlons de méthode et pas de chiffres.
Q - D'après Bernard Laponge, qui critique la politique énergétique française, si nous étions sérieux à propos de la réduction de l'impact sur l'environnement du gaspillage d'énergie, nous pourrions immédiatement dire "arrêtons le gaspillage". Nous pouvons le réduire de 50 % aujourd'hui. Cela demande du courage politique. Est-ce que vous êtes d'accord avec M. Laponge ? Si oui, avez-vous le courage politique nécessaire ?
R - Bernard Kouchner - Il est facile de dire : "vous n'avez pas de courage politique" à un politicien. Nous avons du courage politique. M. Laponge n'est pas aux commandes, nous nous y sommes. La réalité est qu'il faut, bien sûr, arrêter la production automobile actuelle parce qu'elle est extrêmement polluante, mais que fait-on avec les travailleurs, le chômage ? Il y a une différence entre ce que vous appelez le courage politique et la réalité.
Le courage politique est certainement de confronter toute l'Union européenne, les vingt-sept Etats membres, afin de débuter le processus ; nous l'avons fait. Certains d'entre nous croient que ce n'est pas assez mais, honnêtement, vous ne pouvez pas accuser d'inertie les personnes qui se battent. Nous devons persuader le reste de la planète. Ils ne sont pas tous au même niveau et ils souffrent de ne pas l'être. Ils doivent développer leur pays afin d'avoir des vaccins, les équipements essentiels à la santé publique, etc. C'est cela qui est si difficile. M. Laponge est le bienvenu s'il a la recette miracle.
Q - Le Guardian a révélé hier qu'il y avait eu des discussions entre la Chine et les Etats-Unis à propos du climat. Qu'en pensez-vous et en quoi cela gêne ou perturbe ou tout simplement intervient dans le MEF et dans les discussions qui se poursuivent ?
R - Jean-Louis Borloo - Il faut bien comprendre que Copenhague n'est pas une négociation de type OMC. Il s'agit de savoir comment chaque pays s'engage pour répondre à la question posée par les scientifiques du GIEC. Vous avez trois catégories de personnes : il y a ceux qui font une espèce de déni, ceux qui pensent que c'est une chance et ceux qui pensent que c'est une charge. C'est d'abord une chance parce que la compétitivité de demain se fondera, quoi qu'on en dise, sur les technologies propres et non pas sur les technologies de la fin du XXe siècle. Il est assez simple de comprendre que celui qui gagnera la bataille automobile sera celui qui fera la voiture "décarbonée" la plus confortable et la plus rapide. Il ne faut pas être sorti des grandes écoles pour avoir compris cela. Je ne dis pas que ce n'est pas difficile à expliquer aux entreprises ou aux consommateurs. Il s'agit de modifier nos représentations : l'écologie, contrairement à ce qu'on a pu dire pendant des années, n'est pas une charge mais une chance pour nos entreprises.
J'observe d'ailleurs une chose. J'entends aujourd'hui les mêmes phrases à Washington que celles que j'entendais à Paris, au début du Grenelle, ou que nous avons entendues à Berlin, à Rome, à Budapest, à Londres au moment des négociations sur le Paquet Energie climat : "ce n'est pas le moment, il y a la crise, vous êtes fou, ce sont des charges en plus, notre compétitivité", etc. Et puis tout d'un coup, on comprend que c'est en fait un nouvel espoir, l'espoir d'un monde meilleur et que c'est économiquement rentable.
Donc, le fait que nos amis américains discutent avec nos amis chinois sur ces sujets-là, puis sur des sujets qui leur sont propres, va plutôt dans le bon sens. Nous, notre message, c'est "Yes you can" : il faut aller plus loin que 6 %...
Vous savez qu'en Europe, pour les pays qui ont signé le Protocole de Kyoto, il y a la procédure Eurostat, c'est-à-dire l'évaluation des prévisions d'émissions de gaz à effet de serre par pays européens. Les chiffres ont été publiés pas plus tard que la semaine dernière.
Ils démontrent qu'avec le Grenelle Environnement, la France aura réduit ses émissions de 22,8 % en 2020 par rapport à 1990, c'est-à-dire, plus que sa part prévue par le Paquet Energie Climat (qui est de 14 %).
On est heureux que les Américains discutent avec les Chinois. Cela va très vite en Chine, la Chine va nous surprendre.
R - Bernard Kouchner - J'accepte que cela soit une chance, mais ne négligeons pas les charges et les sacrifices, parce nous ne ferions pas de politique. Il est évident que les Chinois et les Américains, tout en parlant des bénéfices réciproques pour l'ensemble de la planète et, pour les uns et les autres, de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, ont des problèmes économiques majeurs. Il y a des rapports très précis entre le soutien du dollar, les bons du trésor américain et l'évolution de l'économie. Mais c'est un atout supplémentaire que d'avoir ensemble à avancer dans le domaine du climat et de l'énergie.
C'est aussi un sujet politique, il n'est pas seulement technique et de bonne volonté, ce qui serait déjà énorme. C'est aussi une affaire politique pour le développement des pays émergents qui va certes être modifié, mais aussi sûrement amélioré. Cela n'empêchera pas que ce développement ait lieu. Il aura lieu sous d'autres auspices et avec d'autres exigences. On parlera bientôt beaucoup de cela dans la vie politique internationale. On parlera beaucoup plus de ces sujets qu'avant. La confrontation ne disparaîtra pas, la concurrence non plus, mais je crois qu'il y aura, petit à petit, une volonté commune ; on ne peut pas faire autrement.
R - Jean-Louis Borloo - A l'occasion du "G8 énergie" à Rome, dans quatre jours, nous allons reparler de tous ces sujets. Je le dis et je le répète : ce n'est pas une négociation du type OMC et tout ne se joue pas le jour du rendez-vous à Copenhague. Nous sommes face à un processus de long terme et il n'est pas exclu, qu'il y ait ainsi plusieurs réunions de haut niveau.
Q - Vous avez une stratégie pour l'Afrique. Est-ce que vous pourriez préciser ce que cela signifie ? Y-a-t-il déjà des projets concrets ? Qui va les financer ? Dans quelle mesure est-ce compatible avec la stratégie du président de la République qui accepte d'exporter des centrales nucléaires dans des pays africains où cela pose tout de même des problèmes écologiques ?
R - Bernard Kouchner - Cela pose peut-être des problèmes, mais cela va peut-être en régler aussi. Vous avez évoqué le président de la République française. Personne n'est plus franc que lui sur ces questions d'énergie. Pour lui, vous avez le droit de choisir, et ce choix n'est pas forcément incompatible avec les énergies renouvelables : vous avez le droit de choisir l'énergie nucléaire, ou bien de choisir les deux.
Nous n'allons pas avoir beaucoup d'autres possibilités. Si cela n'est pas incompatible, parlons-en au moins ensemble. Nous le faisons au niveau de l'Europe, pourquoi pas avec les Africains ? Avec les pays africains, je le dis avec le plus de douceur possible, nous ne partons pas des mêmes bases, et c'est bien ce qu'ils sentent. Il est essentiel de se parler, d'être avec eux, même si cela est difficile. L'énergie en Afrique, si on n'en parle pas maintenant, je ne vois pas comment on pourra assurer le développement des projets y compris de ceux déjà engagés. Cela n'a rien à voir avec les offres déjà connues. Un certain nombre de pays africains ont, par rapport à leurs sources d'énergie, des positions connues ou qui vont évoluer comme le reste des pays. Mais l'engagement, le financement, le développement, la formation, tout cela s'inscrit à un autre niveau d'inquiétude.
Nous ne partons pas du même niveau et nous n'offrons pas immédiatement les mêmes perspectives. Pourtant, la prise de conscience est déjà générale et les solutions devront être aussi, à un moment donné, générales. Nous allons partager le fardeau. On ne peut pas demander aux Africains de faire des efforts considérables alors qu'ils n'en sont pas au même point dans la vie quotidienne, dans la formation, dans l'habitat, etc. C'est bien pour cela que nous avons consacré tant d'efforts pour qu'il y ait une représentation de l'Afrique au G20. Non seulement il y avait deux pays africains, mais il y avait également l'Union africaine qui, pourtant, n'est pas souvent présente à ces sommets. Si on ne le faisait pas, alors on les laisserait de côté. Ne pas les laisser de côté, c'est faire du développement, de la politique mais c'est évidemment aussi du bon sens.
Alors laissez les Africains choisir. Sur l'énergie nous y travaillons très fortement, aussi bien Jean-Louis que moi-même et bien d'autres. Il y a une commission européenne qui y travaille, beaucoup d'argent est consacré au développement. Voyons si les choix correspondent aux nécessités et aux urgences.
Q - Y-a-t-il des projets concrets ?
R - Jean-Louis Borloo - Nous faisons face à un véritable scandale : un quart des Africains n'ont pas accès l'énergie primaire. De plus, la recherche de bois de chauffage ou de cuisine est la première cause de déforestation en Afrique.
Je pense que nous pouvons faire de Copenhague, où les pays industrialisés devront de toute façon financer une partie des politiques d'adaptation, un grand rendez-vous du développement. Nous avons ainsi recensé, avec les pays africains, un certain nombre de projets, des plus simples, comme par exemple l'amélioration de la performance des fours dans les villages au Burkina Faso, aux plus complexes. Evidemment, selon les pays d'Afrique, le mix énergétique de demain ne sera pas le même. Vous n'avez pas le même mix énergétique au Congo que dans le Sahel. On a recensé tout cela. On a chiffré tout cela. On en parle avec les pays africains, les uns après les autres, et on en reparlera un peu plus globalement à Nairobi, le 28 mai, où nous avons invité l'ensemble des pays à dîner à l'ambassade de France, non pour arrêter les programmes mais pour savoir si on se situe bien sur la même ligne. Concrètement, si nous voulons aider l'Afrique à devenir totalement autonome sur le plan énergétique d'ici 2020, cela coûtera environ 20 milliards d'euros par an pendant 20 ans. Mais il faut bien avoir à l'esprit que cette somme est de toute façon inférieure aux fonds dits d'adaptation. Et puis, nous devons également penser aux autres pays pauvres qui bénéficieront également de la solidarité internationale.
Enfin je rappelle que, dans le cadre du Paquet Climat-Energie, une partie des quotas d'émission peuvent être utilisés pour financer ce type de projets. Donc oui, je crois que nous disposons des capacités suffisantes. Oui, je pense que c'est un rendez-vous historique, y compris dans ce domaine. Je pense également que c'est aussi une chance pour les entreprises européennes, notamment allemandes et espagnoles. C'est d'ailleurs pour cette raison que nous travaillons étroitement avec eux.
Q - Nous avons bien compris que vos initiatives visent surtout les gouvernements. Ma question se porte plutôt sur les gens qui causent la pollution, l'industrie en particulier et dans les pays où il y a un système démocratique. Comment peut-on inciter les grands pollueurs, surtout dans trois secteurs, automobile, énergie et agriculture, à jouer le jeu que vous imaginez et pour lequel vous être en train de vous battre ? Quelles sont les formules politiquement possibles ? Des projets pour les impôts, des crédits, etc. Beaucoup de formules sont discutées mais comment inciter les gens qui sont responsables de la pollution pour réduire, dans une période de crise, leurs activités qui sont essentiellement économiques ?
R - Jean-Louis Borloo - Votre première phrase est très importante. Si nous n'avions pas fait le Grenelle Environnement avec l'ensemble des acteurs, c'est-à-dire avec l'Etat, bien sûr, mais aussi avec les élus locaux, les associations, les entreprises et les salariés, nous n'aurions jamais réussi. Et d'ailleurs, je suis convaincu que si nous n'avions pas réussi le Grenelle Environnement, nous n'aurions jamais été capables de peser de tout notre poids pour obtenir un accord autour du Paquet Energie Climat.
Pour le reste, vous savez aussi bien que moi qu'il n'existe pas de réponse unique. Vous avez des secteurs où tout est fixé par des règles comme par exemple l'automobile. Cependant, pour accompagner les acteurs, vous pouvez compléter ces normes par des dispositifs du type "bonus écologique". Les Chinois viennent par exemple de créer un système de bonus/malus sur les assurances et sur le prix d'acquisition des automobiles.
Et puis, vous avez aussi des mécanismes plus globaux. Les quotas d'émission sont des mécanismes de marché. Les pouvoirs publics n'interviennent qu'à un seul moment : lorsqu'il s'agit de définir le degré préalable de gratuité et le rythme de paiement. Est-ce que tout est payable immédiatement ou faut-il prévoir des mécanismes d'adaptation en douceur ? Nos amis américains sont en train d'y travailler très activement. Je rappelle quand même qu'ils l'avaient déjà inventé pour le souffre, à une période pas si lointaine. C'est ce qui a été fait en Europe et c'est ce que les Chinois sont en train d'examiner. A défaut, nous serions obligés de prévoir un système d'ajustement aux frontières, car il n'y a aucune raison qu'il y ait des différentiels de compétitivité ou de concurrence qui puissent s'établir sur ces sujets-là.
Il y a un nombre de mécanismes extrêmement importants, mais avant les mécanismes, c'est le débat avec les acteurs industriels et syndicaux qui doit prévaloir.
R - Bernard Kouchner - Pour compléter - étant un peu moins optimiste -, il est évident que le problème que vous avez posé, c'est celui qui nous fait face avant Copenhague. Nous sommes très heureux que les Américains - surtout ces jours-ci, d'ailleurs - manifestent autant d'allant et que, chez eux déjà, ils désignent l'ennemi, le gaz à effets de serre et la façon dont nous allons pouvoir compter sur leur appui.
Il y a de toute façon un problème politique. Ce mot, "politique", n'est pas complètement incompatible avec les désirs moraux d'assainir la planète, mais il faut convaincre que nous ne sommes pas opposés les uns aux autres pour aboutir à ce qu'a dit Jean-Louis, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de compétition mais une coordination et des bénéfices à attendre. Il faut que nous soyons en situation de dire qu'on le fait ensemble, même si nous l'avons déjà décidé, car le Paquet Energie Climat est un modèle par rapport à ce qui existe ailleurs. C'est là-dessus qu'il faut jouer à présent, sur les sacrifices qu'un gouvernement pourrait accepter. Il est important et c'est même indispensable, que la population le comprenne. Or, vous l'avez dit, la population, dans une période de crise telle que celle que nous vivons, n'est pas encline à tout accepter car les sacrifices individuels sont maintenant plus grands qu'ils ne l'étaient il y a quelques mois ou quelques années. Il faut donc travailler avec acharnement. C'est un problème d'information majeur que de leur répéter que ces sacrifices, non seulement ne les visent pas eux - évidemment ce n'est pas pareil dans un pays hyper développé que dans un pays en développement -, mais que ce sera un bénéfice commun.
Tout cela s'inscrit évidemment dans un cadre politique et diplomatique. Il faut mettre les formes pour ne pas choquer ni brusquer les choses. Il ne faut pas, comme Jean-Louis l'a indiqué au début de son explication, arriver à Copenhague en position de combat mais en position d'adhésion collective minimum. C'est de cette manière qu'il faut agir et c'est là où la politique internationale va tenter de jouer son rôle.
Lorsqu'il s'agit de pays en voie de développement, où les populations n'ont pas encore atteint le minimum de confort de vie quotidienne, d'éducation pour les enfants, etc., la question ne se pose pas tout à fait dans les mêmes termes. L'exemple du bois de chauffage, nous le connaissons depuis 25 ans. Les femmes qui vont chercher le bois en Afrique agrandissent le cercle, elles marchent durant de nombreux kilomètres et leurs fours ne sont pas performants.
Depuis 25 ans, nous ne réussissons pas, même si des progrès sont faits en termes d'aide au développement. Nous ne sommes donc pas au même niveau et pourtant, politiquement, en termes de financement, nous devons mettre tout cela en perspective, nous les plus riches. Or, en ce moment, on n'a pas assez d'argent pour le développement ; c'est une réalité, dans notre pays en particulier. Notre futur commun est de partager différemment dès maintenant. Il faut plus de sacrifices de la part des pays riches et ce n'est pas commode.
Q - Vous vous êtes félicités à plusieurs reprises de la nouvelle donne aux Etats-Unis, mais vous avez aussi rappelé la réalité des chiffres. Nous sommes sur une base de 5 à 7% de réduction des émissions par rapport à 1990, c'est donc très loin des objectifs européens, c'est très loin également des préconisations du GIEC. Le sommet de Copenhague peut-il aboutir à un accord avec un engagement américain finalement aussi faible ? Doivent-ils faire mieux et peuvent-ils le faire quand on constate en ce moment toutes les difficultés au Congrès côté Républicain mais aussi côté Démocrate ?
R - Jean-Louis Borloo - Les choses sont assez simples. Les émissions de gaz à effet de serre des Etats-Unis d'Amérique sont de l'ordre de 23 à 24 tonnes par habitant et par an. L'Union européenne est à 12 tonnes, la France à 19 tonnes, la Chine à 4 tonnes, l'Inde à 1,2 tonne et l'Afrique à 0. Si les pays industrialisés doivent réduire leurs émissions par rapport à 1990 - il s'agit-là d'une position scientifique, pas d'une position diplomatique - pour éviter d'aller au-delà de deux degrés Celsius d'augmentation, on se demande qui va être entre 25% et 40%, si ce n'est pas l'Europe, les Etats-Unis, le Canada, l'Australie et quelques autres.
La grande question est de savoir si Copenhague est l'application de Bali, qui est elle-même l'application de Kyoto, ou si c'est une autre discussion. Si ce n'est pas une autre discussion, si Bali était bien la Feuille de route de Copenhague, la question est comment, ensemble, on arrive à ces 25 - 40 tonnes de réduction d'émission ?
Il va bien falloir que l'Europe fasse un peu plus, qu'elle raisonne par rapport à la "fourchette haute" de ce qu'elle avait décidé en décembre et non pas la "fourchette basse". Et il va bien falloir que les Etats Unis d'Amérique aient confiance en eux et fassent évidemment plus.
Sauf à contester le GIEC, nous n'avons pas le choix. Il faut que les syndicalistes européens parlent aux syndicalistes américains. Il faut que les secteurs industriels européens parlent aux secteurs industriels des Etats-Unis d'Amérique et du Canada parce que c'est par les acteurs, par vous, par les citoyens, par les consommateurs que passera le message.
Je le dis et je le répète : j'entendais les mêmes arguments avant le Grenelle Environnement et avant le Paquet Energie Climat. Or, qui, aujourd'hui, pense sérieusement que nous avons fait une erreur en trouvant un accord autour du Paquet Energie Climat. Personne bien entendu. Il s'agit de passer de l'appréhension à la conviction partagée.
R - Bernard Kouchner - Je dirai même que cela devient plus vraisemblable, plus crédible.
Q - On dit que la forêt équatoriale de mon pays, la République démocratique du Congo, est un bien commun. Quelles sont les alternatives pour qu'il n'y ait pas la déforestation que l'on connaît actuellement et quelles sont les mesures qui sont prises pour que les Congolais ne puissent pas détruire tous les arbres qui sont dans ce pays ?
R - Jean-Louis Borloo - Premièrement, je l'aime cette forêt du Congo. Je me suis même rendu sur place. Il s'agit d'un sujet très complexe car il faut procéder au recensement, identifier les actes de propriété et régler les problèmes de cadastre. Je crois que, de ce point de vue, les choses évoluent dans la bonne direction.
Deuxièmement, les grandes compagnies forestières gèrent plutôt bien les forêts en République démocratique du Congo. Il y a beaucoup de Français qui sont là-bas avec des personnes formées au CIRAD, etc... Or, il faut des ingénieurs de qualité et des scientifiques pour gérer une forêt dans de bonnes conditions. J'ajoute enfin que le Parlement européen et la France soutiennent la certification du bois.
Mais, il y aussi le problème de la déforestation liée à la demande d'énergie locale. Nous avons élaboré, conjointement avec les autorités de votre pays, un programme pour répondre à ces besoins.
Il y a cependant derrière tout cela, une question beaucoup plus fondamentale : doit-on prévoir un financement spécifique pour la préservation des forêts ? Il s'agit là encore, d'un enjeu majeur de la future discussion de Copenhague.
R - Bernard Kouchner - Franchement, ce sont des problèmes énormes. Il ne faut pas croire que tout cela sera réglé à Copenhague, mais ce sont des problèmes posés pour la première fois.
Souvenez-vous ce qui s'est passé avec la forêt amazonienne. Pendant très longtemps, on a poussé des petits cris et, finalement, rien ne se faisait. Maintenant la conscience est différente pour les forêts que vous citez, pour les deux Congo, pour le Gabon... Il y a des progrès qui sont faits en la matière. Avant, ces thèmes étaient abordés par des écologistes qui semblaient de doux rêveurs. Maintenant, c'est enfin un problème politique mondial et le devenir de l'humanité est à ce prix. Je crois que les gens, notamment dans votre pays, sont conscients de la situation. Il y a 20 ans, cela paraissait évident que l'on pouvait exploiter, sans compter, la forêt à des fins familiales et villageoises ; ce n'est désormais plus possible. Et ce n'est pas une violation, ce n'est pas de l'impérialisme, ce n'est pas du colonialisme, c'est même capital de dire "on va gérer ensemble".
Q - Je voulais revenir sur l'application des normes en Europe, qui ne coulent pas toujours de source. La semaine dernière, j'ai entendu des constructeurs de poids lourds demander un report de l'application de la norme EURO6 parce que, selon eux, son application serait catastrophique car cela représente des investissements conséquents dans le contexte de crise actuelle. S'agit-il juste d'appréhension ou y a t il vraiment un problème ?
R - Jean-Louis Borloo - On ne fait pas une mutation de cette importance sans mesures d'adaptation mais, en même temps, on n'a pas le choix. Si les constructeurs européens de camions pensent qu'ils ne vont pas rencontrer de difficultés face à la concurrence de camions chinois faiblement émetteurs, ils se trompent. Tout cela est compliqué mais notre responsabilité politique, c'est d'anticiper des mutations de toute façon inévitables. Pour autant, il faut bien entendu prévoir des mesures d'accompagnement.
Q - Y-aura-t-il une taxe carbone en Europe ?
R - Jean-Louis Borloo - Vous êtes suffisamment avertis pour savoir que le Paquet Energie Climat a prévu l'hypothèse d'un mécanisme d'inclusion carbone en fonction des résultats obtenus à Copenhague. Il s'agit essentiellement de lutter contre les risques de dumping écologique. Voilà où nous en sommes.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 mai 2009