Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur les enseignements à tirer de l'élection européenne et sur les thèmes retenus pour le prochain Conseil européen : crise économique et financière, changement climatique et mise en oeuvre du traité de Lisbonne, à l'Assemblée nationale le 9 juin 2009.

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Circonstance : Déclaration du gouvernement préalable au Conseil européen, à l'Assemblée nationale le 9 juin 2009

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Nous sortons d'une élection européenne dont il revient à chacune de nos formations politiques de tirer les enseignements.
Pour ma part, je veux en distinguer deux.
Le premier, c'est que la majorité des électeurs qui ont participé à ce scrutin s'est prononcée sur l'Europe et pour l'Europe.
58% de nos concitoyens affirment que leur vote ne fut pas commandé par des enjeux de politique intérieure, ce qui est un signe encourageant pour la démocratie européenne.
Ceux qui ont cherché ouvertement à utiliser ce scrutin pour nous sanctionner, ont été sanctionnés.
A contrario, ceux qui ont parlé de l'Europe, ceux qui ont avancé des propositions constructives ou alternatives, ont été récompensés.
Ce fut notamment le cas pour Europe-écologie, dont la percée confirme l'importance grandissante de la question environnementale.
Ce fut évidemment le cas pour la majorité présidentielle qui est arrivée largement en tête de cette élection, ce qui je voudrais le faire remarquer constitue une première depuis 1979.
Je dis à la majorité qu'elle peut être fière de ce résultat.
C'est la reconnaissance du travail accompli par la Présidence française de l'Union européenne, sous l'autorité du Président de la République.
C'est aussi le résultat de l'unité de la majorité et de la clarté de son projet pour une Europe politique.
Ce succès, nous l'assumons avec gravité parce que les fortes attentes des Français vis-à-vis de l'Europe nous confèrent beaucoup plus de devoirs que de droits.
Il nous engage, en particulier, à agir pour relever deux grands défis.
D'abord, le défi de la crise économique.
L'Europe toute entière doit se mobiliser davantage pour sortir le plus vite possible de la récession. Et elle doit peser de tout son poids pour réguler le système financier international.
Le second défi: c'est celui du réchauffement climatique.
Sous l'impulsion de la France, l'Europe a adopté la législation la plus ambitieuse au monde dans ce domaine. Mais il faut maintenant convaincre toute la communauté internationale de nous suivre.
Le second enseignement de cette élection, c'est le fort taux d'abstention qui n'a cessé d'augmenter depuis le scrutin de 1999, chez nous comme ailleurs.
Que l'une des plus grandes aventures politiques de tous les temps soit ainsi l'objet d'une si large indifférence des opinions publiques doit sérieusement nous alerter.
Plus nous avons besoin de l'Europe, plus l'indifférence des citoyens s'accroît. Cette contradiction, nous avons collectivement le devoir de la surmonter en donnant à l'Union européenne l'efficacité et la flamme qui lui font trop souvent défaut.
Permettez-moi de vous livrer mon analyse sur cette abstention.
Pendant les vingt premières années de la construction européenne, l'instauration d'une paix durable fut le tremplin de tous nos efforts et de nos idéaux. Elle ne joue plus le rôle mobilisateur qui fut le sien auparavant.
Durant les vingt années suivantes, la construction européenne fut l'oeuvre d'une élite éclairée qui travailla dans l'ombre pour surmonter les résistances ou les hésitations des Etats membres.
Cette approche a eu ses mérites en terme d'efficacité, mais elle eut aussi ses travers technocratiques et bureaucratiques.
Enfin, durant les dix dernières années, la stratégie légitime de l'élargissement a dilué l'image, le contenu et l'action de l'Europe, et elle nous a, au surplus, condamné à des débats institutionnels incessants.
Le résultat est là: pour beaucoup de nos concitoyens, l'aventure européenne demeure une affaire de spécialistes; elle est une aventure désincarnée qui ne parle pas au coeur des peuples.
L'abstention, ce n'est pas le rejet de l'Europe, c'est un appel à une Europe qui agit, une Europe qui protège, qui incarne un idéal !
Nous rejoignons là l'ambition de la France, l'ambition du Président de la République: l'Europe a besoin de politique, l'Europe doit être politique.
Nous avons, à l'occasion de notre présidence de l'Union, démontré que cette Europe politique était possible.
Mais il faut bien reconnaître depuis quelques mois, l'Union européenne est revenue à une démarche plus classique, marquée par la lente recherche d'un consensus à minima.
Au regard de la crise exceptionnelle que nous traversons et au regard des grands défis que nous devons relever, cette Europe des petits pas et des petits compromis est totalement inacceptable.
Elle ne recueille pas l'adhésion des citoyens.
C'est l'un des messages de cette élection, et ce message nous renvoie à la question centrale de notre génération: l'Europe veut elle, oui ou non, écrire l'Histoire ? L'Europe veut elle, oui ou non, se donner les moyens de peser face à la puissances américaine, face à la puissance chinoise, indienne, et demain face à la puissance brésilienne ou russe ?
Si tel est le cas, alors il faut relancer l'Europe, il faut repenser son fonctionnement et il faut lui assigner des objectifs prioritaires.
Le Conseil européen des 18 et 19 juin sera la première réponse des Chefs d'Etat et de gouvernement après le vote des citoyens européens.
Ce Conseil doit être l'occasion de démontrer que l'Union européenne est de nouveau dans la voie de l'action.
Trois sujets majeurs sont à l'ordre du jour : celui de la crise économique et financière, celui de la lutte contre le changement climatique et celui relatif à la mise en oeuvre du traité de Lisbonne.
La réponse à la crise est naturellement la priorité absolue.
Le Conseil aura une question essentielle à trancher, sur laquelle la France est d'ailleurs en pointe: comment remettre de l'ordre dans la surveillance des banques et des établissements financiers ?
Les services bancaires et financiers circulent librement dans toute l'Europe, mais nous avons encore, pour contrôler l'ensemble, 27 superviseurs indépendants et 27 cadres nationaux pour la régulation financière.
Si nous voulons éviter à l'avenir un nouveau risque d'effondrement du système financier européen, alors il faut mettre un terme à un système baroque !
Sur la base du rapport de M. DE LAROSIERE, la Commission vient de faire des propositions qui répondent dans l'ensemble à nos attentes.
Il faut un comité européen chargé d'analyser le risque financier systémique, et nous pensons que la banque centrale européenne, dont le rôle s'est révélé vital pendant cette crise, doit présider ce comité.
Il faut un système efficace pour la supervision qui soit capable de prendre, lorsque c'est nécessaire, des décisions contraignantes.
Cette autorité européenne doit également assurer la supervision directe des entités paneuropéennes, comme les agences de notation financière ou comme les chambres centrales de compensation, qui sont vous le savez des entités qui échappent aujourd'hui à toute supervision efficace.
Plusieurs Etats membres, dont le Royaume-Uni, ont encore de très fortes réserves sur ces points.
Mais l'heure n'est plus aux hésitations vis-à-vis d'un système qui a failli !
La désorganisation européenne en matière de supervision et de régulation financière constitue une faiblesse inacceptable. Et une faiblesse d'autant plus inacceptable que pendant que les Européens débattent, les Américains semblent décidés d'agir pour remédier aux défauts de leur propre système, avec un plan ambitieux de rationalisation de la supervision américaine et une volonté de régulation du marché des produits financiers dérivés.
Economiquement, politiquement, moralement, l'Europe ne peut pas rester à la traîne de ce mouvement de régulation financière. Elle doit même en prendre la tête !
C'est l'un des grands enjeux du Conseil européen. Et il sera également à l'ordre du jour de la rencontre de jeudi prochain entre le Président de la République et la Chancelière allemande.
La supervision financière n'est qu'un des éléments de la réponse européenne à la crise.
La gravité de la situation impose un réexamen rapide de l'ensemble des politiques européennes.
Certains efforts sont en cours: la banque européenne d'investissement a ainsi augmenté de façon considérable sa capacité de prêts au sein de l'UE, passant à des prêts annuels de 45 milliards à 60 et bientôt 70 milliards, avec un effort particulier pour les PME et pour la recherche.
De même, la Commission a rapidement adapté sa politique de contrôle des aides d'Etat pour nous permettre de secourir de nombreuses entreprises menacées par la crise.
Mais il faut aller beaucoup plus loin dans le réexamen des politiques européennes.
Alors que notre secteur automobile connaît une crise historique, nous pensons qu'il manque encore un plan européen global pour ce secteur, en particulier, malgré toutes les demandes de la France, un plan européen global pour la voiture électrique.
Il manque également un plan global en faveur de la croissance verte, alors que ce sera l'un des grands secteurs de croissance de demain.
Il faut aussi rapidement une initiative européenne pour aider les entreprises à investir davantage dans la recherche et l'innovation.
Il faut continuer à simplifier les obligations réglementaires et bureaucratiques qui pèsent sur les plus petites entreprises et nous proposons que soient suspendues les propositions qui pourraient créer des coûts supplémentaires pour les petites entreprises tout en continuant à agir résolument en faveur de l'environnement.
Il faut aider les Etats membres, notamment à travers le Fonds social européen, à mieux former les salariés qui sont le plus menacés par la crise.
L'Europe, mesdames et messieurs les députés, n'a pas vocation à être le ventre mou de la mondialisation !
Il faut un réexamen sérieux de la politique commerciale européenne pour répliquer aux mesures protectionnistes adoptées chez certains de nos grands concurrents et développer une efficace réciprocité.
Il faut, au-delà du contrôle des aides d'Etat, que l'Union européenne engage un réexamen des politiques de concurrence. Nous ne devons pas imposer à nos entreprises des obstacles risquant de les désavantager par rapport à leurs concurrents des pays tiers.
Enfin, il faut d'urgence étudier avec nos partenaires un plan pour les finances publiques, afin de permettre aux budgets nationaux de continuer à jouer leur rôle pendant la crise tout en organisant, à la fin de la crise, le retour à des niveaux acceptables de déficits et de dette publique.
Parce que sans ce retour à l'équilibre, il n'y aura jamais de reprise solide et durable.
Le second sujet à l'ordre du jour, c'est la lutte contre le réchauffement climatique.
Grâce à l'action conjuguée de la Présidences allemande et de la Présidence française, l'Union européenne s'est dotée d'une législation extrêmement exigeante pour lutter contre le changement climatique.
Elle assure une diminution des émissions de CO2 en Europe de -20% en 2020 par rapport à 1990, ce chiffre pouvant passer à -30% en cas d'accord international satisfaisant à Copenhague en décembre prochain.
Maintenant, l'essentiel c'est de convaincre le monde de nous suivre.
Pour le moment - il faut être très clair - les projets américains ne correspondent absolument pas à l'objectif que nous nous sommes assignés !
Toute l'Europe doit donc avoir à coeur de peser sur les Etats-Unis pour qu'ils s'engagent sur des réductions comparables aux nôtres, car s'ils ne le font pas il n'y a aucune chance d'obtenir de la Chine des efforts conséquents.
La France attend du Conseil européen un signal clair adressé à tous nos partenaires étrangers.
Mais la France veut que des mesures soient prévues pour protéger la compétitivité de l'industrie européenne si certains de ces partenaires ne s'engageaient pas sur des réductions suffisantes de leurs émissions de CO2.
Il est en effet hors de question que l'Europe assume seule le combat contre le réchauffement climatique en restant, au surplus, passive devant le moins disant environnemental de ses concurrents.
Le troisième sujet du Conseil européen: c'est celui de la réforme institutionnelle.
26 parlements ont ratifié le traité de Lisbonne.
Reste le cas de l'Irlande dont le Gouvernement parait décidé à organiser, pour l'automne, un nouveau référendum sur ce traité.
Il a besoin, pour cela, d'expliciter certaines garanties promises lors du Conseil européen de décembre dernier.
Ces garanties ne nous posent aucune difficulté sérieuse.
Elles s'inscrivent dans la ligne du traité de Lisbonne, qui est à la fois un moyen de renforcer les institutions communes et une affirmation, comme jamais auparavant, de la nécessité de beaucoup mieux tenir compte des spécificités nationales et du rôle des parlements nationaux.
Une rapide ratification du traité de Lisbonne est clairement souhaitée par les Etats membres.
Nous avons plus que jamais besoin d'une Présidence stable du Conseil européen, d'une politique européenne extérieure cohérente, d'un plus grand usage de la majorité qualifiée.
Lors de ce même Conseil européen, la procédure de choix du nouveau Président de la Commission sera initiée.
Il faudra bien entendu prendre en compte l'ensemble des résultats des élections européennes, mais aussi la situation juridique complexe, puisque nous sommes dans une transition entre deux traités.
Ce qui importe à la France, c'est le programme que portera la nouvelle Commission et son Président: ce programme doit être plus audacieux et plus volontariste, en particulier sur la réponse européenne à la crise.
Mesdames et Messieurs les Députés,
Après ces élections européennes qui virent légitimement nos formations politiques s'affronter, nous devons nous rassembler pour servir l'Europe.
En dépit de nos différences, il existe une continuité française vis-à-vis de la construction européenne.
De Charles de Gaulle à Georges Pompidou, de Valéry Giscard d'Estaing à François Mitterrand, de Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy, la France n'a jamais cessé de militer pour une Europe soudée et respectée.
Pour nous, l'Europe, n'a jamais été seulement qu'un marché économique, une monnaie, des institutions, l'Europe c'est une culture, une histoire, l'Europe c'est une rencontre entre des nations millénaires, l'Europe ce doit être une politique !
Avec vous, je ne peux concevoir une Europe hésitante, une Europe ballottée par les évènements extérieurs, une Europe qui ne serait pas souveraine et maîtresse d'elle-même.
Je ne peux concevoir une Europe désincarnée, une Europe qui renonce à se battre pour des valeurs.
Le monde s'est trop longtemps habitué à une Europe faible, à une Europe que l'on peut traiter avec condescendance.
Nous devons, nous européens, relever le défi. Et montrer que nous avons décidé d'être debout et d'être nous mêmes.
La France a un rôle singulier à jouer.
Et notre pays l'assumera d'autant plus puissamment qu'il continuera à se moderniser.
Je veux vous dire que ceux qui escomptaient avec cette élection nous détourner de notre route en sont pour leur frais: depuis deux ans, nous respectons tous nos engagements et je veux vous indiquer que nous continuerons à respecter tous nos engagements.
Nous avons réformé, même lorsque les oppositions étaient fortes.
Ce fut notamment le cas pour la réforme des régimes spéciaux de retraites.
Au nom de la parole donnée, au nom de l'équité, nous n'avons pas cédé, et ce faisant nous donnons aux yeux de l'Europe une image rénovée du modèle social français.
Ce fut aussi le cas avec l'autonomie des universités, dont le statut n'avait pas évolué depuis 25 ans.
Malgré les jusqu'au-boutistes qui ont pris en otage l'avenir de milliers d'étudiants, la réforme de l'autonomie des universités ira à son terme parce que le rayonnement culturel et scientifique de nos universités en Europe en dépendent.
18 de nos universités ont déjà choisi le statut de l'autonomie.
19 le feront au 1er janvier 2010.
En 2012, les 83 universités françaises vivront sous le régime de cette autonomie que l'on disait autrefois impossible.
Mesdames et messieurs les députés,
Sous l'impulsion le Président de la République, nous continuerons de moderniser la France.
Nous continuerons d'adapter notre pacte économique et social.
Nous continuerons d'agir en dialoguant en permanence avec les partenaires sociaux, sans jamais renoncer à nos convictions, sans jamais perdre de vue l'intérêt général.
Notre ambition pour l'Europe prolonge notre volontarisme national; ce volontarisme est, et restera, la marque de votre majorité présidentielle.
Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 10 juin 2009