Texte intégral
Monsieur le Président,
Madame le Haut Commissaire,
Mesdames, Messieurs les Rapporteurs spéciaux,
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,
Je voudrais tout d'abord remercier le Chili qui est, aux côtés du Haut Commissariat aux droits de l'Homme, l'organisateur de cette journée de débat annuel consacré aux droits des femmes.
L'action politique pour moi, c'est une ambition ordonnée à une action. Ce volontarisme est essentiel pour lutter contre les discriminations, en particulier celles à l'encontre des femmes, qu'elles soient le fait des circonstances, des habitudes, de la coutume ou de la loi.
C'est pourquoi je suis heureuse de débattre de cette question avec vous aujourd'hui, avec l'objectif de parvenir en fin de journée à une recommandation concrète.
En 1791, Olympe de Gouges, femme de lettres et citoyenne française, appelait, deux ans après la proclamation de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, à un sursaut visant la condition féminine : "Femme, réveille-toi !" lançait-elle. "Le tocsin de la raison se fait entendre dans tous l'univers ; reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n'est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l'usurpation".
Au lendemain du 60ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, la condition de la femme dans le monde a-t-elle vraiment évolué ? Somme-nous si loin de cette nécessaire révolte à laquelle appelait Olympe de Gouges ?
Bien sûr, les droits des femmes ont progressé. Mais il s'agit d'un chemin parsemé d'embûches où les retours en arrière restent possibles. En France, il a fallu attendre 1944 pour que les femmes aient enfin le droit de vote, et 1965 pour que l'épouse se voie reconnaître le droit de gérer ses biens, d'ouvrir un compte en banque ou exercer une profession sans l'autorisation de son mari...
Si la Déclaration universelle des droits de l'Homme, en son article 2, dispose que "chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés (dans la déclaration) sans distinction aucune, notamment (...) de sexe (...) ", la réalité nous en entraîne parfois bien loin ! Les inégalités entre hommes et femmes restent un phénomène universel, de même que les violations des droits fondamentaux de ces dernières. Je ne peux m'empêcher de penser bien sûr à la terrible situation des femmes de l'Est de la République démocratique du Congo, victimes dans les Kivus de violences insoutenables depuis de si nombreuses années et pour lesquelles il faut continuer de se mobiliser afin de mettre fin à leur calvaire.
Les discriminations à l'égard des femmes trouvent leur source dans la perpétuation à travers le monde de pratiques et préjugés d'un autre âge, dans la persistance de discriminations tant de facto que sur le plan juridique. Ces inégalités sont liées au statut social inférieur qui continue d'être attribué aux femmes, et par le débat public qui en est imprégné.
Pourtant, la communauté internationale avait pris des engagements fermes en adoptant le programme d'action de Pékin en 1995 : la nécessité de garantir la non-discrimination et l'égalité, devant la loi et dans la pratique, avait été inscrite au nombre de ses objectifs stratégiques. Cet engagement a été réitéré en 2000 par l'Assemblée générale des Nations unies et une date butoir fixée pour sa mise en oeuvre. Nous nous étions alors engagés à éliminer les discriminations d'ici à 2005.
Aujourd'hui, près de 5 ans après cette date limite, nous sommes encore loin d'avoir remporté la victoire contre les inégalités, tant s'en faut, sur quelque continent que ce soit.
Même si le statut juridique des femmes s'est largement amélioré au cours des dernières années, combler le fossé entre égalité de fait et de droit demeure un défi.
Les discriminations, lorsqu'elles sont inscrites dans les lois, aboutissent à priver les femmes de leurs droits les plus fondamentaux. La justification par la loi de ces discriminations est inacceptable. Une loi inique reste une loi inique. Que dire de lois qui privent les femmes de droits essentiels, comme celui à l'intégrité physique, ou qui ne leur permettent pas de se protéger d'un mari violent qui peut en toute impunité commettre des viols à répétition contre son épouse ?
C'est la raison pour laquelle, en avril, je m'étais élevée contre l'adoption par le Parlement afghan d'une loi qui comportait des dispositions particulièrement discriminatoires à l'encontre de certaines femmes afghanes, comme celle qui leur dictait obéissance pour les rapports sexuels désirés par le mari, ou encore celle qui leur interdisait de quitter la maison sans la permission de ce dernier. Je crois qu'il faut que nous restions vigilants jusqu'au retrait de ce texte ou, à tout le moins, jusqu'à la suppression des dispositions qui sont des atteintes inacceptables aux droits des femmes.
Des femmes qui sont parfois considérées comme des mineurs ou des incapables juridiquement, et qui doivent obéissance à leur époux, sous peine de se voir dépourvues de tout moyen de subsistance.
Enfin le droit et la l'administration de la justice sont souvent emprunts de stéréotypes qui empêchent les femmes de se prévaloir de la loi sur un pied d'égalité.
Quant aux lois que nous considérons comme "neutres" au regard du sexe, elles perpétuent parfois des discriminations de fait qui empêchent notamment les femmes d'accéder à l'indépendance économique et financière et à la pleine participation à la vie publique et politique, en particulier au niveau de la prise de décision.
Nous avons encore beaucoup à faire pour garantir aux femmes la non-discrimination dans le monde du travail, une rémunération égale à compétence égale, ainsi que leur représentation aux fonctions électives et au plus haut niveau de la fonction publique et dans les entreprises.
Il faut que la communauté internationale poursuive sa mobilisation en passant au crible ces dispositions qui organisent la violation des droits les plus fondamentaux sous couvert de légalité.
Le 12 mai dernier, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe, auquel je participais comme représentant du gouvernement français, a pris sa part en adoptant une déclaration pour "faire de l'égalité entre les femmes et les hommes une réalité dans les faits".
La France, de son côté, a souhaité ériger la question du droit des femmes comme une priorité de premier ordre tant au niveau national qu'au plan international.
Après une évolution progressive de notre législation interne, un pas important a été franchi l'an dernier : notre Constitution a été en effet modifiée pour introduire dans son article 1er l'exigence d'égalité. Notre loi fondamentale prévoit désormais que "la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales".
Rappelons que certaines discriminations étaient encore inscrites il y a peu dans notre cadre législatif. Je pense notamment à l'âge du mariage des filles qui était de 15 ans et qui a été alignée grâce à une loi de 2005 sur celle des garçons, à savoir 18 ans.
Permettez-moi également de mentionner brièvement la Charte de l'égalité entre les hommes et les femmes, qui a été adoptée en 2004 : cette Charte fédère près d'une centaine d'acteurs, publics et privés - administrations, collectivités locales, acteurs du monde économique et société civile - qui se sont engagés à promouvoir l'égalité des sexes dans l'ensemble des politiques publiques.
Le 1er bilan de la mise en oeuvre de la charte, qui a été présenté en 2007, a montré que trois ans après son adoption, les 3/4 des 280 engagements pris pour atteindre l'égalité entre les femmes et les hommes étaient soit réalisés, soit en cours de réalisation. Avec cette Charte, désormais, la loi de finance devra rendre compte de l'ensemble des actions entreprises par les autorités publiques pour renforcer l'égalité entre les hommes et les femmes.
Au plan international, et notamment lors de sa Présidence de l'Union européenne, la France a souhaité mettre le droit des femmes au 1er plan de son agenda international.
J'ai ainsi personnellement porté un certain nombre d'initiatives visant à renforcer la prise en compte des femmes dans les situations de conflit ou de post-conflit. J'ai également souhaité que l'Union européenne se dote de lignes directrices sur les violences faites aux femmes, afin d'améliorer le travail et la réactivité des ambassades européennes sur le terrain en faveur des droits des femmes, ce qui est désormais le cas depuis la fin de l'année 2008. J'ai également voulu que la rencontre annuelle Union européenne/ONG qui s'est tenue à Paris en décembre dernier ait pour thème les discriminations à l'encontre des femmes.
Un des leçons souveraines de la Déclaration universelle des droits de l'Homme est que l'universalité des droits s'enracine dans la proclamation et la reconnaissance de l'égalité entre les hommes et les femmes. Nous nous devons de faire vivre ce principe en action.
Il semble à cet égard essentiel que le Conseil des droits de l'Homme accorde une importance capitale à la mise en oeuvre concrète de ce principe, en cette année du 30ème anniversaire de la Convention CEDAW, qui est un instrument normatif fondamental. La convention doit devenir universelle.
Nous nous apprêtons également à célébrer le 15ème anniversaire de la plate-forme de Pékin ainsi que le 10ème anniversaire de la résolution 1325 du conseil de sécurité... Ces anniversaires nous obligent : nous devons aller de l'avant.
Il me paraît important de nous saisir de l'excellent travail du CEDAW et de nous assurer d'une meilleure mise en oeuvre de ses conclusions et recommandations.
Pour la France, la création d'un mandat du CDH sur les discriminations à l'égard des femmes serait une novation de grande portée, complétant - en les approfondissant - les instruments et mécanismes existants. Je suis particulièrement heureuse que le Mexique, la Colombie et la Norvège se retrouvent aux côtés de la France pour relancer la discussion autour de la création d'un mécanisme contre les lois et pratiques discriminatoires à l'égard des femmes.
Un tel mécanisme aurait pour mandat d'engager un dialogue continu avec les Etats, de faire un suivi des recommandations et des conclusions du CEDAW et de l'EPU, de diffuser les bonnes pratiques, d'apporter une expertise aux Etats ainsi que d'effectuer des visites, lorsque celles-ci pourraient se révéler opportunes, ou lorsque les Etats concernés en manifesteraient l'intérêt.
Le mécanisme pourrait, le cas échéant, travailler conjointement avec un groupe de travail au sein du CEDAW qui se concentrerait sur le suivi de ses conclusions.
J'espère que nous nous retrouverons nombreux autour de cette ambition commune. La réflexion est maintenant lancée ; je souhaite qu'elle débouche sur une avancée concrète.
Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 juin 2009