Texte intégral
Je voudrais juste apporter quelques précisions aux questions qui ont été posées, en complément de ce que vient de dire Bernard Kouchner.
Sur la désignation du président de la Commission, cela a été très bien rappelé par Pierre Lequiller et Axel Poniatowski, l'exigence de la France, les 18 et 19 juin prochains au conseil européen, est très simple : nous voulons savoir sur quel programme politique s'engagera le prochain président de la Commission.
Pour le moment, comme l'a rappelé Bernard Kouchner, il n'y a qu'un seul candidat. Si les partis socialistes européens arrivent à se mettre d'accord sur un nom, il y aura plusieurs candidatures, et donc un choix, mais pour le moment, il n'y a qu'un seul candidat et, je le répète, ce qui nous importe avant tout, c'est de savoir quel est le programme politique que défendra le président de la Commission européenne.
Est-ce qu'il défendra une politique industrielle européenne ? Est-ce qu'il sera favorable à une taxe CO2 comme l'a proposée le président de la République ? Est-ce qu'il sera favorable à une révision en profondeur de la stratégie de Lisbonne pour l'innovation et la recherche ? Ce sont les questions que nous poserons au Conseil européen des 18 et 19 juin.
Je voudrais reprendre ensuite un peu plus dans le détail les questions qui ont été posées, notamment par Mme Guigou pour le parti socialiste.
Sur le plan européen d'économies d'énergie et de relance, Bernard Kouchner l'a déjà dit, nous avons soutenu un pacte pour l'environnement et un pacte pour le développement durable. C'est à partir de là que nous aurons une croissance durable. Des éléments ont déjà été lancés, aussi bien par la Commission que par les Etats, pour le plan de relance européen.
Je rappelle qu'en plus des 5 milliards d'euros qui vont être consacrés aux différentes infrastructures européennes, plus de 7 milliards d'euros ont été engagés par la Banque européenne d'investissement en faveur de l'industrie automobile européenne. S'il existe encore aujourd'hui une industrie automobile européenne, c'est parce que la Banque européenne d'investissement a pris cette décision d'accorder des prêts relais aux industries automobiles pour leur permettre de vivre les mois difficiles qu'elles sont en train de traverser.
Beaucoup d'autres décisions ont été prises, dont on a peu parlé : le Fonds d'ajustement à la mondialisation a été abondé à hauteur de 500 millions d'euros, d'autres plans de soutien à l'économie ont été votés, les aides d'Etat ont été facilitées. Toutes ces décisions vont dans le sens d'un plan de relance. Je ne vous dis pas que c'est parfait. Je ne vous dis pas que nous n'espérons pas encore davantage de la part des Etats européens, je dis simplement que des efforts ont déjà été faits.
S'agissant de la directive sur les services financiers, je voudrais juste rappeler ce qui s'est passé depuis quelques mois.
D'abord, c'est le président de la République qui a demandé, en octobre dernier, une réunion exceptionnelle de l'Eurogroupe au niveau des chefs d'Etat pour faire face à la crise financière et apporter une nouvelle régulation financière au monde contemporain. C'est le premier à l'avoir fait.
Ensuite, la réunion du G20 à Washington correspondait également à la volonté du président de la République de mettre en place une nouvelle régulation financière. Après le G20 de Washington, nous avons défini une position commune franco-allemande qui nous a permis ensuite d'arriver au nouveau G20 de Londres avec une position forte, européenne, sur la base de la position de Mme Merkel et de M. Sarkozy, pour avoir une nouvelle régulation financière qui supposait la suppression des paradis fiscaux, l'encadrement des fonds spéculatifs et toutes les mesures d'organisation financière nécessaires.
Des décisions ont donc bien été prises. Sur la base de ces décisions politiques - et sur ce point je vous rejoins, Madame Guigou - une directive financière est sortie des services de la Commission et du commissaire responsable de la régulation financière, M. McCreevy. Cette directive ne répond pas aux attentes de la France ; elle n'est pas satisfaisante en l'état.
Elle n'est pas satisfaisante au moins pour deux raisons. D'une part, parce qu'elle prévoit un passeport pour tous ces produits financiers non pas à l'échelle européenne, ce qui nous permettrait de bien les contrôler, mais à l'échelle mondiale, ce qui laissera passer des produits financiers ne répondant pas à nos attentes. D'autre part, cette directive impose un contrôle sur les responsables des fonds spéculatifs, mais pas sur les produits spéculatifs eux-mêmes. Si nous avons l'assurance que le conducteur n'aura pas bu avant de prendre la voiture, nous ne sommes pas sûrs que la voiture est sans défaut. Nous ne sommes donc pas satisfaits de la directive telle qu'elle existe aujourd'hui. Mme Lagarde en discute en ce moment au conseil ECOFIN. Nous en reparlerons au Conseil européen des 18 et 19 juin, mais nous ne laisserons pas la directive en l'état.
Sur la question de la Turquie, je dois dire que je suis plus surpris par la position du parti socialiste. J'ai le sentiment, à vous entendre, Madame Guigou, que la position du parti socialiste dépend de la position du président américain, M. Obama, telle qu'il l'a exprimée en se rendant à Ankara. Quant à nous, notre position dépend des intérêts de la France et des intérêts européens, c'est notre seule motivation.
Je vais vous répondre clairement : oui, nous sommes favorables à la poursuite des négociations avec la Turquie, car cela permettra à ce pays ami, partenaire économique majeur et allié essentiel dans la région du Moyen-Orient, d'avoir le même niveau de développement économique que le nôtre et de respecter les valeurs et les règles auxquelles nous sommes attachés en matière de droits de l'Homme et de démocratie. Il entre donc dans l'intérêt de la Turquie et de l'Union européenne de poursuivre les négociations. Mais celles-ci ne doivent pas ouvrir des chapitres qui susciteraient l'adhésion de la Turquie à l'Union. Nous n'ouvrirons que les chapitres qui n'entraîneront pas l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Notre position de fond est très claire : la Turquie n'a pas vocation à entrer dans l'Union européenne. Je ne suis pas sûr que la position des autres groupes de l'Assemblée soit aussi claire. La nôtre est dictée par le seul objectif politique de construire une Europe forte entre les deux grands ensemble que sont les Etats-Unis et la Chine. Nous n'arriverons pas à intégrer davantage l'Europe, à renforcer les politiques communautaires, à mener une vraie politique industrielle, à avoir une meilleure coordination fiscale pour éviter le dumping fiscal à favoriser l'emploi et à prendre davantage de mesures sociales, si nous faisons entrer dans l'Union un pays de plus de 70 millions d'habitants. De ce point de vue, la position de la majorité est claire : c'est l'Europe politique et pas la Turquie !
Je tiens également à répondre à la remarque de M. de Rugy sur le paquet "Energie-Climat". Dans ce domaine, nous assumons pleinement nos choix. Comme vous, nous voulons que notre développement durable soit le plus ambitieux possible et que, dans les années à venir, l'Union européenne soit un exemple en matière d'économie verte. Mais, quand on siège au Conseil et quand on écoute les positions des uns et des autres, il faut faire des choix.
On peut estimer que l'Europe doit avancer sur la base d'un noyau dur, c'est-à-dire d'un petit groupe d'Etats qui ne se soucient ni des compromis, ni de l'unité européenne, ni du sort de ceux qui ne parviennent pas à suivre, les laissant derrière eux en espérant qu'ils les rejoindront un jour. Mais cette vision n'est pas la nôtre. Quand il s'est rendu en Pologne, en décembre dernier, le président de la République a clairement choisi de trouver un consensus et d'inclure tout le monde dans le paquet "Energie-Climat", quitte à renoncer à certaines avancées.
Nous estimons que cette position est conforme aux intérêts de l'Union européenne et qu'elle est juste. Depuis quelques années, la grande réalisation de l'Union européenne est en effet d'avoir retrouvé son unité historique. On doit tenir compte de l'histoire. Le régime communiste a imposé à la Pologne un développement énergétique fondé sur le charbon. Il faut à présent lui permettre de rejoindre les autres pays, au lieu de lui imposer un modèle de développement qu'elle ne sera pas capable de suivre. C'est non seulement juste, mais conforme à nos intérêts, car, pour négocier avec les Etats-Unis ou la Chine, mieux vaut être vingt-sept Etats unis comptant en tout 500 millions d'habitants que deux groupes d'Etats divisés. C'est un choix que nous assumons pleinement.
Monsieur Sauvadet, la révision de la stratégie de Lisbonne est aujourd'hui une priorité absolue de la France pour le Conseil européen des 18 et 19 juin. Pour la prochaine Présidence suédoise, M. Kouchner et moi en avons débattu longuement. Quant à la prochaine Présidence espagnole, elle en fera probablement l'un de ses thèmes majeurs. Nous voulons avancer dans deux directions.
D'une part, il faut fixer des objectifs plus contraignants en matière de dépense publique pour l'innovation et la recherche. On voit le résultat de la stratégie de Lisbonne, qui fixait un objectif de 3 % de dépense publique de l'Europe pour la recherche : nous sommes à moins de 2 %. C'est un échec dont il faut tirer les conséquences. D'autre part - c'est un objectif prioritaire auquel je suis personnellement très attaché -, il faut permettre à un nombre important d'étudiants français et européens d'étudier à l'étranger. Aujourd'hui, seuls 4 % des étudiants français bénéficient des programmes Erasmus ou Leonardo pour les apprentis, ce qui est très insuffisant. A terme, notre objectif doit être que la moitié d'une classe d'âge d'étudiants fasse ses études ou son apprentissage dans un autre pays d'Europe.
Pour finir, je m'adresserai à M. Copé et à tout le groupe UMP. Nous voulons cette Europe politique qui a été au centre de notre campagne. Pour cela, il faut que l'Europe ait des institutions claires. Nous pouvons tous nous retrouver sur la nécessité de faire ratifier le Traité de Lisbonne dans les semaines à venir. Les derniers obstacles étant difficiles à franchir, nous aurons besoin de la mobilisation de tous les parlementaires français.
Il faut aussi que l'Europe prenne toutes ses responsabilités. Face à la crise économique et financière, elle doit répondre aux attentes de nos concitoyens sur l'emploi, le développement, l'industrie et l'économie, au lieu de répondre à je ne sais quel dogme, sans prendre en compte les nouvelles considérations imposées par la situation actuelle.
Il faut enfin que l'Europe tienne ses engagements. Pour cela, comme l'ont rappelé le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères, nous proposons des liens plus étroits entre le Parlement européen et le Parlement national, un vrai programme politique imposé par la Commission et des liens plus étroits entre les parlementaires nouvellement élus et le peuple français qui les a désignés.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 juin 2009