Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur le succès et les mission de l'expérience "Ecole ouverte" durant les vacances scolaires, spécialement dans les quartiers difficiles, et sur la nécessité d'étendre ce dispositif en ayant recours à des intervenants extérieurs, Gonesse le 5 juillet 2001.

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Circonstance : Déplacement dans le Val d'Oise et en Seine-Saint-Denis pour les dix ans d'"Ecole ouverte"

Texte intégral

Messieurs les ministres,
Monsieur le Recteur,
Monsieur le député-maire,
Mesdames, Messieurs,
Nous nous retrouvons aujourd'hui pour fêter les dix ans d'" Ecole ouverte ". Lorsque cette opération a été lancée, en 1991, j'étais ministre de l'Education nationale. Je suis donc particulièrement heureux de conclure cette journée en votre compagnie et aux côtés de Jack LANG, ministre de l'Education nationale, et de Claude BARTOLONE, ministre délégué à la Ville, dont je salue la présence. Ma visite, cet après-midi, au collège François-Truffaut de Gonesse et les débats auxquels vous avez participé aujourd'hui me permettent de mesurer le chemin parcouru depuis 1991. L'ambition était alors que l'Ecole de la République " s'ouvre " davantage encore au profit des jeunes qui en ont le plus besoin, notamment ceux qui, les grandes vacances venues, n'ont pas la chance de quitter leur quartier et restent parfois livrés à eux-mêmes. Ainsi est née l'opération " Ecole ouverte ".
Dix ans après, " Ecole ouverte " est une expérience couronnée de succès.
Cette opération permet de lutter contre l'exclusion sociale, contribue à accroître les chances de réussite scolaire et concourt à l'éducation des jeunes à la citoyenneté. Elle remplit donc les missions qui lui avaient été fixées, grâce aux volontaires qui lui consacrent leur énergie.
L'idée généreuse que nous avions eue en 1991 a pris corps. Pour accueillir à l'école les jeunes privés de vraies vacances, j'avais décidé avec le ministre des Affaires sociales et de l'Intégration de l'époque, Jean-Louis BIANCO, de mettre à la disposition des chefs d'établissement les moyens nécessaires, grâce à un partenariat financier original. Aujourd'hui encore, celui-ci associe, au sein de la commission nationale " Ecole ouverte ", les ministères de l'Education nationale, de l'Emploi et de la Solidarité, et de la Ville, ainsi que la Délégation interministérielle à la ville et le Fonds d'action sociale, tous convaincus, depuis le début, de l'utilité de cette grande et belle opération.
Grâce au nouvel élan donné à l'opération par Ségolène ROYAL, lorsqu'elle était ministre déléguée chargée de l'Enseignement scolaire, ce sont aujourd'hui 500 collèges et lycées, quelquefois les grandes classes de certaines écoles primaires, qui ouvrent leurs portes en dehors des périodes scolaires. On est désormais bien loin des douze sites expérimentaux du début ! Généralement situés dans des zones difficiles, ces établissements accueillent les élèves pendant les vacances scolaires mais aussi, depuis 1998, les mercredis et samedis pour certains d'entre eux. Le collège François-Truffaut a fait preuve de plus d'audace : en plus des périodes habituelles, il est ouvert deux semaines début juillet, deux semaines fin août, pendant les vacances de la Toussaint, de Noël, d'hiver et de printemps, mais aussi les mercredis après-midi et les samedis, soit cent jours par an. Je tiens à saluer cette expérience qui remporte l'adhésion des élèves et de leurs parents. Ses initiateurs ont su pousser très loin l'idée d'" Ecole ouverte ".
Là comme ailleurs, le succès d'" Ecole ouverte " repose sur la mobilisation de tous.
Et d'abord sur celle du chef d'établissement et de son équipe. Cette équipe de volontaires ne comprend pas seulement des personnels de l'Education nationale -enseignants, aides-éducateurs, personnels administratifs, ouvriers ou de santé-, mais aussi des intervenants extérieurs venus d'horizons divers, qui acceptent de mettre leurs compétences au service des élèves. Je tiens à rendre hommage à ces femmes et à ces hommes qui ont la générosité de consacrer une partie de leurs vacances à " Ecole ouverte ". Son succès est d'abord le leur.
Rien ne serait possible, non plus, sans l'adhésion des élèves, qui sont très nombreux à vouloir revenir dans leur établissement pendant les vacances. Je souhaite saluer le choix fait par ces jeunes de revenir à l'école alors même qu'ils n'en ont plus l'obligation. Mais ils s'y rendent d'autant plus facilement que " Ecole ouverte " répond à leurs attentes.
Cette initiative redonne en effet aux jeunes le goût de l'Ecole -c'est-à-dire le goût d'apprendre et de se construire. En décloisonnant les activités -d'enseignement, bien sûr, mais aussi les activités sportives, culturelles ou artistiques-, " Ecole ouverte " réveille la curiosité d'élèves qui doutent parfois de l'utilité du savoir acquis entre les murs de l'établissement. " Ecole ouverte " rapproche les élèves des enseignants, génère de la confiance entre adultes et enfants, conforte l'institution scolaire elle-même et ses missions. Elle permet aussi de renforcer le lien entre les parents et l'Ecole. Cette opération encourage les jeunes à se remettre au travail. Elle leur offre les moyens de dépasser leurs difficultés. Elle leur apprend à mieux respecter l'institution qui les accueille et leur insuffle l'envie de s'investir davantage dans la vie de leur établissement.
C'est pourquoi " Ecole ouverte " contribue aussi à apaiser les violences à l'Ecole. Elle donne aux élèves la chance d'échapper à leur isolement. Lors des sorties qui leur sont proposées, ces jeunes apprennent à s'approprier un nouvel espace et font l'expérience d'une certaine forme d'indépendance. Le dépaysement peut être encore plus grand grâce aux échanges entres élèves d'établissements de départements différents -comme cela a déjà été fait entre le collège François-Truffaut et celui de Cordes-sur-Ciel dans le Tarn, par exemple. Cela est rendu possible par la mobilisation des internats scolaires, dont le ministre de l'Education nationale souhaite, à juste titre, la réhabilitation et le développement. Pour les jeunes, la découverte d'un lieu éloigné de leur foyer, de nouvelles rencontres, un cadre de vie différent contribuent à transformer leur regard et à les socialiser davantage. " Ecole ouverte " leur permet de faire l'apprentissage des codes sociaux et des valeurs citoyennes, codes et valeurs dont l'acceptation les éloigne d'éventuels comportements violents. Le respect d'autrui s'en trouve plus naturel, les situations de tension plus rares, la délinquance moins fréquente.
Mesdames, Messieurs,
Lutte contre l'exclusion, contre l'échec scolaire et contre la violence dans les établissements de l'Education nationale : " Ecole ouverte " fait avancer de grandes priorités de la politique éducative du Gouvernement.
Ce succès, nous devons aujourd'hui l'amplifier.
Les élèves doivent être plus nombreux encore à bénéficier d'" Ecole ouverte ". Je me félicite qu'en 2000 près de 60.000 élèves y aient trouvé leur place ; 60.000, c'est déjà beaucoup, mais cela reste trop peu. " Ecole ouverte " doit donc concerner un plus grand nombre d'élèves. Elle doit également s'étendre à des périodes plus longues -non seulement lors des vacances, mais aussi pendant la semaine scolaire, les mercredis et samedis- et, d'une manière générale, au temps péri-scolaire. C'est pourquoi cette opération gagnerait à être mieux coordonnée avec les contrats éducatifs locaux qui ont, eux aussi, l'ambition de prendre en charge les élèves hors du temps d'école. Dans le même esprit, il nous faut davantage encore relier " Ecole ouverte " avec les grands événements culturels et sportifs qui marquent chaque été.
Pour pouvoir étendre cette opération, il convient de faire preuve de davantage de souplesse.
Tout d'abord en améliorant les modalités de son financement. Actuellement, les établissements qui participent à " Ecole ouverte " reçoivent un forfait de 26.500 francs par semaine, quel que soit le nombre d'élèves qui s'y rendent. Or, face au succès de cette opération, tous les établissements n'ont plus les mêmes besoins. Le financement forfaitaire m'apparaît donc inadéquat. J'ai donc demandé à Jack LANG et aux partenaires concernés de réfléchir à des solutions plus souples, tel un financement modulable en fonction du nombre d'élèves.
Faire preuve d'une plus grande souplesse, c'est aussi faciliter les conditions d'embauche des personnels qui encadrent " Ecole ouverte ". Il est certes préférable d'avoir, autant que possible, recours à des personnes volontaires travaillant déjà dans l'établissement, puisqu'elles connaissent les locaux, les élèves et leurs collègues. Mais nous ne devons pas nous arrêter au volontariat des personnels titulaires, ce qui pourrait constituer un obstacle au développement de cette opération. L'essentiel est d'ouvrir le plus grand nombre possible d'écoles, en ayant recours plus souvent, s'il le faut, à des intervenants extérieurs.
C'est en priorité dans les quartiers difficiles que les écoles doivent être ouvertes. Jusqu'à aujourd'hui, reconnaissons-le, le dispositif " Ecole ouverte " est resté trop peu présent là où il aurait été le plus utile, comme dans les académies de Versailles et de Créteil -alors même que c'est ici que le dispositif a démarré. Dans ces conditions, nous ne pouvons nous permettre de disperser nos efforts : nous devons au contraire concentrer nos moyens là où les enfants en ont le plus besoin.
C'est dans ce même esprit d'adéquation des moyens aux besoins que j'avais appelé, lors du colloque sur la violence scolaire qui s'est tenu à l'Unesco au mois de mars dernier, à la stabilisation des équipes éducatives dans une centaine d'établissements de la région parisienne. Je me réjouis de constater que près de 1.800 enseignants, dont une grande partie de jeunes stagiaires sortant des IUFM, se sont déjà portés candidats et ont été affectés, pour la plupart, dans ces établissements pour une période de cinq ans. J'avais également demandé à Jack LANG et à Claude BARTOLONE de définir une stratégie de véritable prise en charge des élèves, tant à l'école qu'à l'extérieur, grâce à un partenariat renforcé avec tous les acteurs locaux. C'est prioritairement dans le cadre des cinquante grands projets de ville que cette stratégie devra être expérimentée. Dans ce cadre territorial, tous les dispositifs permettant de remédier aux difficultés des enfants à l'école seront mis en place et, en premier lieu, " Ecole ouverte ", les classes-relais et les contrats éducatifs locaux. Il faut, en la matière, faire preuve de volontarisme.
Dans ces quartiers difficiles, c'est à toutes et à tous que l'école doit s'ouvrir. En mobilisant mieux ses ressources, elle doit accueillir les habitants du quartier dans leur ensemble, quel que soit leur âge. Les établissements scolaires seront en effet d'autant mieux ancrés dans les quartiers qu'ils accueilleront des services ou des activités, scolaires ou non, destinés à tous. Je vous invite donc dès aujourd'hui à réfléchir, le plus librement possible, aux expérimentations qui pourraient être conduites dans ce domaine. En nous appuyant sur " Ecole ouverte ", nous imaginerons ensemble un nouveau rôle pour l'Ecole dans la ville.
Mesdames, Messieurs,
Grâce à l'ouverture maîtrisée de l'Ecole sur l'extérieur, grâce à la mobilisation de tous les acteurs locaux, grâce à l'enthousiasme des élèves, dix ans après sa création, " Ecole ouverte " est un succès. Je veux une nouvelle fois dire ma gratitude à tous les personnels de l'Education nationale qui concourent à cette réussite. C'est grâce à eux que ces jeunes qui ne peuvent partir en vacances ne se sentent pas abandonnés. Les résultats rencontrés par cette grande opération doivent nous conforter dans la conviction que l'Ecole de la République peut s'adapter pour aider toujours mieux l'intégration de tous au sein de la communauté des citoyens.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 6 juillet 2001)