Texte intégral
Qu'il me soit permis, à titre liminaire, de saluer le choix du Président de votre assemblée de procéder à l'évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes : cela montre combien les députés sont attentifs à cette douloureuse question de société.
Je tiens à saluer également le travail de votre Présidente et de votre rapporteur qui n'a cessé, depuis le vote de la loi de 2006, de rester attentif aux conditions de son application. Je ne doute pas que votre mission d'information sera, pour le Gouvernement, une force de propositions et une aide pour faire progresser encore plus rapidement la cause des femmes victimes de violences.
Or nous savons tous que cette violence est une réalité dévastatrice qui s'exerce au quotidien. Elle touche toutes les catégories sociales et tous les âges. Elle reste pour les femmes la plus grande violation de leurs droits fondamentaux et un obstacle récurrent à la réalisation de l'égalité entre les femmes et les hommes. Dans les faits, cela signifie que les femmes sont davantage en danger chez elles que dans la rue ou sur leur lieu de travail. Pour toutes ces raisons, il reste toujours aussi impératif de mener une politique nationale active de lutte contre ces violences.
Je reviens d'un voyage d'étude en Suède qui m'a permis de comparer l'état d'avancement de nos législations respectives : chacun sait que dans ce domaine, la Suède est en pointe car elle a mis en oeuvre, ces dix dernières années, une politique globale et volontariste assurant une coordination remarquable entre l'action gouvernementale et celle des associations impliquées dans la défense des victimes de violences. Cette action développe 56 mesures pour un budget global de 90 millions d'euros dans le cadre d'un plan triannuel. Elle repose sur l'outil statistique pour mesurer les progrès réalisés et les objectifs qui restent à atteindre.
Cet instrument d'évaluation peut être transposé en France : nous sommes d'ailleurs en train d'élaborer le document de politique transversale en matière de droits des femmes dont le Parlement a voté le principe et qui paraîtra pour la première fois en annexe du projet de loi de finances pour 2010 : il va nous permettre de disposer d'un état des lieux de toutes les actions des différents ministères en vue de leur évaluation. C'est particulièrement important sur le sujet de violences faites aux femmes, question transversale par excellence.
S'agissant des moyens d'action du ministère, je voudrais également dissiper toute crainte quant au devenir du service des Droits des femmes et de l'égalité. Dans le cadre de la réforme de l'Etat, la responsable du service des droits des femmes et pour l'égalité sera aussi officiellement nommée déléguée interministérielle, le service étant lui-même intégré au sein de la future Direction générale de la cohésion sociale. La déléguée sera chargée de piloter, d'impulser, d'animer et de coordonner la politique publique, transversale et interministérielle, des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes, au niveau national comme au niveau local. Comme aujourd'hui, le service s'appuiera sur le réseau constitué de déléguées régionales (intégrées dans les SGAR) et de chargées de mission départementales aux droits des femmes et à l'égalité implantées sur tout le territoire.
En mars dernier, nous avons présenté au Sénat, le rapport de mise en oeuvre de la loi de 2006 sur les violences faites aux femmes qui dresse le bilan des actions menées pour les années 2006 et 2007, mais aussi celui de la première année de mise en oeuvre du plan 2008-2010 de lutte contre les violences faites aux femmes.
Dans ce travail collectif, je tiens à souligner l'importance que joue la commission nationale contre les violences envers les femmes. Cette commission est composée de représentants de l'Etat, des associations et de personnalités qualifiées. Renouvelée en décembre dernier, cette commission est une instance essentielle de concertation et d'animation du réseau des conseils départementaux. Je la réunirai dans les prochaines semaines.
La complémentarité des partenariats institutionnels, publics et privés, associatifs et élus locaux, est essentielle. S'il y a un sujet sur lequel la solidarité doit être au rendez-vous, c'est bien celui là. Oui, la prise en charge globale des personnes concernées s'améliore. Le rôle des acteurs de proximité, l'élaboration d'outils pertinents et les dispositions réglementaires et législatives y contribuent.
Le plan 2005-2007 prévoyait à la fois des actions de prévention et de lutte contre les violences dans plusieurs domaines comme le renforcement de la sécurité des victimes ou l'aggravation des sanctions contre les auteurs de violences commises au sein du couple.
La loi du 4 avril 2006 a mis en application la feuille de route du premier plan : le dispositif de prévention et de protection de la victime ainsi que celui de répression de l'auteur est désormais très complet. Il prévoit des mesures spécifiques d'incitation et d'injonctions aux soins destinées à prévenir la récidive des auteurs.
Afin de donner un nouvel élan à cette politique, j'ai, au nom du Gouvernement, présenté en 2007 un deuxième plan global triennal (2008-2010), visant à combattre les violences faites aux femmes.
Ce plan s'appuie sur quatre priorités : mesurer, prévenir, coordonner, et protéger.
Pour ce plan, nous avons souhaité porter une attention particulière à la mesure des violences : la réalisation de nouvelles études et un meilleur recueil d'informations statistiques doivent permettre d'atteindre cet objectif.
Dans le cadre de la prévention, le numéro d'appel unique 3919 mis en place le 14 mars 2007 a connu un essor important en 2008 (subvention de 912 500 euros à la fédération nationale solidarité femmes -FNSF-, 80 000 appels reçus/18254 appels traités).
Il est facile à retenir, gratuit et n'apparaît pas sur les relevés téléphoniques, pour éviter de mettre en danger les femmes. Géré par la (FNSF), il dispense une écoute de qualité, professionnelle, anonyme et personnalisée et, le cas échéant, une orientation adaptée. J'ai tenu à renforcer les moyens financiers de cette plate-forme d'écoute par un redéploiement des crédits d'intervention. Ce numéro national unique a d'ores et déjà permis une avancée significative dans l'appui aux femmes victimes.
Je souhaite aussi insister sur l'importance de la mise en place progressive d'un réseau de référents locaux sur tout le territoire. Ces référents sont les interlocuteurs uniques de proximité : ils n'ont pas pour but de se substituer aux acteurs existants mais de coordonner et faciliter les démarches de la victime.
Vingt cinq référents ont été recrutés et sont financés par le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) : ils ont effectivement été mis en place dans 19 départements s'appuyant sur un cahier des charges précis diffusé avec une circulaire du 14 mai 2008 transmise aux Préfets.
Dans certains départements, (val d'Oise, Sarthe), la mise en place de référents s'est accompagnée d'une mobilisation remarquable des acteurs concernés qui s'est illustrée par des réunions de coordination de tous les acteurs, mais aussi de suivi et d'évaluation ainsi que par la formalisation des procédures existantes. Vingt quatre autres projets sont en cours dans dix neuf départements. Notre objectif est un maillage complet du territoire.
Les observateurs éclairés que vous êtes sont unanimes à souligner que la réponse à la recherche d'autonomie des femmes victimes de violence passe obligatoirement par une solution adaptée en matière d'hébergement et de logement. De nombreuses mesures ont été prises en ce domaine. Mais il nous faut encore progresser.
C'est pourquoi j'ai souhaité diversifier les réponses offertes en lançant une expérimentation sur les familles d'accueil. Aujourd'hui, à la suite d'une circulaire interministérielle de juillet 2008, nous avons saisi les Présidents de Conseils généraux. Un cahier des charges national, fixant les principes et exigences fondant le développement de ce dispositif a été élaboré.
Une mise en oeuvre de l'expérimentation est effective dans cinq départements : l'Indre et Loire, le Lot et Garonne, la Drôme, l'Ardèche et l'Isère. Trente huit familles d'accueil sont d'ores et déjà opérationnelles pour accueillir des femmes avec ou sans enfant. Notre objectif est d'arriver à 100 familles d'accueil d'ici 2010. Il nous faudra ensuite évaluer ce dispositif. Plus largement, notre objectif est de favoriser l'accueil des femmes victimes de violence dans le dispositif d'hébergement ainsi que leur accès prioritaire au logement. Une circulaire du 4 août 2008, conjointe avec le ministère du logement, rappelle que la priorité doit être donnée à l'éviction du conjoint violent et au maintien de la femme dans le logement, chaque fois que possible. A défaut, les solutions les moins désocialisantes et les plus proches du logement ordinaire sont à rechercher, sauf si une prise en charge renforcée s'avère nécessaire. Une étude réalisée en juin 2008 auprès des structures d'hébergement montre que presque 3000 places sont spécialisées en faveur des femmes victime de violences soit un coût d'environ 46,5 Meuros.
La loi de mobilisation pour le logement du 25 mars 2009 prévoit que les victimes de violence conjugale seront prioritaires pour l'accès au logement social. Elle introduit des règles plus souples pour l'appréciation des conditions de ressources des victimes de violence conjugale pour l'attribution d'un logement social. Par ailleurs, dans les zones les plus tendues, le Gouvernement a lancé fin 2008 un programme d'intermédiation locative visant à développer la sous location dans le parc privé au profit de personnes en situation d'hébergement. 5000 logements sont prévus pour 2009. Ces logements temporaires pourront notamment bénéficier aux femmes victimes de violence.
Je souhaite, enfin, étudier en lien avec le ministère du logement la possibilité de développer des formules d'accompagnement au relogement avec le service de suite mutualisé mère-enfants cofinancé avec le conseil général permettant de sécuriser tant la femme relogée que le bailleur.
A ma demande, le Conseil Supérieur du travail social a mis en place dans le cadre d'un groupe de travail sur l'intervention sociale d'intérêt collectif, une réflexion sur le travail social en direction des femmes victimes de violence. La fin des travaux est prévue pour la fin du mois de juin.
La question des risques pour les enfants de l'exposition aux violences au sein du couple, constitue une préoccupation récurrente. Les lieux sécurisés, des « points rencontres » entre le parent auteur de violence et l'enfant qui ne réside plus avec ce dernier doivent être développés. Les espaces rencontres financés par le Ministère de la Justice sont au nombre de 67 et 78 structures ont une activité mixte médiation familiale/espaces de rencontre.
Ces actions ciblées en fonction des situations et de la nature des violences révèlent une fois de plus que le Gouvernement s'attache à prendre en compte toutes les formes de violences dont sont victimes les fillettes, les jeunes filles et les femmes.
Je suis convaincue de la nécessité d'intervenir à la racine du mal, dès le plus jeune âge. C'est un souci constant du gouvernement. Nous menons un travail partenarial avec l'Education nationale, notamment dans le cadre de la convention interministérielle pour l'égalité entre les filles et les garçons du 29 juin 2006, entre les femmes et les hommes dans le système éducatif qui engage 9 ministères. Prévenir les comportements violents et combattre les stéréotypes font partie des priorités de Madame Marie-Jeanne PHILIPPE, Rectrice de Besançon qui préside le comité de pilotage.
S'agissant de la répression, l'arsenal législatif et juridique depuis 2006 est plus répressif et protecteur. Les victimes sont encouragées à porter plainte et le taux de réponse pénale à l'encontre des auteurs de violences conjugales a augmenté passant de 68,9 % en 2003 à 83,8 %. La prise en charge des victimes dans les unités médico judiciaires (UMJ) constitue un moment important du processus. Les UMJ accueillent, examinent et informent. Au nombre de 50, elles méritent d'être déployées. De nouveaux schémas ont été élaborés en janvier dernier avec des établissements pivots pour activer le réseau et assurer un meilleur maillage.
Les juges délégués aux victimes (JUDEVI) institués par le décret du 13 novembre 2007 dans les tribunaux de grande instance sont aussi des interlocuteurs référents. Une expérimentation d'un bureau d'aide aux victimes à la tête duquel sera placé le JUDEVI, est menée actuellement dans 13 juridictions dont Marseille, Lille et Lyon en vue de sa généralisation prochaine dans chaque tribunal de grande instance.
Du côté des auteurs, de très nombreux parquets se sont engagés dans des conventions ou protocoles visant la prévention de la récidive des auteurs grâce à une prise en charge sociale, médicale et psychologique. De même, l'éviction du conjoint violent qui constitue une mesure phare de la loi de 2006 se révèle pertinente. Elle permet d'inverser le rapport de force qui se créée lors du processus de violence et de limiter les violences indirectes dont sont victimes les enfants.
Mais le manque de places dans les différentes structures de prise en charge thérapeutique atténue toutefois l'efficacité de la mesure.
Cette mesure a été très rapidement appliquée au pénal : prononcée dans 9,6 % des affaires en 2006, elle touchait 13 % des auteurs de violences conjugales en 2008 et concerne depuis le début de l'année 2009 plus de 18 % des maris violents.
Au civil, l'éviction du conjoint violent demandée au juge, même avant divorce, est accordée de plus en plus souvent, dans 82 % des cas.
A ce propos nous pouvons nous inspirer des bonnes pratiques locales : c'est le cas de la politique pénale conduite par le Procureur près le Tribunal de grande instance de Bobigny qui a désigné depuis 2005 de référents spécialisés au sein du Parquet, avec des résultats visibles : le taux de classement sans suite est passé de 24 % à 15 % et le recours à la médiation pénale a été interdit. C'est aussi l'exemple du dispositif mis en place par le Procureur de Douai que la mission a auditionné.
Par ailleurs, éradiquer le phénomène des violences ne peut se concevoir sans travailler sur l'image des femmes. Le poids des clichés et des stéréotypes continue à peser et à compromettre les progrès en faveur des femmes. C'était l'objectif que j'avais assigné à la Commission Reiser. Sa mission a été prolongée pour continuer le suivi des avancées relatives à l'image des femmes dans les média.
Sur le sujet connexe du respect, j'ai souhaité m'adresser plus particulièrement aux jeunes filles. Depuis le mois dernier, celles-ci reçoivent lors des Journées d'appel de préparation à la défense un ouvrage intitulé "18 ans, Respect les filles" pour les aider à faire respecter leurs droits dans tous les domaines de la vie sociale et dans leur vie de couple.
Prévenir c'est aussi sensibiliser et se doter de nouveaux outils.
Je rappellerai la campagne de communication grand public lancée le 2 octobre. Cette campagne de presse et d'affichage visait trois cibles (la victime, le témoin et l'auteur) et était dédiée aux violences au sein du couple. Elle vit au quotidien grâce au site Internet gouvernemental sur l'ensemble des violences faites aux femmes avec des témoignages directs pour que le silence se brise.
Je lancerai demain matin sur toutes les cha??nes généralistes une campagne télévisuelle relative aux violences d'ordre psychologique faites aux femmes, grâce à un court spot de sensibilisation.
J'ai voulu aussi porter une attention particulière aux femmes et jeunes filles, victimes ou susceptibles de l'être de mutilations sexuelles ou de mariages forcés, en diffusant une brochure rappelant leurs droits.
J'ajouterai enfin une pierre à l'édifice que nous construisons pour protéger les femmes. Le label de campagne d'intérêt général attribué à la lutte contre les violences faites aux femmes en 2009 en vue de la préparation de la grande cause nationale 2010.
Il m'apparaît également important de rassembler toutes les dispositions législatives et réglementaires, dans un seul et même CODE commenté sur les Droits des femmes. Mes services travaillent à l'élaboration de ce document qui donnera une réelle lisibilité aux multiples mesures actuellement éparpillées dans plusieurs autres codes. Il permettra aux femmes de connaître leurs droits et simplifiera leurs démarches tout en répondant à leurs interrogations.
Mais, je suis aujourd'hui convaincue de la nécessité de compléter le dispositif législatif existant.
Ainsi, si ce dernier peut apparaître complet à bien des égards, comme je me suis attachée à vous le démontrer, il recèle des lacunes et nécessite sans doute d'être renforcé dans trois directions, afin d'en accroître l'efficacité. Nous menons ainsi des réflexions en lien avec la Chancellerie et les acteurs de terrain tout d'abord :
dans le domaine de la prévention : L'idée est de mieux protéger les femmes contre les violences de type apologie de crimes ou de violences aggravées qui circulent sur internet. J'avoue que la polémique suscitée par les propos d'un rappeur n'est pas étrangère à cette réflexion.
Dans le domaine de la répression ensuite, en fonction de l'aboutissement de la réflexion précédente, nous proposerions des mesures visant à réprimer les comportements les plus graves.
Nous avançons également sur l'idée d'introduire dans le code pénal la notion de violences psychologiques.
Autre sujet également sensible : ce qui touche au délit de dénonciation calomnieuse (L226-10 du code pénal). Nous cherchons par là à atténuer les conséquences de la présomption de culpabilité qui pèse sur les victimes dont la plainte a fait l'objet d'un non lieu ou d'un classement sans suite par le parquet.
Enfin, dans le domaine crucial de la coordination, les dysfonctionnements viennent souvent de décisions judiciaires qui se superposent et doivent être mises en cohérence ; je sais qu'un décret n° 2009-398 du 10 avril 2009, d'application immédiate, complète le Code de procédure civile en organisant la communication de pièces entre les juges chargés de la procédure familiales, à savoir le juge aux affaires familiales, le juge des enfants et le juge des tutelles.
Se pose aussi la question de l'opportunité d'introduire en droit français la possibilité pour le juge saisi en urgence de rendre une ordonnance de protection des victimes de violences.
Je tiens particulièrement à vous remercier pour le soutien que vous apportez à la promotion de toutes ces actions, actions essentielles pour faire progresser encore la lutte contre toutes les violences faites aux femmes. Je vous remercie.
Source http://www.travail-solidarite.gouv.fr, le 10 juin 2009