Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur le rôle de l'UEO pour la mise en place de la défense européenne, notamment ses liens avec l'Union européenne et ses rapports avec l'OTAN, Paris le 16 mars 1999.

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Circonstance : Réunion de l'Assemblée parlementaire de l'UEO à Paris le 16 mars 1999

Texte intégral

Mesdames, Messieurs les députés,
Dans cette décennie qui sachève, des réalités nouvelles prennent forme en Europe. Notre Union progresse. Lactualité nous rappelle chaque jour ce que nous avons fait dans le domaine de 1 économie, du droit, de la monnaie. Au-delà de lactualité, nous percevons dans la durée laccoutumance de nos concitoyens à vivre en Europe et à se penser comme Européen. Cet ensemble dévolutions et de réalisations, que jappelle des progrès, nous pose à nouveau un défi que nos nations navaient pas su relever dans les décennies passées : celui de faire partager nos valeurs par une politique extérieure et de défense.
Cest donc vers le domaine de la sécurité et de défense que nos énergies doivent se porter à présent. Je sais que cest votre objectif, à vous qui avez fait le choix de lengagement politique au sein de cette assemblée. Les deux rapports qui seront examinés au cours de cette réunion témoignent de la qualité de votre contribution.
Leffort de réflexion et de formalisation très intense que vous y avez mené doit être salué comme une contribution utile et éclairée même si chacun., et moi compris, peut exercer son approche critique sur les appréciations et propositions qui y sont développées et qui sont nécessairement le reflet de votre diversité.
1. Les Européens ont décidé, en 1950, de confier à lOTAN la mise en oeuvre militaire de la défense collective fondée sur larticle V du Traité de Bruxelles modifié. Cette décision entérinait la présence et présumait la permanence dun nombre important de troupes américaines sur notre sol. La résolution des crises qui ont touché notre continent après la Guerre froide a illustré linfluence déterminante des forces armées américaines. Dans la dernière décennie, de nouvelles formes de tensions et de crises ont à leur tour révélé la force du partenariat euro-atlantique.
La sécurité européenne doit beaucoup à lOTAN, et les Etats-Unis restent un acteur essentiel à cet égard. Mais les progrès mêmes de lEurope, linfluence nouvelle quelle a acquise dans les débats mondiaux en matière financière et monétaire, commerciale, scientifique, diplomatique, lui suggèrent de prendre par elle-même une responsabilité accrue pour contribuer à sa sécurité notamment face à des menaces ou des risques qui présentent de manière incontestable un caractère régional.
En outre nous savons bien que le processus de prise de décision aux Etats-Unis est fondé sur un délicat mécanisme de balances et contrepoids, et que des tendances à éviter les engagements difficiles dans des crises lointaines se font parfois jour au Congrès. Et la lourde charge dêtre la seule super-puissance et davoir à relever tant de défis ne peut qualimenter cette réticence toujours sous-jacente.
Du côté européen, nous avons fait des progrès que nous pouvons prolonger. Je pense aux avancées de Maastricht et dAmsterdam, et plus récemment de St Malo. La double présidence allemande de PUE et de PUEO au premier semestre 1999 est une promesse de progrès solides et concertés.
Au sein de lAlliance Atlantique, la notion dIESD a fait son chemin.
Mais le plus important, cest que ces avancées sont confirmées sur le terrain, en ex-Yougoslavie, avec une meilleure harmonie entre Européens, et une plus grande prise de responsabilité dans les actions militaires :
Je pense par exemple à la force dextraction dans le cadre de lOTAN, créée à linitiative de la France qui en a pris le commandement.
Je pense au processus de Rambouillet, qui connaît à Paris en ce moment même une phase décisive et qui pourrait aboutir, nous lespérons tous, à létablissement. dune force de lOTAN à majorité européenne.
Et dans ces deux exemples, on voit bien que lengagement plus poussé des européens dans la maîtrise dune situation de crise ne porte pas atteinte, bien au contraire, aux liens de confiance qui les lient au partenaires américains.
2. Lavenir est bien à un rôle plus important de lUnion européenne, qui sera appelée à intégrer, le moment venu, les capacités et les fonctions de lUEO.
Cest le Conseil Européen, composé des chefs dEtat et de gouvernement élus dEurope, qui est le pôle de légitimité politique auquel nous pouvons rattacher des capacités dintervention dans le domaine de la sécurité, pour en faire un acteur complet. Cest là lexpression de quinze souverainetés qui ont fait le choix dagir ensemble ; autrement dit, cest la logique intergouvernementale qui peut exprimer pleinement cette volonté avec la flexibilité nécessaire au respect de chaque souveraineté.
Quant à savoir par quel engagement lUE0 daujourdhui contribuera au mécanisme de la PESC et apportera ses capacités politico-militaires à IUE, le processus de consultation nen est quà ses débuts et chaque pays concerné doit encore exprimer son point de vue pour préparer les meilleures décisions à ce sujet.
Pour mettre en oeuvre ces principes, la France présentera certainement des recommandations institutionnelles, dont beaucoup font lobjet dun consensus déjà large avec nos partenaires.
Mais lessentiel de notre action aujourdhui, cest ce qui donne toute sa valeur à la démarche de Saint-Malo, cest la volonté davancer de façon pragmatique, en sorientant vers les réalisations, les actions, plutôt quen se concentrant sur les questions institutionnelles.
3. Pour ce qui concerne lUEO elle-même, lintensification du débat sur la défense européenne ne doit pas donner limpression quelle nexiste désormais que pour disparaître.
LUEO représente un certain nombre dacquis : larticle V du Traité de Bruxelles, une approche européenne des questions de défense, mais aussi des capacités et des moyens qui, sils sont encore en retrait de nos ambitions, nen ont pas moins le mérite davoir ouvert la voie.
Ces acquis, il nous appartient de savoir les utiliser intelligemment au service dun dessein qui dépasse le cadre de lUEO, sans nous priver de ce quils apportent à lEurope de la défense.
Je pense notamment aux « actifs « et aux atouts que nous connaissons tous - la Cellule de planification, le Centre de situation au sein de lEtat-Major Militaire, le Centre satellitaire, lInstitut dEtudes de sécurité, les organes de coordination des politiques darmement (OAEO, GAEO).
Je pense aussi aux pratiques et aux expériences acquises : cest après tout au sein de lUEO que nous avons appris à travailler ensemble dans le domaine de la défense. A nous de savoir construire, forts de cette expérience, un système qui bien adapté pour préparer les décisions politiques, de sécurité et de défense et pour les mettre en oeuvre efficacement.
4. Lautre question soulevée par les deux rapports concerne le développement de lEurope de la Défense au sein de lOTAN. M. Cox estime à juste titre que cet aspect pris isolement est insuffisant ; mais il ne faut pas pour autant en faire un élément secondaire de nos objectifs .
LEurope de la Défense doit savoir « marcher sur ses deux jambes « , cest-à-dire progresser au sein de lAlliance atlantique dune part, et en autonomie dautre part, la seconde voie ne pouvant quencourager la première, et non la contredire. Cest là tout lesprit du texte de Saint Malo.
Du coté de lOTAN, il nous faut dabord pleinement réaliser les objectifs fixés à Berlin en 1996 qui représente à mes yeux un facteur clé du nouvel équilibre euro-atlantique. Il nous faut aussi aller au-delà de Berlin en dotant le SACEUR adjoint des moyens lui permettant dassumer pleinement ses fonctions européennes, et en permettant à lUnion Européenne davoir accès aux moyens de lOTAN notamment dans le domaine de la planification.
Quant à la voie purement européenne, elle implique de progresser dans la mise au
point dune chaîne de commandement autonome, disposent de forces armées et de
moyens de commandement crédibles. Les Européens pourraient y avoir recours
dans le cas où les Américains ne souhaiteraient pas voir lOTAN simpliquer,
Cest un lourd travail que nous devons accomplir tous ensemble pour mettre en oeuvre ces principes. Nous devons partir dune expression claire de nos besoins, que notre expérience sur le terrain nous aidera à définir. Puis nous devrons sur cette base réfléchir aux meilleurs moyens dy répondre avec réalisme : sans aspirer à un système trop lourd qui dupliquerait lOTAN, mais sans nous contenter dorganes purement symboliques.
La route sera longue, elle a duré dix ans pour lEuro. Nous ny parviendrons que si nous travaillons tous ensemble, membres pleins, observateurs, associés et associés partenaires. Cest notre souhait. Vous êtes nombreux ici représentants des pays quHubert Vedrine et moi-même avons visité pour expliquer notre démarche. Nous poursuivrons ce travail, car lEurope de la défense ne se conçoit quen concertation avec tous les Européens.
Nous continuerons également de travailler dans la transparence et la confiance avec les Etats-Unis, car nous savons tous que nous ne construirons pas lEurope de la défense sur une volonté de rivalité avec notre principal allié, mais sur le souhait partagé de nous donner les moyens dassumer nos responsabilités dEuropéens.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 18 mars 1999)