Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, à France-Inter le 2 juillet 2009, sur le sommet social entre le gouvernement et les partenaires sociaux, le dossier sur les retraites, le déficit de l'asssurance vieillesse et le texte sur la mobilité des fonctionnaires.

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Média : France Inter

Texte intégral


 
 
 
P. Weill.- Vous étiez à l'Elysée hier. N. Sarkozy a reçu les partenaires sociaux, début d'une vaste concertation sur l'utilisation de l'argent du futur emprunt d'Etat. Selon vous, à quoi doit servir l'emprunt d'Etat voulu par N. Sarkozy ?
 
Nous, nous n'avons pas d'opposition sur le fait qu'il y ait un emprunt, même si on ne connaît pas encore ni le montant ni les modalités. Par contre, j'ai dit au président de la République que ce qui m'inquiétait plus, c'était sa vision des trois déficits, et notamment de ce qu'il appelle le mauvais déficit, qu'il faudrait réduire à tout prix, ce qui peut porter atteinte au service public et au principe républicain. Mais sur l'emprunt en tant que tel, il doit y avoir un ciblage sur la stratégie industrielle, il faut que l'Etat ait les moyens de sa stratégie industrielle, toucher au secteur du développement durable également, ça, nous l'avons dit. Mais il doit y avoir aussi une utilisation sociale sur l'emprunt. Et parmi les pistes...
 
Ce qui veut dire ?
 
Parmi les pistes, nous avons dit par exemple toutes les questions liées à la dépendance. Il y a le problème des maisons de retraite, mais il y a le problème des personnels à former, leurs conditions de travail. Il y a toutes les questions liées à la formation ; la formation, c'est un investissement pour l'avenir. Et nous aussi, nous pensons que, une partie pourrait être utilisée pour les retraites. Qu'on se comprenne bien : si on emprunte, qu'on met une partie dans le fonds de réserve des retraites, qui n'est pas utilisé tout de suite, c'est un élément, ce n'est pas suffisant en tant que tel, mais c'est un élément pour régler le problème des retraites. Certains disent que c'est de la cavalerie, eh bien, il faudra leur apprendre ce que c'est que l'économie. Non, ça peut être un placement, un élément pour résoudre le problème des retraites.
 
N. Sarkozy a aussi fait le bilan de son action face à la crise. Il dit que les mesures sans précédent prises par le Gouvernement nous permettent de mieux résister que nos principaux partenaires. Etes-vous d'accord avec ce diagnostic ?
 
Non, ce n'est pas les mesures qui permettent de mieux résister. C'est vrai que la France, même si la croissance sera négative cette année de 3 %, moins forte que la décroissance en Allemagne ou en Espagne, ce qui permet à la France de mieux résister, c'est ce qu'on appelle "ses amortisseurs sociaux". C'est le service public, d'une manière générale et les régimes de protection sociale collective. C'est ça qui permet à notre pays d'être touché, mais un peu moins que d'autres dans la crise. Et donc j'ai tenu d'ailleurs, et je l'ai dit hier, il faut maintenir et consolider tous ces régimes de protection sociale collective. Et je reviens à ce que j'ai dit tout à l'heure, si en sortie de crise, dont personne ne sait quand elle interviendra, on dit qu'on va diminuer, d'une manière ou d'une autre, les dépenses publiques ou les dépenses sociales, là, il y a un véritable danger.
 
Vous avez parlé hier, en quittant l'Elysée, de points de désaccord persistants avec N. Sarkozy, notamment sur le soutien à la consommation.
 
Oui, parce que je considère toujours que - et nous l'avons ré-expliqué hier, la délégation Force Ouvrière -, qu'il y a nécessité d'un soutien à la consommation. Même l'Insee, organisme public, dans sa dernière note de conjoncture du 20 juin, dit que la consommation va chuter dans notre pays. C'est le premier moteur de l'activité économique. Donc il faut la soutenir.
 
Le Gouvernement l'a fait : une prime exceptionnelle de 500 euros pour certains salariés précaires, suppression des deux derniers tiers provisionnels de l'impôt sur le revenu, six millions de foyers bénéficiaires !
 
Il y a quelques éléments de ce type, mais largement insuffisants. Par exemple, il a refusé d'augmenter le Smic plus que le minimum légal, ça a été un refus clair et net. C'est une erreur, selon moi, économique, sociale, mais aussi une question d'injustice. Mais j'ai tenu aussi, hier, à mettre des propositions sur la table, des propositions d'urgence, selon nous, sur les questions d'emploi. Par exemple, nous demandons - c'est une question de solidarité entre ce qu'on appelle les seniors et les jeunes, seniors qui sont virés des entreprises aujourd'hui, et les jeunes qui ne trouvent pas de travail - à créer un système de tutorat qui permette à des salariés en fin de carrière de faire du tutorat avec certains avantages, et puis, permettre aux jeunes de rentrer dans l'entreprise, et les deux étant liés. Ça, cette piste-là par exemple, ainsi que d'autres, le président de la République a accepté qu'on en discute dans les semaines à venir. Donc nous allons reprendre contact avec, notamment le ministre du Travail, pour faire déboucher ces propositions. Il y a des urgences à faire, notamment sur les questions d'emploi dans le secteur privé. Je lui ai expliqué également que, que fait-on avec tous les CDD et les intérims qui sont aujourd'hui au chômage, et qui ont une indemnisation trop faible ou qui ne peuvent pas avoir accès à des mécanismes de type CRP ou CTP ? Toutes ces questions-là, ainsi que l'ensemble des aides aux entreprises, il a accepté qu'elles soient sur la table et qu'on en discute.
 
Vous en parliez, il y a quelques instants, le dossier des retraites, vous souhaitez que l'emprunt serve à résorber le déficit des retraites...
 
En partie...
 
N. Sarkozy dit dans Le Nouvel Observateur qu'il ne veut pas laisser le système de retraites aller à la faillite : "Il ne faut pas prendre les gens pour des sots. Ils ont compris que vivre plus vieux imposera de travailler plus longtemps". Voilà ce que dit le chef de l'Etat. Etes-vous d'accord ?
 
Non, là-dessus, je le lui ai réaffirmé - ce n'était pas l'objet, hier, du débat -, mais d'abord, on travaille déjà plus longtemps. Je vous rappelle qu'en 2012, c'est 41 ans de durée de cotisations pour avoir droit à une retraite à taux plein.
 
Je rappelle le déficit de l'assurance vieillesse : 7,7 milliards d'euros !
 
Oui, mais attendez, et le déficit de l'Etat ? On ne s'écroule pas...
 
Alors, qu'est-ce qu'on fait ?
 
On a eu ce débat, déjà, il y a deux ans, avec le Gouvernement. On avait mis des propositions de caractère financier, en matière de fiscalité, en matière de cotisations, en changement d'assiette, qui n'ont pas été examinées. Donc on va revenir avec ça. Mais j'ai rappelé au président de la République également hier, sur l'idée de dire : on pourrait - le droit à la retraite est à 60 ans aujourd'hui - le décaler dans le temps, passer à 63, 64, pourquoi pas à 67 ans. Il y a un an, il a pris un engagement, il a dit dans une interview, qu'il n'avait pas de mandat pour repousser l'âge de la retraite au-delà de 60 ans...
 
Mais qu'est-ce qu'on fait pour résorber ce déficit ?
 
Quel est le problème...
 
Mais c'est la faillite, là ! Mais non, attendez, attendez ! Si les retraites étaient en faillite, ça veut dire que... Près de huit milliards d'euros de déficit...
 
Oui, mais une partie de l'accroissement du déficit, c'est vrai pour l'assurance maladie, c'est lié au défaut de recettes, une partie est liée au défaut de recettes, puisque quand vous avez un chômage qui augmente, quand vous avez des salaires qui n'augmentent pas assez et quand vous avez des sommes qui échappent aux cotisations, ça accroît le déficit. On peut très bien, par des taxations, par des modulations sur les cotisations, en fonction de la valeur ajoutée, par de nouvelles pistes...
 
Des taxations ? Qui, qui va être taxé ?
 
Dans les entreprises, vous pouvez taxer différemment les entreprises ; pourquoi on ne fait pas une taxation différente, par exemple entre les profits qui sont investis et réinvestis ? On avait fait un dossier complet. Nous, on avait trouvé douze milliards de recettes potentielles, possibles, il y a un an et demi, quand on avait eu le débat sur les retraites. Le Gouvernement, à l'époque, a balayé ça d'un revers de la main, parce qu'ils sont dans une logique qui est une logique de réduction de droits. Et ça, ce n'est pas acceptable. C'est une question de répartition de richesses. Quelle est l'origine première de notre crise, en France, comme ailleurs ? C'est une répartition de plus en plus inégalitaire des richesses. Tant qu'on ne s'attaquera pas à ce problème-là, à la limite, la sortie de crise sera encore pire que l'avant crise. Donc...
 
Donc pour résorber le déficit de l'assurance vieillesse, il faut taxer les riches ?
 
C'est simplifié. Il faut modifier...
 
Expliquez-moi !
 
Il y a une partie, oui, une partie, bien entendu. Moi, je n'accepte pas que les populations les plus aisées échappent à l'impôt aujourd'hui, c'est inacceptable. Je vois encore aujourd'hui dans la presse qu'on est encore en train de créer une niche fiscale. Attendez, le bouclier fiscal, ce n'est pas acceptable, imaginez que demain on doive augmenter les impôts, ceux qui sont au bouclier fiscal, eux, ne seront pas concernés, ils sont déjà à 50 %. Donc il y a une nécessité d'une vraie réforme fiscale dans notre pays. C'est une question de volonté et de répartition des richesses. C'est ça le débat de fond. Tant qu'on ne l'aura pas, alors, on va nous dire : voilà, il faut travailler plus longtemps. Et puis, à la limite, vous savez, c'est comme au XIXème siècle en Allemagne, quand on a créé le système de retraites, on a mis le système de retraites à partir du moment où on atteignait l'espérance de vie, c'est-à-dire que personne n'en bénéficierait. Quand vous discutez avec des salariés, exemple une assistante maternelle qui me disait, l'autre fois, "mais Jean-Claude, tu me vois à 67 ans m'occuper des gamins ? Mais je vais finir avec un déambulateur". On doit prendre en considération ce genre de choses.
 
La baisse de la TVA dans la restauration, de 19,6 à 5,5 %. Le PS dénonce une opération électoraliste pour s'attirer les faveurs de la restauration. Pour le PS, le Gouvernement se moque des consommateurs. Votre opinion ?
 
Je considère que ça fait deux milliards et demi de recettes en moins dans le budget de l'Etat et qu'on n'a aucune garantie, aucune, sur le fait que, ou il y aura baisse des prix ou il y aura des embauches ou il y aura négociation de salaires. Personne ne va pouvoir vérifier ça. Donc je considère que ce n'était pas opportun dans une situation budgétaire tendue, où on exige par ailleurs des sacrifices, etc., de dépenser deux milliards et demi, comme ça, gratuitement, d'une certaine manière.
 
Mais la concurrence va jouer, les consommateurs pourront choisir les restaurants qui jouent le jeu...
 
Il y a des restaurateurs qui vont baisser les prix, moi, j'ai des restaurateurs qui m'ont expliqué : "vous savez, ce n'est pas compliqué, je les ai montés un peu avant comme ça, je les descends maintenant..."
 
Vous qui défendez tout le temps le pouvoir d'achat !
 
Quand vous montez les prix avant pour pouvoir les baisser après, vous avez fait quoi ? Qui va pouvoir aller vérifier qu'il va y avoir une vraie baisse de prix, qui va aller vérifier l'engagement illusoire de la création de 40.000 emplois ? Qu'est-ce qui se passe sur la question des négociations de salaires dans ce secteur ? Là-dessus, c'est une opération, je ne dirais pas électoraliste, mais en tous les cas, c'est deux milliards et demi en moins dans le budget de l'Etat. Deux milliards et demi en moins ! Et on a besoin en ce moment de financement, y compris pour les questions sociales.
 
Le texte sur la mobilité des fonctionnaires est examiné aujourd'hui et demain à l'Assemblée nationale. Vous dites que ce texte remet en cause la stabilité de l'emploi et vise à réduire les effectifs ; pourquoi ?
 
Tout simplement, parce que, à quoi on assiste ? On va assister à un grand mouvement de restructurations dans la fonction publique. C'est ça l'objectif. Pour faire ce grand mouvement de restructurations, de redéploiements, de remises en cause, par certains endroits, du service public, il faut changer les règles s'agissant de l'emploi des fonctionnaires. Et vous arrivez, à terme, on va proposer trois postes à quelqu'un dont l'emploi est supprimé, s'il refuse, il sera mis en disponibilité, ça veut dire qu'il ne sera plus payé pendant une période de deux ans, et au bout de deux ans, il se passe quoi ? Eh bien, s'il ne se passe rien, il n'aura plus de boulot. Donc il faut...
 
Mais la mobilité, c'est important dans une carrière...
 
Mais la mobilité existe, mais elle existe dans la fonction publique ! Attendez, si c'était pour faire plaisir aux fonctionnaires, on ne restructure pas alors. Sauf que c'est la boîte à outils des restructurations, ce projet de loi, c'est la boîte à outils des restructurations. On va assister à un grand mouvement de restructurations, une forme de plan social dans la fonction publique, pour me faire comprendre, parce qu'on va supprimer des services, et ça, ce n'est pas acceptable. Il y a une contradiction, quand un président de la République dit : "je suis attaché au principe républicain", il a raison, mais s'il remet en cause le service public, il y a une contradiction.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du  Gouvernement,  le 2 juillet 2009