Article de M. Gérard Aschiéri, secrétaire général de la FSU, dans "Service public" de juin 2009, sur la fonction publique et l'emploi public, l'utilité, l'efficacité et la nécessité des services public et la notion de dépense publique.

Prononcé le 1er juin 2009

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Média : Service public

Texte intégral


Certains responsables politiques semblent ne reconnaître l'utilité des fonctionnaires que lorsqu'ils font grève, que ce soit pour déplorer leur absence préjudiciable à l'intérêt général ou pour les féliciter au nom des usagers de ne pas avoir fait grève.
La pauvreté affligeante de ce type de discours renvoie à la pauvreté de la pensée sur l'utilité et le sens des services publics et de leurs agents.
C'est à certains égards la même pauvreté que l'on retrouve dans le discours sur la crise : nombre d'économistes et de responsables de tous bords ne cessent de répéter que si les effets de la crise semblent moins dévastateurs en France que dans la plupart des autres pays, c'est que nous avons conservé des dispositifs sociaux qui contribuent à amortir ces effets en assurant une redistribution partielle des richesses produites et en garantissant l'intérêt général : protection sociale solidaire, retraites par répartition et bien sûr services publics. Pourtant, ce sont parfois les mêmes qui continuent à considérer les dépenses publiques et l'emploi public comme autant de charges insupportables. Les mêmes qui dénoncent les effets du libéralisme effréné, de l'appât du gain, de l'absence de régulation et qui prônent pour les fonctionnaires plus d'individualisation, de concurrence entre les individus, qui défendent la privatisation et l'introduction de logiques managériales inspirées du privé. Et tout en déplorant les « plans sociaux » qui frappent les salariés du privé, l'on continue à défendre mordicus le principe de la suppression de 30 000 emplois par an dans la fonction publique d'état.
Il me semble qu'il faudrait en finir avec l'aveuglement idéologique ou les fausses évidences, et mener enfin un vrai, débat autour de la fonction publique. Donnons-en quelques exemples. Certes, les emplois supprimés dans la fonction publique le sont à partir des départs en retraite et ne se traduisent pas par des licenciements. Mais en bout de chaîne, ce sont tout de même des jeunes en fin de formation qui vont se trouver sans débouché. À un moment où le chômage explose et où il touche particulièrement les jeunes, peut-on se permettre de l'ignorer ? L'État peut-il esquiver ses responsabilités en tant qu'employeur ?
Certes, l'emploi public a un coût et il va contribuer à accroître la dette, mais alors que les déficits s'accroissent partout au nom de l'investissement nécessaire pour faire face à la crise, comment ne pas envisager cette dépense aussi comme un investissement d'avenir ? N'aurait-on besoin que de béton et pas de matière grise ? Tous les personnels qui sont aujourd'hui confrontés à l'explosion de la souffrance sociale, de l'exclusion, des difficultés produites par la crise ont de plus en plus de mal à faire face. L'Éducation, la Recherche, la Santé ne peuvent aujourd'hui relever les défis de demain sans investissements dans l'humain. Comment ignorer ces réalités au nom d'une logique comptable ?
Certes, l'efficacité des services publics est une vraie question, le gaspillage de l'argent public n'est acceptable par personne et la qualité du service rendu aux usagers est un enjeu décisif.
Mais comment doit-on mesurer cette efficacité ? En fonction de critères strictement comptables ? En multipliant les indicateurs parcellaires ou en évaluant cette efficacité de façon globale à l'aune d'un ensemble de missions : défense de l'intérêt général et des libertés, lutte contre les inégalités, aménagement du territoire, contribution au développement durable ?
Certes, le travail des agents doit évoluer - et il le fait en permanence - mais cette évolution doit-elle passer par l'individualisation accrue, la négation des professionnalités, la pression, le stress ou par l'amélioration de la formation initiale et continue, l'élévation des qualifications, le développement du travail en équipe ? Vaut-il mieux pour défendre l'intérêt général développer la concurrence entre individus et services ou se donner les moyens de personnels solidaires, convaincus de leurs missions et qui tirent tous dans le même sens ?
Ces questions peuvent sembler purement rhétoriques tant la réponse paraît évidente. Et pourtant l'on a trop souvent l'impression qu'elles sont absentes du débat officiel.
C'est peut-être cela qui explique le décalage entre les politiques conduites et l'appréciation que portent les usagers et les personnels eux-mêmes sur ces politiques. Chacun sait par exemple que le choix de ne pas remplacer un départ sur deux à la retraite est celui qui rencontre le plus d'opposition depuis des mois dans toutes les enquêtes d'opinion. Inversement, à chaque fois que l'on interroge ces mêmes usagers sur la fonction publique, le taux de satisfaction est très largement majoritaire. Indéniablement la fonction publique française rencontre à la fois confiance et attente des usagers, et il y a fort à parier que la crise que nous connaissons ne fait que renforcer celles-ci. Est-ce le moment de jeter le trouble, de déstabiliser les personnels et les usagers par des réformes sans concertation qui rencontrent l'opposition des uns et des autres ?
La situation que nous connaissons impose selon moi de réfléchir ensemble à ce qu'apporte la fonction publique, à ce qu'elle doit apporter et à la façon de faire qu'elle l'apporte mieux. Nous devons en finir avec les dogmatismes et penser mieux la fonction publique. Et pour permettre cette réflexion un ensemble de moratoires s'impose. Moratoire sur les suppressions d'emploi bien sûr : il ne s'agit pas de dire que tout doit rester en l'état mais d'arrêter la logique comptable pour ensuite engager un vrai débat sur les réponses aux besoins.
Moratoire sur les redéploiements et les restructurations conduites à la hâte qui déstabilisent services et agents. Moratoire aussi sur les projets en cours : à la date où ces lignes sont écrites, la loi sur la mobilité n'est pas encore votée ; elle est fortement contestée ; la procédure doit être suspendue. Là encore, il s'agit de permettre de rediscuter et de conduire un vrai débat. Car en dépit de la Commission Silicani celui-ci n'a pas vraiment eu lieu.
Faire de tels choix serait une expression de sagesse : d'une part ce serait consolider l'existant dans une période où chacun a besoin de repères, de stabilité, de régulation et de solidarité ; d'autre part ce serait redonner aux personnels ce regain de confiance indispensable à l'efficacité et à l'intérêt général.
Source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 20 juillet 2009