Interview de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, à "Itélé" le 25 août 2009, sur la question des bonus bancaires, les prévisions de déficit public pour l'année et la retraite des mères de familles.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Itélé

Texte intégral

L. Bazin.- Notre invité politique ce matin, c'est E. Woerth, ministre des Comptes publics et de la Fonction publique. Ce n'est pas un interrogatoire mais c'est bien un entretien. Nous avons ce matin un certain nombre de sujets sur la table. Vous avez, vous, un gros morceau et on va en parler, c'est ce que j'appelais tout à l'heure la quadrature du cercle budgétaire avec les déficits. C'est compliqué. Il y a d'abord un dossier cet après-midi à l'Elysée, après le Conseil des ministres de rentrée auquel vous participerez tout à l'heure, c'est celui des bonus des banques. Est-ce que oui ou non, on peut interdire les bonus ? Est-ce que vous par exemple vous êtes favorable à défaut de les interdire, à une limitation ou à une sur taxation ?

En tous cas il est certain que c'est un sujet qui préoccupe les Français. Cela crée un sentiment d'injustice très fort. Donc le président s'est attaché à essayer de résoudre cette question dès le sommet de Londres, parce que c'est une question internationale. Il y a des banques partout. Il y a des traders partout. Il y a des marchés financiers partout. Et donc il y a des bonus ou des rémunérations variables un peu partout. Cela va fonctionner. Le principe même de la réunion de rentrée immédiate des traders avec le président de la République, c'est de faire le point avec les banques sur où elles en sont, sur ce qu'elles font, sur la manière de respecter les règles qui ont été dictées à Londres. Et ces règles doivent être respectées en France mais doivent être respectées en Allemagne, en Italie, aux Etats-Unis, partout dans le monde. Car si elles ne sont pas respectées partout, alors évidemment, il se créera à la fois le sentiment qu'on n'a pas tenu compte de la crise et des raisons de la crise et puis ça entretiendra un sentiment d'injustice majeur. Donc, il faut faire quelque chose là-dessus pour qu'il y ait de la transparence.

On reste dans le cadre qui a été fixé ou est-ce que vous êtes favorable à l'idée d'aller plus loin comme les Néerlandais par exemple envisagent une sur taxation des bonus des traders ?

Non, je ne vais pas donner une opinion à quelques heures de cette réunion avec les patrons des banques. Et ce sera au président de la République et aux banquiers de dire les conclusions qu'ils tireront de cette réunion. Mais cette réunion est majeure parce qu'elle va faire le point sur les règles qui ont été fixées à Londres avant Pittsburgh. Il faut absolument que l'ensemble de la communauté financière internationale, que toutes les banques internationales ayant pignon sur rue régulent des rémunérations variables qui sont souvent indécentes, incompréhensibles pour les uns et pour les autres. Cela ne veut pas dire qu'il faut mettre fin aux activités de marché, cela ne veut pas dire qu'il faut dépeupler les salles de marché françaises pour aller repeupler les salles de marché anglaises, parce qu'il y a aussi de la compétition dans ce domaine-là, mais cela veut dire qu'il ne peut pas y avoir comme ça de bonus tout à fait inexpliqués, inexplicables et injustes. Donc le président de la République, je pense, va mettre les choses au point.

On va attendre ça. Il n'y a donc pas d'impuissance de votre point de vue ?

Il n'y a aucune impuissance politique là-dessus.

C'est intéressant parfois de bricoler à l'intérieur des frontières ? C. Lagarde disait cet été, que ça ne sert à rien.

Je pense qu'on a un devoir d'exemplarité. La France ne peut pas être aux avant-postes des réunions du G20 par exemple sur les conséquences à tirer de la crise et puis chez elle ou chez nous considérer qu'il faut attendre les autres. Donc, on doit être aux avant- postes. Aux avant-postes, cela veut dire qu'il ne faut pas être naïf ou il ne faut pas totalement se désarmer par rapport aux autres, mais il faut être exemplaire, dans ce domaine comme dans d'autres.

Les banquiers ne l'ont pas été, donc ?

Mais à eux de répondre. Je ne vais pas stigmatiser tel ou tel banquier. Cette réunion est là justement pour qu'ils s'expliquent en présence du président de la République. Pour une fois qu'il y a un responsable politique mondial qui essaie d'être exemplaire dans ce domaine, de tirer toutes les conséquences de la crise, on peut tirer le coup de chapeau à N. Sarkozy, sur ce sujet comme sur bien d'autres.

Vous avez un certain nombre de dossiers et aussi un certain nombre de promesses faites par le président. Vous êtes aussi au pied d'un mur qui est un déficit budgétaire abyssal, 130 ou 150 milliards finalement à la fin de l'année ?

Le déficit budgétaire, il sera autour de 130 milliards d'euros bien sûr. Le déficit budgétaire de l'Etat.

Pas plus ?

Non il n'y a pas de raison de considérer que ce sera plus. Je m'exprimerai devant les parlementaires à la rentrée, nous verrons tout cela. Mais ce déficit budgétaire est évidemment extrêmement important. Je voudrais rappeler une chose, c'est que ce déficit budgétaire est du au manque de recettes. Il n'est pas du à un dérapage des dépenses. C'est très important. C'est complètement différent. Les dépenses, elles, sont tenues. Elles sont maîtrisées comme jamais elles n'ont été maîtrisées. Il n'y a pas d'augmentation des dépenses de l'Etat, sauf dans un certain nombre de domaines qui sont considérés comme prioritaires, l'enseignement supérieur, la recherche etc. Il n'y a pas d'augmentation des dépenses de l'Etat. Donc il y a bien une chute des recettes considérable qui est due à la crise. Et en même temps il y a une augmentation d'un certain nombre de dépenses de relance pour relancer l'économie. Et ça marche ! La preuve, c'est que ce que nous faisons aujourd'hui fonctionne. La consommation se tient bien. Elle se tient mieux en France que dans la plupart des autres pays. Les chiffres du deuxième trimestre de croissance ont montré qu'avec l'Allemagne et avec le Japon, on est un pays aujourd'hui qui a renoué durant ce trimestre-la avec la croissance. Nous verrons, il faut être très prudent, mais nous verrons par la suite. On voit que les exportations tiennent, que la prime à la casse fonctionne, que le plan de relance est aujourd'hui en train d'être accompli. P. Devedjian récemment donnait un certain nombre de chiffres qui montraient que les investissements se font. Bref, la politique de relance, elle fonctionne. Evidemment, elle a un coût. On a substitué de la dépense publique à de la dépense privée.

Elle a un coût, on l'assume, on ne fera pas d'économies supplémentaires ?

On l'assume totalement.

On ne relance pas l'impôt ? Ce que font d'autres grandes démocraties, grands pays autour de nous.

Comment on résout ces problèmes de déficit ?

Parce que c'est une promesse de N. Sarkozy de ne pas les augmenter, c'est un tabou ?

On n'augmentera pas les impôts parce que la France est déjà un pays très imposé, voire surimposé. La France aujourd'hui est l'un des pays les plus imposés au monde. Donc, la réponse au fond à un problème de déficit, ce n'est pas de continuer à imposer. Car plus on impose à un certain moment, moins on crée de la croissance et plus au fond on crée de problèmes. Donc la vraie solution, c'est bien de stimuler la croissance, c'est bien de faire en sorte que l'économie, elle, redémarre. Et c'est bien par les réformes structurelles. Moi, je pense à des réformes de nature extrêmement différentes qui ne sont pas nécessairement économiques. Quand on va réformer les collectivités territoriales, l'organisation du pays sur le plan des collectivités locales, voilà un dossier de rentrée extrêmement important et chaud ; on est dans un sujet de réforme structurelle majeure. C'est vrai également par exemple pour les retraites, pour citer un deuxième dossier extraordinairement chaud dont X. Darcos et moi-même pour les fonctionnaires, nous occupons.

Avant d'aller dans le détail sans doute au long de l'année de ce dossier retraite, une question puisque vous amenez le sujet, la retraite des femmes qui ont eu des enfants sera amputée ou pas ?

Vous savez qu'il y a des décisions de justice qui ont été données disant qu'il faut une égalité homme/femme et qu'au fond, les avantages qu'avaient les femmes dans le domaine de la retraite, quand on a des enfants, on a des majorations de durée de cotisation, il faut mettre les hommes et les femmes au même niveau. Evidemment il faut respecter ces décisions. L'égalité homme/femme c'est très important.

On n'est pas au même niveau de salaire tout au long de la vie, mais on est au même niveau face à la retraite ?

Je trouve aussi que... bon cela dit, ce sont des décisions de justice donc il faut pouvoir les appliquer. Donc, on est en train d'y réfléchir. X. Darcos va faire des propositions. Au fond, nous l'avons fait déjà pour les fonctionnaires. Les fonctionnaires, les femmes, enfin les fonctionnaires qui ont des enfants ont des majorations de durée de cotisation lorsqu'elles s'arrêtent de travailler pour élever leurs enfants ou une femme qui accouche a deux trimestres de majoration au moment où elle accouche. Donc comme l'homme, a priori, n'accouche pas, ça veut bien dire que là il n'y a pas de rupture d'égalité.

Vous ne dites pas "on ne touchera à rien", mais vous dites "on va faire attention" ?

On va adapter des choses. Je pense qu'il faut quand même tenir aussi compte du statut particulier, par principe, de la femme dans le domaine de la naissance.

Deux minutes, deux grands sujets. Ça ne va pas être facile, on va essayer quand même. La taxe carbone, oui ou non, sera-t-elle dans la loi de finance 2010 ?

Oui, elle sera dans la loi de finance 2010 parce que la taxe carbone, c'est un impôt intelligent. C'est changer notre fiscalité. On change le mode de fiscalité. Cela veut dire qu'on impose, la matière imposable c'est souvent le travail ; donc c'est un peu stupide au fond puisqu'on veut le privilégier. Donc, pourquoi chercher à l'imposer donc à affaiblir finalement la quantité de travail ? Donc il faut trouver d'autres assiettes d'impôt et la pollution, c'est une bonne assiette d'impôt. Quand vous rejetez, quand vous créez des gaz à effet de serre, quand vous contribuez au réchauffement climatique de la planète, ce n'est pas bon. Donc c'est normal...

Les Français sont écolos, on l'a vu aux européennes, et en même temps ils ont fait le calcul cet été. Je me chauffe au gaz, j'ai deux voitures, ça va me coûter 150, 200, 300 euros si j'habite en province notamment.

Je pense que les Français, ils sont aussi absolument responsables. On ne peut pas vouloir à la fois une planète plus propre et en même temps, ne pas ne pas agir pour ça. Donc nous devrons installer une taxation des rejets de carbone.

Combien ?

Nous verrons. Vous savez que M. Rocard donne un chiffre. Moi, j'ai indiqué que je trouvais que ce chiffre était trop important.

Oui, 32 euros.

32 euros, ça veut dire la tonne de carbone rejetée. C'est trop important. Donc, j'imagine que le chiffre sera inférieur. Le Président et le Premier ministre trancheront. Mais c'est un sujet extraordinairement important au sens aussi où nous allons faire en sorte que cette consommation qui va s'orienter vers une consommation plus propre, d'énergies plus propres ; évidemment, nous rendrons notamment aux ménages une partie...

Une partie ?

Oui, une partie. Tout ou partie.

J.-L. Borloo dit tout.

Tout ou partie de ce qui est prélevé.

Ce n'est pas arbitré, donc ?

Les arbitrages viendront très vite pour laisser aussi à celles et ceux qui sont touchés, la possibilité de se convertir, de changer leur mode de consommation.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 27 août 2009