Interview de M. Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA, à Europe 1 le 4 août 2009, sur le remboursement des aides versées par la France entre 1992 et 2002 aux agriculteurs et la responsabilité des gouvernements successifs dans les aides à l'agriculture.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1

Texte intégral

 
 
 
 
 
A. Caron.- Les producteurs de fruits et légumes français ont désormais une ardoise auprès de l'Etat pour satisfaire aux règles de Bruxelles, ils doivent rembourser à peu près 500 millions d'euros, une somme qui correspond à des aides qu'ils ont reçues de l'Etat entre 1992 et 2002, sous diverses formes et que Bruxelles juge illégales. Votre position, ce matin, c'est que les producteurs qui ont touché ces aides ne doivent pas rembourser ?
 
Absolument. Je vois mal d'abord comment ils pourraient rembourser mais d'abord parce que tout simplement, ces aides qui avaient été mises en place pendant cette période ont servi à organiser le marché et à éviter bien des désastres dans des productions dont on sait la difficulté, parce qu'elles sont encore plus dépendantes que d'autres du climat, de la consommation, puisque c'est d'abord nos fruits et légumes de saison, et on voit ce qui se passe cette année en 2009 encore sur le marché. Et donc, la règle générale, c'était la mise en place de plan de campagne. Alors ça peut paraître un peu compliqué, mais c'était une manière de soutenir et de réguler notre marché au niveau français. Et c'est ça qui est contesté. Et ce qui me choque, c'est que si ces aides donc une partie d'ailleurs, puisqu'on parle de 500.000 millions, je me permets cette parenthèse, en fait...
 
En fait, c'est 338 millions d'aides plus les intérêts qui sont réclamés...
 
Voilà. Il faut expliquer aux auditeurs que la Commission européenne, l'Union européenne a l'habitude de forcer le trait avec des intérêts sur la dette. C'est ce qui fait qu'aujourd'hui, on parle de 500.000 millions. Mais ces plans de campagne avaient pour but de réguler le marché. Et ce qui est choquant, qui choque tous les producteurs, c'est au lieu de parler de régulation de marché, encore en ce moment, sur des marchés en crise, on est en train de vouloir sacrifier de nombreux producteurs sur ce qui avait permis, justement, de réguler ce marché.
 
D'après ce que vous dites, ces plans de campagne, pour vous, c'est plus de l'aide d'urgence que de réelles subventions ?
 
Oui, parce que ça n'allait pas directement aux producteurs. D'ailleurs, les producteurs, ils participaient eux-mêmes dans le cadre des comités économiques des comités de bassin, dans chaque région de production française. Et donc, cela permettait d'éviter des prix dits d'ailleurs anormalement bas et de réguler un peu l'offre et de faire en sorte que les producteurs puissent avoir un minimum de revenus. Donc je ne vois pas où est l'aspect de distorsion de concurrence que nous fait valoir la Commission européenne.
 
Qu'est-ce que vous pouvez nous dire que la nature exacte de ces aides, mais concrètement, c'est combien par agriculteurs ? C'était très variable ?
 
Je ne peux pas répondre à cette question, parce que l'enveloppe était définie par bassin, selon les volumes de production, selon que dans ma région par exemple, en Bretagne, une enveloppe concernait par exemple la production de choux-fleurs, la pomme de terre ; dans d'autres régions, cela va être la production de tomates ou de melons ou la pèche nectarine, crise dont on parle aussi cette année. Donc c'était aussi selon les bassins de production et à charge dans chacun des comités économiques à répartir, dans le cadre de la gestion du marché, au niveau de la période de production. Je ne peux pas répondre au titre individuel...
 
C'est très variable donc...
 
D'ailleurs, individuellement, les producteurs ne l'ont pas reçue en tant que tel. C'est au niveau de la gestion globale du marché que c'est géré. Ce que je voudrais dire, si je peux me permettre, c'est que quand je vois la Commission qui s'attaque à ces distorsions de concurrence, d'ailleurs, si cela avait été autant distendu, cela se saurait, parce que cela veut dire que les producteurs de fruits et légumes en France auraient une situation de tout premier rang en Europe. Et ce qui est choquant, c'est que quand on parle d'harmoniser un peu les réglementations au niveau européen, on n'entend jamais parlé des aspects sociaux du coût du travail. En France, le coût du travail - je ne parle pas des salaires, je parle du coût du travail - est à plus de 11 euros pour le travail non qualifié quand il est à, à peine plus de 8 euros en Espagne. Donc on parle de tout ce qui tourne autour des produits phytosanitaires, même chose, il n'y a pas de volonté d'harmoniser les réglementations. Moi, j'aimerai bien que l'Europe s'attaque à cela.
 
Est-ce qu'au moment où ces aides ont été versées selon vous, la Commission européenne était au courant de la nature et du montant de ces aides ?
 
C'est ce qui semble être remis en cause, c'est que le Gouvernement français n'aurait pas fait savoir exactement les modalités d'utilisation des enveloppes qui étaient par ailleurs (inaud.).
 
A votre connaissance, la Commission européenne n'était pas au courant ?
 
Selon nos informations, elle n'était pas au courant de la manière dont étaient totalement réparties ces aides. Ce qui veut dire une responsabilité effectivement du Gouvernement français.
 
Vous avez évidemment discuté avec des agriculteurs, ces dernières heures : est-ce que vous savez à peu près de combien - même si vous l'avez dit, on l'a bien compris, c'est très variable - est la fourchette de remboursement pour la plupart de ceux avec lesquels vous avez discuté ?
 
Je ne veux même pas répondre à cette question. Je pense que le Gouvernement français devra assumer ses propres responsabilités...
 
Mais on a quand même envie d'avoir un ordre d'idée. Est-ce que c'est 5.000 euros, 10.000 euros, 30.000 euros ?
 
Cela peut être, selon la dimension, la taille de l'exploitation et selon qu'on est en fruit ou en légume, parce que les tailles des exploitations sont variables là aussi, cela peut être quelques milliers d'euros ou plusieurs dizaines de milliers d'euros. Donc on est dans une situation où la conjoncture est extrêmement défavorable...
 
Et si cette conjoncture s'améliorait, est-ce que, dans ce cas-là, vous seriez prêt à reconsidérer les éléments ?
 
Non, à ce stade, certainement pas parce que l'urgence, c'est d'abord de gérer la crise, les crises parce que ce n'est pas une crise, c'est la pèche-nectarine, c'est le melon, ce sont bien d'autres productions. Malheureusement, on traverse une très mauvaise campagne 2009. L'urgence ce n'est pas de rembourser les aides, c'est de voir comment on va aider les producteurs pour qu'ils ne soient pas en faillite.
 
Justement, est-ce que selon vous, B. Le Maire...
 
A. Caron, est-ce que vous pensez que le Gouvernement français se sentirait capable d'exiger la moindre somme à des producteurs qui, immédiatement, le lendemain, déposeraient le bilan ? Ce n'est pas imaginable ! Le ministre va recevoir tout à l'heure les représentants de nos filières...
 
C'est ce qu'il vous a déjà dit, le ministre ou c'est vous qui imaginez ce que va dire le ministre ?
 
J'ai dit d'ores et déjà au ministre B. Le Maire qu'il vaut mieux qu'il n'imagine pas un seul instant faire rembourser les aides tant qu'il n'aura, en tout cas, pas dit comment il va gérer la crise dans laquelle nous sommes, comment il va gérer d'autres distorsions de concurrence.
 
Est-ce que selon vous B. Le Maire, le ministre de l'Agriculture, a commis une erreur en annonçant que les agriculteurs allaient devoir rembourser ces aides ? En l'annonçant de cette manière-là en tout cas...
 
En tout cas, tel que ça a été dit, c'est apparu comme une véritable provocation aux producteurs. Regardez leurs réactions depuis hier matin. Et c'est bien normal, parce que le ministre est allé sur le terrain lundi dernier, dans le Vaucluse, où il a rencontré les producteurs de fruits et légumes ; personne n'a entendu dans la bouche du ministre qu'il allait, une semaine plus tard, exiger le remboursement de 500 millions. Qu'ils trouvent sur la table en arrivant au ministère ce dossier, ça ne surprend personne, parce qu'effectivement, ce dossier, on en entend parler depuis le début de l'année 2009. Un recours, d'ailleurs, auprès de la Cour de justice européenne a été déposé par M. Barnier. Donc attendons déjà les résultats de ce recours auprès de la Cour de Justice européenne avant de savoir combien devra éventuellement rembourser le Gouvernement français. Le Gouvernement français, après, discutera avec les professionnels. Je pense qu'il faut prendre les choses dans l'ordre. Le ministre a fait dans la précipitation.
 
Vous l'avez pris quand exactement, que les agriculteurs allaient devoir rembourser ? Hier dans la presse, ou bien vous avez été averti quand même un petit peu avant ? Parce que ça fait des mois que l'affaire court entre Paris et Bruxelles...
 
L'instance européenne, nous le savons depuis le début de cette année. Mais j'ai appris comme tout le monde hier matin, y compris d'ailleurs par une de vos collègues journaliste à Europe 1, qu'il y avait dans la presse hier matin une exigence du ministre.
 
On sait que les agriculteurs savent se faire entendre. Dans le cas précis, quelle stratégie allez-vous adopter : la négociation ou l'action coup de poing ?
 
Il faut d'abord négocier, il faut d'abord discuter. La rencontre de ce matin avec le ministre, il y avait un sujet à l'ordre du jour : c'était la crise. Il y en a deux : il y a la crise et, effectivement, la manière dont le Gouvernement français entend procéder auprès des instances européennes. Je suis pour le dialogue, je ne pense pas que le ministre ait imaginé un seul instant, en annonçant que finalement il allait se mettre, j'allais dire en ordre avec les autorités européennes, qu'il allait réclamer le lendemain matin un tant d'enveloppes auprès des producteurs. Je pense qu'il... enfin, il sait très bien qu'on commence par dialoguer avec les producteurs, j'espère que c'est ce qu'il a l'intention de faire.
 
Donc, pour l'instant, aucun blocage de prévu sur les routes, ou ce genre de choses ?
 
Non, mais c'est vrai que je préviens d'ores et déjà le Gouvernement que s'il venait à décider, à exiger le remboursement de tout ou partie de cette enveloppe due - à condition qu'elle soit réellement due - à Bruxelles, je pense qu'effectivement les producteurs de fruits et légumes, et d'autres d'ailleurs seraient solidaires, pour se mobiliser.
 
Aujourd'hui, justement, il y a une espèce d'unanimité dans le monde politique pour dénoncer ces remboursements ; ça va du PS à J. Bové en passant par D. Cohn-Bendit, qui ne sont pas forcément des alliés naturels pour la FNSEA. Vous seriez prêts à un rapprochement sur ce dossier pour des actions communes ?
 
Attendez ! Je pense que l'ensemble des partis politiques ne peuvent qu'être solidaires, puisqu'ils ont, les uns ou les autres, gouverné pendant cette période de 1992 à 2002.
 
Pas J. Bové.
 
Donc, entre 1992 et 1995, c'était, me semble-t-il, un ministre socialiste. Donc, je pense que tout le monde ne peut être que solidaire avec les producteurs de fruits et légumes. Et puis, s'ils étaient en bonne santé, cela se saurait. Je pense que c'est même une question de solidarité nationale.
 
Cette affaire intervient aussi alors que les débats ont commencé autour de la nouvelle PAC qui est censée entrer en vigueur en 2013. Pour l'instant, on a le sentiment d'un système assez inégalitaire. On cite souvent ce chiffre : 80 % des aides de la PAC qui vont à 20 % des agriculteurs. Est-ce que, selon vous, il faudrait vraiment réserver les subventions aux plus modestes ?
 
Non, je pense qu'on ne peut pas raisonner comme cela. Ce 80-20 n'est plus la réalité, vous savez que les choses ont déjà beaucoup changé et les producteurs d'ailleurs de fruits et légumes ne sont pas dans le système d'aides directes dont on a beaucoup parlé d'ailleurs au début de cette année 2009. Vous savez qu'on parle, on a parlé beaucoup du bilan de santé de la Politique agricole commune, que l'on parle de l'avenir de l'après 2013. Ce que nous voudrions pour les producteurs de fruits et légumes comme d'ailleurs tous les autres secteurs, c'est que la politique agricole ait la volonté de remettre une forte dose de régulation des marchés, parce que ce qui devient insupportable au-delà des aides directes, au-delà des aides aux producteurs, c'est qu'on assiste désormais dans tous les secteurs de production à une très forte volatilité des prix. Vous avez des prix qui peuvent monter de 50 % un jour et baisser de tout autant le lendemain, et cela ce n'est pas supportable, d'ailleurs ni pour les producteurs ni pour les consommateurs. J'espère qu'il y a une dose de raison, que la raison va revenir dans les instances européennes pour que la régulation soit le maître mot de la politique agricole.
 
On se souvient du bras de fer qui a opposé il y a un mois les agriculteurs et la grande distribution, qui est accusée de pratiquer des marges excessives. Vous êtes arrivés à un compromis, à un accord : des promesses, des réunions mais concrètement, est-ce que la situation a changé depuis juin, pour les agriculteurs ?
Pour l'instant, ce qui a changé et ça aurait dû être fait avant, c'est que l'Observatoire des prix et des marges fonctionne avec une analyse secteur par secteur. Il y avait d'ailleurs le semaine dernière les travaux concernant le secteur des produits laitiers. Et concernant les fruits et légumes, là aussi, les choses doivent être mises à plat. D'ailleurs, je crois savoir que les représentants de la grande distribution seront autour de la table aujourd'hui chez le ministre, parce que lorsque les prix sont bas chez les producteurs, comme c'est le cas actuellement, eh bien on a besoin de vérifier que les consommateurs ne paient pas trop chers leurs fruits et légumes. Donc, les choses doivent bouger. Là, le maître mot c'est la transparence.
 
Merci beaucoup, J.-M. Lemétayer d'avoir été avec nous sur Europe 1 ce matin.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du 4 août 2009