Interview de M. Christian Estrosi, ministre de l'industrie, à "Radio Classique" le 25 juillet 2009, sur la situation de l'entreprise Molex à Villemur-sur-Tarn, dont la fermeture par ses dirigeants est jugée illégale par une décision de justice.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

N. Pierron.- Bonjour C. Estrosi. Ministre de l'Industrie. Vous allez recevoir à midi, à Bercy, deux dirigeants de Molex, équipementier automobile américain bien connu, qui a décidé de fermer son usine de Villemur-sur-Tarn fin octobre 2009. Qu'allez vous dire à ces deux dirigeants de Molex ?

Je crois d'abord qu'il ne serait pas correct que je vous livre notre échange avant même que je les reçoive, et cela mettrait en péril un dialogue social bien difficile et bien fragile. Mais en tout état de cause, si en juillet, je vous avais affirmé que fin août, ce dialogue serait bien présent au mois d'août, à cette fin de vacances, à la fois, d'un côté, avec les dirigeants de Molex, que je reçois aujourd'hui, et les salariés que je reçois demain, je pense que peu auraient parié sur cette opportunité.

C'est-à-dire qu'il n'y a pas encore de dialogue directement entre les dirigeants et les salariés pour l'instant.

Non, et justement, ce à quoi je vais d'abord m'employer, c'est à une reprise de ce dialogue entre les dirigeants et les salariés, et des salariés qui veulent reprendre leur activité à tout prix, qui se montrent extrêmement responsables, et des dirigeants, d'un autre côté, qui avaient fait part de leur décision de cesser leur activité à fin octobre, là où j'ai à faire entendre que Molex a un véritable avenir. En tout cas, l'activité d'équipementier automobile, conduite par Molex à Villemur-sur-Tarn, a un véritable avenir, que ce soit sous sa forme actuelle ou sous une forme de diversification, tournée notamment vers l'aéronautique du côté de Toulouse, vers la robotique, etc., et que mon devoir est de tout faire pour sauver une activité industrielle qui, en [terme de] territoire, représente aussi une attractivité importante.

Alors pour rappel, l'usine est toujours fermée, malgré une décision de justice considérant comme illégale cette fermeture par la direction américaine. Est-ce que vous trouvez cela normal ?

Eh bien, une décision de justice doit s'appliquer pour chacun, et si les dirigeants de Molex, aujourd'hui, n'ont pas permis la reprise de l'activité, conformément à la décision de justice, en s'appuyant sur le manque de dialogue entre les salariés et eux-mêmes, il est de mon devoir, comme de son côté, le médiateur que nous avons désigné, s'y emploie, à renouer au plus vite ce dialogue pour la reprise de cette activité.

Donc, les syndicats qui vous demandent de faire appliquer tout simplement la loi vont être entendus. Vous allez faire la demande auprès des dirigeants de Molex de rouvrir l'usine ?

Moi, je vais demander effectivement aux dirigeants de Molex que, toute ou partie de l'activité puisse être reprise, et que ce sera forcément une des conditions qui favorisera ce dialogue, pour que nous arrivions à une décision constructive pour l'avenir de l'activité industrielle à Villemur, en même temps que nous pourrons trouver une solution, qui aille à la fois dans l'intérêt, ou en tout cas, je ne sais pas si c'est leur intérêt et s'ils l'ont bien apprécié, dans les souhaits de la direction de Molex, qui est une direction américaine, je vous le rappelle, qui n'est pas fondée sur les mêmes règles que les nôtres en France, et qui ne perçoit pas toujours...

Vous pensez qu'ils ne comprennent pas vraiment comment ça se passe en France ?

En tout cas, mon devoir est de leur faire mesurer pleinement qu'en France, il y a un mode de relations sociales, et il y a une relation aussi avec le gouvernement qui est lui-même actionnaire par exemple d'un grand constructeur automobile, comme Renault, que PSA et Renault sont des acheteurs potentiels chez Molex...

PSA représente 60% du chiffre d'affaires de l'usine Molex de Villemur-sur-Tarn, mais...

Oui, entre 54 et 60...

Est-ce que PSA a soutenu l'activité, d'une part, et est-ce que vous en avez parlé avec eux de la poursuite d'activité ?

Je m'en suis entretenu avec le directeur général de PSA, monsieur Varin, effectivement...

Que vous a-t-il dit ?

Eh bien, je n'ai pas à faire part de conversations qui ont pour seul objectif de trouver une issue favorable à la situation de Molex, et un comportement des salariés dont je veux souligner qu'il est extrêmement responsable. On parle partout en France de course à la prime, et nous avons ici le cas d'une entreprise où les salariés se battent, non pas pour une prime, mais pour le maintien de leur activité. Et moi, permettez-moi de vous dire, que je ne suis pas le ministre de la Prime, mais je suis le ministre en charge de l'Industrie. Et le président de la République m'a confié [la tâche] de défendre l'outil industriel français, l'innovation et la recherche et le développement, qui pourront nous permettre de faire de l'industrie française et du savoir-faire de ses ouvriers, un accélérateur de sortie de crise. Et, dans cette période précisément, j'ai à permettre à un certain nombre d'entreprises en difficulté de la traverser tout en investissant sur les enjeux stratégiques de demain, pour permettre à la France d'être, grâce à ses fleurons industriels, un pays innovant à la sortie de crise.

J'ai lu ce matin, dans Les Echos que l'Etat a trouvé un repreneur pour une partie de l'activité de Molex. On parle de la fourniture de connecteurs électriques, qui était auparavant fournie à PSA. Est-ce que c'est vrai et comment ça va se passer pour en parler avec les dirigeants justement de Molex, de ce fameux repreneur ?

Mais c'est bien ce que je vous expliquais tout à l'heure, il y a une possibilité de diversification des activités de Molex, que ce soit dans le domaine de la connectique, que ce soit dans le domaine de l'aéronautique, où nous avons aussi des approches importantes, notamment avec les sites de Toulouse, que ce soit dans le domaine de la robotique, il y a un outil industriel qui peut se voir diversifier, non seulement, pour préserver l'emploi salarié actuel, mais en même temps peut-être, demain, pour amplifier la capacité de cette industrie à créer de nouveaux emplois et offrir de nouvelles orientations. Voilà pourquoi nous devons soutenir ce combat, et faire mesurer aux dirigeants de Molex que, sans pour autant remettre en cause la stratégie de leur groupe, il peut y avoir un point d'entente.

Ma question, c'était plus précisément, C. Estrosi, est-ce qu'il y a aujourd'hui un repreneur déclaré pour tout ou partie de l'activité de Molex à Villemur-sur-Tarn ?

Peut-être pas pour toute l'activité, mais pour une partie de l'activité actuelle, et en même temps, un positionnement sur une diversification d'activités nouvelles, qui pourrait se faire à partir de cet outil industriel.

Oui, alors puisqu'on est dans le secteur, il y a un autre équipementier, le groupe Treves, qui a décidé de fermer son usine, qui est près d'Epernay, alors qu'il a reçu environ 55 millions d'euros du fameux Fonds de modernisation des équipementiers automobiles, qui avait été mis en place à l'automne dernier. C'est un dossier que vous suivez également ?

Bien sûr que je suis ce dossier, comme tout dossier, comme d'ailleurs, les salariés et les élus se battent pour le maintien de leur usine, c'est normal, et je le comprends. ...

Est-ce qu'il y a une action illégale, là, de la part de la direction du groupe Treves ?

Alors, il y a eu une plainte qui a été considérée comme recevable par le Parquet de Paris, et donc il ne m'appartient pas de commenter cette décision, ni d'intervenir dans la procédure. Mais il y a des choses que je ne peux pas laisser dire et écrire en matière de contre vérités. Il est faux par exemple de dire que les fonds apportés par le Fonds de modernisation aux équipementiers automobiles sont destinés à financer le départ des salariés, puisque ce sont des fonds qui sont intervenus en capital ; je vous rappelle qu'il y a 2.000 salariés au groupe Treves, et que dans l'accord qui est intervenu entre le FMEA et le groupe Treves, et les salariés qui ont participé d'ailleurs au tour de table, il s'agissait de préserver un grand groupe à l'échelon national avec des ramifications au plan international.

Oui, et les salariés se sentent trahis bien évidemment après cette aide et les annonces qui ont été faites ensuite.

Non, puisque, écoutez, il y a peut-être un site qui faisait partie de la conversation, et dont nous savons qu'il avait peu d'avenir, puisque c'est les clients du site d'Aÿ, qui sont des confectionneurs de sièges automobiles, et qui sont à 98% implantés en Europe du Sud et de l'Est ou au Maghreb et que ces clients achètent localement leurs tissus à un prix qui défie toute concurrence. Et nous savions, lorsque la négociation a eu lieu pour l'intervention du Fonds de modernisation, en capital encore une fois, que c'était pour soutenir les enjeux stratégiques du groupe et pas forcément cette activité-là. Alors, il appartient, puisque le Parquet a jugé cette plainte recevable, de se prononcer, à mon ministère de tenir à la disposition du Parquet tous les éléments d'information nécessaires sur la négociation qui a eu lieu. Mais il faut savoir que le groupe Treves a aujourd'hui un avenir, qu'il y a aujourd'hui près de 2.000 emplois salariés qui ont été préservés grâce à cette négociation, et que cela fait partie de toute restructuration qui, en cette période de crise, garantit à la fois un avenir, permet de moderniser un outil de travail, tout en recentrant des activités sur les véritables enjeux stratégiques, en laissant un peu de côté les activités qui n'ont aucun avenir potentiel par rapport à une concurrence internationale.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 27 août 2009