Texte intégral
Q - Bernard Kouchner, bonsoir. Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation. Des soldats meurent, des civils meurent aussi, on l'a vu encore avec le tragique attentat de Kaboul hier matin, les élections, on l'a dit, sont menacées. Ne sommes-nous pas en train de perdre cette guerre ?
R - Non, le fait même qu'il y ait des élections est un succès. C'est d'ailleurs pourquoi les Taliban accentuent leur pression terroriste, et lorsque l'on est ennemi de la démocratie, on ne veut pas d'élections. Il y a plus de 7 000 bureaux de vote, et la menace contre les bureaux de vote fait donc partie de leur stratégie. Oui, c'est une guerre difficile. Oui, les soldats de la coalition sont courageux. Oui, il en meure beaucoup trop, mais il faut un avenir pour ce pays parce que nous nous protégeons nous-mêmes en ne laissant pas l'Afghanistan devenir un nid de terrorisme. On parle de guerre depuis 2001, mais ce n'est pas vrai, c'est depuis 30 ans. Les Afghans sont là, terrorisés, et en même temps ils ont l'espoir, je ne serai d'ailleurs pas étonné qu'il y ait plus de participation qu'on ne le croit, parce que la préparation et le déroulement de la campagne elle-même ne se sont pas si mal passés. Il y a même eu des débats contradictoires, ce qui était inimaginable il y a quelques années. On va donc voir, j'espère que cela se passera bien. Il faut que cela ne se passe pas trop mal pour ceux qui croient à la démocratie, comme toutes les forces de la coalition. Il faut que ces élections ne soient pas trop "polluées" non seulement par des attentats mais également sur le fonctionnement démocratique, sur la possibilité d'accéder aux bureaux de vote...
Q - Justement, vous parlez du taux de participation qui avait été très élevé en 2004, 75% de la population avait pu se rendre aux urnes, malgré cela beaucoup de bureaux de vote, 10% à peu près, seront fermés jeudi. Pensez-vous quand même que ces élections vont pouvoir se tenir normalement et que, quel que soit le résultat, on ne va pas assister à un nouvel embrasement en Afghanistan ?
R - Je crois que l'embrasement a déjà eu lieu depuis très longtemps. Qu'est-ce que cela veut dire des élections "normales" ? Dans un pays en guerre, il n'y a pas d'élections normales ! Lorsque l'opposition ou une grande partie de l'opposition, l'opposition armée ne veut pas d'élections, cela ne peut pas être normal, je vous l'ai dit. Il faudrait que cela se passe au mieux. Il s'agit d'une élection présidentielle à un ou deux tours, on verra bien, en tout état de cause il y aura un président élu. Du moins, les candidats ont pu s'exprimer et il y a eu des meetings. En Afghanistan, il y a deux grandes ethnies : les tadjiks et les pachtounes, - et il y en a d'autres...- et un meeting a eu lieu en pays pachtoune où 6.000 personnes qui, ouvertement, risquant leur vie, sont venues écouter le candidat tadjik, cela ne s'était jamais vu. Quelque chose se passe donc qui ne se résume pas seulement à la violence, à l'horreur et au terrorisme.
Q - Alors, nous souhaitions vous interroger aussi sur un autre sujet qui fait l'actualité. Avez-vous des nouvelles de Clotilde Reiss, cette jeune française qui est emprisonnée en Iran depuis le début du mois de juillet et dont on a pu suivre le procès notamment sur France 2. On a parlé d'une libération possible aujourd'hui dimanche, avez-vous des nouvelles ?
R - Cela fait plus d'un mois et demi que Clotilde Reiss, simple lectrice de français à l'université d'Ispahan, essaye, après ses six mois d'enseignement effectués, de regagner Paris. Elle en a été empêchée, on l'a arrêtée parce qu'elle a, à deux reprises, une fois une heure, une fois une heure et demie, marché avec des manifestants et qu'elle a pris des photos, comme tout le monde le faisait à ce moment-là y compris et surtout les Iraniens, et puis elle les a envoyées à ses amis. Voilà ce qu'on lui reproche et cela n'a rien à voir avec de l'espionnage.
Q - Va-t-elle être libérée bientôt ?
R - J'espère. Vous savez, on a attendu semaine après semaine, puis jour après jour et maintenant peut-être minute après minute, mais elle n'est pas libérée pour le moment. J'espère qu'elle le sera aujourd'hui, peut-être le sera-t-elle demain ? J'ai, néanmoins, bon espoir. Nous avons vraiment beaucoup travaillé, le président de la République, Nicolas Sarkozy, les ministres, les conseillers. Tout le monde s'est mobilisé jour et nuit pour qu'elle soit libérée.
Q - La France va-t-elle payer une caution pour sa libération ?
R - Il y aura une caution versée parce que cela a été vrai aussi pour l'employée franco-iranienne. Il y a une caution qui doit être versée
Q - Plusieurs centaines de milliers d'euros ?
R - Oui. Enfin ce n'est pas énorme, ce n'est pas plusieurs centaines de milliers d'euros. Il ne faut absolument pas qu'elle sorte du pays, parce que le jugement n'est pas rendu. Peut-être dans huit jours, peut-être un peu plus, le jugement serait rendu. En attendant, il faut qu'elle reste à l'ambassade si elle est libérée et j'espère qu'elle le sera. Elle a 24 ans, elle a eu 24 ans, le 31 juillet dans la prison d'Evin qui n'est pas une prison simple, qui est une prison insupportable. Cependant, les choses changent en Iran. Il y a un mouvement qui critique, qui s'exprime librement, qui est très courageux. J'espère que notre compatriote, je le répète, innocente, va sortir au plus vite.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 août 2009