Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "TF1-LCI" le 17 août 2009, sur la libération conditionnelle de Clotilde Reiss en Iran et son assignation à résidence à l'ambassade de France dans l'attente du verdict.

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Texte intégral

Q - Bernard Kouchner, tout le monde parle et dit un peu n'importe quoi sur cette caution. Pouvez-vous nous en dire plus ?
R - Il y a eu une libération sous caution, ce qui est la règle dans les systèmes anglo-saxons en général et dans le modèle iranien. Pour la libérer, il faut verser une caution qui avoisine les 200 000 euros et que l'on va, théoriquement, rembourser à l'Etat français. Mme Nazak Afshar, la franco-iranienne travaillant à l'ambassade, a du elle-même verser une caution pour sa libération et pour cela elle a du hypothéquer sa maison. C'est la coutume, tous les accusés ont été libérés selon ce procédé. Cela ne veut pas dire qu'elle est coupable. Au contraire, nous espérons être remboursés parce qu'elle est innocente et que cela sera reconnu, mais le jugement n'a pas été prononcé. Elle est libérée sous caution sachant que le jugement sera prononcé peut-être dans huit jours, mais il est possible que ce ne soit pas dans huit jours parce qu'il y a un encombrement judiciaire. Il faut penser qu'il y a aussi de nombreux autres prisonniers. Il faut penser que la contestation continue, qu'au sein même du clergé chiite, il y a de très fortes oppositions qui se sont affirmées tous les jours un peu plus fortement, et qu'il y a un encombrement de la justice.
Q - Le contexte n'est pas si simple sur place, il faut le rappeler.
R - Non, il n'est pas si simple. Nous nous sommes très fortement intéressés au cas de Clotilde Reiss et nous sommes très heureux de sa libération parce qu'elle est innocente et qu'il faut que l'innocence soit en liberté, cependant il y a des problèmes qui touchent l'Iran et qui sont probablement beaucoup plus pérennes.
Q - De ce que vous pouvez nous dévoiler, quelle a été la stratégie ?
R - La stratégie, comme d'habitude, est que nous avons fait flèche de tout bois. Nous avons été mobilisés, du chef de l'Etat à tous les conseillers, pendant le mois et demi durant lequel Clotilde a été emprisonnée à la prison d'Evin, qui n'est pas une petite prison.
Q - On a vu les propos de M. Sarkozy hier soir, disant qu'il remerciait les différents pays de la communauté de l'Union européenne mais également de la Syrie. Quel a été le rôle de la Syrie dans cette libération ?
R - La Syrie, comme la Turquie, et d'autres pays qui entretiennent des relations avec l'Iran furent contactés à tous les niveaux, que ce soit celui des chefs d'Etats, que celui des ministres des Affaires étrangères. La communauté européenne a fait front. Les 27 pays ont été unis, plusieurs déclarations, plusieurs convocations des ambassadeurs iraniens dans ces pays l'attestent. Nos amis britanniques, qui ont connu eux aussi beaucoup de difficultés se sont montrés en permanence solidaires avec la France, mais également Carl Bildt ministre des Affaires étrangères et représentant de la Présidence suédoise du Conseil de l'Union européenne. Tous ont été très solides et très unis.
Q - C'est un vrai travail de collaboration ?
R - Un vrai travail, nuit et jour, d'insistance, d'obstination, avec le même message : "Clotilde Reiss est une jeune enseignante française qui est venue servir votre pays et qui est innocente de toutes les accusations qui lui sont portées". Nous espérons que le jugement futur le reconnaîtra.
Q - Quel est le scénario que vous prévoyez maintenant ?
R - Elle est maintenant à l'ambassade, c'est tout de même mieux. Elle a déjeuné avec l'ambassadeur, elle est désormais plus libre de ses mouvements. Elle respire enfin. Elle est très heureuse. Elle m'a téléphoné après sa libération ainsi qu'au président de la République et à son papa. Elle paraissait extrêmement soulagée et nous en sommes très heureux, mais nous n'oublions pas le reste des problèmes, qui concernent notamment la communauté internationale.
Q - A quoi peut-on s'attendre dans les jours qui viennent ?
R - On doit s'attendre à un jugement qui reconnaîtra son innocence - j'ignore quand - ainsi qu'à son retour en France, ce que nous souhaitons vivement comme le président de la République l'a dit dans sa déclaration d'hier soir.
Q - En échange de quoi l'Iran a accepté ce geste ?
R - En échange de rien. Vous ne pensez pas que l'on achète l'Iran avec 200 000 euros. On a encore en mémoire le spectacle de cette pauvre Clotilde dans ce jugement contraint. Ce n'était pas un jugement, c'était une comparution devant le tribunal révolutionnaire de Téhéran avec toutes ces personnes accusées de participer aux manifestations et, pour Clotilde Reiss d'avoir pris des photos avec son portable. Quand bien même, il y avait des centaines et des milliers de journalistes qui témoignaient de tout cela au reste du monde.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 août 2009