Texte intégral
R. Sicard.- Vous serez tout à l'heure en Bretagne pour rencontrer les producteurs de lait. Le lait c'est un secteur en difficulté, les cours se sont effondrés. Qu'allez-vous leur dire ?
Je vais leur parler de deux choses. D'abord, vu la situation très difficile que traversent beaucoup de producteurs de lait en France, je vais leur parler des aides immédiates que nous avons mises en place, un plan d'aide de 30 millions d'euros pour les intérêts d'emprunt des producteurs de lait.
Des aides françaises ou européennes ?
Des aides françaises mais autorisées par l'Union européenne, je le précise. Des aides européennes qui vont être anticipées. Je souhaite que 100 % des aides européennes anticipées soient versées au 16 octobre, pour que les producteurs de lait puissent en bénéficier. Et puis, je vais leur parler de la réunion que j'ai eue hier avec les banquiers pour leur dire que j'ai demandé aux banquiers de faire particulièrement attention aux trésoreries des jeunes agriculteurs et des jeunes investisseurs, tous ceux qui ont mis de l'argent dans leur exploitation, pour les mettre au norme, pour installer de nouveaux équipements, qui seront demain des agriculteurs performants, ils doivent traverser cette crise dans les meilleures conditions.
Mais cette crise est quand même due au fait qu'on produit trop de lait. Faut-il rétablir des quotas comme cela existait autrefois ?
C'est l'autre point dont je vais leur parler, c'est ce que je dirai le 7 septembre, lundi prochain, au Conseil agriculture de l'Union européenne. Je crois que les quotas montrent bien, aujourd'hui, dans la période de crise que l'on traverse, que ce n'est pas un instrument très efficace. Si les quotas étaient aussi efficaces que cela, nous n'aurions pas la crise du lait actuelle. En revanche, ce dont je suis convaincu, c'est qu'il faut une nouvelle régulation européenne du lait. J'ai fait des propositions avec l'Allemagne, pour le Conseil européen du 7 septembre, nous avons une quinzaine de pays européens qui nous suivent sur ces propositions...
Mais quelles mesures allez-vous annoncer ?
Par exemple, des mesures de stockage plus régulier. Lorsque le cours du lait s'effondre, on peut stocker sous forme de poudre davantage de lait de façon à faire remonter les cours. On peut envisager de mettre en place, à l'échelle nationale, avec l'autorisation de Bruxelles que nous n'avons pas encore, une vraie contractualisation entre le producteur et l'industriel.
Qu'est-ce que ça veut dire ?
Ça veut dire qu'aujourd'hui, le producteur de lait, il ne sait pas combien il va toucher à la fin de chaque mois, parce que c'est l'industriel qui décide ce qu'il lui donnera pour le lait qu'il produit. Ce que je souhaite, c'est qu'on ait une stabilisation du revenu de l'exploitant laitier, qu'il sache, non pas sur un mois ou deux mois, mais sur un an, deux ans, trois ans, quel est le revenu qu'il va toucher. Et pour cela, il faut faire un contrat entre le producteur et l'industriel transformateur, que ce soit Lactalis, Sodial, les grandes industries laitières. Cela me paraît absolument vital, parce que la question de la stabilité du revenu des exploitants laitiers, comme d'ailleurs de tous les agriculteurs, est au coeur de la crise actuelle.
Peut-on imaginer un label France pour le lait, comme ça existe pour la viande, par exemple ?
Cela fait aussi partie de ce que je demanderai à la Commission lundi. Ce sont des choses qui, aujourd'hui, ne sont pas encore autorisées, mais je crois que pour le consommateur, c'est bien de savoir d'où vient son lait. On a un lait en France qui est un lait de qualité, je préférerais que ce soit signalé sur les étiquettes et qu'il y ait un label volontaire des producteurs de lait, label "Lait de France". Je crois que tout cela, ça fait partie des mesures très concrètes que l'on peut mettre en place pour avoir une modernisation réelle du secteur du lait en France et en Europe.
Les producteurs parlent d'organiser une grève du lait, de couper les approvisionnements. Cela vous paraît-il possible ?
Ça, c'est le choix des producteurs. La seule chose que je sais, c'est que les vraies solutions, elles se trouvent à la fois dans des réponses immédiates que j'apporte en terme de trésorerie, dans des réponses nationales, sous forme de contractualisation pour stabiliser le revenu des producteurs, et dans une nouvelle régulation européenne du marché du lait, qui mettra un certain temps à construire mais qui me paraît absolument indispensable. Et je ne suis pas le seul convaincu, ce n'est pas la France seule qui parle de cela. Les Allemands, d'autres pays européens sont convaincus que face aux aléas climatiques, face aux variations des cours du lait sur le marché international, on a besoin de stabilisation, de régulation.
Il n'y a pas que le lait qui est en crise, c'est toute l'agriculture. Le patron de la FNSEA disait l'autre jour qu'il n'avait jamais vu cela depuis trente ans. Comment explique-t-on cette crise agricole inédite ?
Je crois que c'est la rencontre entre des problèmes conjoncturels ; vous avez une crise conjoncturelle qui touche l'industrie, les services, la finance, qui touche aussi l'agriculture. Et donc, on a du mal, par exemple, à exporter nos fruits et légumes parce que les pays d'Europe de l'Est, la Russie qui consommaient beaucoup de fruits et légumes, aujourd'hui, n'en consomment plus. On a cette crise conjoncturelle. Et puis, vous avez derrière une crise structurelle qui date depuis plusieurs années et qui demande des réponses fortes...
Mais qui s'est aggravée brutalement cette année.
Et qui s'est aggravée, parce que je crois qu'il y a un certain nombre de décisions que l'on a retardées et que maintenant, il faut prendre. Je vous donne juste un exemple dans le secteur des fruits et légumes. Aujourd'hui, les fruits et légumes en France, on les produit avec un coût du travail qui est aux alentours de 11, 12 euros de l'heure. Nos voisins allemands, de l'autre côté du Rhin, produisent les mêmes fruits et légumes à 6 euros de l'heure. Nous ne sommes pas compétitifs.
Pour quelles raisons ?
Pour toutes sortes de raisons techniques, liées au fonctionnement du marché du travail...
Trop de taxes ?
...Les charges sociales, les charges patronales, enfin des choses que l'on connaît.
Donc il faut diminuer les taxes et les charges sociales en France ?
Je suis en tout cas convaincu qu'il est temps de traiter les problèmes structurels de l'agriculture française. On ne peut plus repousser ces questions-là. C'est vrai dans les fruits et légumes, c'est vrai dans le secteur laitier avec les mesures de contractualisation que j'ai indiquées, c'est vrai pour le domaine des céréales. Sur tous les secteurs, nous avons besoin de traiter les problèmes structurels. On ne peut plus reculer devant ces décisions.
A propos de taxe, il y a la taxe carbone ; les agriculteurs n'en veulent pas. Seront-ils exonérés de cette taxe ?
J'en parlerai, si vous permettez, cet après-midi avec le président de la République.
Mais cela vous paraît-il souhaitable ?
D'abord, je crois souhaitable de mettre en place une fiscalité verte. Vous savez, dans ce pays, dans le fond, il y a les conservateurs qui hésitent encore - je vois les socialistes qui ne savent pas s'il faut une fiscalité verte, est-ce qu'il n'en faut pas. Et puis, il y a des modernes qui sont capables d'anticiper sur le monde de demain. Je crois que la majorité présidentielle en fait partie, elle propose une fiscalité verte pour changer les comportements des Français. Je crois que c'est une bonne chose. Après, évidemment, comme ministre de l'Agriculture, moi je souhaite qu'on prenne en compte la situation particulière des agriculteurs. Je pense aux horticulteurs ou aux serristes qui ont une consommation d'énergie qui est élevée, la taxe CO² aurait un effet très lourd pour eux. Je pense aux pêcheurs ; un pêcheur qui a un chalutier normal, aujourd'hui, la taxe CO² lui coûterait environ 15 à 20.000 euros par an. Plus de 1.000 par mois ! Je pense qu'il faut prendre en compte, mais je l'expliquerai au président de la République cet après-midi, et il arbitrera avec le Premier ministre, ce qui ne me paraît logique.
On parlait d'aides aux agriculteurs. En attendant, l'Europe réclame 500 millions aux producteurs de fruits et légumes. Est-ce qu'ils vont devoir payer ces 500 millions ? Est-ce qu'ils sont capables, d'abord, de les payer ? Ça paraît énorme.
On est dans la phase qui est la phase d'expertise. Moi j'ai pris une décision le 29 juillet, que j'assume pleinement. Je crois qu'on ne peut pas continuer à biaiser systématiquement avec l'Europe. L'Europe c'est un atout pour l'agriculture française, ce n'est pas un obstacle à l'agriculture française. Donc, le choix a été fait. On fait l'expertise...
Donc, les agriculteurs devront payer les 500 millions ?
On fait d'abord une expertise, pour savoir exactement qui a payé quoi. On réduit la note, parce que moi je conteste formellement le montant de 500 millions d'euros, je souhaite le diminuer sensiblement, et puis, à la fin de la phase d'expertise qui prendra un certain temps, nous verrons quelle décision nous prendrons.
Vous pensez que vous pourrez arriver à quel montant ?
Un montant substantiellement réduit.
C'est-à-dire divisé par deux, divisé par trois ?
On verra ce que veut dire "substantiellement réduit", mais j'ai l'habitude de peser mes mots.
Merci, B. Le Maire.
Merci à vous.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 7 septembre 2009
Je vais leur parler de deux choses. D'abord, vu la situation très difficile que traversent beaucoup de producteurs de lait en France, je vais leur parler des aides immédiates que nous avons mises en place, un plan d'aide de 30 millions d'euros pour les intérêts d'emprunt des producteurs de lait.
Des aides françaises ou européennes ?
Des aides françaises mais autorisées par l'Union européenne, je le précise. Des aides européennes qui vont être anticipées. Je souhaite que 100 % des aides européennes anticipées soient versées au 16 octobre, pour que les producteurs de lait puissent en bénéficier. Et puis, je vais leur parler de la réunion que j'ai eue hier avec les banquiers pour leur dire que j'ai demandé aux banquiers de faire particulièrement attention aux trésoreries des jeunes agriculteurs et des jeunes investisseurs, tous ceux qui ont mis de l'argent dans leur exploitation, pour les mettre au norme, pour installer de nouveaux équipements, qui seront demain des agriculteurs performants, ils doivent traverser cette crise dans les meilleures conditions.
Mais cette crise est quand même due au fait qu'on produit trop de lait. Faut-il rétablir des quotas comme cela existait autrefois ?
C'est l'autre point dont je vais leur parler, c'est ce que je dirai le 7 septembre, lundi prochain, au Conseil agriculture de l'Union européenne. Je crois que les quotas montrent bien, aujourd'hui, dans la période de crise que l'on traverse, que ce n'est pas un instrument très efficace. Si les quotas étaient aussi efficaces que cela, nous n'aurions pas la crise du lait actuelle. En revanche, ce dont je suis convaincu, c'est qu'il faut une nouvelle régulation européenne du lait. J'ai fait des propositions avec l'Allemagne, pour le Conseil européen du 7 septembre, nous avons une quinzaine de pays européens qui nous suivent sur ces propositions...
Mais quelles mesures allez-vous annoncer ?
Par exemple, des mesures de stockage plus régulier. Lorsque le cours du lait s'effondre, on peut stocker sous forme de poudre davantage de lait de façon à faire remonter les cours. On peut envisager de mettre en place, à l'échelle nationale, avec l'autorisation de Bruxelles que nous n'avons pas encore, une vraie contractualisation entre le producteur et l'industriel.
Qu'est-ce que ça veut dire ?
Ça veut dire qu'aujourd'hui, le producteur de lait, il ne sait pas combien il va toucher à la fin de chaque mois, parce que c'est l'industriel qui décide ce qu'il lui donnera pour le lait qu'il produit. Ce que je souhaite, c'est qu'on ait une stabilisation du revenu de l'exploitant laitier, qu'il sache, non pas sur un mois ou deux mois, mais sur un an, deux ans, trois ans, quel est le revenu qu'il va toucher. Et pour cela, il faut faire un contrat entre le producteur et l'industriel transformateur, que ce soit Lactalis, Sodial, les grandes industries laitières. Cela me paraît absolument vital, parce que la question de la stabilité du revenu des exploitants laitiers, comme d'ailleurs de tous les agriculteurs, est au coeur de la crise actuelle.
Peut-on imaginer un label France pour le lait, comme ça existe pour la viande, par exemple ?
Cela fait aussi partie de ce que je demanderai à la Commission lundi. Ce sont des choses qui, aujourd'hui, ne sont pas encore autorisées, mais je crois que pour le consommateur, c'est bien de savoir d'où vient son lait. On a un lait en France qui est un lait de qualité, je préférerais que ce soit signalé sur les étiquettes et qu'il y ait un label volontaire des producteurs de lait, label "Lait de France". Je crois que tout cela, ça fait partie des mesures très concrètes que l'on peut mettre en place pour avoir une modernisation réelle du secteur du lait en France et en Europe.
Les producteurs parlent d'organiser une grève du lait, de couper les approvisionnements. Cela vous paraît-il possible ?
Ça, c'est le choix des producteurs. La seule chose que je sais, c'est que les vraies solutions, elles se trouvent à la fois dans des réponses immédiates que j'apporte en terme de trésorerie, dans des réponses nationales, sous forme de contractualisation pour stabiliser le revenu des producteurs, et dans une nouvelle régulation européenne du marché du lait, qui mettra un certain temps à construire mais qui me paraît absolument indispensable. Et je ne suis pas le seul convaincu, ce n'est pas la France seule qui parle de cela. Les Allemands, d'autres pays européens sont convaincus que face aux aléas climatiques, face aux variations des cours du lait sur le marché international, on a besoin de stabilisation, de régulation.
Il n'y a pas que le lait qui est en crise, c'est toute l'agriculture. Le patron de la FNSEA disait l'autre jour qu'il n'avait jamais vu cela depuis trente ans. Comment explique-t-on cette crise agricole inédite ?
Je crois que c'est la rencontre entre des problèmes conjoncturels ; vous avez une crise conjoncturelle qui touche l'industrie, les services, la finance, qui touche aussi l'agriculture. Et donc, on a du mal, par exemple, à exporter nos fruits et légumes parce que les pays d'Europe de l'Est, la Russie qui consommaient beaucoup de fruits et légumes, aujourd'hui, n'en consomment plus. On a cette crise conjoncturelle. Et puis, vous avez derrière une crise structurelle qui date depuis plusieurs années et qui demande des réponses fortes...
Mais qui s'est aggravée brutalement cette année.
Et qui s'est aggravée, parce que je crois qu'il y a un certain nombre de décisions que l'on a retardées et que maintenant, il faut prendre. Je vous donne juste un exemple dans le secteur des fruits et légumes. Aujourd'hui, les fruits et légumes en France, on les produit avec un coût du travail qui est aux alentours de 11, 12 euros de l'heure. Nos voisins allemands, de l'autre côté du Rhin, produisent les mêmes fruits et légumes à 6 euros de l'heure. Nous ne sommes pas compétitifs.
Pour quelles raisons ?
Pour toutes sortes de raisons techniques, liées au fonctionnement du marché du travail...
Trop de taxes ?
...Les charges sociales, les charges patronales, enfin des choses que l'on connaît.
Donc il faut diminuer les taxes et les charges sociales en France ?
Je suis en tout cas convaincu qu'il est temps de traiter les problèmes structurels de l'agriculture française. On ne peut plus repousser ces questions-là. C'est vrai dans les fruits et légumes, c'est vrai dans le secteur laitier avec les mesures de contractualisation que j'ai indiquées, c'est vrai pour le domaine des céréales. Sur tous les secteurs, nous avons besoin de traiter les problèmes structurels. On ne peut plus reculer devant ces décisions.
A propos de taxe, il y a la taxe carbone ; les agriculteurs n'en veulent pas. Seront-ils exonérés de cette taxe ?
J'en parlerai, si vous permettez, cet après-midi avec le président de la République.
Mais cela vous paraît-il souhaitable ?
D'abord, je crois souhaitable de mettre en place une fiscalité verte. Vous savez, dans ce pays, dans le fond, il y a les conservateurs qui hésitent encore - je vois les socialistes qui ne savent pas s'il faut une fiscalité verte, est-ce qu'il n'en faut pas. Et puis, il y a des modernes qui sont capables d'anticiper sur le monde de demain. Je crois que la majorité présidentielle en fait partie, elle propose une fiscalité verte pour changer les comportements des Français. Je crois que c'est une bonne chose. Après, évidemment, comme ministre de l'Agriculture, moi je souhaite qu'on prenne en compte la situation particulière des agriculteurs. Je pense aux horticulteurs ou aux serristes qui ont une consommation d'énergie qui est élevée, la taxe CO² aurait un effet très lourd pour eux. Je pense aux pêcheurs ; un pêcheur qui a un chalutier normal, aujourd'hui, la taxe CO² lui coûterait environ 15 à 20.000 euros par an. Plus de 1.000 par mois ! Je pense qu'il faut prendre en compte, mais je l'expliquerai au président de la République cet après-midi, et il arbitrera avec le Premier ministre, ce qui ne me paraît logique.
On parlait d'aides aux agriculteurs. En attendant, l'Europe réclame 500 millions aux producteurs de fruits et légumes. Est-ce qu'ils vont devoir payer ces 500 millions ? Est-ce qu'ils sont capables, d'abord, de les payer ? Ça paraît énorme.
On est dans la phase qui est la phase d'expertise. Moi j'ai pris une décision le 29 juillet, que j'assume pleinement. Je crois qu'on ne peut pas continuer à biaiser systématiquement avec l'Europe. L'Europe c'est un atout pour l'agriculture française, ce n'est pas un obstacle à l'agriculture française. Donc, le choix a été fait. On fait l'expertise...
Donc, les agriculteurs devront payer les 500 millions ?
On fait d'abord une expertise, pour savoir exactement qui a payé quoi. On réduit la note, parce que moi je conteste formellement le montant de 500 millions d'euros, je souhaite le diminuer sensiblement, et puis, à la fin de la phase d'expertise qui prendra un certain temps, nous verrons quelle décision nous prendrons.
Vous pensez que vous pourrez arriver à quel montant ?
Un montant substantiellement réduit.
C'est-à-dire divisé par deux, divisé par trois ?
On verra ce que veut dire "substantiellement réduit", mais j'ai l'habitude de peser mes mots.
Merci, B. Le Maire.
Merci à vous.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 7 septembre 2009