Déclaration de M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, sur l'avenir de la construction européenne, à Paris le 27 août 2009.

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Circonstance : XVIIeme conférence des ambassadeurs, à Paris du 26 au 28 août 2009

Texte intégral

Monsieur le Ministre des Affaires étrangères et européennes,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires européens,
Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Chers Amis,
Permettez-moi tout d'abord de vous dire le plaisir et la fierté que je ressens au moment de m'exprimer devant vous cet après-midi.
Au fil de mes quatre mandats à l'Assemblée nationale, des missions qui m'ont été confiées par les présidents de la République successifs (la négociation d'ITER - par le président Chirac - et, plus récemment la Turquie, puis "AFPAK", c'est-à-dire notre politique en Afghanistan et au Pakistan - par le président Sarkozy), j'ai été amené à rencontrer sur le terrain et à travailler avec un certain nombre d'entre vous en Europe et à travers le monde. Et j'ai pu ainsi mesurer - et je le dis sans flagornerie - l'extraordinaire qualité de cet instrument diplomatique, sans beaucoup d'équivalent, qu'est le Quai d'Orsay au service de la France.
Nommé à la fin du mois de juin dernier par le président de la République, en tant que responsable de la conduite de notre politique européenne, sous l'autorité de mon ami Bernard Kouchner, vous comprendrez donc que je veuille commencer ce propos en rendant hommage à votre dévouement et à votre professionnalisme, en vous exprimant toute mon estime à vous qui êtes les avant-postes de la République dans le monde complexe qui est le nôtre. Je sais les restrictions budgétaires et les nombreuses difficultés qui sont les vôtres au quotidien, qui souvent sont mal comprises ou ignorées par beaucoup de nos concitoyens. Mais je sais aussi la noblesse de votre tâche, combien vous y êtes attachés, vous qui êtes, au sens peut-être le plus vrai du terme, notre première équipe de France à l'étranger ; nos 180 ambassades sont autant de fenêtres françaises ouvertes sur la mondialisation et sur les presque 7 milliards d'hommes et de femmes qui peuplent la planète.
Mesdames et Messieurs,
J'ai été retenu ces dernières heures à Strasbourg par la cérémonie en l'honneur d'un grand Européen qui vient de nous quitter, mon ami Adrien Zeller. Mais je sais que vous avez eu la chance d'écouter ce matin Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne, qui vous a fait part de son analyse de la crise et de la politique qu'il a menée au sein de l'Union.
Mon propos sera, vous le comprendrez, délibérément plus politique, quitte à ouvrir d'emblée toutes les questions, y compris les plus dérangeantes, que se posent nos concitoyens sur l'Union européenne et son avenir.
Quel comportement l'Union a-t-elle adopté face à la crise ? A-t-elle rempli sa mission de protection auprès des 500 millions d'Européens et singulièrement auprès de nos compatriotes, alors que ceux-ci sont confrontés à la plus grave crise économique et financière que le monde ait connu depuis 1929 ? Quel bilan tirer de son action ? Avons-nous fait en sorte qu'elle serve au mieux les intérêts de la France ?
Deuxième série de questions davantage tournées vers l'avenir : au moment où il n'est pas déraisonnable de commencer à penser à la sortie de crise et où, par ailleurs, un nouveau système institutionnel sera mis en place dès cet automne (nouveau Parlement, nouvelle Commission, et nous l'espérons, nouveau Traité avec de nouvelles institutions au Conseil), quels seront alors les nouveaux défis auxquels nous devons nous préparer ? Avec quelle volonté ? Quels moyens ? Et quel calendrier ?
Mes Chers Amis,
Les réponses à toutes ces questions, vous le savez bien, se prêtent mal aux sentences hâtives comme aux slogans idéologiques que l'on entend habituellement sur les sujets européens. En revanche, elles doivent nous amener, surtout à la lumière de la crise que nous subissons depuis 2008, à réfléchir ensemble sur l'état de l'Union européenne aujourd'hui et sur son devenir, ce qui je crois, est un exercice particulièrement utile pour qui ambitionne de préparer la France au monde de demain.
Pardon de reprendre cette image, qui c'est vrai a été abondamment commenté, mais quand je me rase le matin, en tous cas depuis que j'assume la fonction de secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes, je pense d'abord aux 60 % de Français ou d'Allemands qui ne sont pas allés voter en juin dernier, car j'y vois le premier défi politique de ma mission. Comment rendre l'Europe pertinente à leurs yeux ? Comment redonner aux Français "l'envie d'Europe", alors que ce sont 50 % d'abstentionnistes de plus qui sont apparus en 30 ans des deux côtés du Rhin ! En un mot, jamais l'éloignement, sinon le divorce entre l'Europe et nos opinions publiques, n'a semblé aussi profond.
Et pourtant, dans l'instant suivant, lorsque je regarde le déroulé de la crise depuis 2008 et la façon dont les gouvernements européens ont réagi, notamment pendant la présidence française, je me dis : "mais dans quelle situation serions-nous, alors que nous vivons une crise aussi grave que celle de 1929, si nous n'avions pas cet extraordinaire filet de protection collective que représente l'Union européenne ?".
La vérité, Mes Chers Amis, c'est que la situation de l'Europe aujourd'hui tient dans ce paradoxe sur lequel il n'est pas inutile de s'arrêter un instant.
Le divorce, tout d'abord. Les raisons en sont connues : beaucoup de Français - et ils ne sont pas les seuls - ne se sont pas reconnus dans le système européen : sentiment de dilution du lien démocratique et de la responsabilité politique, perte de contrôle du destin national, fonctionnement incompréhensible des institutions du moins pour le commun des mortels et même pour ceux qui savent ou prétendent savoir... C'est, je crois, Marcel Gauchet qui a le mieux synthétisé le grand malaise européen d'aujourd'hui : "l'Europe ne procure pas d'identité, elle ne donne pas de quoi se situer et se définir dans le temps et l'espace. Elle ne dit pas aux individus ce qu'ils sont, compte tenu d'une histoire assumée et d'une situation dans le monde".
La crise bien entendu a contribué à accentuer ce sentiment d'absence de repères, et elle l'a fait de façon souvent très cruelle, mais pas nécessairement fausse hélas ! Partout sur le continent, les Européens ont le sentiment d'être démunis, laissés sans protection face à une planète financière devenue folle, qui échappe à tout contrôle politique et qui détruit massivement des millions d'emplois, alors même que les auteurs du désastre, apparemment hors d'atteinte de toute sanction, continuent de plus belle. Qu'importe l'échec, la cupidité demeure, comme les pratiques d'usuriers sans scrupules...
Vous comprendrez donc que notre détermination, la détermination du président de la République - vous l'avez entendu de sa bouche hier - sera sans faille sur ce sujet, tant en Europe qu'à Pittsburgh, car nous ne pouvons pas nous permettre de sous-estimer le message politique qui nous est envoyé par l'abstention aux élections européennes. Il y va de la crédibilité du politique mais aussi de la crédibilité de toute l'entreprise européenne elle-même.
Mais ceci posé, regardons l'autre facette de la réalité européenne d'aujourd'hui et comparons-la au monde de 1929.
Qu'ont fait alors les Etats, à une époque où l'Union européenne n'existait pas ? Rappelons-le, le système financier mondial s'est effondré des deux côtés de l'Atlantique. Le "sauve qui peut" et le "chacun pour soi" ont prévalu, entraînant à leur tour l'effondrement de l'économie, la montée des protectionnismes, le chômage de masse qui ont fait le lit du nazisme quatre ans plus tard, avec, au bout du chemin, une guerre mondiale et son cortège de 60 millions de morts à travers le monde.
Si le scénario catastrophe de 1929 ne s'est pas reproduit en 2009, c'est bien sûr parce que les Etats, instruits par l'histoire, ont été amenés à réagir ensemble, mais également parce que nous avons, du moins en Europe, bénéficié du cadre de coopération et d'action en commun que représente l'Union européenne, il est vrai servi par la concomitance d'une Présidence française exceptionnellement volontariste, dynamique et visionnaire. Ce fut d'abord l'action de la Banque centrale européenne, qui confrontée la première à l'effondrement des marchés, a su prendre immédiatement des mesures stabilisatrices efficaces. Les injections massives de liquidité, parfois menées dans le cadre de coopérations planétaires avec les autres grandes Banques centrales, ont évidemment contribué à stopper l'hémorragie et à sauver le système financier international.
Toujours sur le front du refinancement des banques, c'est lors du premier sommet historique des chefs d'Etat et de gouvernement de la zone euro convoqué à l'initiative du président Sarkozy, volontairement élargi par lui au Royaume-Uni, qu'a été entrepris le sauvetage des établissements financiers européens.
Sur le front de l'économie réelle, c'est dans le cadre de l'Union européenne que les Etats sont parvenus à coordonner leurs "plans de relance" nationaux. Là encore, la France a su montrer le chemin. Le plan de relance initié par Christine Lagarde puis piloté par Patrick Devedjian s'est traduit par une forte relance de l'investissement dans des milliers de projets à travers le pays et une lutte résolue contre le chômage. Il sera suivi par le grand emprunt que préparent Alain Juppé et Michel Rocard pour préparer la France aux grands défis technologiques de demain. S'agissant de l'objectif fixé par le Conseil européen d'une relance budgétaire équivalente à 1,5 % du PIB européen, il a été atteint et même dépassé, sans que l'ampleur et la diversité des choix de relance opérés par les Etats membres n'aient porté préjudice aux économies nationales et à l'intégrité du marché intérieur. La Banque européenne d'Investissements (BEI) s'est également imposée comme un acteur de premier plan, aussi discret qu'efficace, en augmentant de 30 milliards d'euros le volume de ses prêts en 2009-2010 pour soutenir l'industrie automobile et les PME.
De façon plus significative encore, l'Union européenne a su faire face à la crise sans laisser se recréer en son sein une rupture Est-Ouest, alors que nous venions d'intégrer douze Etats plus fragiles. C'est le soutien à la balance des paiements des membres hors zone euro, qui est passé de 12 à 25 milliards d'euros, puis de 25 à 50 milliards d'euros, joint à l'assistance d'autres institutions financières comme le FMI, qui a permis d'agir solidairement et de stabiliser les pays les plus touchés.
Mais l'Europe ne s'est pas contentée de faire face à la crise. Elle a su innover, et s'imposer même comme un modèle sur plusieurs dossiers particulièrement sensibles.
Elle est ainsi devenue un acteur respecté et écouté de la réforme du système financier international. C'est la volonté politique de la Présidence française qui a conduit l'Union européenne à adopter des décisions majeures, qui ont ensuite permis à l'Union européenne de prendre des positions fortes sur la réforme du capitalisme mondial et d'entraîner ses grands partenaires. C'est ce qui a permis d'engager la lutte contre les paradis fiscaux, la réforme du système de régulation et de supervision, le renforcement du rôle des institutions financières internationales. Certes, le combat est loin d'être achevé pour reconstruire une architecture financière mondiale dotée de règles efficaces, et j'allais même dire d'une morale, quand je pense en particulier aux règles applicables en matière de rémunération et de bonus, afin de prévenir de nouvelles dérives toujours latentes, nous ne le savons que trop ! Mais dans tous ces sommets - et ce sera encore le cas au G20 de Pittsburgh des 24 et 25 septembre - la voix de l'Europe est attendue et entendue.
Je rappelle également que, suite aux conclusions du Conseil européen de juin, l'Europe s'est donné les moyens d'adopter, d'ici la fin de l'année, une réforme historique de son dispositif de supervision, avec la création du comité européen du risque systémique et la transformation en véritables agences, dotées de pouvoirs contraignants, des comités européens rassemblant les superviseurs nationaux des marchés et établissements financiers.
Dois-je enfin rappeler que c'est au plus fort de la crise que, grâce à l'action du président de la République et de Jean-Louis Borloo, l'Union européenne, est parvenue à un accord historique sur le paquet énergie-climat. C'est ce résultat qui permet aujourd'hui à l'Union européenne - qui ne représente que 14 % des émissions mondiales de CO2 - d'exiger des principaux pays pollueurs de prendre des engagements comparables. Ce sera l'enjeu du rendez-vous de Copenhague en décembre 2009.
En un mot, quand l'Europe veut, elle peut. Et, quand elle peut, son dynamisme est récompensé. Loin d'être remises en question par la crise, l'Union européenne et la zone euro se sont imposées comme un acteur marquant du système économique et financier mondial. Leur pouvoir d'attraction n'a d'ailleurs jamais été aussi grand. J'en veux pour preuve que les Etats européens qui ont été tentés de jouer seuls au début de la crise se sont vite aperçus qu'il n'y avait, en dehors de l'Europe, pas de porte de sortie.
Ainsi l'Islande, qui vient de déposer officiellement sa candidature pour adhérer à l'Union européenne, et qui voit dans l'euro sa seule planche de salut, après avoir accumulé une dette équivalente à 11 fois son PIB...
Mais au-delà de la riposte concertée des Etats tant sur le plan financier que sur le plan économique, une leçon sans doute plus importante encore émerge des événements de ces derniers mois : la paix en Europe est intacte. Malgré la crise, malgré la souffrance des peuples, aucun de nos pays n'apparaît aujourd'hui menacé par les fléaux des années 30. Je n'ignore pas qu'il y a ici ou là une montée de partis extrémistes que nourrit le terreau de l'angoisse sociale et l'instrumentalisation de la question de l'immigration. Mais tout cela est sans commune mesure avec l'explosion des protectionnismes et des nationalismes qui ont conduit au désastre, il y a 70 ans, presque jour pour jour ! On ne le dira jamais assez : l'Europe, c'est d'abord la paix, même si les peuples ont tendance à considérer cela comme un acquis. Le pari de la paix qui était à la base de l'idée même de la construction européenne dans l'immédiat après-guerre, est donc pleinement réussi. Aujourd'hui aucun pays européen, je dis bien aucun pays européen, ne vit dans la crainte d'une guerre inter-étatique à l'intérieur de l'Union européenne. La génération qui est la mienne, à la différence de celle de nos pères, n'a pas connu, ne connaîtra pas une guerre inter-étatique en Europe, celle de nos fils connaîtra sans doute d'autres menaces, mais celles-ci seront d'une autre nature (terrorisme ou prolifération).
Et aussi imparfaite, aussi agaçante qu'elle puisse être quand elle se mêle trop de ceci, et pas assez de cela, la machine européenne est d'abord une machine à fabriquer de la paix, de la démocratie et de la prospérité.
Sur la base de ce constat, comment permettre à l'Europe de sortir plus forte encore de la crise ?
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Le moment est venu de reconquérir l'avenir européen. Et la crise nous incite à penser fort et sans tabou. Dans la planète multipolaire qui émerge autour de nous avec ses dangers, mais aussi ses opportunités, l'Europe aujourd'hui réunifiée avec ses 500 millions d'hommes et de femmes, la 1ère économie du monde, son industrie, son agriculture, mais aussi ses valeurs démocratiques plus indispensables au monde que jamais, cette Europe-là peut s'imposer comme l'un des 3 ou 4 pôles fondamentaux du système mondial de demain.
Si les railleries de certains hier contre la "vieille Europe" n'ont plus cours - et c'est heureux ! - (les dures leçons de l'histoire sont passées par-là), il reste aux Européens eux-mêmes à surmonter leurs propres démons à eux, ce cocktail d'euro-scepticisme, à base d'euro-nombrilisme et d'euro-isolationnisme.
Comme l'a dit hier le président de la République, "l'Europe peut faire l'Histoire et contribuer à forger le 21ème siècle, au lieu de se contenter de le subir". Tout ici est affaire de volonté. Et permettez-moi d'ajouter, s'agissant du pilotage de notre politique européenne, affaire de choix et de priorités.
Ma conviction personnelle est que le moment est venu d'en finir avec l'euro-nombrilisme et de clore, une bonne fois, le sempiternel débat sur les institutions que nous traînons comme un boulet depuis 15 ans, de traité en traité, de référendum en référendum, tellement préoccupés par nos débats institutionnels que nous en oublions de traiter les vrais sujets qui touchent le quotidien de nos concitoyens.
L'avènement prochain, avec, nous l'espérons, le vote positif des Irlandais le 2 octobre, du Traité de Lisbonne, voulu par la France, nous offre l'occasion de clore ce chapitre, et si j'ose dire, de "passer à autre chose".
Si le Traité de Lisbonne est ratifié par l'Irlande, comme nous l'espérons, l'Union disposera avant la fin de cette année d'institutions nouvelles avec un président du Conseil européen et un Haut-Représentant/vice-président de la Commission qui assureront plus de visibilité et de cohérence à l'action de l'Union européenne.
Nous verrons aussi se mettre en place le Service européen pour l'Action extérieure, dans lequel je place beaucoup d'espoir. Mais, quelle que soit la décision souveraine du peuple irlandais le 2 octobre, laissez-moi vous dire ma conviction : il n'y aura plus de négociation institutionnelle avant très longtemps. Ni nouvelle conférence intergouvernementale, ni nouveau traité.
Tourner la page institutionnelle doit nous amener à en finir, là encore, le plus rapidement possible avec un autre débat anxiogène pour nos peuples, celui des frontières de l'Europe.
La fin de la Guerre froide a imposé le nécessaire élargissement vers l'Est, car il y allait d'abord de la paix - la raison d'être majeure de l'idée européenne - mais aussi de la morale, à l'égard des peuples européens victimes de l'Histoire, et singulièrement de Yalta.
Mais là encore, cette époque est pour l'essentiel derrière nous. L'heure est venue d'achever les élargissements prévus, notamment dans les Balkans, en vertu de la même exigence de consolidation de la paix sur l'ensemble du continent, mais surtout de présenter notre vision de l'espace européen de demain.
Achever les élargissements en cours tout d'abord.
Vous connaissez la position de la France et le préalable que constitue pour nous l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne : il va de soi qu'une Union européenne qui n'aurait pas su réformer ses institutions ne saurait non plus accueillir de nouveaux membres.
Deuxième condition-clé de notre point de vue : nous devons avoir une approche exigeante de l'élargissement. Il est hors de question d'accepter des adhésions au rabais, ce qui ne serait pas un service à rendre aux pays candidats, pas plus qu'à l'Union. Cela vaut pour les Balkans mais également pour l'Islande, où je me suis rendu le mois dernier, pour laquelle il n'y aura pas de raccourci, et qui, si elle ne vit pas les mêmes problèmes que les Balkans, en connaît d'autres, s'agissant notamment de l'assainissement indispensable de son système financier.
Je voudrais rappeler une autre évidence, que je demande aux Ambassadeurs concernés de bien vouloir relayer auprès des autorités de leur pays de résidence : après l'adhésion de la Croatie, notre Constitution prévoit que tout nouveau traité d'adhésion doit être soumis au référendum : le référendum est la règle, la ratification parlementaire - qui d'ailleurs a été considérablement durcie avec une majorité des trois cinquièmes - l'exception.
C'est pourquoi aucun pays candidat ne doit compter sur des passe-droits ou des raccourcis. Le rapprochement avec l'Union européenne dépendra avant tout des progrès accomplis par chacun. Si nous n'y sommes pas attentifs, soyez-en assurés, l'opinion publique le sera pour nous.
Reste alors le dossier de la candidature turque, dont chacun connaît ici la sensibilité, compte-tenu de l'Histoire, de l'ancienneté de cette candidature (qui remonte à l'accord d'association de 1963), de la taille notamment démographique et économique de ce pays, de son importance géopolitique, et bien sur de la position de la France depuis 2007. Je souhaite être ici absolument clair sur ce dossier, comme je le serai à Ankara lorsque je m'y rendrai: il n'y a qu'une seule position sur cette question, celle-ci est connue et elle n'a pas changé : nous souhaitons ardemment entretenir et enrichir encore avec nos amis tucs une relation bilatérale pluriséculaire ; nous sommes favorables au lien le plus fort entre la Turquie et l'Europe ; mais nous sommes opposés à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.
Nicolas Sarkozy l'a dit clairement aux Français, dès avant son élection, et les Français ont approuvé ce choix. Au demeurant, lors de sa première conférence des ambassadeurs en août 2007, peu après son élection, le président de la République a indiqué clairement la position de la France : nous sommes pour une "association aussi étroite que possible (avec la Turquie), sans aller jusqu'à l'adhésion". Je le redis, cette position n'a pas varié. Nous avons accepté de poursuivre les négociations avec la Turquie sur les 30 chapitres compatibles avec une issue alternative à l'adhésion. En revanche, les 5 chapitres qui relèvent directement de la logique d'adhésion sont laissés de côté.
Je rappelle qu'à la différence de tous les autres mandats de négociation, avec les autres pays candidats, le mandat de négociation qui concerne la Turquie prévoit expressément que l'adhésion n'est pas la seule issue possible de la négociation, mais que si les progrès réalisés par la Turquie sont insuffisants ou si la "capacité d'absorption" de l'Union ne permet pas l'adhésion, alors il conviendra de rechercher les modalités d'un "ancrage" aussi étroit que possible entre la Turquie et l'Europe.
Situation que j'ai moi-même résumée par la formule : "la Turquie avec l'Europe, mais pas dans l'Europe".
J'ajoute que depuis ma nomination, j'ai eu l'occasion d'entendre plusieurs de mes interlocuteurs européens me dire en privé qu'ils partageaient totalement la position de la France, mais qu'ils préféraient, pour l'heure, nous laisser l'exprimer à leur place...
Je pose la question : plutôt que de se contenter d'attendre que les négociations soient paralysées, faute de chapitres nouveaux à ouvrir et de se résoudre alors à une inévitable crise ouverte, ne serait-il pas préférable de réfléchir dès à présent au type de relations, les plus étroites possibles, que nous souhaitons mettre en place entre l'Union européenne et la Turquie, mais dans un cadre qui ne soit pas l'adhésion ?
Pour sa part, je suis prêt à engager de manière constructive cette réflexion.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
L'achèvement de la phase d'élargissement héritée de la fin de la Guerre froide, la définition dès lors des frontières de l'Union, doivent nous conduire à impulser avec nos partenaires une véritable vision de l'espace européen de demain : 20 ans après la chute du mur de Berlin, il est grand temps en effet pour les Européens de définir leur place dans la géopolitique de ce nouveau monde, condition de leur rôle et de leur rayonnement demain.
Cette vision, le président Sarkozy a commencé à en tracer les grandes lignes : une Europe organisée et forte à 27 avec en son sein une zone euro essentielle pour la stabilité économique et financière du monde, qui forgerait un partenariat de sécurité et de prospérité avec la Russie, qui construirait une véritable Union avec "notre" Sud méditerranéen, qui bâtirait à travers le partenariat oriental un réseau de relations stratégiques avec nos voisins de l'Est, le tout en préservant notre relation d'alliance, elle aussi renouvelée, avec les Etats-Unis d'Amérique : voici donc notre feuille de route géopolitique pour l'Europe du XXIème siècle, en même temps qu'une vraie ambition politique pour l'Europe.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, ce cadre, cette ambition, il s'agit désormais de commencer à les mettre en pratique autour de projets concrets, pertinents pour la vie, la sécurité, la prospérité de nos concitoyens.
En commençant par l'essentiel, c'est-à-dire par l'énergie. Faut-il rappeler que l'Europe est née dans les années 50 avec la CECA et l'Euratom ? De même que le partage des ressources en charbon a été le facteur de tous les conflits dans le passé avant d'être le fondement de la réconciliation franco-allemande, il faut, 50 ans plus tard, introduire en Europe une véritable vision géopolitique de l'énergie.
Cela suppose de faire le point sur la problématique de la dépendance à l'égard de la Russie ; de nous préparer à mieux gérer une prochaine crise entre la Russie et l'Ukraine ; et de comprendre la stratégie russe des "tuyaux" et de contrôle en amont. Dans cette situation, l'Europe doit d'abord impérativement réduire sa dépendance.
Cela passe par :
- le recours croissant au gaz naturel liquéfié ;
- la diversification des approvisionnements gaziers via la prise en compte d'options alternatives comme le "corridor Sud" en direction des ressources en hydrocarbures (pétrolières et surtout gazières) de la mer Caspienne (Azerbaïdjan, Turkménistan, Kazakhstan) ;
- la mise en place, aussi, comme l'a proposé le président de la République, d'une centrale européenne d'achat du gaz qui permettrait davantage de transparence et de discipline collective dans la conclusion des accords gaziers, tout en demeurant compatible avec le cadre juridique de la concurrence et du marché en Europe. Cette initiative est aujourd'hui particulièrement d'actualité, alors que la Russie vient de se retirer du traité sur la Charte européenne de l'énergie.
Cela suppose, enfin, et l'on rejoint ici les questions d'environnement, une stratégie de développement tant des énergies renouvelables (éolien, solaire) que du nucléaire civil - des énergies "propres" qui ne produisent pas d'émissions de CO2 et où nous disposons de savoirs-faire d'excellence, qui peuvent constituer autant d'atouts pour la France. A cet égard, la promotion d'un vaste réseau trans-européen - voire euro-méditerranéen - de courant continu alimenté par de l'énergie éolienne et solaire, pourrait permettre de poursuivre un double objectif de plus grande indépendance énergétique de l'Europe et de développement de nouvelles technologies à même de contribuer à la relance économique. Une telle initiative européenne, susceptible d'être soutenue par la France - dans le cadre du Grand Emprunt - ainsi que par l'Allemagne, contribuerait, comme l'idée de centrale d'achat, à redonner de la pertinence politique à l'Europe, en renforçant sa sécurité énergétique. Reste le volet pétrolier, comme l'a dit le président de la République hier, "nous devons veiller à ce que le retour de la croissance ne soit pas remis en cause par une envolée des prix du pétrole". Dans ce domaine il est indispensable que l'Union ait une approche commune et parle d'une seule voix aux pays producteurs.
Deuxième grand dossier : pour devenir pertinente aux yeux de ses citoyens, l'Europe ne doit pas hésiter à prendre à bras le corps la problématique de l'immigration, dans la suite des progrès importants réalisés sous Présidence française avec le "Pacte européen pour l'immigration et l'asile" adopté grâce à l'action de Brice Hortefeux. Les pays de l'Union européenne sont, en effet, tous confrontés au problème des migrations illégales, qui prend parfois une dimension alarmante. Certains sont en première ligne, par exemple en Méditerranée, où prévaut une situation de plus en plus critique : la Grèce par exemple, où je me suis rendu le mois dernier, a appréhendé en 2008 environ 150.000 migrants illégaux en provenance du Moyen-Orient, d'Afrique et d'Asie, et peine à les renvoyer vers leur pays d'origine.
A un problème de dimension européenne, il faut se préparer à répondre dans un cadre européen. Il nous faut parvenir dès que possible, à partir des échéances de cet automne, à des avancées concrètes permettant de renforcer la solidarité intra-européenne, de mieux armer l'agence Frontex ou d'identifier des formules imaginatives permettant la mutualisation de la surveillance des frontières maritimes des Etats membres méditerranéens, de négocier des accords communautaires de réadmission avec les principaux pays d'origine et de transit, de mettre en place un Bureau européen d'appui en matière d'asile. C'est l'ambition que nous devons donner au programme de Stockholm qui doit être adopté par le Conseil européen de décembre.
Energie, immigration : il faut également, troisième priorité, que l'Europe prenne de plus en plus en charge sa propre sécurité. "L'Europe n'est pas une ONG" a dit justement le président de la République hier.
Sur le plan institutionnel, avec le Traité de Lisbonne, nous aurons les outils qui permettront à la défense européenne d'aller de l'avant. La "coopération structurée permanente", prévue par le Traité, devrait à ce titre permettre de rassembler un noyau-clé de pays qui ont la volonté et la capacité de tirer l'Europe de la Défense vers le haut, comme on l'a fait avec l'euro.
A cette boite à outils institutionnelle, s'ajoute le climat favorable que représente le retour plein et entier de la France dans le commandement intégré de l'OTAN. Ce retour clarifie notre position vis-à-vis de nos partenaires : on ne pourra plus nous faire le mauvais procès de vouloir faire une défense européenne contre l'OTAN ! En outre, ce retour renforce le poids de la France là où se conduit la réflexion stratégique sur la transformation de l'Alliance et l'évolution de ses capacités et donc de celles des forces européennes. Je rappelle que sur les 27 Etats membres de l'Union européenne, 21 font également partie de l'OTAN. Comme l'a rappelé le président la République hier "la France dans l'OTAN, c'est une Europe plus forte dans l'Alliance". L'Union européenne et l'OTAN sont complémentaires et ne doivent pas être opposés.
L'Europe de la Défense, je l'ai constatée, progresse souvent davantage grâce aux opérations que par les réformes institutionnelles. Regardez ce qui s'est passé dans les Balkans et la prise de conscience qui a permis la naissance de la PESD il y a dix ans.
Aujourd'hui et depuis un an, l'engagement sans précédent de l'Union européenne en Géorgie, sous Présidence française, est venu apporter la preuve que l'Europe élargie et réunifiée peut désormais agir de manière déterminée et unie, sans différences entre "anciens" et "nouveaux" Etats membres, y compris dans un conflit militaire impliquant la Russie. Il est significatif pour l'avenir de l'Union européenne que celle-ci ait pu démontrer une véritable capacité d'action en cas de crise engageant la paix et la sécurité en Europe, dès lors qu'une impulsion politique était au rendez-vous.
Autre exemple du rôle de l'Union européenne dans la promotion active de la paix et de la sécurité internationale, l'opération Atalante de lutte contre la piraterie au large de la Somalie, qui est la première opération navale menée par les Européens dans le cadre de la Politique européenne de sécurité et de défense, contribuant ainsi à assurer la Liberté des mers dans ces eaux stratégiques pour le commerce international.
Mais je reste lucide sur le chemin qui reste à couvrir :
En Somalie, précisément, nous sommes encore très seuls lorsque nous proposons de former les forces de sécurité somaliennes et les garde-côtes des pays de la région pour compléter l'opération Atalante.
Deuxième constat : le développement de la PESD doit s'accompagner d'un effort budgétaire qui reste très insuffisant. Je rappelle pour mémoire que les budgets de la défense du Royaume-Uni et de la France représentent à eux seuls les deux tiers de l'effort de défense des 27, celui-ci ne représentant lui-même que 40 % du budget de Défense des Etats-Unis.
Troisième constat, la défense européenne doit s'appuyer sur le maintien d'une industrie de défense et d'armement européenne puissante, et sur le développement de capacités de recherche et développement, or l'écart entre l'Europe et les Etats-Unis dans ce domaine s'aggrave de 1 à 8.
Parce que je suis attaché à la défense européenne depuis de nombreuses années que je crois à la nécessité pour les Européens de prendre en charge leur sécurité, je vous le dis : je ne serai pas le ministre qui fera semblant que tout va bien dans ce domaine.
Je suis conscient que la défense européenne reste un projet et qu'il appartient plus que jamais à la France de redoubler d'efforts pour le faire progresser. J'y travaillerai activement.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, un mot enfin sur la méthode politique et diplomatique :
Pour mener à bien ces objectifs, il est absolument indispensable de conforter toujours plus la relation franco-allemande.
Au moment où l'Allemagne s'apprête à célébrer les 20 ans de la chute du mur, il est essentiel de marquer un nouveau départ dans nos relations avec Berlin.
La coopération franco-allemande n'est pas seulement une affaire bilatérale. Certes, elle est un immense succès : la réconciliation a débouché sur l'amitié et sur une coopération sans équivalent avec aucun autre pays dans le monde. Mais nous sommes arrivés à l'échéance d'une page d'histoire.
Aujourd'hui, dans l'Europe réunifiée, la coopération franco-allemande doit s'exercer avant tout au service de l'Europe. Cela ne doit pas léser nos autres partenaires, au contraire : la France et l'Allemagne ont un devoir de coopération à l'égard des autres membres de l'Union. Certes, Paris et Berlin ne dirigent plus l'Europe, mais aucune ambition n'est possible sans une concertation étroite entre nos deux pays : s'il y a une position franco-allemande, l'Europe existe. C'est ce que nous avons vu au G20 de Londres et c'est vrai pour tous les dossiers clés : les institutions, l'élargissement - y compris la Turquie - la régulation financière, le climat et les questions énergétiques.
A la suite du travail engagé dans ce domaine par mon prédécesseur, Bruno Le Maire, je souhaite marquer politiquement et symboliquement un nouvel élan franco-allemand :
- politiquement, tout d'abord : après les élections allemandes du 27 septembre le moment sera venu de préparer un nouvel "agenda franco-allemand pour l'Europe". C'est pourquoi j'ai lancé au mois de juillet un exercice interministériel afin que nous ayons des propositions concrètes à présenter au nouveau gouvernement allemand.
- symboliquement, ensuite : je souhaiterais que le vingtième anniversaire de la chute du Mur du Berlin soit un événement partagé entre l'Allemagne et la France, afin de montrer aux Allemands que nous prenons aujourd'hui toute la mesure d'un événement que la France avait manqué il y a vingt ans, mais qui fait aujourd'hui pleinement partie de notre histoire commune.
Mais la coopération franco-allemande ne suffit pas à elle seule à faire une politique européenne. C'est d'ailleurs ce que disent également les Allemands. Cela serait dommage, pour ne pas dire complètement irréaliste, pour ne prendre que cet exemple, que de vouloir faire l'Europe sans le Royaume-Uni, quand on sait le poids de ce pays dans la Défense européenne, que j'évoquais à l'instant.
Il est donc indispensable de développer nos relations bilatérales avec tous les Etats membres.
Comme le président de la République l'a dit hier, si la France et l'Allemagne ont une responsabilité particulière, "tous les Etats membres sont égaux en droit". C'est pourquoi - je le dis à chacun d'entre vous - chaque relation bilatérale compte. Le président de la République et le Premier ministre se sont beaucoup investis, effectuant parfois des visites dans des pays où aucun de leurs prédécesseurs ne s'était rendu. Si la PFUE a été un succès, c'est aussi parce que nous avons mis ce principe en application.
Nous avons mis fin à une vision de l'Europe qui oppose "grands et petits", "anciens et nouveaux", justement parce que selon moi, il ne doit pas y avoir dans l'Union européenne de grands, petits, anciens ou nouveaux.
Celles et ceux d'entre vous qui représentez la France dans un pays de l'Union européenne doivent savoir que je serai entièrement mobilisé au service de cet objectif et que j'espère avoir visité la quasi-totalité des Etats membres d'ici fin octobre, afin d'assurer la préparation ou le suivi des grands sommets bilatéraux, la mise en oeuvre des "partenariats stratégiques" que nous avons signés avec les Etats qui nous ont récemment rejoint et engager une coopération approfondie avec ceux de nos partenaires qui s'apprêtent à exercer la Présidence de l'Union, à commencer par l'Espagne où je me rends dès mardi prochain.
Voici donc la feuille de route, dense, qui est la nôtre sur ces questions européennes, dans la ligne tracée par le président de la République.
Je compte pour la mettre en oeuvre associer pleinement tous les acteurs, à commencer par chacune et chacun d'entre vous, notre Représentation permanente à Bruxelles, tous les services du ministère en charge des questions européennes, en premier lieu la direction de l'Union européenne, le secrétariat général des Affaires européennes, et bien sûr les parlementaires nationaux et européens, qui peuvent être des relais d'influence extrêmement utiles pour faire avancer notre vision de l'Europe.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, je vous remercie de votre attention.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 septembre 2009