Texte intégral
J.-J. Bourdin.- Notre invité ce matin, B. Le Maire, ministre de l'Agriculture. On va vous découvrir un peu mieux. On dit que vous êtes le ministre le plus courageux du Gouvernement. Et on a pu le constater cet été, ce ne sont pas des louanges que je vous envoie, mais je l'ai entendu ici ou là. Alors, on va être courageux ce matin, parce que la situation est grave. Vous avez écouté, vous avez vu ces producteurs de lait, qui jettent leur lait, qui jettent leur production, ou qui donnent leur production. Peut-on parler de suicide collectif ?
Je pense en tout cas qu'il y a une détresse collective très profonde chez les producteurs de lait. Et donc, ma responsabilité, vous parlez de courage, c'est, d'une part, d'apporter des réponses immédiates, on le fait, on apporte des soutiens financiers, on aide à la trésorerie, et je ferai une réunion avec toutes les banques vers la fin du mois d'octobre pour leur demander de participer aussi à l'effort...
Vous allez demander aux banques... C'est-à-dire ?
Par exemple, je demanderai à toutes les grandes banques agricoles, par exemple la Mutualité agricole, je vais leur dire : on a tous fait un effort, l'Etat a apporté maintenant 60 millions d'euros pour les producteurs de lait, pour les aider à la trésorerie, regardez ce que vous pouvez faire sur les intérêts d'emprunts, sur les reports d'emprunts, pour faire en sorte que les agriculteurs français les plus touchés, notamment les exploitants laitiers qui font face à un effondrement du cours du lait, ne se retrouvent pas dans des situations dramatiques. Et puis après, il faut du courage, vous l'avez dit vous-même, c'est-à-dire, qu'il faut se battre pour mieux organiser la filière, et pour avoir une autre organisation économique, la filière du lait, en France et en Europe. Et ça, ce n'est pas forcément évident. Parce que, je l'ai vu encore hier, j'étais en Suède, à un Conseil des ministres de l'Agriculture, nous sommes dans une position où il faut convaincre nos partenaires européens d'aller vers cette régulation européenne du marché du lait. Je me bats pour ça maintenant depuis des semaines. J'ai écrit un papier dans mon bureau, je l'ai proposé à notre partenaire allemande, une nouvelle régulation européenne du marché...
Ça veut dire quoi "nouvelle régulation du marché du lait" ?
Ça veut dire par exemple autoriser les producteurs à signer des contrats avec les industriels de la transformation laitière, ça peut être Lactalis, ça peut être Sodia, ça peut être Danone. Et dans ces contrats, on dirait : voilà, nous nous engageons à prendre tel volume de lait, chaque année, à tel prix. Ça, ce n'est pas possible aujourd'hui dans le cadre des règles européennes. Je l'ai toujours dit, les règles européennes...
C'est-à-dire que les producteurs traitent directement avec l'industrie agroalimentaire...
Traitent directement avec les industriels... Evidemment, ils sont dans un rapport de force complètement défavorable, puisque un exploitant laitier face à une grosse industrie agroalimentaire ne pèse pas très lourd, et par ailleurs, l'industriel fait évoluer ses besoins et paye le prix qu'il veut payer.
C'est possible d'instaurer cela en France, c'est possible ou pas, ce n'est pas possible aujourd'hui ?
Aujourd'hui ce n'est pas possible, parce que les règles européennes nous l'interdisent, ça s'appellerait "une entente illicite" pour être très précis. Donc ce que j'ai demandé à Mme Fischer-Boel, la commissaire européenne à l'Agriculture, à nos partenaires européens, c'est dire : changeons ces règles européennes.
Est-ce qu'elles vont changer, selon vous ?
J'ai bon espoir en tout cas que nos partenaires évoluent. On est partis à deux, la France et l'Allemagne ; la semaine dernière, on était seize ; hier, j'ai convaincu deux partenaires supplémentaires, l'Espagne et la République Tchèque, et j'ai bon espoir de convaincre la Pologne d'ici une semaine. Et pour la première fois...
19 sur 27.
19 sur 27, ce qui est déjà pas mal. Et pour la première fois surtout hier, la commissaire européenne, qui nous avait claqué la porte au nez, soyons clair, nous a dit, m'a dit personnellement : "Je vois bien qu'il faut que l'on bouge, je vais examiner vos propositions".
Vous annoncez des aides à hauteur de 30 millions d'euros...
Supplémentaires, 30 millions.
30 millions d'euros pour tous les éleveurs. Aujourd'hui, ils vendent leur lait, les producteurs de lait vendent leur lait entre 25 et 30 centimes d'euro le litre...
C'est assez variable, c'est très variable.
...Pour vivre, disent-ils, il faut qu'on vende ce lait 32 ou 35 centimes d'euro le litre. Et vous dites aujourd'hui, les transformateurs, eux, les industriels vous disent : ce n'est pas possible, à ce prix-là on ne peut pas !
Ils me disent ce n'est pas possible ! Et moi je crois que, avant qu'on ...
Alors comment fait-on entre les deux ?
...moi je ne veux pas m'engager sur une bataille sur le prix, les situations de plus sont très variables d'une région à l'autre. Ce que je souhaite avant tout, c'est garantir aux producteurs de lait la stabilité de leurs revenus. Aujourd'hui, ils ne savent pas d'un mois sur l'autre ce qu'ils vont gagner. Donc, vous avez un jeune agriculteur qui a 20 ans - j'en ai rencontrés beaucoup - qui vient de s'installer, il fait une mise aux normes de son installation pour respecter les critères environnementaux, il modernise son installation, il achète par exemple une robot de traite ; un robot de traite ça vaut quand même 160.000 euros, pour traire 60 vaches. Il a ensuite des charges à payer chaque mois qui sont de l'ordre de 1.000 à 1.500, 1.700 euros. Et en même temps, chaque mois, il ne sait pas combien il va toucher. Il ne sait pas combien il va toucher ! Ce que je veux arriver à construire, notamment avec ce système de contrats entre industriels et producteurs, c'est que le producteur de lait, sur un an, deux ans, trois ans, il sache combien il va gagner en regard de ce qu'il est obligé de payer pour rembourser ses traites.
Vous dites : l'agriculture traverse la crise économique la plus grave de ces 30 dernières années !
Et je le maintiens.
Et vous le maintenez ! On instaure la taxe carbone en France, est-ce que vous allez exonérer les agriculteurs et les pêcheurs de la taxe carbone ?
Je souhaite, ce n'est pas moi qui décide, je souhaite, et je l'ai indiqué au Premier ministre et au président de la République, que les agriculteurs soient très largement exonérés de cette taxe, et en même temps qu'ils y contribuent pour une petite partie...
Mais comment les exonérer ?
On peut les exonérer...
Comme on le fait avec le gasoil, par exemple ?
Exactement, comme on le fait avec le gasoil, et on peut imaginer une détaxation particulière pour les agriculteurs, il y a plusieurs possibilités. Ce que je souhaite simplement c'est que, dans la note qu'ils auront à payer les agriculteurs, il y ait une exonération qui soit très significative.
C'est quoi "significative" ? Ca signifie quoi, au moins la moitié ?
C'est peut-être au moins la moitié, voilà.
Au moins la moitié.
Au moins la moitié, parce que je crois que leur situation est très particulière, ils n'ont pas d'autre choix que de consommer du gasoil ; quand vous êtes pêcheur, par exemple, vous avez un bateau, il faut bien mettre du gasoil dedans pour qu'il navigue ; et quand vous avez des champs à labourer, il faut bien mettre du gasoil dans les tracteurs.
Les chauffeurs routiers vont faire la même demande, il y a d'autres professions qui vont faire la même demande. Je ne sais pas moi, les artisans, les menuisiers qui utilisent des machines, vont faire la même demande... ?
Je suis responsable des Agriculteurs et des Pêcheurs, et je souhaite qu'ils aient une exonération et je souhaite, c'est très important, que ça ne se fasse pas sous forme de remboursements six mois ou huit mois plus tard, parce que ça poserait un problème de trésorerie majeur aux agriculteurs et aux pêcheurs, je souhaite que ce soit le plus immédiat possible.
Le plus immédiat possible ? Donc, plus de la moitié ?
Plus de la moitié, en tout cas, ce que j'ai demandé...
Et votre demande est reçue ou pas ?
C'est ce que j'ai demandé, et bien entendu ça fait l'objet d'un arbitrage, et c'est le Premier ministre et le président de la République qui décideront, comme il va de soi, en République.
Quand ?
Rapidement.
C'est-à-dire ?
Dans les prochains jours ou les prochaines semaines.
C'est-à-dire, avant la fin du mois ?
C'est-à-dire, rapidement.
On va parler d'autre chose ; il y a d'autres sujets dans le domaine agricole et puis le domaine politique, parce que je rappelle quand même que vous connaissez bien deux hommes, qui sont D. de Villepin et N. Sarkozy, et qui vont se retrouver presque face à face, au tribunal - c'est ahurissant d'ailleurs - à partir de lundi prochain... A tout de suite.
[Fin première partie...]
Notre invité, ce matin, B. Le Maire, ministre de l'Agriculture, de l'Alimentation et de la Pêche, ne l'oublions pas, B. Le Maire.
C'est important. L'alimentation c'est essentiel.
C'est important l'alimentation, on va en parler tout à l'heure, mais, B. Le Maire, est-ce que vous n'avez pas le sentiment que dans notre pays, l'agriculteur, aujourd'hui, les agriculteurs, sont déconsidérés, à la fois par les médias, à la fois par la classe politique dans son ensemble, à la fois par les Français ? On oublie qu'il y a des agriculteurs à côté de nous !
Je suis entièrement d'accord avec vous et je pense très profondément, que tous les Français ont une dette de reconnaissance vis-à-vis des agriculteurs. Qu'ils regardent autour d'eux lorsqu'ils se promènent, et d'ailleurs ils aiment leurs agriculteurs, tous les paysages, tous les coteaux, les vallées, tout a été transformé, amélioré, entretenu par les agriculteurs. Qu'ils regardent le nombre d'emplois qui dépendent de l'agriculture. L'agroalimentaire, nourri par l'agriculture française, c'est le seul secteur industriel excédentaire, aujourd'hui, en France. 50 milliards d'euros à l'exportation, 41 milliards d'euros d'importations, 9 milliards d'excédents. C'est des dizaines de milliers d'emplois derrière. Je pense que tout cela mérite de la considération et du respect de la part des Français.
N. Sarkozy a dit hier, a déclaré hier, que le Gouvernement ne ferait plus de chèque à la FNSEA. Alors, ça mérite explications. FNSEA, il faut le savoir, c'est le principal syndicat d'exploitants agricoles en France. Ca veut dire quoi : « plus de chèque, on ne fera plus de chèque à la FNSEA » ?
Ça veut dire que l'on a fait, pendant des années, d'ailleurs ce n'est pas la FNSEA qui est en cause, c'est les filières agricoles de manière générale...
C'est ce que dit N. Sarkozy !
...On a fait, effectivement, des chèques pour acheter la paix sociale, sans considération des règles européennes...
C'est-à-dire, attendez, expliquez-nous : acheter la paix sociale avec des chèques, c'est-à-dire ?
Eh bien, ce n'est pas compliqué. Vous avez une crise dans la filière des fruits et légumes ou une crise dans le secteur bovin, ou une crise dans tel autre secteur, vous allez puiser dans le budget de l'Etat, vous prenez des subventions et vous les donnez aux filières, sans considération de savoir si c'est autorisé ou non par l'Union européenne. L'union européenne...
Oui, mais attendez, attendez... Qui donne, qui distribue l'argent aux filières, aux agriculteurs ?
C'est l'Etat français, qui, pendant des années, c'est ce qui s'est passé dans la filière des fruits et légumes...
Et qui fait un chèque à la FNSEA ?
Qui fait un chèque...
Le syndicat, lui même, distribuant ?
Qui fait un chèque aux organisations de producteurs, pour les aider, et après c'est aux organisations de producteurs, elles-mêmes, filière par filière, de soutenir les exploitations.
Donc à la FNSEA et aux autres.
Ça peut être la FNSEA, ça peut être les autres, ce n'est pas les syndicats qui sont en cause. Ce qui est en cause, c'est une pratique dans laquelle on estime que l'on peut s'asseoir sur les règles européennes, ne pas respecter ce que les autres Etats respectent...
Mais attendez ! Mais vous venez de m'annoncer que vous alliez donner 30 millions d'euros, aux éleveurs !
Je peux justement revenir là-dessus, c'est assez intéressant.
Alors ?
J'ai accordé 30 millions d'euros dans un premier temps, aux exploitants laitiers, parce que c'était la somme globale qui m'était accordée par l'Union européenne. Ensuite, j'ai bien vu qu'il fallait donner plus.
Oui, le double.
J'aurais pu décider de donner davantage, en me disant : « L'Europe ne m'y autorise pas, ce n'est pas grave, je m'assieds dessus, c'est mon successeur qui règlera cette difficulté ». J'ai fait différemment. J'ai demandé à madame Fischer Boel de doubler le plafond d'autorisation des aides d'Etat pour ce secteur-là.
Vous avez demandé une autorisation européenne, quoi.
Il est passé de 7 500 à 15 000 euros, pour être très précis, au dernier conseil agriculture, ça a été un combat difficile, mais la commissaire me l'a accordé, en estimant que nous avions besoin de davantage de marges de manoeuvre. Parce que j'ai cette marge de manoeuvre européenne, je peux débloquer aujourd'hui 30 millions supplémentaires. Mais je ne continuerai pas dans cette voie qui consiste à considérer que nous sommes membres de l'Union européenne, que nous touchons chaque année un chèque de 10 milliards d'euros pour la Politique agricole commune pour les agriculteurs français, et qu'en même temps on s'assied sur les règles européennes, ça n'est pas responsable.
Alors, justement, est-ce que ces 10 milliards d'euros sont biens répartis aux agriculteurs français, franchement ?
Ils sont répartis, comme ils le sont aujourd'hui...
Ah ! Ça veut dire quoi, « comme ils le sont aujourd'hui » ? Ça veut dire qu'ils sont mal répartis, quoi.
On a bien vu que des adaptations étaient nécessaires. Par exemple, M. Barnier a pris une très bonne décision, qui a consisté à faire plus attention à des filières en difficulté, comme les filières dans la montagne, qui subissent des contraintes d'élevage particulières, donc, je crois que l'on peut toujours faire mieux, et ce sera l'objectif, justement, de la rénovation de la PAC, qui va commencer dès l'année prochaine, de savoir comment est-ce que l'on distribue le plus équitablement possible les aides européennes.
Bien. Vous êtes très européen...
Très !
Et pour cause, B. Le Maire...
Très, et je l'assume.
Bon, vous l'assumez. Alors, justement, il va falloir que vous assumiez une recommandation de l'Union européenne sur la pêche du thon rouge. Est-ce qu'il faut interdire, pendant un certain temps, la pêche au thon rouge ? Non, je ne crois pas. Moi, je crois que... C'est ce que dit l'Europe, pourtant !
Je ne crois pas, c'est ce que dit, dans un premier temps l'Europe.
Eh bien oui.
Elle attend l'avis des experts. Moi, ce que je recommande, c'est que l'on suive l'avis des scientifiques.
« La Commission européenne souscrit à une interdiction temporaire du commerce international du thon ». Ça veut dire suppression de la pêche, interdiction de la pêche.
Exactement, c'est ce qu'elle a dit dans un premier temps.
Eh bien oui.
J'attends, moi, de voir le rapport des experts et des scientifiques. Ce que m'ont dit les scientifiques, c'est que l'espèce du thon rouge était effectivement menacée et qu'il fallait donc la pêcher dans certaines conditions et faire attention. Donc, j'ai proposé, et le président de la République a décidé d'inscrire le thon rouge dans ce que l'on appelle « l'annexe 2 » des espèces sauvegardées, c'est-à-dire que l'on peut pêcher, mais dans certaines conditions. La Commission, aujourd'hui, va plus loin, elle propose de l'inscrire dans l'annexe 1, c'est-à-dire l'interdiction totale. Moi, j'estime que ça va trop loin, j'estime que les scientifiques ont des avis plus réservés et qu'une pêche raisonnable du thon rouge, encadrée...
Parce que vous protégez les pêcheurs de thon français, et notamment de la Méditerranée.
... me paraît préférable. Je crois qu'il faut faire attention, quand on parle d'environnement et de défense de l'environnement, à, à la fois avancer dans cette direction-là, mais faire attention que d'un autre côté, il y ait des hommes et des femmes qui vivent de leur travail, et que ce travail mérite respect.
Bien. La semaine prochaine débute un procès - vous avez travaillé avec D. de Villepin, B. Le Maire -, la semaine prochaine débute un procès qui va faire beaucoup de bruit en France. Dans ce procès, un accusé parmi d'autres, D. de Villepin et, côté partie civile, le président de la République, N. Sarkozy. Est-ce que vous déplorez qu'en République, que dans notre République, on retrouve face à face un ancien Premier ministre et le président de la République ? Franchement.
Je vais vous dire, dans cette affaire, chacun suit sa logique. Le président de la République, N. Sarkozy, a été injustement sali dans une affaire grave. Il demande la vérité et il demande la justice. Cela me paraît naturel. De l'autre côté, vous avez un Premier ministre avec lequel j'ai travaillé, sur lequel je n'ai qu'une seule chose à dire : c'est que durant les huit années où j'ai travaillé avec lui, d'abord comme conseiller à son cabinet aux Affaires étrangères, ensuite à l'Intérieur, puis comme directeur de cabinet à Matignon, j'ai toujours vu un homme dont la seule préoccupation était le service de l'Etat. C'est ce que j'ai vu et ce dont je peux témoigner...
Est-ce que vous avez entendu parler de l'affaire Clearstream pendant ces années-là ?
... Evidemment que j'ai entendu parler de l'affaire Clearstream lorsque j'étais à Matignon...
Mais comment ? Comment en parlait-on ?
... à côté de Dominique de Villepin, c'est normal.
Comment en parlait-on ?
Lui a le sentiment d'être victime d'une injustice. C'est le procès qui fera toute la lumière sur cette affaire. Moi, je vais vous dire, ce que j'attends...
Mais comment parlait-on de l'affaire Clearstream dans le cabinet de D. de Villepin ?
Ce n'était pas l'obsession du cabinet de D. de Villepin ; l'obsession de son directeur de cabinet et l'obsession de son cabinet dans l'ensemble, c'était de servir les Français.
Est-ce que vous avez entendu D. de Villepin dire : « Ah ben tiens, N. Sarkozy est dans le listing...
Je vais vous dire, ce que j'ai entendu n'a pas forcément vocation à être répété sur toutes les chaînes.
Publiquement, donc...
Pour moi, les choses sont simples : un président de la République sali injustement...
Vous avez été appelé à témoigner, ou pas, B. Le Maire ?
... qui demande la vérité, il a raison. Et un Premier ministre dont je peux dire qu'il a toujours eu comme première préoccupation le service de l'Etat.
Mais, est-ce que ça donne une bonne image de la politique que de retrouver un ancien Premier ministre et un président de la République, face à face dans un tribunal ?
Il est évident que non, mais il est évident aussi que l'essentiel aujourd'hui c'est de savoir la vérité et toute la vérité. Et pour moi, dans une démocratie comme la nôtre, la seule instance qui peut dire la vérité et toute la vérité, c'est la justice.
Je rappelle que vous avez publié un livre, qui a pour titre « Des hommes d'Etat », paru en 2008, sur les relations explosives entre D. de Villepin et N. Sarkozy. Et dans un article récent, vous avez même dit, je cite : « Si j'avais tout dit, la moitié des ministres de l'actuel gouvernement ne parleraient plus au Président ». C'est vrai ça ?
Vous savez, en politique...
Non, mais c'est vrai ou pas ?
En politique, il y a...
Est-ce que c'est vrai ou pas, B. Le Maire ?
En politique, il y a ce que l'on dit, sous le coup de l'humeur, de la colère...
Vous avez dit ça sous le coup de l'humeur ?
... et puis il y a ce que l'on essaie de construire.
Non, mais, lorsque vous dites : « La moitié des ministres de l'actuel gouvernement ne parleraient plus au Président », c'est vrai ou pas ?
C'est possible. C'est possible, mais vous savez, ce n'est pas l'essentiel.
Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que le président de la République se moquait d'eux, les insultait ? Je ne sais pas, moi !
Mais ça veut dire tout simplement que dans la vie politique, vous avez des échanges qui peuvent être parfois sous le coup de la colère, un peu vifs, un peu sanguins, qui provoqueraient des conséquences tout à fait excessives par rapport à la réalité des relations.
Bon, alors, dernière question sur le sujet, et puis je vais vous laisser parce que c'est un sujet difficile, sensible, B. Le Maire...
C'est un sujet sensible, mais la politique...
Surtout pour vous, parce que vous êtes entre les deux !
La politique, vous savez, elle est faite d'affection, d'hommes, de sentiments, de relations...
Est-ce qu'ils se détestent vraiment ? Ils se détestent vraiment ces deux hommes ?
Je ne crois pas.
Ah bon ?
Je vais vous dire, je ne le crois pas...
Vous ne le croyez pas.
Je ne l'ai jamais cru, donc c'est à eux qu'il faut le demander. Moi, en tout cas, ce dont j'ai témoigné dans mon livre, c'est que leur relation est infiniment plus complexe que cette détestation simple et univoque que l'on présente parfois.
Est-ce que l'on a menti dans cette affaire ? Franchement.
C'est, une fois encore, nous sommes arrivés à un point où...
Est-ce que dans cette affaire on a menti ?
... seule la justice pourrait dire la vérité, donc...
Mais je ne demande pas qui a menti, je demande : est-ce que l'on a menti ?
Je ne crois pas. Je ne crois pas, mais je pense que c'est à la justice d'établir la vérité des faits.
Vous ne croyez pas ? Vous croyez que l'on n'a pas menti dans cette affaire.
Je ne sais par définition pas tout. La justice en sait beaucoup plus long et c'est elle qui établira la vérité des faits.
Bien. M. Belliard, question SMS. Mathieu.
M. Belliard (RMC) : Et cette première question SMS de Claire qui nous a envoyé un mail, RMC.fr, elle est dans la Somme. Elle reprend ce que vous disiez : vous défendez le métier, le gagne-pain des pêcheurs de thon rouge, mais puisqu'il est défini que cette activité est mauvaise pour la planète, la logique ne serait-elle pas de supprimer cette activité, purement et simplement ?
Je vois bien la logique qu'il y a derrière. Attention tout de même, une fois encore, en matière de respect dans l'environnement, à faire attention à ne pas verser de manière trop excessive, dans des solutions qui ensuite condamnent des activités économiques, et condamnent derrière, des hommes, des femmes, des familles, qui vivent de cette activité économique. Si les scientifiques me disaient, les experts, ceux qui examinent la ressource en poisson : « Il faut arrêter immédiatement et tout de suite la pêche au thon rouge, sinon il n'y aura plus de thon rouge, l'espèce disparaîtra dans quelques années ». Je pendrais mes responsabilités et je dirais : organisons la sortie de flottes et la fin de la pêche au thon rouge. Ce n'est pas ce que me disent les scientifiques. Les scientifiques me disent : « Il faut une pêche raisonnée, organisée, du thon rouge », donc c'est ce que nous proposons de faire.
Bien, B. Le Maire, question politiquement concrète, pour terminer. Vous connaissez « Mambo » ?
Oui, c'est un petit chien.
Ce petit chien qui a été en partie brûlé par une jeune fille de 22 ans, condamnée à un an de prison, dont 6 mois ferme. C'est trop ? Pas assez ? Logique ?
Je pense que c'est logique et que c'est juste. Vous savez, il y a un philosophe qui disait que le degré de civilisation d'un pays ou d'une démocratie se mesurait à l'attention qu'il portait à ses animaux. Je crois que c'est vrai et je crois que les animaux méritent d'être traités correctement et ce genre d'attitude à l'égard d'un animal, un chien ou quelque autre animal domestique ou non, est tout à fait inacceptable.
Est-ce qu'il faut interdire le "Roundup" ?
C'est un désherbant toxique.
Là aussi, regardons attentivement les conséquences sur l'environnement, ce qui est possible ou non...
Ça fait 20 ans que l'on dit : regardons. C'est comme pour les algues vertes, on nous a dit : attendez, on verra, on verra, et puis pendant ce temps-là...
Tout cela est suivi très attentivement. Il faut faire attention, parce que lorsque vous supprimez trop rapidement un certain nombre de désherbants ou de pesticides, vous pouvez avoir ensuite des insectes qui se développent, qui ravagent les cultures, et après on vient nous expliquer : finalement, la seule solution c'est de mettre des plantes OGM qui résistent aux insectes. Donc attention à avancer prudemment et scientifiquement sur ces questions-là.
Est-ce que vous mangez des fruits de saison ?
J'en mange plus que 5 par jour.
Plus que 5 par jour ?
Beaucoup plus.
En septembre aussi ?
En septembre aussi.
Du raisin, du...
Des pommes, il faut manger des pommes, c'est très important pour le commerce de la pomme.
Vous êtes comme J. Chirac, vous.
Je lui ressemble, parfois.
Bon. Ah, dernière chose : il paraît que vous allez aller aux régionales ?
Je vais aller aux régionales en Normandie.
Tête de liste en Haute Normandie.
Tête de liste en Haute Normandie.
Et si vous êtes élu, vous quitterez le Gouvernement ?
Mais je l'ai dit dès le 22 avril. Je ne pense pas que ...
Je sais, vous êtes l'un des rares à dire ça, quand même, à aller, un des rares ministres...
Parce que Président de région c'est lourd, et ministre de l'Agriculture c'est très lourd.
C'est impossible ?
Les deux à la fois, ça sera trop lourd.
Merci d'être venu nous voir ce matin.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 17 septembre 2009
Je pense en tout cas qu'il y a une détresse collective très profonde chez les producteurs de lait. Et donc, ma responsabilité, vous parlez de courage, c'est, d'une part, d'apporter des réponses immédiates, on le fait, on apporte des soutiens financiers, on aide à la trésorerie, et je ferai une réunion avec toutes les banques vers la fin du mois d'octobre pour leur demander de participer aussi à l'effort...
Vous allez demander aux banques... C'est-à-dire ?
Par exemple, je demanderai à toutes les grandes banques agricoles, par exemple la Mutualité agricole, je vais leur dire : on a tous fait un effort, l'Etat a apporté maintenant 60 millions d'euros pour les producteurs de lait, pour les aider à la trésorerie, regardez ce que vous pouvez faire sur les intérêts d'emprunts, sur les reports d'emprunts, pour faire en sorte que les agriculteurs français les plus touchés, notamment les exploitants laitiers qui font face à un effondrement du cours du lait, ne se retrouvent pas dans des situations dramatiques. Et puis après, il faut du courage, vous l'avez dit vous-même, c'est-à-dire, qu'il faut se battre pour mieux organiser la filière, et pour avoir une autre organisation économique, la filière du lait, en France et en Europe. Et ça, ce n'est pas forcément évident. Parce que, je l'ai vu encore hier, j'étais en Suède, à un Conseil des ministres de l'Agriculture, nous sommes dans une position où il faut convaincre nos partenaires européens d'aller vers cette régulation européenne du marché du lait. Je me bats pour ça maintenant depuis des semaines. J'ai écrit un papier dans mon bureau, je l'ai proposé à notre partenaire allemande, une nouvelle régulation européenne du marché...
Ça veut dire quoi "nouvelle régulation du marché du lait" ?
Ça veut dire par exemple autoriser les producteurs à signer des contrats avec les industriels de la transformation laitière, ça peut être Lactalis, ça peut être Sodia, ça peut être Danone. Et dans ces contrats, on dirait : voilà, nous nous engageons à prendre tel volume de lait, chaque année, à tel prix. Ça, ce n'est pas possible aujourd'hui dans le cadre des règles européennes. Je l'ai toujours dit, les règles européennes...
C'est-à-dire que les producteurs traitent directement avec l'industrie agroalimentaire...
Traitent directement avec les industriels... Evidemment, ils sont dans un rapport de force complètement défavorable, puisque un exploitant laitier face à une grosse industrie agroalimentaire ne pèse pas très lourd, et par ailleurs, l'industriel fait évoluer ses besoins et paye le prix qu'il veut payer.
C'est possible d'instaurer cela en France, c'est possible ou pas, ce n'est pas possible aujourd'hui ?
Aujourd'hui ce n'est pas possible, parce que les règles européennes nous l'interdisent, ça s'appellerait "une entente illicite" pour être très précis. Donc ce que j'ai demandé à Mme Fischer-Boel, la commissaire européenne à l'Agriculture, à nos partenaires européens, c'est dire : changeons ces règles européennes.
Est-ce qu'elles vont changer, selon vous ?
J'ai bon espoir en tout cas que nos partenaires évoluent. On est partis à deux, la France et l'Allemagne ; la semaine dernière, on était seize ; hier, j'ai convaincu deux partenaires supplémentaires, l'Espagne et la République Tchèque, et j'ai bon espoir de convaincre la Pologne d'ici une semaine. Et pour la première fois...
19 sur 27.
19 sur 27, ce qui est déjà pas mal. Et pour la première fois surtout hier, la commissaire européenne, qui nous avait claqué la porte au nez, soyons clair, nous a dit, m'a dit personnellement : "Je vois bien qu'il faut que l'on bouge, je vais examiner vos propositions".
Vous annoncez des aides à hauteur de 30 millions d'euros...
Supplémentaires, 30 millions.
30 millions d'euros pour tous les éleveurs. Aujourd'hui, ils vendent leur lait, les producteurs de lait vendent leur lait entre 25 et 30 centimes d'euro le litre...
C'est assez variable, c'est très variable.
...Pour vivre, disent-ils, il faut qu'on vende ce lait 32 ou 35 centimes d'euro le litre. Et vous dites aujourd'hui, les transformateurs, eux, les industriels vous disent : ce n'est pas possible, à ce prix-là on ne peut pas !
Ils me disent ce n'est pas possible ! Et moi je crois que, avant qu'on ...
Alors comment fait-on entre les deux ?
...moi je ne veux pas m'engager sur une bataille sur le prix, les situations de plus sont très variables d'une région à l'autre. Ce que je souhaite avant tout, c'est garantir aux producteurs de lait la stabilité de leurs revenus. Aujourd'hui, ils ne savent pas d'un mois sur l'autre ce qu'ils vont gagner. Donc, vous avez un jeune agriculteur qui a 20 ans - j'en ai rencontrés beaucoup - qui vient de s'installer, il fait une mise aux normes de son installation pour respecter les critères environnementaux, il modernise son installation, il achète par exemple une robot de traite ; un robot de traite ça vaut quand même 160.000 euros, pour traire 60 vaches. Il a ensuite des charges à payer chaque mois qui sont de l'ordre de 1.000 à 1.500, 1.700 euros. Et en même temps, chaque mois, il ne sait pas combien il va toucher. Il ne sait pas combien il va toucher ! Ce que je veux arriver à construire, notamment avec ce système de contrats entre industriels et producteurs, c'est que le producteur de lait, sur un an, deux ans, trois ans, il sache combien il va gagner en regard de ce qu'il est obligé de payer pour rembourser ses traites.
Vous dites : l'agriculture traverse la crise économique la plus grave de ces 30 dernières années !
Et je le maintiens.
Et vous le maintenez ! On instaure la taxe carbone en France, est-ce que vous allez exonérer les agriculteurs et les pêcheurs de la taxe carbone ?
Je souhaite, ce n'est pas moi qui décide, je souhaite, et je l'ai indiqué au Premier ministre et au président de la République, que les agriculteurs soient très largement exonérés de cette taxe, et en même temps qu'ils y contribuent pour une petite partie...
Mais comment les exonérer ?
On peut les exonérer...
Comme on le fait avec le gasoil, par exemple ?
Exactement, comme on le fait avec le gasoil, et on peut imaginer une détaxation particulière pour les agriculteurs, il y a plusieurs possibilités. Ce que je souhaite simplement c'est que, dans la note qu'ils auront à payer les agriculteurs, il y ait une exonération qui soit très significative.
C'est quoi "significative" ? Ca signifie quoi, au moins la moitié ?
C'est peut-être au moins la moitié, voilà.
Au moins la moitié.
Au moins la moitié, parce que je crois que leur situation est très particulière, ils n'ont pas d'autre choix que de consommer du gasoil ; quand vous êtes pêcheur, par exemple, vous avez un bateau, il faut bien mettre du gasoil dedans pour qu'il navigue ; et quand vous avez des champs à labourer, il faut bien mettre du gasoil dans les tracteurs.
Les chauffeurs routiers vont faire la même demande, il y a d'autres professions qui vont faire la même demande. Je ne sais pas moi, les artisans, les menuisiers qui utilisent des machines, vont faire la même demande... ?
Je suis responsable des Agriculteurs et des Pêcheurs, et je souhaite qu'ils aient une exonération et je souhaite, c'est très important, que ça ne se fasse pas sous forme de remboursements six mois ou huit mois plus tard, parce que ça poserait un problème de trésorerie majeur aux agriculteurs et aux pêcheurs, je souhaite que ce soit le plus immédiat possible.
Le plus immédiat possible ? Donc, plus de la moitié ?
Plus de la moitié, en tout cas, ce que j'ai demandé...
Et votre demande est reçue ou pas ?
C'est ce que j'ai demandé, et bien entendu ça fait l'objet d'un arbitrage, et c'est le Premier ministre et le président de la République qui décideront, comme il va de soi, en République.
Quand ?
Rapidement.
C'est-à-dire ?
Dans les prochains jours ou les prochaines semaines.
C'est-à-dire, avant la fin du mois ?
C'est-à-dire, rapidement.
On va parler d'autre chose ; il y a d'autres sujets dans le domaine agricole et puis le domaine politique, parce que je rappelle quand même que vous connaissez bien deux hommes, qui sont D. de Villepin et N. Sarkozy, et qui vont se retrouver presque face à face, au tribunal - c'est ahurissant d'ailleurs - à partir de lundi prochain... A tout de suite.
[Fin première partie...]
Notre invité, ce matin, B. Le Maire, ministre de l'Agriculture, de l'Alimentation et de la Pêche, ne l'oublions pas, B. Le Maire.
C'est important. L'alimentation c'est essentiel.
C'est important l'alimentation, on va en parler tout à l'heure, mais, B. Le Maire, est-ce que vous n'avez pas le sentiment que dans notre pays, l'agriculteur, aujourd'hui, les agriculteurs, sont déconsidérés, à la fois par les médias, à la fois par la classe politique dans son ensemble, à la fois par les Français ? On oublie qu'il y a des agriculteurs à côté de nous !
Je suis entièrement d'accord avec vous et je pense très profondément, que tous les Français ont une dette de reconnaissance vis-à-vis des agriculteurs. Qu'ils regardent autour d'eux lorsqu'ils se promènent, et d'ailleurs ils aiment leurs agriculteurs, tous les paysages, tous les coteaux, les vallées, tout a été transformé, amélioré, entretenu par les agriculteurs. Qu'ils regardent le nombre d'emplois qui dépendent de l'agriculture. L'agroalimentaire, nourri par l'agriculture française, c'est le seul secteur industriel excédentaire, aujourd'hui, en France. 50 milliards d'euros à l'exportation, 41 milliards d'euros d'importations, 9 milliards d'excédents. C'est des dizaines de milliers d'emplois derrière. Je pense que tout cela mérite de la considération et du respect de la part des Français.
N. Sarkozy a dit hier, a déclaré hier, que le Gouvernement ne ferait plus de chèque à la FNSEA. Alors, ça mérite explications. FNSEA, il faut le savoir, c'est le principal syndicat d'exploitants agricoles en France. Ca veut dire quoi : « plus de chèque, on ne fera plus de chèque à la FNSEA » ?
Ça veut dire que l'on a fait, pendant des années, d'ailleurs ce n'est pas la FNSEA qui est en cause, c'est les filières agricoles de manière générale...
C'est ce que dit N. Sarkozy !
...On a fait, effectivement, des chèques pour acheter la paix sociale, sans considération des règles européennes...
C'est-à-dire, attendez, expliquez-nous : acheter la paix sociale avec des chèques, c'est-à-dire ?
Eh bien, ce n'est pas compliqué. Vous avez une crise dans la filière des fruits et légumes ou une crise dans le secteur bovin, ou une crise dans tel autre secteur, vous allez puiser dans le budget de l'Etat, vous prenez des subventions et vous les donnez aux filières, sans considération de savoir si c'est autorisé ou non par l'Union européenne. L'union européenne...
Oui, mais attendez, attendez... Qui donne, qui distribue l'argent aux filières, aux agriculteurs ?
C'est l'Etat français, qui, pendant des années, c'est ce qui s'est passé dans la filière des fruits et légumes...
Et qui fait un chèque à la FNSEA ?
Qui fait un chèque...
Le syndicat, lui même, distribuant ?
Qui fait un chèque aux organisations de producteurs, pour les aider, et après c'est aux organisations de producteurs, elles-mêmes, filière par filière, de soutenir les exploitations.
Donc à la FNSEA et aux autres.
Ça peut être la FNSEA, ça peut être les autres, ce n'est pas les syndicats qui sont en cause. Ce qui est en cause, c'est une pratique dans laquelle on estime que l'on peut s'asseoir sur les règles européennes, ne pas respecter ce que les autres Etats respectent...
Mais attendez ! Mais vous venez de m'annoncer que vous alliez donner 30 millions d'euros, aux éleveurs !
Je peux justement revenir là-dessus, c'est assez intéressant.
Alors ?
J'ai accordé 30 millions d'euros dans un premier temps, aux exploitants laitiers, parce que c'était la somme globale qui m'était accordée par l'Union européenne. Ensuite, j'ai bien vu qu'il fallait donner plus.
Oui, le double.
J'aurais pu décider de donner davantage, en me disant : « L'Europe ne m'y autorise pas, ce n'est pas grave, je m'assieds dessus, c'est mon successeur qui règlera cette difficulté ». J'ai fait différemment. J'ai demandé à madame Fischer Boel de doubler le plafond d'autorisation des aides d'Etat pour ce secteur-là.
Vous avez demandé une autorisation européenne, quoi.
Il est passé de 7 500 à 15 000 euros, pour être très précis, au dernier conseil agriculture, ça a été un combat difficile, mais la commissaire me l'a accordé, en estimant que nous avions besoin de davantage de marges de manoeuvre. Parce que j'ai cette marge de manoeuvre européenne, je peux débloquer aujourd'hui 30 millions supplémentaires. Mais je ne continuerai pas dans cette voie qui consiste à considérer que nous sommes membres de l'Union européenne, que nous touchons chaque année un chèque de 10 milliards d'euros pour la Politique agricole commune pour les agriculteurs français, et qu'en même temps on s'assied sur les règles européennes, ça n'est pas responsable.
Alors, justement, est-ce que ces 10 milliards d'euros sont biens répartis aux agriculteurs français, franchement ?
Ils sont répartis, comme ils le sont aujourd'hui...
Ah ! Ça veut dire quoi, « comme ils le sont aujourd'hui » ? Ça veut dire qu'ils sont mal répartis, quoi.
On a bien vu que des adaptations étaient nécessaires. Par exemple, M. Barnier a pris une très bonne décision, qui a consisté à faire plus attention à des filières en difficulté, comme les filières dans la montagne, qui subissent des contraintes d'élevage particulières, donc, je crois que l'on peut toujours faire mieux, et ce sera l'objectif, justement, de la rénovation de la PAC, qui va commencer dès l'année prochaine, de savoir comment est-ce que l'on distribue le plus équitablement possible les aides européennes.
Bien. Vous êtes très européen...
Très !
Et pour cause, B. Le Maire...
Très, et je l'assume.
Bon, vous l'assumez. Alors, justement, il va falloir que vous assumiez une recommandation de l'Union européenne sur la pêche du thon rouge. Est-ce qu'il faut interdire, pendant un certain temps, la pêche au thon rouge ? Non, je ne crois pas. Moi, je crois que... C'est ce que dit l'Europe, pourtant !
Je ne crois pas, c'est ce que dit, dans un premier temps l'Europe.
Eh bien oui.
Elle attend l'avis des experts. Moi, ce que je recommande, c'est que l'on suive l'avis des scientifiques.
« La Commission européenne souscrit à une interdiction temporaire du commerce international du thon ». Ça veut dire suppression de la pêche, interdiction de la pêche.
Exactement, c'est ce qu'elle a dit dans un premier temps.
Eh bien oui.
J'attends, moi, de voir le rapport des experts et des scientifiques. Ce que m'ont dit les scientifiques, c'est que l'espèce du thon rouge était effectivement menacée et qu'il fallait donc la pêcher dans certaines conditions et faire attention. Donc, j'ai proposé, et le président de la République a décidé d'inscrire le thon rouge dans ce que l'on appelle « l'annexe 2 » des espèces sauvegardées, c'est-à-dire que l'on peut pêcher, mais dans certaines conditions. La Commission, aujourd'hui, va plus loin, elle propose de l'inscrire dans l'annexe 1, c'est-à-dire l'interdiction totale. Moi, j'estime que ça va trop loin, j'estime que les scientifiques ont des avis plus réservés et qu'une pêche raisonnable du thon rouge, encadrée...
Parce que vous protégez les pêcheurs de thon français, et notamment de la Méditerranée.
... me paraît préférable. Je crois qu'il faut faire attention, quand on parle d'environnement et de défense de l'environnement, à, à la fois avancer dans cette direction-là, mais faire attention que d'un autre côté, il y ait des hommes et des femmes qui vivent de leur travail, et que ce travail mérite respect.
Bien. La semaine prochaine débute un procès - vous avez travaillé avec D. de Villepin, B. Le Maire -, la semaine prochaine débute un procès qui va faire beaucoup de bruit en France. Dans ce procès, un accusé parmi d'autres, D. de Villepin et, côté partie civile, le président de la République, N. Sarkozy. Est-ce que vous déplorez qu'en République, que dans notre République, on retrouve face à face un ancien Premier ministre et le président de la République ? Franchement.
Je vais vous dire, dans cette affaire, chacun suit sa logique. Le président de la République, N. Sarkozy, a été injustement sali dans une affaire grave. Il demande la vérité et il demande la justice. Cela me paraît naturel. De l'autre côté, vous avez un Premier ministre avec lequel j'ai travaillé, sur lequel je n'ai qu'une seule chose à dire : c'est que durant les huit années où j'ai travaillé avec lui, d'abord comme conseiller à son cabinet aux Affaires étrangères, ensuite à l'Intérieur, puis comme directeur de cabinet à Matignon, j'ai toujours vu un homme dont la seule préoccupation était le service de l'Etat. C'est ce que j'ai vu et ce dont je peux témoigner...
Est-ce que vous avez entendu parler de l'affaire Clearstream pendant ces années-là ?
... Evidemment que j'ai entendu parler de l'affaire Clearstream lorsque j'étais à Matignon...
Mais comment ? Comment en parlait-on ?
... à côté de Dominique de Villepin, c'est normal.
Comment en parlait-on ?
Lui a le sentiment d'être victime d'une injustice. C'est le procès qui fera toute la lumière sur cette affaire. Moi, je vais vous dire, ce que j'attends...
Mais comment parlait-on de l'affaire Clearstream dans le cabinet de D. de Villepin ?
Ce n'était pas l'obsession du cabinet de D. de Villepin ; l'obsession de son directeur de cabinet et l'obsession de son cabinet dans l'ensemble, c'était de servir les Français.
Est-ce que vous avez entendu D. de Villepin dire : « Ah ben tiens, N. Sarkozy est dans le listing...
Je vais vous dire, ce que j'ai entendu n'a pas forcément vocation à être répété sur toutes les chaînes.
Publiquement, donc...
Pour moi, les choses sont simples : un président de la République sali injustement...
Vous avez été appelé à témoigner, ou pas, B. Le Maire ?
... qui demande la vérité, il a raison. Et un Premier ministre dont je peux dire qu'il a toujours eu comme première préoccupation le service de l'Etat.
Mais, est-ce que ça donne une bonne image de la politique que de retrouver un ancien Premier ministre et un président de la République, face à face dans un tribunal ?
Il est évident que non, mais il est évident aussi que l'essentiel aujourd'hui c'est de savoir la vérité et toute la vérité. Et pour moi, dans une démocratie comme la nôtre, la seule instance qui peut dire la vérité et toute la vérité, c'est la justice.
Je rappelle que vous avez publié un livre, qui a pour titre « Des hommes d'Etat », paru en 2008, sur les relations explosives entre D. de Villepin et N. Sarkozy. Et dans un article récent, vous avez même dit, je cite : « Si j'avais tout dit, la moitié des ministres de l'actuel gouvernement ne parleraient plus au Président ». C'est vrai ça ?
Vous savez, en politique...
Non, mais c'est vrai ou pas ?
En politique, il y a...
Est-ce que c'est vrai ou pas, B. Le Maire ?
En politique, il y a ce que l'on dit, sous le coup de l'humeur, de la colère...
Vous avez dit ça sous le coup de l'humeur ?
... et puis il y a ce que l'on essaie de construire.
Non, mais, lorsque vous dites : « La moitié des ministres de l'actuel gouvernement ne parleraient plus au Président », c'est vrai ou pas ?
C'est possible. C'est possible, mais vous savez, ce n'est pas l'essentiel.
Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que le président de la République se moquait d'eux, les insultait ? Je ne sais pas, moi !
Mais ça veut dire tout simplement que dans la vie politique, vous avez des échanges qui peuvent être parfois sous le coup de la colère, un peu vifs, un peu sanguins, qui provoqueraient des conséquences tout à fait excessives par rapport à la réalité des relations.
Bon, alors, dernière question sur le sujet, et puis je vais vous laisser parce que c'est un sujet difficile, sensible, B. Le Maire...
C'est un sujet sensible, mais la politique...
Surtout pour vous, parce que vous êtes entre les deux !
La politique, vous savez, elle est faite d'affection, d'hommes, de sentiments, de relations...
Est-ce qu'ils se détestent vraiment ? Ils se détestent vraiment ces deux hommes ?
Je ne crois pas.
Ah bon ?
Je vais vous dire, je ne le crois pas...
Vous ne le croyez pas.
Je ne l'ai jamais cru, donc c'est à eux qu'il faut le demander. Moi, en tout cas, ce dont j'ai témoigné dans mon livre, c'est que leur relation est infiniment plus complexe que cette détestation simple et univoque que l'on présente parfois.
Est-ce que l'on a menti dans cette affaire ? Franchement.
C'est, une fois encore, nous sommes arrivés à un point où...
Est-ce que dans cette affaire on a menti ?
... seule la justice pourrait dire la vérité, donc...
Mais je ne demande pas qui a menti, je demande : est-ce que l'on a menti ?
Je ne crois pas. Je ne crois pas, mais je pense que c'est à la justice d'établir la vérité des faits.
Vous ne croyez pas ? Vous croyez que l'on n'a pas menti dans cette affaire.
Je ne sais par définition pas tout. La justice en sait beaucoup plus long et c'est elle qui établira la vérité des faits.
Bien. M. Belliard, question SMS. Mathieu.
M. Belliard (RMC) : Et cette première question SMS de Claire qui nous a envoyé un mail, RMC.fr, elle est dans la Somme. Elle reprend ce que vous disiez : vous défendez le métier, le gagne-pain des pêcheurs de thon rouge, mais puisqu'il est défini que cette activité est mauvaise pour la planète, la logique ne serait-elle pas de supprimer cette activité, purement et simplement ?
Je vois bien la logique qu'il y a derrière. Attention tout de même, une fois encore, en matière de respect dans l'environnement, à faire attention à ne pas verser de manière trop excessive, dans des solutions qui ensuite condamnent des activités économiques, et condamnent derrière, des hommes, des femmes, des familles, qui vivent de cette activité économique. Si les scientifiques me disaient, les experts, ceux qui examinent la ressource en poisson : « Il faut arrêter immédiatement et tout de suite la pêche au thon rouge, sinon il n'y aura plus de thon rouge, l'espèce disparaîtra dans quelques années ». Je pendrais mes responsabilités et je dirais : organisons la sortie de flottes et la fin de la pêche au thon rouge. Ce n'est pas ce que me disent les scientifiques. Les scientifiques me disent : « Il faut une pêche raisonnée, organisée, du thon rouge », donc c'est ce que nous proposons de faire.
Bien, B. Le Maire, question politiquement concrète, pour terminer. Vous connaissez « Mambo » ?
Oui, c'est un petit chien.
Ce petit chien qui a été en partie brûlé par une jeune fille de 22 ans, condamnée à un an de prison, dont 6 mois ferme. C'est trop ? Pas assez ? Logique ?
Je pense que c'est logique et que c'est juste. Vous savez, il y a un philosophe qui disait que le degré de civilisation d'un pays ou d'une démocratie se mesurait à l'attention qu'il portait à ses animaux. Je crois que c'est vrai et je crois que les animaux méritent d'être traités correctement et ce genre d'attitude à l'égard d'un animal, un chien ou quelque autre animal domestique ou non, est tout à fait inacceptable.
Est-ce qu'il faut interdire le "Roundup" ?
C'est un désherbant toxique.
Là aussi, regardons attentivement les conséquences sur l'environnement, ce qui est possible ou non...
Ça fait 20 ans que l'on dit : regardons. C'est comme pour les algues vertes, on nous a dit : attendez, on verra, on verra, et puis pendant ce temps-là...
Tout cela est suivi très attentivement. Il faut faire attention, parce que lorsque vous supprimez trop rapidement un certain nombre de désherbants ou de pesticides, vous pouvez avoir ensuite des insectes qui se développent, qui ravagent les cultures, et après on vient nous expliquer : finalement, la seule solution c'est de mettre des plantes OGM qui résistent aux insectes. Donc attention à avancer prudemment et scientifiquement sur ces questions-là.
Est-ce que vous mangez des fruits de saison ?
J'en mange plus que 5 par jour.
Plus que 5 par jour ?
Beaucoup plus.
En septembre aussi ?
En septembre aussi.
Du raisin, du...
Des pommes, il faut manger des pommes, c'est très important pour le commerce de la pomme.
Vous êtes comme J. Chirac, vous.
Je lui ressemble, parfois.
Bon. Ah, dernière chose : il paraît que vous allez aller aux régionales ?
Je vais aller aux régionales en Normandie.
Tête de liste en Haute Normandie.
Tête de liste en Haute Normandie.
Et si vous êtes élu, vous quitterez le Gouvernement ?
Mais je l'ai dit dès le 22 avril. Je ne pense pas que ...
Je sais, vous êtes l'un des rares à dire ça, quand même, à aller, un des rares ministres...
Parce que Président de région c'est lourd, et ministre de l'Agriculture c'est très lourd.
C'est impossible ?
Les deux à la fois, ça sera trop lourd.
Merci d'être venu nous voir ce matin.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 17 septembre 2009