Interview de M. Hervé Morin, ministre de la défense, à Canal Plus le 23 septembre 2009, notamment sur la présence militaire française en Afghanistan.

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Média : Canal Plus

Texte intégral

M. Biraben  et C. Roux.-  M. Biraben : Notre invité politique, maintenant, H. Morin, le  ministre de la Défense, mais aussi le patron du Nouveau Centre. Et  les centristes sont un brin agacés, en ce moment par le parti du Président, avant la bataille des régionales. Mais avant cette bataille  électorale, le ministre a, une guerre sur le feu, une vraie, en  Afghanistan, avec une situation qui ne s'est pas arrangée depuis des  élections contestées. H. Morin, bonjour !
 
 
Bonjour !  
 
C. Roux : Bonjour !  
 
M. Biraben : Bienvenue !  
 
C. Roux : Alors vous rentrez d'Afghanistan...  
 
Bonjour, C. Roux !  
 
C. Roux : Bonjour ! Les opinions sont encore très marquées par ce  qui s'est passé avec les soldats italiens ou avec les bavures  allemandes ; est-ce qu'il n'est pas temps de se poser la question  d'un retrait en Afghanistan ?  
 
Mais le retrait d'Afghanistan cela veut dire quoi ? Ça veut dire le  renoncement de huit années d'efforts : efforts financiers, efforts  militaires, efforts de reconstruction. Aujourd'hui, 6 millions d'enfants  sont scolarisés en Afghanistan. J'ai inauguré une école que l'armée  française a construite dans la vallée de Surobi, la semaine dernière.  Efforts aussi, pour nous, de chair et de sang.  
 
C. Roux : On en a trop fait pour pouvoir partir maintenant, c'est  ça ?  
 
Non, ce n'est pas ça. Donc il y a à la fois de vrais progrès. En vallée de  Surobi, où j'étais, aujourd'hui les militaires français... c'est la vallée  dans laquelle nous avons perdu dix hommes l'année dernière. C'est une  vallée dans laquelle les hommes, dans la commune la plus importante,  les militaires sont capables d'aller dans le souk sans armes. Et donc il y  a à la fois de vraies situations de progrès, des endroits dans lesquels la  situation reste extrêmement difficile et en quelque sorte on ne peut pas  avoir une analyse globale parce que le nord de l'Afghanistan est plutôt  calme, le sud est très violent, certaines vallées sont aujourd'hui des  vallées dans lesquelles on peut mener un vrai programme de  reconstruction, où progressivement l'armée et la police prennent pied et  d'autres endroits où la situation reste très difficile. Mais si nous  quittions l'Afghanistan, si nous quittions l'Afghanistan, c'est refaire de  l'Afghanistan la base du terrorisme mondial et c'est surtout créer un  point...  
 
C. Roux : Alors...  
 
Non, mais j'insiste là-dessus, un point majeur de déstabilisation d'un  arc de crise ; les voisins de l'Afghanistan c'est l'Iran, pays qui cherche  à se doter de l'arme nucléaire ; et c'est par ailleurs le Pakistan, pays  détenant l'arme nucléaire, pays qui est lui-même en proie à de  nombreux facteurs d'instabilité.  
 
C. Roux : Donc S. Berlusconi se plante, se trompe quand il réclame,  lui, un calendrier de sortie. Il souhaite faire rentrer au plus vite les  soldats ; il se trompe, il a tort ?
 
 Je pense qu'il faut fixer des jalons, des objectifs, construire des choses,  devant l'opinion publique en disant : voilà ce que nous cherchons  comme objectif. Et puis dire à chaque objectif atteint : c'est un pas vers  le départ. Mais construire d'ores et déjà une date de retrait, c'est à coup  sûr échouer, parce que c'est donner des arguments extraordinaires à  ceux qui combattent le retour de l'Etat droit.  
 
C. Roux : L'élection, c'était un objectif ou pas ?  
 
Bah, l'élection, excusez-moi de vous le dire...  
 
C. Roux : L'élection présidentielle.  
 
Oui, en Afghanistan, aller voter... Moi j'ai des maleks, des chefs de  village, qui m'ont raconté comment ça s'est passé ; ils sont allés voter  avec dans certains villages des affrontements entre les forces de  l'alliance et les talibans qui tiraient, mais ils sont allés voter parce qu'ils  croient dans la reconstruction de leur pays. Et 40 % de participation  quand vous êtes menacé de mort, ça n'est pas rien ! Je rappelle que  nous c'est à peu près nos taux de participation dans un pays apaisé. Eh  bien, en Afghanistan, 40 % des Afghans sont allés voter alors que  voter...  
 
C. Roux : C'est curieux, vous avez l'air satisfait de ce scrutin alors  que l'ensemble de la communauté internationale met en doute la  légitimité de ce scrutin, en tout cas en l'occurrence B. Obama l'a  fait. Vous, ça vous satisfait ?  
 
Ecoutez, il y a une commission indépendante, il y a des rectifications  qui sont éventuellement en cours, je trouve que dans un pays dont on  annonçait l'apocalypse absolue c'est plutôt une réussite.  
 
C. Roux : Bon, on reste, ça on a compris. On reste pour quoi faire ?  Il faut construire des jalons, là c'est moins clair, est-ce qu'on reste...  
 
Bah, si, construire des jalons, c'est à dire la montée en puissance de la  police afghane, la montée en puissance de l'armée nationale afghane qui est aujourd'hui en mesure d'assurer, par exemple, le contrôle d'un  certain nombre de zones et notamment de la région centre, c'est faire en  sorte que la gouvernance s'améliore, il y a une immense responsabilité  sur le Président qui sortira des urnes pour faire en sorte qu'on lutte plus  contre la corruption. Bref, se fixer des objectifs.  
 
C. Roux : Alors le général McCrystal s'est exprimé, enfin c'est une  note qui a fuité...  
 
C'est un rapport.  
 
C. Roux : Il est commandant des forces internationales en  Afghanistan et il dit : il faut absolument des moyens  supplémentaires, sinon la coalition risque un échec probable de la  mission. Alors on reste, on a compris pour faire quoi, est-ce qu'on  renforce les troupes sur place ?  
 
Nous avons pour notre part fait des efforts depuis deux ans, des efforts  importants, à peu près 1 000 hommes de plus, donc il n'est pas question  de mettre des hommes en plus aujourd'hui.  
 
C. Roux : Les Britanniques vont le faire ?
 
Je n'en sais rien. Ce que je sais au moins, c'est que la solution n'est pas  seulement militaire, je le dirai au général McCrystal la semaine  prochaine puisque je le vois, il vient à Paris. Je lui poserai ces  questions, en lui disant mais : est-ce que créer les conditions de  confiance et de coopération avec la population ça impose forcément de  mettre des militaires en plus ? Je ne suis pas forcément convaincu.  Parce que nous ne combattrons pas les talibans avec seulement des  moyens militaires, on le fera d'abord par une pression sociale de la  population qui en quelque sorte dira aux leurs, à ceux qui combattent,  en disant voilà : ça suffit, aujourd'hui on veut la paix, on veut la  sécurité et cette sécurité nous l'avons grâce aux institutions afghanes. Et  cela, ça impose d'autres moyens que des moyens militaires. Il n'y a pas  de victoire militaire, ça n'existe pas.  
 
M. Biraben : H. Morin, vous avez une question de spectateur qui  vient d'arriver, une question de Gaëlle, qui vous demande : la  France osera-t-elle expulser des migrants originaires d'un pays où  les talibans sont maîtres ?  
 
La France osera-t-elle expulser des talibans ?  
 
M. Biraben : On fait référence, bien entendu, aux migrants afghans  de la Jungle de Sangatte, euh, de Calais.  
 
Bah, écoutez, il faut voir les conditions, chaque dossier mérite d'être  examiné. En revanche, ce que je peux dire à votre correspondante c'est  que j'ai demandé à E. Besson qu'on ait une analyse assez précise des  demandes d'asile qui sont formulées par les Afghans qui avec nous  notamment savent d'interprètes et qui souhaitent, au titre du  regroupement familial, revenir en France. C'est-à-dire que nous avons  avec nos forces un certain nombre d'Afghans qui travaillent sur le  terrain, dont parfois certains éléments de leur famille sont déjà en  Europe, eh bien qu'on ait une analyse qui soit une analyse qui fasse...  
 
M. Biraben : Leur permettre de rester sur le territoire.  
 
Leur permettre de pouvoir revenir en France.  
 
M. Biraben : Et les autres ?  
 
C. Roux : On a le sentiment que c'est compliqué cette expulsion,  qu'on ne sait pas trop quoi en faire de ces Afghans.  
 
Ce qui est certain, c'est que cela démontre à quel point on a besoin  d'Europe.  
 
C. Roux : La solution est forcément avec elle.  
 
Bah, oui, la solution est européenne, quand on sait que ces mêmes  migrants viennent de filières qui pour l'essentiel sont à Malte, sont en  Grèce, où on détermine très clairement qu'il y a une filière entre Patra,  qui est en Grèce, et Calais. Et donc on voit très bien qu'il faut des  moyens européens, c'est tout l'objet..., cela impose aussi que les  Britanniques mettent en place les moyens nécessaires pour bloquer  réellement l'immigration et qu'en quelque sorte le flux n'arrive pas ici.  
 
C. Roux : Un mot de politique, on sait que vous avez revu F.  Bayrou, alors c'était des circonstances très particulières ; est-ce  qu'une réconciliation politique est possible, prévue, en cours, à  venir ?  
 
Il n'y en a absolument aucune parce que le schéma que j'avais décrit en  2007 est celui qui s'est produit, j'allais dire, à la ligne près. J'avais  expliqué que la démarche de F. Bayrou l'amenait à l'isolement et à la  disparition ou à l'alliance avec la gauche. Et la vérité c'est que les  élections régionales approchant, eh bien si F. Bayrou ne veut pas  disparaître au moment des élections régionales, il est obligé de  s'associer avec le PS, c'est ce qu'il va faire.  
 
C. Roux : Et pour les régionales, vous, vous allez faire comment vis-à-vis de l'UMP ? Visiblement, vous avez droit à trois têtes de liste,  c'est royal !  
 
Ecoutez, hier nous avons eu un comité de liaison et j'ai clairement  expliqué que, un, nous voulions, nous Nouveau Centre, construire notre  programme, construire notre projet régional avant que nous allions vers  une convergence avec l'UMP sur un projet qui puisse être un projet  commun et d'autre part qu'il était temps que nous commencions à  regarder précisément quels seraient les critères de construction de ces  listes, quels seront les éléments qui nous permettront de déterminer si  telle ou telle personne doit être candidate. Comment fait-on le  renouvellement ? Quelle est la place que nous accordons à la diversité ?  Enfin il y a toute une série de sujets...  
 
C. Roux : Trois têtes de liste, on a compris, ce n'est pas suffisant.  
 
Non, clairement...  
 
C. Roux : Un peu, peu.  Je prends un seul exemple...  
 
C. Roux : Non !  
 
Bon, très bien, ok, merci !
 
(Rires)  
 
M. Biraben : C'est bon de dire ça à un ministre et qu'il se taise,  c'est formidable ! On va passer au « J'aime, j'aime pas », H. Morin,  si vous voulez bien ; vous allez me dire si vous aimez ou si vous  n'aimez pas l'histoire d'amour entre V. Giscard d'Estaing et la  princesse Diana ?  
 
J'ai beaucoup d'administration pour V. Giscard d'Estaing, c'est avec lui  que je suis rentré en politique. Je ne sais pas, j'ai du mal à comprendre,  alors c'est un roman, voilà.  
 
M. Biraben : Donc c'est romancé ou vous pensez que ça peut être  vrai ?  
 
Bah, je n'en sais rien ! Ecoutez, je n'en ai aucune idée ! Posez-lui la  question !  
 
M. Biraben : Vous y croyez, vous ?  
 
Non, je n'en sais rien.  
 
C. Roux : « J'aime, j'aime pas » la charge de D. de Villepin dans le  procès Clearstream ?  
 
Ecoutez, je trouve que D. de Villepin a une façon de réécrire l'histoire  qui lui appartient. La vérité c'est que si la justice n'avait pas fait son  oeuvre, on aurait altéré la volonté des Français. Imaginez que cette  opération ait pu aboutir, qu'il n'y ait pas eu cette procédure judiciaire,  les résultats des élections présidentielles auraient probablement été  différents, donc ça mérite quand même d'être regardé. Ce n'est pas le  pot de fer contre le pot de terre. Il y en a un qui était ministre de  l'Intérieur, l'autre qui était Premier ministre ou ministre de l'Economie  et des Finances au moment où N. Sarkozy a porté plainte et D. de  Villepin était Premier ministre. Donc, aujourd'hui, s'estimer la victime  d'un homme qui par sa puissance serait en mesure de diriger le procès,  c'est un peu refaire l'histoire. Surtout qu'en plus ça aurait pu faire  changer l'histoire au moment des élections présidentielles.  
 
M. Biraben : Est-ce que le fait que le président de la République  soit partie civile, ça peut aussi faire changer l'histoire ?  
 
Imaginez que le président de la République ait fait l'inverse, qu'il ait  décidé de retirer sa plainte. On aurait dit mais finalement il ne veut pas  la vérité, finalement il a des choses à se reprocher qui fait  qu'aujourd'hui il considère qu'il faut passer l'éponge. Je trouve qu'au  contraire il faut que la vérité aille jusqu'au bout. On a trop souffert  d'affaires comme Markovic etc., en d'autres temps, où on a eu le  sentiment que jamais les choses n'avaient été jusqu'au bout, c'est bien  que ça y aille.  
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 25 septembre 2009