Entretien de Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "France Inter" le 28 septembre 2009, sur la victoire d'Angela Merkel en Allemagne, le dossier nucléaire iranien et la menace de nouvelles sanctions contre l'Iran, la mort de soldats français en Afghanistan.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand.- On va rester sur l'Allemagne et la victoire d'A. Merkel. Votre analyse de cet évènement politique survenu hier soir ?

Je crois que les partis traditionnels, en effet, perdent de leur influence. Ce n'était pas étonnant puisque la crise avait tout secoué, qu'on jouait à front renversé, que ceux qui mettaient plus d'Etat, alors qu'ils étaient partisans de moins d'Etat ont triomphé d'une certaine façon, même si c'est dans une mesure faible, qu'on peut corriger. Et puis ceux qui auraient dû se satisfaire de cette prise en charge et de cette armature de l'Etat qui venait renforcer, et peut-être même conforter les gens les plus faibles ne s'en sont pas servis - il s'agit des sociaux-démocrates. Donc on ne comprenait pas très bien ce qui se passait, la période était difficile. Je pense que ce n'est pas un changement très profond, c'est une évolution. Et puis on devrait aussi se dire que face aux tourments que nous avons connus, qui ne sont pas terminés, finalement, en Europe, et particulièrement en Allemagne, et même entre l'Allemagne et la France, les choses ne se sont pas mal passées du tout.

On peut en attendre des inflexions dans la relation franco-allemande ?

Je ne crois pas. Je crois que ce qui s'est passé au G20 est au moins aussi important. C'est-à-dire que nous étions tous d'accord, mais particulièrement les Allemands et les Français, avec les Britanniques d'ailleurs. On verra bien l'évolution des mesures qui ont été prises, la mise en route, la construction de ces mesures. Et je crois que pour ce qui concerne la gouvernance du monde, le fait que maintenant, le G20 jouera un rôle considérable, le fait qu'il faut se tourner très vite vers une réforme des Nations unies, tout cela sera fait avec l'Allemagne, comme prévu. Et moi qui ai assisté à beaucoup, beaucoup de [inaud.] en France, je crois que les choses vont bien.

Un tout petit mot de la déroute de la gauche allemande, en tout cas du SPD, des sociaux-démocrates...

"Déroute", ce n'est pas une déroute totale. Il y a une gauche, une gauche qu'on appelle la gauche mais qui sont des gens...

Die Linke...

Oui, die Linke. On dirait "des gauchistes" en France. Et puis les anciens communistes qui sont des nostalgiques de l'armature étatique, du système de santé, etc. qui est monté. Il reste un peu d'idéal chez ces gens-là, même si, je crois, c'est un leurre. Mais enfin, voilà, c'est comme ça, et chez nous, c'est pareil, il y a un renforcement de la gauche de la gauche.

Bon, voilà, fin du commentaire...

Si vous voulez me faire dire qu'il y aura une différence et qu'il y aura des difficultés supplémentaires entre l'Allemagne et la France, je ne crois pas. Il y aura des discussions supplémentaires, des ajustements nécessaires. Mais je crois qu'au contraire, le mouvement est donné et que l'entente entre l'Allemagne et la France est tout est fait importante, et, je crois, pleine d'avenir.

L'Iran a salué le discours très ferme des Etats-Unis, de la Grande- Bretagne et de la France sur la menace de nouvelles sanctions par le tir de deux missiles. Est-ce que lentement mais sûrement, la situation n'est pas en train de dégénérer ?

Elle est en train de s'éclaircir en tout cas. Je ne sais si elle dégénérera, je ne le crois pas. Et vous dites "deux missiles", c'était deux missiles à courte portée qui ont été expérimenté. Enfin, qui ont été tirés hier. Il y en aura à plus longue portée. Donc l'escalade se poursuit, en effet. Mais je crois que la conscience en face s'est raffermie. La présentation au G20 par les trois pays majeurs - enfin "majeurs... " - , les Etats-Unis, l'Angleterre et la France, cette résolution, cette fermeté face à la découverte d'un deuxième site d'enrichissement d'uranium, qui a été caché pendant quatre à cinq ans. Je crois que les choses sont maintenant bien précisées. Il y aura quand même, je le rappelle, parce que nous essayons de parler avec les Iraniens et que les Américains l'aient fait récemment, c'est excellent ! Le 1er octobre, c'est-à-dire dans trois jours, nous rencontrerons, les directeurs politiques se rencontrerons à Genève ; je ne sais pas ce que cela donnera. J'espère qu'il y aura au moins des rendez-vous suivants et que l'on pourra aborder ce qui est essentiel et qui n'est pas contenu dans le document iranien qui a permis cette rencontre, c'est-à-dire parler du développement de tout processus nucléaire. Civil, ils ont le droit ; militaire, ils n'ont pas le droit.

Le dialogue a échoué pour l'instant ?

Il n'y a pas eu vraiment de dialogue. On les rencontre tout le temps mais le fond du problème n'est pas abordé. J'espère que ce sera à partir du 1er octobre à l'ordre du jour. Non seulement à l'ordre du jour mais avec des réponses fournies à l'Agence internationale de l'énergie atomique, qui, sempiternellement, demande des précisions qui ne lui sont jamais apportées.

Les gazettes ont rapporté un échange vif, musclé, entre le président de la République et vous-même, à New York, sur l'Iran, il y a quelques jours. Un : est-ce vrai ? Deux : sur quoi portait le différend ?

Oui, c'est vrai, je parle avec le président de la République, lequel me répond parfois. Et ce n'est pas un dialogue...

Mais là, il parait que c'était particulièrement brutal !

Ce n'est pas un dialogue musclé et ce n'est pas vrai. Ne vous fiez pas aux gazettes. J'étais là, permettez-moi de vous le dire.

Vous étiez là, moi je n'y étais pas, effectivement. C'est pour cela que je vous pose une question.

Ah vous êtes gentil. Oui, il s'agissait d'éventuelles sanctions à propos de l'Iran justement, et ce n'était pas du tout un dialogue musclé, c'était même très amical. A propos de sanctions, nous avons chacun une petite expérience, et de toute façon, pour le moment, nous ne parlons pas de sanctions, ouvertement. On sait très bien que si cela se passe mal et si le dialogue ne s'entame pas, comme nous le souhaitons, alors à un moment donné, nous retournerons vers les sanctions qui ont déjà été proposées et même votées par les Nations Unies à trois reprises, avec les Chinois, avec les Russes, avec les Anglais, avec les Américains et les Français.

Mais le différend de cet échange courtois...

...Mais pas "différend" monsieur. Ce n'est pas un différend !

... il portait sur quoi alors, puisque vous dites que vous connaissez chacun le problème des sanctions, donc ça portait sur quoi ?

Attendez, excusez-moi, si vous retirez le mot "différend", il s'agissait d'un échange de vue, il s'agissait d'une opinion que j'ai proposée au Président à propos d'une éventuelle, disons... vous savez qu'il y a... les Iraniens ne raffinent pas assez d'essence, et donc ce grand producteur de pétrole fait raffiner ailleurs. Donc, depuis longtemps... Donc il est obligé d'importer. Oui. Depuis longtemps, on évoque la possibilité d'un embargo sur ces produits finis dont les Iraniens ont besoin. Je pense qu'il faut faire très attention à ne pas viser, ne pas cibler les gens les plus faibles et en particulier, en ce moment, ceux qui ont été dans la rue et qui ont constitué par millions un mouvement très profond de contestation du régime. Voilà, c'est tout. Cela a duré exactement 1 seconde 50. Et le reste c'était autre chose. Et ce n'était pas un différend !

Et la différence, alors, entre lui et vous ? Le président de la République est plus persuadé que des sanctions peuvent être efficaces très rapidement, c'est cela ?

Je sais que c'est intéressant d'essayer de mettre des coins, là où ça pourrait écarter...

Non, ce n'est pas des coins, c'est juste mettre du clair.

Non, mais arrêtez ! Il ne m'a pas répondu sur ce pays, il m'a répondu sur la Birmanie. Voilà. C'est évidemment le président de la République qui décide. Moi j'essaye d'apporter une influence, d'apporter une expérience qu'il m'arrive d'avoir. Voilà, c'est tout. A part ça, c'est le président de la République qui décide. Mais là, il n'y a pas eu de décision prise. C'était un échange comme nous en avons souvent, c'est beaucoup plus facile de parler avec le président de la République qu'on croit, et c'est très intéressant d'échanger des opinions.

Dans ce nouveau contexte, encore un mot, ce n'est pas demain la veille que C. Reiss regagnera la France, non ?

Je n'en sais rien, je crains que non, mais j'espère que oui. Nous attendons le jugement. Comme vous le savez, il doit y avoir un jugement, puisqu'elle est libérée sous caution. Elle est à l'ambassade de France, elle n'en sort pas pour le moment. J'espère que cela durera le moins longtemps possible, mais on continue de parler aux Iraniens. J'ai rencontré le ministre des Affaires étrangères iranien, il y a deux jours, longuement, à New York. J'espère qu'elle sortira le plus vite possible, mais vraiment, nous ne savons pas. Nous n'en connaissons pas la date.

Quatre soldats français morts par accident, ce week-end, en Afghanistan ; 35 morts depuis 2001. Il faut rester sur place, il faut que la France reste sur place ?

La question est un peu naïve. C'est un plus complexe que ça...

Excusez-moi. Oui, simplement, c'est la deuxième fois que je [vois] un peu de naïveté...

Oui, oui, bien sûr. Mais c'est bien, je vais progresser, là il nous reste une minute.

J'espère, j'espère, mais je vous fais confiance, vous pouvez vous améliorer.

Eh bien, écoutez, acceptons-en l'augure.

Je reprends votre question : est-ce qu'il faut rester sur place ? Oui. Est-ce qu'il y a une possibilité de victoire militaire ? Non. Est-ce qu'on peut, avec nos troupes qui font un travail admirable, un travail très dangereux, bien entendu... Il faut accéder aux populations, ce sont les populations, ce sont les Afghans eux-mêmes qui, s'ils prennent en charge les projets et leur vie quotidienne, avec les projets et l'argent que nous leur apportons, c'est eux qui feront la différence. Or, c'est très difficile. La sécurisation d'un certain nombre de zones, et les zones, les deux vallées dans lesquelles les soldats français se battent, mais se battent en s'approchant de plus en plus des populations, maintenant, ils rentrent dans les villes, maintenant, ils connaissent les gens, maintenant ils y vont, pas avec l'armada habituel et les choses s'améliorent de ce point de vue. Simplement, c'est très compliqué, le pays est vaste, et la stratégie doit être bien déterminée dans cette phase où les Américains vont se prononcer sur le renforcement des troupes. Ce n'est pas seulement le nombre des hommes, comme l'a dit le président Obama, qui compte mais la stratégie déployée. Alors, si on arrive à rendre confiance à des populations qui, dans un pays, qui est le plus pauvre du monde, sont en guerre depuis trente-cinq ans en réalité, alors je crois que là nous aurons un espoir. S'en aller maintenant, non, pas du tout. Il y a évidemment à donner confiance et à sécuriser ces populations.

Une dernière question naïve : qui a gagné les élections là-bas en Afghanistan ?

Je n'en sais rien. On attend. Mais il faut encore... Ce n'est pas à nous le dire, ce n'est pas à nous de changer la donner au milieu de l'élection, du processus que nous avons proposé. Ce n'est pas à nous de dire si monsieur Karzaï a gagné ou pas. Il y a en ce moment deux commissions, une commission composée d'Afghans, indépendants du pouvoir mais composée d'Afghans, et une commission internationale. Ces deux-là se sont rencontrées, ont mis au point un système. Dans quelques jours, nous aurons le vainqueur, il faudra l'accepter, qu'il y ait un deuxième tour ou qu'il n'y en ait pas.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 28 septembre 2009