Interview de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la justice, à Europe 1 le 10 septembre 2009, sur la situation dans les prisons, les objectifs de la loi pénitentiaire et les raisons de son départ du Secrétariat d'Etat à la coopération.

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Texte intégral

M.-O. Fogiel.-  Bonjour, J.-M. Bockel. 
 
Bonjour. 
 
Vous êtes secrétaire d'Etat auprès de la ministre de la Justice et des  Libertés. Beaucoup de questions ce matin, autour des prisons,  notamment suite à l'évasion rocambolesque avant-hier de J.-P. Treiber,  soupçonné du meurtre de G. Giraud et de K. Lherbier. Double évasion  le même jour, pas dans la même prison, mais dans le même  département. Tout d'abord, quelles sont les dernières informations, les  enquêteurs ont des pistes ? Vous savez ? 
 
Non, rien de plus que ce que vous avez pu entendre, vous aussi. En réalité, la  garde des Sceaux a réagi immédiatement avec un audit des prisons. Parce  qu'on veut vérifier, s'il y a eu, dans ce dossier, simplement des complicités,  une évasion bien préparée, ou s'il y a eu à un moment ou à un autre, des  dysfonctionnements, au niveau notamment de l'alerte, puisque entre l'évasion  et le moment où on l'a su, il s'est passé quand même plus d'heures que  normal. Et donc du coup... 
 
Donc il y a peut-être des erreurs de la part du personnel pénitentiaire ?  Vous n'excluez pas des erreurs en tout cas ce matin ? 
 
Pas forcément des erreurs. Vous savez le personnel pénitentiaire, j'ai plutôt  tendance à lui rendre hommage, parce que sa tâche est difficile. Non, mais il  peut y avoir au niveau des dispositifs, au niveau des ateliers notamment, là où  les gens travaillent, il peut y voir des dispositifs à revoir, ça, ça ne dépend pas  du personnel, mais de nous, de l'administration et c'est ce travail qu'on est  en train de faire, naturellement... 
 
Mais les syndicats dénoncent le manque de moyens, le manque  d'effectifs. Vous dites quoi ? Que les syndicats se cachent derrière des  arguments ? 
 
Non, non, je ne dis pas cela. Je dis que nous avons 1.800 personnes, cette  année - vous voyez d'ailleurs dans les médias, les pubs pour ce métier, qui  est un métier important, pas facile, mais motivant... 
 
de surveillant de prison.
 
 ...de surveillant de prison - 1.800 qui rentrent en formation cette année. A  peu près autant l'année prochaine. Donc je veux dire, on ne peut pas aller  plus vite en terme de rythme d'embauches, ce qui veut dire que nous  reconnaissons qu'il y a des embauches nécessaires, par rapport notamment... 
 
Il y a du boulot ? 
 
Il y a du boulot, mais on ne peut pas dire que, dans cette prison par exemple,  il y ait des problèmes particuliers ou de vétusté de surpopulation ou  d'évasion, ce qui peut arriver, dans certaines prisons. Donc là, on... 
 
Donc pour l'instant, pas d'erreur, vous ne dénoncez pas des erreurs  pour l'instant ? 
 
Non, il ne faut pas dénoncer des erreurs, sans avoir vérifié les procédures. Et  puis ensuite, ce qui est important, évidemment, c'est de tout faire pour que ce  genre de situation ne se reproduise pas. Et puis là, on était sur quelqu'un qui  était en préventive, l'autre personne qui s'est évadée, était donc dans une  prison où sont des gens pour de longues peines, mais ça mérite aussi d'être  regardé de très près. 
 
Alors ces évasions interviennent au moment où on parle de la loi  pénitentiaire. Les sénateurs socialistes s'inquiètent d'un revirement  concernant la remise en cause de l'encellulement individuel, un détenu  par une cellule, et la limitation des possibilités d'aménagement de  peine. On le sait, M. Alliot-Marie a proposé que le placement  automatique sous bracelet électronique ne soit possible qu'à certaines  conditions. On a entendu aussi que la commission des lois a modifié le  texte voté par le Sénat, en excluant les récidivistes de ce régime. Est-ce  que finalement, cette réforme est en train de faire "pschitt",  finalement, puisque l'aménagement de peine était présentée comme la  mesure phare pour éviter le trop plein de prison ? 
 
Non, la réforme sera une grande réforme. Sur les deux points que vous avez  évoqués, un mot : sur l'encellulement individuel, il ne faudrait pas que ça  tourne à la querelle idéologique. En réalité, qu'en est-il ? Aujourd'hui, vous  savez que notre référence, c'est un certain nombre de règles européennes,  dont nous nous rapprochons. Aujourd'hui, partout en Europe, on reconnaît  que tous les détenus ne veulent pas - ou dans certains cas particuliers de  fragilité psychologique etc., prévention du suicide - ne peuvent pas être seuls.  Aujourd'hui, notre plan de modernisation des prisons nous permet de passer  de 35 000 cellules individuelles aujourd'hui, à 45 000 d'ici peu d'années. Et  donc nous nous approcherons d'un moment où ce choix, on sait qu'à peu  près un quart, un tiers des personnes en prison, souhaitent ne pas être seules.  Et donc le choix, d'abord permettra d'être seul quand on veut être seul, et de  l'être vraiment. Parce que souvent, si on l'affirme et qu'on sait qu'on ne peut  pas le faire, ça n'a pas de sens. Donc sur ce point, je crois que les points de  vue ne sont pas très éloignés. Sur le deuxième point, bien sûr que les  alternatives à la détention, notamment le bracelet se sont énormément  développées, continueront à se développer. Il y a toujours eu des conditions,  il n'y a pas d'automaticité. Là, simplement, il y a le souci tout de même, que  pour des peines importantes, que pour des personnes où il y a un risque de  récidive fort, il n'y ait pas d'interdiction mais des précautions plus grandes. 
 
J.-M. Bockel, ce débat intervient à un moment où on apprend que  quand vous avez été secrétaire d'Etat à la Coopération, il a fallu d'un  coup de fil d'O. Bongo, pour que vous soyez débarqué, parce que vous  étiez gênant. Votre réaction, on ne vous a jamais entendu là-dessus ? 
 
Il fallait que vous en parliez ! 
 
Eh bien, évidemment, oui, c'est l'actualité, donc on ne va pas le cacher. 
 
On ne m'a jamais entendu là-dessus... Si, j'ai eu l'occasion de m'exprimer,  juste après, mais je n'ai pas passé ma vie, ensuite à ressasser cet évènement.  Je dirais que notamment, par rapport à ce qui a pu se dire, depuis quelques  jours, mon silence est en quelque sorte, une réponse. 
 
C'est-à-dire ? Vous confirmez qu'un coup de fil a été passé et que vous  avez sauté après ce coup de fil ? 
 
Sur la forme et sur le fond, maintenant, sur cet éviction pour reprendre votre  expression, ce que je peux dire, c'est qu'au moment où ça s'est passé,  qu'est-ce qui m'a motivé à rester ? Parce que au fond, on peut ne pas  accepter une telle décision. C'est d'abord la conscience qu'on était là, en  l'occurrence, dans la raison d'Etat. Alors la raison d'Etat - à un moment  donné, un jour, peut-être dans mes mémoires, je raconterai le détail de tout  cela, tel que je l'ai vécu - la raison d'Etat, on peut ne pas l'accepter, à ce  moment-là on part. On peut l'accepter et ne pas la supporter. Moi, je l'ai  accepté et j'ai considéré que 9 mois après mon entrée au Gouvernement,  dans le cadre de l'ouverture, partir sur cette affaire, si désagréable soit-elle  pour moi, par rapport à la démarche politique qu'est la mienne, notamment à  travers le développement de ma formation politique, La Gauche moderne,  c'était vraiment dommage, c'était prématuré et au jour où je vous parle,  évidemment l'histoire n'est pas finie. Ai-je eu raison, ai-je tort ? Mais en tout  cas, je ne regrette pas le choix que j'ai fait. Voilà, ce que je peux vous dire  aujourd'hui, sur cette affaire, je ne sais pas comment on peut l'appeler... 
 
Douloureuse ? 
 
Ce n'est pas agréable, mais bon, voilà, pour moi, c'est assumé et je suis  maintenant dans l'action et je ne me perds pas dans les commentaires, voilà ! 
 
Très bien, merci, J.-M. Bockel. 
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 10 septembre 2009